– ... Il faut avoir pitié des princes, Florimond, comme de tous les hommes, et tu ne dois jamais cesser de te sentir frère de leurs incertitudes. En te relevant, tu auras pris garde de ne pas te laisser écarter par les fâcheux afin de te trouver au plus près de lui et que les paroles que tu as encore à prononcer ne soient entendues que de lui seul et non pas de ces curieux qui se bousculent, avides, alentour, et tu lui glisseras à mi-voix d'un ton pressant : « Sire, pourrais-je rencontrer Votre Majesté en particulier ? Car j'ai à lui communiquer, dans le secret, des nouvelles de ma mère, la comtesse de Peyrac. »
– Bien ! dit Florimond.
Il croyait vivre la scène où il serait le point de mire des yeux des courtisans, jaloux et envieux, et éprouvait, de cet affrontement anticipé avec le Roi, autant d'excitation que pour un duel.
– Bien ! Continuez, mon père, je vous prie.
– Je suppute qu'à partir de ce moment, ces quelques mots prononcés commenceront d'apaiser dans le cœur du Roi les violents remous dont il est la proie. Il reprendra son rôle. La Cour se remettra en mouvement. Peut-être ira-t-on visiter les jardins ? Mais je prévois que le Roi n'aura de cesse d'être débarrassé des importuns et de trouver diverses raisons pour se retirer, et te retenir toi, et toi seul, dans la solitude de son cabinet de travail.
– Et là que lui dirai-je mon père ? Que lui dirai-je dans le secret ?
– Viens !
Le comte passa un bras autour des épaules de Florimond et l'entraîna vers la fenêtre.
Ils étaient de taille identique et leurs silhouettes, se détachant en sombre sur la clarté de l'été, révélaient à la fois leur ressemblance et leur différence. Celle du père qui offrait un aspect plus abrupt, hésitant entre la robustesse et la maigreur, un grand corps vigoureux, taillé à angles plus rudes, avec pourtant une élégance d'attitude où se lisait un défi, ce défi que depuis l'enfance l'homme qui se nommait Joffrey de Peyrac n'avait cessé de proclamer afin d'obliger son corps marqué de blessures à dominer son infortune, au point qu'il était devenu plus fort, plus souple et plus séduisant que d'autres mieux favorisés par le sort. Près de lui s'élançait, déliée, la longue forme intacte du jeune homme, neuve, dans sa perfection.
Et tous deux étaient si pleins de fougue et de vie contenues qu'à seulement regarder leurs épaules rapprochées un courant de joie passait et de confiance en ce qu'ils entreprenaient.
Peyrac contempla, sans les voir, les grands lointains impavides. Puis, insensiblement, il tourna la tête et fixa le fin profil du garçon que la lumière ciselait comme dans le bronze d'une médaille.
Son fils ! Qui à treize ans avait bravé de grands dangers pour le retrouver.
Il éprouva de l'ivresse. Ivresse de vivre ! Ivresse d'aimer et d'être aimé ! Ivresse de voir un être jeune poursuivre le chemin et se charger d'une part de vos rêves, de vos ambitions et de vos espérances.
Lui, Joffrey de Peyrac, abordait avec surprise mais aussi délectation un point de son existence qui s'ouvrait sur une page encore plus confuse et indéchiffrable que les autres, mais dont il savait seulement qu'il la vivrait enfin, sans recours et sans partage avec la femme qu'il adorait.
Les dons du bonheur ne sont que furtifs. Il faut être aux aguets et ne pas ignorer l'éclat qui brusquement jaillit du ciel et vous éblouit, ni que l'instant n'a souvent de valeur qu'à être vécu, sans le ternir de la pensée du lendemain, ni vouloir s'assurer de sa pérennité, car tout est mouvant...
Florimond, à son tour, détacha ses yeux de l'horizon, et, tourné vers son père, il croisa ce regard sombre et brillant où s'embusquaient tous les défis, toutes les audaces, et n'en était que plus allègre.
– Que dirai-je au Roi ? insistait l'enfant, que lui dirai-je, mon père, dans le secret ?
La main de Joffrey de Peyrac accentua sa pression sur l'épaule mince afin de l'attirer plus près, et, avec la douceur qu'il eût témoignée à une femme, il posa ses lèvres sur la tempe du jeune paladin, du messager qui emportait avec lui les rejets de l'avenir.
– Tu lui diras, murmura-t-il, tu lui diras qu'ELLE REVIENDRA UN JOUR !
FIN
1 Charcuterie, genre de pâté.
2 Terme ancien pour désigner les femmes stériles.
3 Sainte-Anne-de-Beaupré, pèlerinage catholique d'Amérique, lieu de nombreux miracles et qui est considéré comme le Lourdes américain.
4 Grade ancien de brigadier.
5 Conseil de guerre, jamboree.
6 Cf. « Angélique se révolte ».
"Angélique à Québec 3" отзывы
Отзывы читателей о книге "Angélique à Québec 3". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Angélique à Québec 3" друзьям в соцсетях.