— Je les égorgerais volontiers, commenta Tristan, mais elles ont encore leur rôle à jouer. Sans sa femme, La Trémoille n'irait sans doute pas à Chinon.
Tout en parlant, il ôtait la cagoule d'Aycelin qu'il avait empruntée et se dirigeait vers Catherine, un large sourire aux lèvres.
— Vous avez bien travaillé, dame Catherine. A nous maintenant de vous sortir de là.
— Qu'avez-vous fait du vrai Aycelin ?
— Il doit cuver, à l'heure qu'il est, le vin drogué qu'il a bu, en assez grande quantité pour se donner le courage de vous torturer.
— Mais... les autres bourreaux ? Qui sont-ils ?
— Vous allez voir.
En effet, les deux tourmenteurs revenaient et d'un même mouvement ôtaient leur cagoule. Catherine, subitement très rouge, reconnut Pierre de Brézé, mais l'autre, un homme brun, solide et de visage intelligent, lui était inconnu. Le jeune seigneur vint, comme si ce fût l'heure et le lieu les plus naturels du monde, s'agenouiller aux pieds de Catherine et baisa sa main.
— Si je n'avais pu vous sauver, je serais mort, Catherine...
D'un mouvement spontané, elle lui tendit ses deux mains dans lesquelles il enferma son visage dans un geste passionné.
— Que de mercis je vous dois, Pierre... Dire que tout à l'heure je désespérais de Dieu et des hommes.
— Je savais que vous vous tueriez avec la dague avant la torture, fit Tristan qui s'occupait à dépouiller les hommes d'armes de leur uniforme. Je vous surveillais et j'avais peur que vous ne tentiez trop tôt le geste mortel. Il fallait le temps d'éloigner les éventuels gêneurs.
Sara avait sangloté de joie en retrouvant Catherine, mais elle se calmait et retrouvait ses esprits. Elle essuya ses yeux à un pan de sa robe et demanda :
— Nous ne sommes pas encore sorties ? Que faisons-nous ?
— Vous et Catherine, ainsi que Tristan, allez revêtir les uniformes des soldats. Moi et Jean Armenga, que je vous présente en ajoutant qu'il est l'écuyer d'Ambroise de Loré, nous allons reprendre nos costumes habituels, dit Brézé. Ensuite, nous sortirons dans la cour.
Près de l'entrée, des chevaux sont sellés. Nous les prendrons et je me mettrai à la tête de la troupe pour sortir du château. J'ai un sauf-conduit...
— Qui vous l'a donné ? La Trémoille ? demanda Catherine souriant.
— Non. La reine Marie. Elle est des nôtres... et beaucoup moins endormie qu'on ne le croit. Je vous emmène jusqu'à la limite du territoire d'Amboise, puis nous rentrerons au château, Armenga et moi, pendant que vous continuerez votre route. La dame s'était assuré la tranquillité pour son divertissement, mais il faut faire vite. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Je dois vous demander de vous déshabiller, Catherine, et vous aussi, bonne dame.
Déjà Catherine délaçait sa robe, secouant Sara qui grognait à la pensée de s'habiller encore en homme, chose qu'elle détestait entre toutes.
D'un coffre, les trois hommes tiraient les vêtements que Brézé et son écuyer y avaient cachés tandis que Catherine et Sara se dissimulaient dans l'ombre pour changer de costume. Ce fut vite fait. Mais elles se contentèrent des justaucorps de cuir, laissant les lourdes cottes de mailles. Les tabards aux armes royales suffiraient pour créer l'illusion.
Les chapeaux de fer, les camails et les épais souliers, beaucoup trop grands, étaient suffisamment encombrants...
En les voyant reparaître ainsi accoutrées, Pierre de Brézé ne put s'empêcher de rire.
— Heureusement qu'il fait nuit... et, que d'autres vêtements vous attendent à deux lieues d'ici. Vous n'iriez pas loin sans attirer l'attention.
— Nous ferons de notre mieux, fit Sara. Ce n'est pas si facile.
Pierre, cependant, s'approchait de Catherine et prenait une de ses mains dans les siennes. Une émotion profonde passa dans son regard clair.
— Dire qu'il me faudra vous quitter tout à l'heure, Catherine ! Je voudrais tellement veiller sur vous moi- même !... Mais je dois rester au château. On s'étonnerait de mon absence...
— Nous nous retrouverons, Pierre... à Chinon !
— Vous ne vous retrouverez jamais si vous ne faites pas plus vite, protesta Tristan. Allons-y maintenant... Passez devant, messire.
Pierre de Brézé et l'écuyer prirent la tête de la petite troupe. On monta prudemment l'escalier glissant qui menait à la salle des gardes.
Catherine, malgré le poids des vêtements qui l'écrasait, croyait entendre son cœur chanter. Jamais elle ne s'était sentie aussi légère, aussi heureuse. Après avoir vu la mort de si près, elle allait vivre !...
Existait-il sensation plus merveilleuse, plus grisante ?... Ses souliers trop grands glissaient sur les marches humides et usées. Elle buta, se fit mal, mais n'y fit même pas attention... Elle ne lui venait pas à l'idée qu'elle pût avoir à se servir de cette longue et lourde pique qu'elle traînait avec elle. Il lui semblait qu'elle n'avait rien d'autre à faire que suivre Pierre de Brézé. L'épée à la main, il ouvrait la marche. Il y avait, en effet, dans la salle des gardes, deux soldats à neutraliser...
Ce fut vite fait et en silence. Bâillonnés, ligotés, les soldats furent déposés sur le sol.
— Dehors, maintenant, dit Pierre. Et, cette fois, pas trop de bruit.
Dans la cour, seuls de rares pots à feu brillaient qui ne servaient guère qu'à rendre la nuit plus noire. Mais, à peine hors de la tour, Catherine leva les yeux vers le ciel avec un profond sentiment de gratitude. Il avait l'air d'un velours sombre rayé par la traînée pâle de la Voie lactée. Jamais l'air ne lui avait paru plus doux, plus délicieux...
Encadrée par Tristan et par Sara, elle voyait, devant elle, les larges épaules de Pierre qui marchait le premier. Il avait remis l'épée au fourreau, mais elle le sentait sur le qui-vive... Jean Armenga fermait la marche, et la suivait de près, peut-être pour que les soldats qui veillaient aux créneaux ne remarquent pas cet homme d'armes de taille un peu réduite. On passa près du donjon où somnolaient deux piquiers appuyés lourdement sur leurs armes, et Catherine, instinctivement, leva la tête vers les étages. Chez Gilles de Rais, tout était sombre, mais, chez La Trémoille, la fièvre de l'or devait tenir le gros homme éveillé..., des chandelles brûlaient. L'agitation de la journée avait fait place à un calme profond. La présence de la Reine avait mis un terme aux distractions trop bruyantes et les préparatifs de départ avaient fatigué tout le monde... L'immense cour était vide, sauf aux abords du corps de garde où l'on apercevait quelques silhouettes de soldats. Tout en marchant, Catherine chuchota pour Tristan :
— Ces soldats, là-bas... Est-ce qu'ils ne vont pas nous arrêter ?
— Cela m'étonnerait. Ce sont des gardes de la Reine que nous avons fait mettre de faction, cette nuit. Je ne sais pas ce que vous avez raconté à La Trémoille, mais vous l'avez tellement bouleversé que, cette nuit, tout va à l'envers dans le château.
— Est-ce que notre fuite ne le fera pas revenir sur sa décision de partir ?
Certainement pas. Il supposera qu'elle est l'œuvre de vos frères égyptiens. La dame de La Trémoille n'a pas vu nos visages, souvenez-vous, et l'idée que nous lui aurons fait passer une nuit au cachot ne sera pas pour déplaire à son tendre époux.
— Silence ! ordonna Pierre de Brézé.
En effet, on approchait de la longue voûte d'accès et du corps de garde. Il fallait encore franchir la herse, le pont-levis, mais Catherine n'avait plus peur. L'homme qui marchait devant elle devait être l'ange de la délivrance. Sous sa protection, elle en était certaine, rien de mauvais ne pouvait lui advenir...
Des chevaux attendaient, attachés près du puits, et Catherine, inquiète, songea qu'avec l'équipement qui l'écrasait elle n'arriverait jamais à enfourcher l'un de ces animaux. Mais Brézé avait même prévu cela. Tandis qu'il s'avançait seul pour dire un mot aux archers de garde, Jean Armenga prit la pique de Catherine, la posa contre un mur, puis, empoignant la jeune femme par la taille, il l'enleva aussi aisément qu'une plume et l'installa en selle. Après quoi, mais aidé par Tristan, il rendit le même service à Sara. Une envie de rire s'emparait de Catherine en pensant aux réflexions des gardes s'ils avaient pu voir un seigneur mettre si courtoisement en selle deux simples soldats.
Mais il faisait fort noir, dans le coin du puits... Soudain elle entendit la voix de Pierre :
— Ouvrez seulement la poterne, nous ne sommes que cinq.
Service de la Reine !
— A vos ordres, Monseigneur, répondit quelqu'un.
Lentement la petite herse se leva, le pont léger s'abaissa. Évidemment, Pierre avait voulu éviter le vacarme de l'énorme pont principal... À son tour, le jeune homme enfourchait son cheval.
— En avant, ordonna-t-il en s'engageant le premier sous la voûte.
Les trois faux soldats le suivirent. Catherine et Sara, en passant la zone éclairée du corps de garde, baissèrent autant qu'elles purent les chapeaux de fer sur leurs visages et s'efforcèrent de copier l'attitude tassée des hommes... Elles attendaient, instinctivement, un cri, une protestation, peut-être une plaisanterie. Rien ne vint...
Et soudain, devant elles, il n'y eut plus de barrière, rien que le ciel étoilé sous lequel luisaient doucement les toits d'ardoise de la cité et la grande écharpe moirée du fleuve... Avec ivresse, Catherine aspira l'air frais de la nuit, en gonfla sa poitrine, le savoura comme une liqueur enivrante. C'était si bon, ce vent léger qui portait avec lui l'odeur des roses et du chèvrefeuille, après les miasmes nauséabonds de la prison et les écœurants parfums de la comtesse.
De nouveau, elle entendit la voix de Brézé, recommandant aux gardes de la herse :
— Ne fermez pas ! Je reviens dans quelques instants. Ces hommes vont renforcer la porte sud... Au galop, vous autres!
La rampe d'accès fut dévalée en trombe. Les cinq cavaliers longèrent l'éperon rocheux du château pour gagner la porte fortifiée qui gardait la ville, vers la forêt si proche. Dans Amboise endormie, rien ne bougeait... sinon, parfois, l'appel déchirant d'un chat amoureux sur un toit ou l'aboiement d'un chien dérangé.
Le sauf-conduit de Brézé lui ouvrit la porte de la cité comme il avait ouvert la porte du château et, cette fois encore, il prévint les gardes qu'il revenait. Mais c'était à une maison forestière qu'il conduisait ses soldats. Le lieutenant qui commandait la porte n'y fit aucune objection. Le grand chemin s'ouvrit enfin devant les fuyards.
On mit les chevaux au pas. La route montait vers le foisonnement noir de la forêt. Tant que l'on ne fut pas sous le couvert des arbres, les cavaliers cheminèrent en silence. Mais, à peine la voûte bruissante des taillis se fut-elle refermée sur eux que Pierre de Brézé leva la main et mit pied à terre.
— C'est ici que nous nous quittons, dit-il. Vous allez maintenant continuer seuls car nous rentrons au château, Armenga et moi. Il faut que nous soyons aux côtés de la Reine quand elle quittera Amboise.
Quant à vous...
— Je sais, coupa Tristan. Nous allons jusqu'au castel de Mesvres, à deux lieues d'ici, où l'on nous attend.
Malgré l'obscurité qui régnait sous bois, un rayon de lune venu d'un mince croissant de premier quartier plongeait dans le layon où les voyageurs s'étaient engagés. Il permit à Catherine de voir briller les dents de Brézé qui souriait.
— Je devrais savoir, ami Tristan, que vous n'oubliez jamais rien.
Je vous confie donc dame Catherine. Vous savez combien elle m'est chère et combien précieuse m'est sa sécurité. Le castel de Mesvres appartient à mon cousin Louis d'Amboise. Vous n'avez rien à craindre. Vous pourrez vous y reposer, vous restaurer et rendre à ces dames des vêtements plus convenables à leur rang...
Au prix de sa vie Catherine eût été incapable de dire quel sentiment la poussa à s'approcher de Pierre et à demander anxieusement :
— Où allons-nous ensuite, messire Pierre ? Où nous reverrons-nous ? Je peux aller à Chinon, maintenant ? Je veux voir la fin de La Trémoille.
Il pencha sur elle sa haute silhouette, ôta le lourd chapeau de fer qui l'écrasait et le jeta dans un fourré.
— Qu'au moins je voie un peu votre doux visage avant de vous quitter. Bien sûr, vous allez à Chinon, où la reine Yolande doit venir joindre son gendre après votre succès. Vous l'y retrouverez quand tout sera fait. Vous pourriez, bien sûr, aller vers elle à Angers, mais vous devez être lasse. A Chinon, vous vous reposerez. Allez à l'auberge de la Croix du Grand Saint-Mexme, proche le Grand Carroi. Dites que je vous envoie et vous aurez l'aubergiste à vos pieds. Il est bon et fidèle sujet du Roi et, parce qu'il a, jadis, logé la Pucelle, il se ferait brûler tout vif en mémoire d'elle. Recommandez la discrétion à maître Agnelet et vous ne verrez âme qui vive. Votre deuil, d'ailleurs, vous vaudra respect et solitude.
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