– Alors, méfie-toi encore plus, marquise. On te prépare un mauvais coup.
– Qui cela ? Pourquoi ? Que sais-tu ?
– Pas grand-chose. Je sais seulement que Mme de Montespan et Mme du Roure sont allées chez la Voisin pour trouver le moyen d'empoisonner La Vallière. Elle leur a conseillé de désaffecter l'esprit du roi par la magie et, déjà, Mariette, son prêtre sacrilège, a fait passer des poudres sous le calice.
– Tais-toi ! fit-elle dans un sursaut d'horreur.
– Méfie-toi de ces garces. Le jour où elles se mettront en tête que c'est toi qu'il faut faire passer de l'autre côté...
Les violons attaquaient le prélude au rythme d'une cadence vive et charmante. Le roi se leva et, après s'être incliné devant la reine, il ouvrit le bal avec Mme de Montespan.
Angélique s'avança. Il était temps pour elle de prendre place. Dans l'ombre d'une tenture, le gnome chapeauté de plumes ricanait...
Chapitre 6
Le Roi s'occupait des affaires qui regardaient la guerre. Il fit dresser un camp dans la garenne de Saint-Germain. Les tentes étaient fort belles. Celle de M. de Lauzun – rentré en grâce – avait trois pièces tendues de soie cramoisie. Il y reçut le roi et l'on donna une grande fête. À Fontainebleau, où la Cour se rendit ensuite, des troupes étaient rassemblées et les dames eurent le spectacle des revues militaires où le roi aimait à faire admirer la discipline et la belle tenue des hommes.
La Violette fourbissait l'armure de son maître, le corselet d'acier, plus décoratif que nécessaire, que le maréchal porterait sous ses cols de dentelles. La tente rebrodée valait 2 000 livres. Cinq mulets porteraient les bagages. Les chevaux de selle étaient prévus. Et les mousquetaires de la compagnie personnelle de M. du Plessis étaient entièrement équipés d'un drap chamois aussi épais qu'un écu d'argent, avec buffleteries dorées et culotte de peau blanche à coutures d'or.
Oui, l'esprit du temps était à la guerre. L'appel de la ribaude qui, s'en allant sur les rives de la Seine en criant : « Eh ! Roi de France, quand donc nous donneras-tu la guerre... la belle guerre ! »... n'était-il pas parvenu jusqu'au jeune souverain qui, lui aussi, humait dans le vent l'appel de la gloire ?
Seule la guerre donne la gloire. Le triomphe des armes complète la grandeur des souverains.
La guerre émergeait de sept années de paix comme un fantôme rayonnant où chacun, depuis le roi, les princes, les gentilshommes, jusqu'au peuple mouvant des spadassins désœuvrés, des têtes chaudes en quête d'aventures, reconnaissait l'appétit de sa race pour le grand jeu épique du combat. Les bourgeois, les artisans et les paysans n'étaient pas consultés. Auraient-ils montré de la réticence ? Que non pas. La guerre pour la nation qui l'entreprend c'est la victoire, promesse d'enrichissement, rêves fallacieux de se libérer d'insupportables servitudes. Ils avaient confiance en leur roi. Ils n'aimaient pas les Espagnols. Ni les Anglais, ni les Hollandais, ni les Suédois, ni les Impériaux.
Le moment semblait venu de montrer à l'Europe que la France était la première nation du monde et n'entendait plus obéir, mais dicter ses ordres. Le prétexte manquait. Des casuistes furent chargés par Louis XIV de l'extraire du passé et du présent politiques. Après avoir beaucoup réfléchi on découvrit que la reine Marie-Thérèse, enfant du premier lit de Philippe IV d'Espagne, avait sur la Flandre un droit d'héritage, à l'exclusion de Charles II, enfant du second lit. L'Espagne fit remarquer que ce droit n'était fondé que sur un usage exclusivement local de la province des Pays-Bas qui excluait de la succession les enfants du second lit en faveur de ceux du premier et qu'elle, l'Espagne, maîtresse de ces provinces, n'avait pas à en tenir compte. Qu'elle rappelait d'ailleurs qu'en se mariant au Roi de France, Marie-Thérèse avait renoncé solennellement à tout l'héritage espagnol.
La France répondit que l'Espagne n'ayant pas versé les cinq cent mille écus qui, d'après le traité des Pyrénées, devaient être comptés au Roi de France pour la dot de Marie-Thérèse, ce manque de parole annulait les promesses précédentes.
L'Espagne répliqua qu'elle n'avait pas à verser cette dot, puisque celle stipulée pour la fille de Henri IV lorsqu'elle était devenue reine espagnole en 1621 n'avait pas été acquittée plus fidèlement par la Cour du Louvre.
La France arrêta là les réminiscences des diplomates, en se basant sur le principe qu'en politique il faut avoir la mémoire courte.
*****
L'armée partit en conquête pour les Flandres et la Cour à sa suite se mit en route pour un voyage d'agrément.
C'était le printemps. Printemps pluvieux il est vrai, mais cependant c'était la saison qui avec les pommiers fait éclore les projets belliqueux. Il y avait autant de carrosses à la suite des troupes que de canons et d'équipages de guerre.
Louis XIV voulait que la reine, héritière des villes picardes, fût acclamée aussitôt comme souveraine dans chaque cité conquise. Il voulait éblouir par son faste des populations habituées depuis plus d'un siècle à l'occupant espagnol, arrogant mais misérable. Il voulait enfin porter le premier coup d'estoc à l'industrieuse Hollande dont les lourds vaisseaux s'en allaient sur les mers jusqu'à Sumatra et Java, tandis que la flotte française, réduite à néant, risquait de se voir partout surclasser dans le domaine commercial. Pour donner aux chantiers français le temps de construire des navires il fallait ruiner la Hollande.
Mais ce dernier but Louis XIV ne l'avouait pas. C'était un secret entre Colbert et lui.
*****
Sous la pluie diluvienne, carrosses, chariots, montures de rechange avançaient par des routes où la piétaille, l'artillerie et la cavalerie de l'armée avaient précédemment défilé. Ce n'était que ravines et mares de boues.
Angélique partageait le carrosse de Mlle de Montpensier. La princesse lui avait rendu son amitié depuis que M. de Lauzun était sorti de la Bastille. À un carrefour un attroupement les arrêta autour d'une voiture qui venait de verser. On leur dit que c'était celle des dames de la reine. Mademoiselle aperçut Mme de Montespan sur le talus. Elle lui fit de grands signes.
– Venez avec nous. Il y a une place.
La jeune femme les rejoignit, sautant de flaque en flaque, sa troisième jupe relevée pardessus la tête. Elle s'engouffra dans le carrosse en riant.
– Je n'ai jamais rien vu d'aussi drôle, raconta-t-elle, que M. de Lauzun avec tous ses cheveux dans son chapeau. Le roi est par là qui le tient depuis deux heures à sa portière. La perruque de M. de Lauzun était tellement imprégnée d'eau qu'il a fini par l'enlever.
– Mais c'est horrible ! s'exclama la Grande Mademoiselle. Il va prendre mal.
Elle fit presser les chevaux. Au premier tournant leur voiture rejoignit celle du roi. Lauzun, à cheval, se trouvait là en effet, ruisselant, avec l'air d'un moineau déplumé. Mademoiselle prit sa défense d'une voix pathétique.
– Mon cousin, vous n'avez donc pas une once de cœur ? Vous risquez de faire attraper la fièvre tierce à ce malheureux gentilhomme. Si vous êtes inaccessible à la pitié, considérez au moins la perte que vous feriez en la personne d'un de vos plus valeureux serviteurs.
Le roi, l'œil fixé à une lorgnette d'ébène et d'or, ne se détournait pas. Angélique regardait autour d'elle. Ils se trouvaient sur une légère éminence et dominaient la plaine picarde brune et mouillée. Une petite ville, brune aussi dans sa ceinture de remparts profilait ses créneaux sous le ciel bas. Derrière le réseau ténu de la pluie elle paraissait morte comme une épave au fond des eaux.
La tranchée française l'entourait d'un cercle noir implacable. Une seconde tranchée, doublant la première était en voie d'achèvement. À l'arrière les feux des canons pointés vers la ville jetaient à brefs intervalles une lueur rougeâtre dans le crépuscule. Le bruit des détonations était assourdissant. La Grande Mademoiselle se bouchait les oreilles puis reprenait son discours.
Le roi enfin abaissa sa lorgnette.
– Ma cousine, dit-il posément, vous avez de l'éloquence, mais vous choisissez toujours fort mal le moment de vos harangues. Je crois que la garnison va se rendre.
Il transmit à Lauzun l'ordre de cesser le feu. Le marquis partit au galop. Un mouvement se discernait, en effet, à la porte de la citadelle.
– Je vois le drapeau blanc, cria la Grande Mademoiselle en battant des mains. En trois jours, Sire ! Vous avez eu cette ville en trois jours ! Ah ! comme c'est passionnant la guerre !
Le soir, à l'étape, dans la petite ville conquise, alors que les acclamations des habitants battaient aux portes de l'hôtel où se logeait la reine, M. de Lauzun s'approcha de Mademoiselle et lui exprima sa reconnaissance pour son intervention. La Grande Mademoiselle sourit. Une onde rose vint farder son teint encore délicat. Elle s'excusa près de la reine d'avoir à quitter sa table de jeu, pria Angélique de la remplacer et entraîna Lauzun dans l'embrasure d'une fenêtre.
Le regard brillant, levé vers lui, elle buvait ses paroles. À la lueur atténuée d'un candélabre posé près d'eux sur une console, elle paraissait presque jeune et jolie.
« Ma parole, mais elle est amoureuse ! » se dit Angélique attendrie. Lauzun avait son visage de séducteur. Il y mêlait savamment la dose de respect nécessaire. Maudit Péguilin de Gascogne ! Dans quelle aventure n'allait-il pas encore se fourvoyer en s'attachant le cœur d'une petite-fille de Henri IV !
La pièce était bondée mais silencieuse. On jouait en quatre tables. Les annonces monotones des joueurs et le tintement des écus empilés troublaient seuls le murmure de l'aparté galant qui se prolongeait.
La reine aussi avait une physionomie heureuse. À sa joie de compter une ville de plus parmi les perles de sa couronne, se mêlaient des satisfactions plus intimes. Mlle de La Vallière n'était pas du voyage. Elle était demeurée par ordre du roi à Versailles. Avant de se mettre en campagne Louis XIV avait, dans un acte public enregistré par le Parlement, fait don à sa maîtresse du duché de Vaujours, situé en Touraine, et de la baronnie de Saint-Christophe, deux terres « également considérables par leurs revenus et le nombre de leurs mouvances »... Et il avait reconnu la fille qu'il avait eue d'elle, la petite Marie-Anne, qui deviendrait Mlle de Blois. Ces faveurs éclatantes ne trompaient personne, ni l'intéressée elle-même. C'était le cadeau de rupture. La reine y voyait un retour à l'ordre, une sorte de liquidation des erreurs du passé. Le roi l'entourait d'attentions. Elle était à ses côtés lorsqu'on entrait dans une ville, et partageait les soucis et les espoirs de la campagne. Une sourde inquiétude venait encore serrer le cœur de la souveraine lorsque son regard tombait sur le profil de cette marquise du Plessis-Bellière dont on lui avait dit que le roi s'entichait et qu'il lui avait imposée dans son entourage.
Une très belle femme vraiment, dont le regard clair avait du sérieux, les gestes une grâce à la fois retenue et spontanée. Marie-Thérèse déplorait la méfiance qu'on avait éveillée en elle. Cette dame lui avait plu. Elle aurait aimé en faire sa confidente. Mais M. de Solignac disait que c'était une femme libertine et sans piété. Et Mme de Montespan l'accusait d'avoir une maladie de peau, contractée dans des milieux de bas étage qu'elle fréquentait par vice. Comment se fier aux apparences ? Elle paraissait tellement saine et fraîche et ses enfants étaient si beaux ! Si le roi en faisait sa maîtresse, quel ennui ! Et quelle douleur !... N'y aurait-il jamais de repos pour son triste cœur de reine ?
*****
Angélique, qui savait combien sa présence était pénible à la reine, profita du premier prétexte pour s'éloigner.
La maison mise à la disposition des souverains par le bourgmestre était étroite et incommode. Les suivantes et premiers gentilshommes y étaient empilés tandis que le reste de la Cour et l'armée prenaient leurs quartiers chez l'habitant. L'accueil de la population évitait violence et pillage. On n'avait pas à prendre, puisqu'on donnait si volontiers. Le bruit des chansons et des rires parvenait amorti jusqu'au fond de l'hôtel mal éclairé où flottait encore le parfum ménager de la tourte picarde, cette immense tarte aux poireaux couverte de crème et d'œufs que trois dames de la ville étaient venues présenter sur un plat d'argent. En se heurtant aux coffres et aux bagages Angélique monta l'escalier. La chambre où elle avait élu domicile avec Mme de Montespan se trouvait sur la droite. Les chambres du roi et de la reine à gauche.
Une petite ombre se dressa sous la veilleuse à huile et un masque noir aux deux yeux d'émail blanc émergea.
"Angélique et le roi Part 1" отзывы
Отзывы читателей о книге "Angélique et le roi Part 1". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Angélique et le roi Part 1" друзьям в соцсетях.