« Je me disais, un homme comme celui-là, il n'y a pas de femme à sa taille. Une femme ne peut être pour lui qu'un objet de distraction, de passage, et il n'est pas homme à en épouser une rien que pour le servir, la montrer dans les salons... Et je me disais, c'est pas à courir les mers et les endroits sauvages qu'il le trouvera son oiseau rare...
« Et voilà que j'apprends qu'il y a à Gouldsboro une comtesse de Peyrac. J'étais si curieuse que pour un peu j'aurais mis la voile pour aller examiner de quoi vous aviez l'air. Et maintenant, je vous vois. Et je suis contente, il y a quand même des choses bien qui arrivent dans la vie.
Angélique dès les premiers mots avait compris qu'elle parlait de Joffrey, et le franc enthousiasme avec lequel Marcelline s'exprimait lui causa tant de joie qu'elle en eut presque les larmes aux yeux. Elle le voyait ici, lorsqu'il y était venu, encore solitaire, le banni du royaume, le rejeté des siens pour seul péché d'intelligence et de grandeur d'âme, et son cœur se gonflait d'amour et de nostalgie. Elle, si loin, là-bas, en France, une bête pourchassée. Lui, ici, ayant perdu l'espoir de jamais la retrouver. Tous deux misérables d'une douleur qu'ils croyaient ne pouvoir jamais se consoler sur terre. Le miracle qui les avait réunis prenait soudain pour elle des proportions supraterrestres. Voyant les larmes subites qui emplissaient les yeux d'Angélique, Marcelline s'interrompit, inquiète.
– Pardonnez-moi, dit Angélique en s'essuyant les paupières, ce que vous me dites me va tellement droit au cœur ! Vous me touchez plus que je ne puis l'exprimer. Et puis je suis en ce moment dans une telle inquiétude à son sujet.
– Tout va s'arranger, dit Marcelline avec bonté. M. le gouverneur m'a raconté. Vous essayez de le joindre sur la côte et vous ne pouvez poursuivre votre voyage à cause de votre pied blessé... Prenez patience ! Nous aurons peut-être l'occasion d'avoir bientôt de ses nouvelles. Mon fils, Lactance, est à Tormentine ces jours-ci, pour y porter des marchandises. Il doit revenir demain ou après-demain ; s'il a vu M. de Peyrac, il nous le dira.
Cet espoir rasséréna Angélique.
La présence de Marcelline dégageait vraiment une impression vivifiante et la certitude, comme elle le disait, que « tout allait s'arranger ».
Ils firent collation joyeusement, de cidre et de tourte au gibier.
Villedavray lut à Angélique la lettre qu'il envoyait à Québec pour dénoncer la mauvaise conduite des frères Defour et qui commençait ainsi.
Excellence,
Je n'ai davantage de raisons de me trouver satisfait des sieurs Defour que par le passé. Ainsi celui qui vient de revenir de France ne fait pas plus appel à moi que les trois autres. Tous ils ont des natures complètement gâtées par la longue liberté et l'habitude de diriger leur conduite eux-mêmes, déplorable usage des gens qui hantent l'Acadie des provinces maritimes, et qu'ils ont acquise chez les Indiens... Il est donc indispensable de garder à vue des gens si dangereux que j'eus l'honneur de vous signaler déjà l'an passé... etc.
Quelques-uns des enfants de Marcelline se présentèrent. L'aînée était une fille, Yolande. Elle était aussi grande que sa mère mais sans en avoir la féminité naturelle.
– C'est un vrai gendarme, disait d'elle Marceline avec fierté, elle peut vous assommer un homme d'un coup de poing.
Angélique demanda en aparté, au marquis, quels étaient les rejetons des frères Defour !
– Je n'en sais rien au juste, répondit-il. Tout ce dont je suis certain c'est qu'il y en a dans la troupe. Je le sens.
L'attention fut soudain attirée par un point lointain à l'horizon : un navire, qui fit sortir tout le monde.
Yolande demanda s'il fallait qu'on commence à décrocher les chaudières pour se réfugier dans les bois.
– Non, dit le marquis, je distingue maintenant a qui nous avons affaire. C'est la caraque flamande de ces ivrognes sanguinaires, les frères Defour. Bon, ils seront là tous les quatre pour la Saint-Étienne. Et peut-être Alexandre !
Il se frotta les mains.
– Ha ! Ha ! Je vais leur faire chanter la messe.
Angélique ne disait rien et le considérait fixement.
– Qu'avez-vous ? interrogea le marquis, vous paraissez songeuse.
– Je cherche quelque chose à votre propos, dit-elle, cela vous concerne et c'est très important, mais je n'arrive pas à discerner de quoi il s'agit. Ah ! voilà, j'y suis !... Mais oui...
La scène qu'elle recherchait surgissait de sa mémoire.
– ... La première fois que je vous ai rencontré sur la plage de Gouldsboro, vous aviez dit que vous ne pouviez rien discerner à deux pas sans vos lunettes. Or, à l'œil nu, vous venez non seulement d'apercevoir ce bateau lointain mais encore de l'identifier.
Le marquis parut interloqué, et commença de rougir comme un enfant pris en faute mais il se rattrapa assez vite.
– C'est vrai ! Je me souviens... En fait, j'ai une vue perçante et n'ai jamais eu besoin de lunettes de ma vie... mais je me suis trouvé obligé de jouer cette petite comédie...
Il regarda autour de lui et l'attira dans un coin afin de lui parler en confidence...
Chapitre 7
– ... Ce fut à cause de cette femme qui vous accompagnait.
– La duchesse de Maudribourg ?
– Oui... quand je l'ai aperçue, mon sang s'est glacé dans mes veines... Je ne craignais qu'une seule chose, c'est qu'elle me reconnût ou qu'elle sache que je l'avais reconnue... Pour l'éviter, je me suis lancé dans la première improvisation qui m'est venue à l'esprit et il semble que je n'ai pas trop mal réussi puisque vous-même vous vous y êtes laissé prendre... J'ai quelque don d'acteur... M. Molière me disait...
– Pourquoi craignez-vous qu'elle sache que vous l'aviez reconnue ?
– Mais c'est une femme redoutable, ma chère ! Parlez de la duchesse de Maudribourg dans certains cercles particuliers de Paris ou de Versailles et vous verrez les visages pâlir. Pour ma part, je l'ai rencontrée quelquefois, à la Cour certes, mais surtout dans ces séances de Magie Noire qu'il est bon de fréquenter pour être considéré. C'est la mode désormais. Tout le monde y court pour rencontrer le Diable. Pour ma part, je ne prise guère ces passe-temps. Je vous l'ai dit, je suis un homme simple, bon enfant. J'aime vivre en paix entre mes amis, mes livres, de beaux objets, de beaux paysages. Québec me convient...
– Pourquoi ne nous avez-vous pas prévenus de la véritable personnalité de cette femme que le hasard avait amenée dans notre établissement ?
– Hé, croyez-vous que je tenais à ce qu'elle m'administre un bouillon de onze heures ! C'est une empoisonneuse, ma chère, et des plus compétentes... Et puis la situation m'a paru piquante. Flirter avec le Diable aux yeux d'ange ! Quand je pense qu'elle a eu l'insolence de me dire : « Vous confondez, monsieur, je vous assure que je n'ai la mort de quiconque sur la conscience. » Elle qui a envoyé ad patres une bonne douzaine de quidams, sans compter son vieux mari, quelques servantes qui lui avaient déplu, un confesseur qui ne l'absolvait pas...
Il pouffa derrière sa main.
– ... Elle est d'origine bâtarde. C'est la fille d'une grande dame luxurieuse, un peu sorcière, qui l'a eue avec son aumônier ou son valet ou son frère, ou un cul-terreux quelconque... on ne sait. On gage pour l'aumônier, car il était fort savant en mathématiques, et cela expliquerait ses dons indéniables en sciences, encore qu'en un temps les théologiens aient pensé qu'elle les tenait du Diable...
Il ajouta, soucieux :
– Je ne suis pas arrivé à savoir exactement qui était sa mère... Mme de Roquencourt la connaissait mais je n'ai pu obtenir d'elle la vérité... tout ce que je sais, c'est que c'est un grand nom du Dauphiné.
– Je croyais que Mme de Maudribourg était poitevine...
– Elle raconte n'importe quoi à ce sujet. Cela dépend qui elle a décidé de séduire... Mme de Roquencourt s'est intéressée à la fillette, je ne sais pourquoi ?... Peut-être des liens d'amitié un peu particulière l'unissaient-ils à la mère... ou bien parce qu'elle aussi avait des faiblesses pour l'aumônier... Il n'était point inintéressant, cet ecclésiastique. Une sorte de génie scientifique spontané. Seuls les Ordres lui avaient permis de faire des études. Sa fille a hérité de lui et pour le satanisme aussi ! Avez-vous entendu parler de l'affaire du couvent de Norel ?
– Non.
– Cela s'est passé il y a quelque vingt ans. Elle s'y trouvait. Elle devait avoir dans les quinze printemps. Mais ce n'est pas le seul couvent où le Diable est allé faire ses cabrioles. Il y a eu Loudun, Louviers, Avignon, Rouen, c'était la mode alors... À Norel, l'action satanique était menée par Yves Jobert, le directeur du monastère qui faisait danser les nonnes nues et s'accoupler entre elles jusque dans l'église et le jardin. Il enseignait qu'il fallait faire mourir le péché par le péché et pour imiter l'innocence de nos premiers pères, rester nus comme eux et suivre l'impulsion de ses sens plutôt que de les freiner... C'est une théorie qui ne manque pas de séduction mais l'Inquisition ne l'a pas entendue de cette oreille. Elle a passé Yves Jobert aux brodequins avant de le brûler vif ainsi que quelques-unes des nonnes4. Elle, Ambroisine, elle s'en est tirée car elle est maligne. Le duc de Maudribourg l'a épousée. Elle a pu enfin s'offrir des armes sur sa bannière de bâtarde, un lion aux quatre pattes griffues, de gueules sur fond de sable. Lui, croyait faire une bonne affaire car il avait l'habitude de s'offrir de jeunes vierges pour s'en débarrasser ensuite quand il en était lassé. Il a trouvé plus fort que lui. En fait de vices et de poison, il n'avait rien à lui enseigner. Naturellement, tout ceci ne se sait pas officiellement ou à peine... Ce sont de trop grands noms. Mais moi je suis au courant de tout, on me trompe difficilement... Vous comprenez pourquoi je me suis ému de rencontrer ainsi en Amérique cette Messaline avide. Mais je crois m'être tiré avantageusement de ce mauvais pas... Angélique, vous avez l'air fâchée ! Pourquoi ?
– Vous ne m'avez pas prévenue à temps. Accueillir cette femme parmi nous représentait un danger mortel.
– Bast ! Elle n'a tué personne, que je sache.
– Elle l'aurait pu.
Angélique, tremblait intérieurement. L'idée qu'Ambroisine avait envisagé d'empoisonner Abigaël s'imposait à elle, maintenant.
– Angélique, vous n'êtes plus la même, s'écria le marquis d'un ton désolé. On dirait vraiment que vous m'en voulez !
– Je vous tuerais volontiers, dit Angélique en le fixant froidement.
Son regard ne devait guère être rassurant car le gouverneur recula d'un pas.
– Pas devant l'enfant ! dit-il précipitamment. Je vous en prie ! Allons, Angélique, soyez raisonnable. On dirait que vous me reprochez réellement quelque chose de grave.
– Certes ! Vous saviez des choses épouvantables sur cette duchesse et vous ne nous les avez pas communiquées. Voilà en quoi vous êtes coupable !
– Mais, au contraire, je crois avoir agi avec habileté et sang-froid. La dénoncer eût peut-être éveillé ses instincts pervers. Qui sait ? N'est-elle pas venue en Amérique pour s'amender ? La conversion ! C'est très couru parmi nos belles criminelles. Quand elles en ont assez des plaisirs vénéneux, elles se jettent dans la dévotion, et s'y font remarquer, croyez-moi !... Mlle de La Vallière est sous la bure, Mme de Noyon qui a empoisonné ses enfants nouveau-nés et deux amants – cela je suis seul à le savoir – est depuis quelques années à Fontevrault et l'on parle de la nommer abbesse...
– Ah ! Cessez de m'entretenir de ce monde abject ! s'écria Angélique en se précipitant vers la porte.
Le marquis de Villedavray la suivit avec agitation.
– Angélique ! Comme vous vous émouvez de peu ! Allons ! Nous n'allons pas nous brouiller pour des bagatelles, voyons ! Admettez au moins que j'aie voulu agir pour le mieux...
Elle lui jeta un regard noir. Elle ne croyait pas à ses protestations d'innocence. S'il s'était tu, c'était peut-être par crainte d'Ambroisine, en effet, mais aussi parce qu'il adorait embrouiller les affaires des autres et se sentir important.
– Vous me jugez mal, fit-il réellement attristé. Qu'importe ! Vous me connaîtrez mieux un jour et vous regretterez votre dureté. En attendant, ne troublons pas nos excellentes relations pour une personne si peu intéressante. Elle est loin maintenant et ne peut nuire à personne... Allons ! Angélique, souriez, la vie est belle ! Vous viendrez à mon anniversaire, n'est-ce pas ?
– Non, je n'y viendrai pas.
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