— C'est impossible !... Oh, mon Dieu, laissez- moi !

Souple comme une anguille, elle avait réussi à glisser du lit. Tout en se rhabillant hâtivement, avec des mains tremblantes et maladroites, elle le regarda, le vit si pâle ! Son visage crispé était celui d'un loup affamé et ses mains, presque inconsciemment, se tendaient vers elle dans un geste d'imploration pathétique. Toute sa force, toute sa violence l'avaient abandonné. Il n'était plus qu'un homme frustré d'un bonheur que ses mains, trop faibles, n'avaient pas su retenir. Puis, brusquement, de la plus imprévisible façon, il se mit à rire joyeusement.

— Je ne serai pas toujours invalide, ma belle ! Je saurai bien te rattraper ! Par saint Michel, je crois bien que tu m'as rendu fou...

— Oubliez tout ceci, messire, je vous en conjure, supplia Catherine en achevant de lacer sa robe. C'est vous qui, bien plutôt, m'avez fait perdre la tête...

A nouveau, il se mit à rire. Un beau rire jeune et clair qui le fit se recoucher de tout son long et le détendit. Mais qui cessa aussi soudainement qu'il avait commencé. Une fois encore il regarda Catherine avec un sérieux où entraient du défi, et de la passion.

— Oublier que j'ai vu pâlir tes yeux, que je t'ai senti frémir dans mes mains ? Oublier la beauté de ton corps, le goût de tes lèvres ?

Dussè-je vivre cent ans que ce serait me demander l'impossible.

Catherine... ton nom est doux et toi tu es la femme la plus merveilleuse jamais née d'une autre femme. La seule que je veuille...

Partagée entre l'envie qu'elle avait de l'entendre encore et la crainte de mécontenter Mathieu, Catherine hésitait à quitter la chambre.

Pourtant, elle fit un pas vers la porte. Alors, lui, suppliant :

— Pars si tu veux... mais, avant, donne-moi encore un baiser, un seul !

Elle faillit revenir mais l'esclave du petit médecin, bien éveillé maintenant, s'était levé et fourrageait dans les cendres pour tenter de rallumer le feu. Il ne leur prêtait aucune attention, ne les regardait même pas. Catherine allait s'élancer vers le blessé quand le claquement de nombreux sabots de chevaux résonna au-dehors. On entendait aussi le cliquetis des armes. Instantanément sur le qui-vive, Arnaud se détourna de Catherine.

— Qu'est-ce que c'est ? Il y a en bas des hommes d'armes...

Elle courut à la fenêtre, l'ouvrit. Dans la cour, en effet, un détachement de soldats venait d'entrer. Ils étaient une dizaine et, sur les armures, Catherine put reconnaître les tabards moitié noirs, moitié gris, brodés d'argent, des hommes de la garde personnelle de Philippe de Bourgogne. Sur leurs poitrines s'étalaient le briquet et la devise du duc...

— Ce sont des soldats de la garde du duc de Bourgogne, dit-elle.

Un officier les mène...

En effet, un grand chevalier empanaché de blanc descendait tout juste de cheval et s'avançait vers Mathieu Gautherin qui arpentait nerveusement la cour en compagnie d'Abou-al-Khayr. La jeune fille reconnut l'allure un peu gauche et la voix sonore du nouvel arrivant.

— Je crois que c'est messire de Roussay, continua Catherine.

Arnaud fit la grimace.

— Peste, ma chère ! Vous êtes bien renseignée sur ces maudits Bourguignons. Ma parole, vous les connaissez tous.

— Vous oubliez que j'habite Dijon et suis sujette de Monseigneur Philippe.

Pendant ce temps, dans la cour, Jacques de Roussay abordait le drapier et sa voix forte montait aisément jusqu'à l'étage.

— Je suis aise de vous rencontrer, maître Gautherin. En fait, je vous cherchais.

Mathieu se confondait en révérences, oubliant momentanément sa nièce dont il ne s'expliquait pas l'absence.

— Moi ? Mais que d'honneur...

Vous et votre ravissante nièce ! Monseigneur Philippe a craint, par la suite, les mauvaises rencontres que vous pouviez faire en chemin, surtout en traversant certaines régions où court l'Anglais et qui ne sont point domaine de Bourgogne. Il m'envoie afin de vous escorter jusqu'à Dijon, ainsi que la demoiselle Legoix.

Catherine n'en entendit pas davantage. Derrière son dos, une voix tonnante venait d'éclater :

— Legoix... Qui s'appelle Legoix ici ?

Se retournant vivement, elle vit Arnaud dressé sur son lit, plus blanc que ses draps. Ses yeux flambaient de rage et il rejetait déjà d'une main nerveuse, ses couvertures, prêt à bondir. Ce que voyant, l'esclave noir avait couru à lui et l'avait entouré de ses bras pour l'obliger à rester tranquille. Mais dans l'étau des bras noirs, Arnaud se débattait comme un démon.

— Qui, hurla-t-il, qui porte ce nom maudit ? Qui s'appelle Legoix ?

Stupéfaite par cette soudaine poussée de fureur, Catherine était restée pétrifiée, sans plus songer à fermer la fenêtre.

— Mais... moi, messire. C'est mon nom ! Je me nomme Catherine Legoix.

— Toi !...

De seconde en seconde l'expression du visage du chevalier se transformait. La stupeur d'abord, puis la colère, maintenant une haine aveugle l'envahissait, durcissant les mâchoires, retroussant les lèvres sur les dents blanches, comme un animal prêt à mordre. Il la regardait comme s'il la voyait pour la première fois et il n'y avait plus trace, dans ses yeux noirs, de la passion de tout à l'heure.

— Tu t'appelles Legoix, fit-il d'une voix sourde, où vibrait une colère retenue à peine. Et, dis-moi... es-tu parente de ces bouchers parisiens qui firent... tant de bruit voici quelques années ?

— Ils étaient mes cousins mais...

— Tais-toi !... Plus un mot ! Va-t'en !...

— Comment ?

Va-t'en, te dis-je... va-t'en avant que je ne te jette à la porte de cette chambre. J'ai juré, un jour de désespoir, de tuer tout ce qui porte ce nom. Parce que tu es une femme, je ne te tuerai point... mais je ne veux plus te voir, jamais.

Atterrée, Catherine assistait sans comprendre à cette explosion de fureur. L'homme qui, tout à l'heure délirait entre ses bras, celui qui l'avait regardée avec les yeux mêmes de l'amour, s'était mué par une absurde métamorphose en ennemi... Il la rejetait. Mais il parlait encore, entre ses dents serrées.

— Écoute-moi bien ! J'avais un frère... un garçon merveilleux, que j'adorais. Il était au service du duc Louis de Guyenne. Durant les émeutes de Caboche, les bouchers l'ont pris, l'ont abattu, dépecé comme une bête d'abattoir. Il était jeune, il était brave et beau, il n'avait jamais fait de mal à personne mais on l'a égorgé comme un pourceau. Et l'homme qui l'a tué, c'était un boucher qui s'appelait Guillaume Legoix. Maintenant, tu sais... Alors va-t'en et prie Dieu que jamais plus nous ne nous rencontrions...

Il y avait tant de rage, tant de chagrin aussi dans la voix du jeune homme que des larmes montèrent aux yeux de Catherine. La déception était trop cruelle et trop brutal cet écroulement de l'univers d'amour bâti en quelques heures autour d'une rencontre. Avoir atteint un rêve que l'on croyait mort depuis longtemps, mort à tout jamais et le voir s'évanouir de cette manière absurde !... Comment pouvait-il la charger si cruellement de la mort de Michel alors que, pour cet inconnu, elle avait tout perdu ? Elle voulut tenter de se défendre.

— Par grâce, messire, écoutez-moi, ne me condamnez pas sans m'entendre. Ne savez-vous donc pas ce qui s'est passé, ce triste jour où mourut votre frère ? Ne savez-vous pas...

La voix brutale d'Arnaud lui coupa la parole tandis que, du doigt, il la chassait encore.

— Je n'en sais que trop ! Va-t'en... Tu me répugnes, ta vue me fait horreur. D'ailleurs, on l'attend en bas. N'ai-je pas entendu ce chevalier qui vient d'arriver dire que le duc de Bourgogne l'envoie le protéger ?

Que d'honneur, que d'attentions ! Il n'est pas difficile de deviner ce que tu es, ma belle ! Le duc Philippe passe pour aimer les femmes comme toi.

— Je ne suis rien pour Monseigneur Philippe, se révolta Catherine rouge jusqu'aux oreilles. Au contraire, il a voulu me faire arrêter récemment. Qu'allez-vous imaginer ?

Le rire d'Arnaud fut encore plus insultant que ses paroles.

— Imaginer ? Il n'a pas dû avoir beaucoup de mal à t'avoir si j'en juge d'après ma propre expérience. Tu te laisses trousser aisément, la fille !

Le cri que poussa Catherine était celui d'un animal blessé. Ses prunelles dilatées laissèrent échapper un flot de larmes. Elles roulèrent le long de ses joues jusque sur son cou. Catherine tendit vers le blessé des mains qui tremblaient.

— Par pitié, messire... Que vous ai-je fait pour être traitée de la sorte. N'aviez-vous pas compris ?

— Quoi ? fit Arnaud sarcastique. Que, tout juste sortie du lit de Philippe, tu acceptais de te glisser dans le mien. Qui sait ? Peut-être sur ordre. Cette agression... et ce sauvetage la nuit dernière n'étaient peut- être qu'un coup savamment monté. Ton rôle à toi, c'était de me tirer sur l'oreiller le but de ma mission. Félicitations !... J'avoue que tu as failli réussir. Ma parole, tu m'as un instant rendu fou... C'est qu'aussi j'ai rencontré bien peu de garces aussi tentantes que toi.

Maintenant, assez, je t'ai déjà dit de filer !

Folle de colère cette fois, oubliant la passion que ce garçon avait éveillée en elle, Catherine, les poings serrés, marcha vers le lit.

— Je n'en sais que trop ! Va-t'en... Tu me répugnes, ta vue me fait horreur. D'ailleurs, on l'attend en bas. N'ai-je pas entendu ce chevalier qui vient d'arriver dire que le duc de Bourgogne l'envoie le protéger ?

Que d'honneur, que d'attentions ! Il n'est pas difficile de deviner ce que tu es, ma belle ! Le duc Philippe passe pour aimer les femmes comme toi.

— Je ne suis rien pour Monseigneur Philippe, se révolta Catherine rouge jusqu'aux oreilles. Au contraire, il a voulu me faire arrêter récemment. Qu'allez-vous imaginer ?

Le rire d'Arnaud fut encore plus insultant que ses paroles.

— Imaginer ? Il n'a pas dû avoir beaucoup de mal à t'avoir si j'en juge d'après ma propre expérience. Tu te laisses trousser aisément, la fille !

Le cri que poussa Catherine était celui d'un animal blessé. Ses prunelles dilatées laissèrent échapper un flot de larmes. Elles roulèrent le long de ses joues jusque sur son cou. Catherine tendit vers le blessé des mains qui tremblaient.

— Par pitié, messire... Que vous ai-je fait pour être traitée de la sorte. N'aviez-vous pas compris ?

— Quoi ? fit Arnaud sarcastique. Que, tout juste sortie du lit de Philippe, tu acceptais de te glisser dans le mien. Qui sait ? Peut-être sur ordre. Cette agression... et ce sauvetage la nuit dernière n'étaient peut- être qu'un coup savamment monté. Ton rôle à toi, c'était de me tirer sur l'oreiller le but de ma mission. Félicitations !... J'avoue que tu as failli réussir. Ma parole, tu m'as un instant rendu fou... C'est qu'aussi j'ai rencontré bien peu de garces aussi tentantes que toi.

Maintenant, assez, je t'ai déjà dit de filer !

Folle de colère cette fois, oubliant la passion que ce garçon avait éveillée en elle, Catherine, les poings serrés, marcha vers le lit.

— Je ne partirai pas, pas avant que vous ne m'ayez entendue... et que j'aie reçu vos excuses...

— Des excuses ? À une...

Il avait jeté l'insulte comme on crache. Sous le mot ignoble, la jeune fille reculait les mains au visage comme s'il l'avait frappée. Son courage et aussi sa colère l'abandonnaient. Tout le doux roman s'était mué en une farce grotesque et avilissante. La lutte, elle le sentait bien, ne servirait à rien parce que la colère aveuglait Arnaud. Se détournant, les mains abandonnées avec lassitude le long de son corps, elle marcha vers la porte. Elle allait l'ouvrir quand un sursaut d'orgueil la retourna vers lui. Sa tête fine, sous la masse somptueuse des cheveux qui lui faisaient une auréole désordonnée, se redressa fièrement. Elle planta son regard méprisant dans les yeux noirs du jeune homme. Redressé sur un coude, la tête un peu basse, tous ses muscles crispés par la fureur, il avait l'air d'un fauve prêt à bondir malgré l'absurde turban blanc, quelque peu bousculé par les derniers événements, et qui lui ôtait un peu de son aspect inquiétant.

— Un jour, fit froidement Catherine, vous vous traînerez à mes pieds pour que j'oublie vos paroles, Arnaud de Montsalvy, seigneur de la Châtaigneraie. Mais vous n'aurez de moi ni pardon ni merci.

Votre frère, lui, était doux et bon... et je l'aimais. Adieu !...

Elle allait sortir et se tournait vers la porte quand un choc violent faillit la jeter à terre ; elle eut tout juste le temps de s'agripper au mur pour éviter la chute. Lancé d'une main sûre, un gros oreiller venait de s'abattre sur elle. Il en fallait en effet bien plus que la dignité d'une femme pour calmer Arnaud quand il était en colère. Stupéfaite, elle se tourna vers lui. Assis dans son lit, il riait de toutes ses dents blanches en la regardant méchamment :