Catherine ne portait pas le collier de turquoises, que d'ailleurs elle avait pris en grippe, quand, la main posée sur le poing de son époux, elle pénétra dans la salle du Palais Ducal où se tenait la duchesse-douairière de Bourgogne. Garin connaissait trop Marguerite de Bavière, mère de Philippe le Bon, pour avoir conseillé à son épouse autre chose qu'une assez simple toilette de velours gris portée sur une robe de dessous en toile d'argent assortie au hennin pointu, si haut que la jeune femme dut baisser la tête pour franchir le cintre de pierre de la porte. Un unique bijou, mais très beau, pendait à son cou, au bout d'une mince chaîne d'or : une très belle améthyste reliant entre elles trois perles en poire d'un merveilleux orient.
La salle de réception qui faisait partie des appartements privés de la duchesse était de dimensions réduites, meublée surtout de coffres et de quelques sièges massés auprès de la fenêtre où se tenait la princesse, assise dans un grand fauteuil armorié. Des carreaux de velours noir étaient éparpillés, à même le dallage, pour les filles d'honneur.
A cinquante ans passés, Marguerite de Bavière conservait de nombreuses traces d'une beauté qui avait été célèbre. Le port de sa tête fine demeurait inimitable et parvenait à faire paraître long un cou peu élevé. Ses joues avaient perdu la rondeur de la jeunesse et ses yeux avaient pâli un peu leur azur, mais leur regard restait direct et impérieux et le pli des lèvres un peu fortes trahissait un caractère énergique et obstiné. Le nez était long, mais élégant et bien dessiné, les mains admirables et la taille assez élevée.
Depuis la mort de son mari, Marguerite n'avait pas quitté le deuil et se vêtait de noir strict, mais somptueux. Sa robe et son hennin de velours noir s'ourlaient tous deux de zibeline, mais un très beau collier d'or, formant une guirlande de feuilles d'acanthe, luisait sous le voile de mousseline noire qui tombait de la coiffure, enveloppant le cou de la duchesse. Ce deuil sévère était moins inspiré, chez cette grande femme hautaine, par les regrets donnés à l'époux mort que par le souci inflexible de son rang. Bien plus séduisant que le revêche Jean-Sans-Peur, avait été pour Marguerite le charmant duc Louis d'Orléans qu'à la Cour de France on lui avait prêté comme amant. Et les gens bien informés chuchotaient que, plus encore que la lutte d'influence, c'était la jalousie qui avait poussé Jean-Sans-Peur au crime de la poterne Barbette. Jamais, pourtant, les lèvres serrées de Marguerite n'avaient laissé échapper leur secret. Elle était, pour son fils Philippe, une excellente mère et une collaboratrice dévouée. Entre ses mains fermes, la Bourgogne se portait bien et Philippe pouvait sans crainte se consacrer aux provinces du Nord.
Autour de leur mère, formant une couronne serrée parmi les demoiselles d'honneur, quatre des six filles de la duchesse étaient assises, travaillant avec elle au même ouvrage de broderie, une immense bannière de guerre, rouge écartelée d'une croix de Saint-André blanche. Du premier regard, Catherine reconnut la jeune veuve du duc de Guyenne, Marguerite, et ressentit une sorte de joie à trouver là celle qui avait tenté de sauver Michel de Montsalvy pendant l'émeute de l'hôtel Saint-Pol. Elle attachait à cette rencontre une valeur de présage. Âgée maintenant de vingt-neuf ans, la jeune duchesse n'avait pas beaucoup changé. Elle s'était seulement un peu alourdie, mais sa peau très blanche n'avait peut-être que plus d'éclat.
Plus âgée de trois ans que son frère Philippe, elle était l'aînée de la famille.
Auprès de son éclat épanoui, sa sœur Catherine faisait étrangement terne. Elle avait une silhouette quasi diaphane, s'habillait sans éclat, comme une religieuse, de robes sombres et de guimpes sévères qui ne laissaient passer qu'un visage mince de furet aux yeux inquiets.
Catherine était la malchanceuse de la famille. Fiancée une première fois, à dix ans, au comte Philippe de Vertus, elle avait appris six ans plus tard, au moment où le mariage devait être célébré, la mort glorieuse de son fiancé dans la boue d'Azincourt. Une autre union, avec l'héritier d'Anjou avait été projetée, mais la mort brutale du duc Jean, à Montereau, avait rejeté chacun des deux fiancés dans un camp ennemi, brisé le mariage projeté. Depuis, Catherine de Bourgogne refusait toutes les demandes.
Les deux autres princesses, Anne et Agnès, dix-neuf et dix-sept ans, encore filles, se contentaient d'être ravissantes, fraîches et gaies, mais les pauvres de Dijon chantaient déjà, avec vénération, les louanges d'Anne qu'ils proclamaient un ange descendu sur la terre.
Toutes deux accueillirent la révérence de Catherine avec un franc sourire qui alla droit au cœur de la jeune femme.
— Voici donc votre épouse, Messire Garin, fit la voix grave de la duchesse. Nous vous faisons grande louange : elle est admirablement belle et, cependant, sait garder la modestie qui convient à une jeune femme. Approchez, ma chère...
Le cœur battant, Catherine s'approcha du fauteuil de la duchesse et s'agenouilla, gardant la tête inclinée. Marguerite sourit, en détaillant d'un œil approbateur la toilette de la jeune femme, son décolleté modeste et son front rougissant. Elle n'ignorait pas les vues un peu spéciales que son fils avait sur cette jeune femme et ne s'en offusquait pas. Il était normal qu'un prince eût des maîtresses et, si son orgueil s'était cabré devant l'élévation d'une fille du commun, elle admettait honnêtement que cette bourgeoise avait l'allure d'une grande dame et une beauté véritablement hors de pair.
— Nous serons heureuse de vous compter désormais au nombre de nos dames de parage, dit-elle aimablement. Notre grande maîtresse, la dame de Châteauvillain, auprès de qui nous vous ferons conduire plus tard, vous expliquera votre service. Saluez maintenant nos filles et prenez place sur ce carreau à nos pieds, près de Mademoiselle de Vaugrigneuse...
Elle désignait une jeune fille au visage ingrat mais somptueusement vêtue. Un brocart d'azur et d'argent faisait ressortir assez fâcheusement un teint jaune, hépatique. La jeune fille désignée eut, en s'écartant précipitamment du coussin assigné à Catherine, un dédaigneux mouvement des lèvres qui n'échappa pas au regard aigu de la duchesse.
Nous tenons à ce que l'on sache, ajouta celle-ci, sans élever la voix mais d'un ton si tranchant que l'intéressée devint instantanément écarlate, que la naissance n'est pas tout en ce bas monde et que notre faveur peut en tenir lieu aisément. La volonté des princes a l'égal pouvoir d'élever la modestie là où il lui plaît et de courber plus bas que terre les fronts trop hardis...
Marie de Vaugrigneuse se le tint pour dit et trouva même un sourire pour répondre à celui, timide, de Catherine. Satisfaite d'avoir ainsi mis les choses au point, la duchesse se tourna vers Garin.
— Laissez-nous, maintenant, Messire. Nous souhaitons nous entretenir avec votre jeune épouse de questions ménagères et féminines qui ne sont guère intéressantes pour des oreilles masculines.
La duchesse, ayant vu le jour et passé toute sa jeunesse en Hollande, en avait apporté de solides qualités ménagères, l'amour de l'ordre et d'une maison bien tenue. Elle ne dédaignait pas de s'occuper elle- même du train du palais, veillait aux dépenses de sa maison, aux cuisines et même à la basse-cour. Elle savait, à l'unité près, le compte de ses draps, le nombre des dindons et si la dépense de chandelles était normale ou pas. De plus, elle avait le goût des animaux singuliers. Un marsouin était élevé dans un bassin creusé au milieu du jardin du palais et la duchesse donnait ses soins les plus tendres à un porc- épic pour qui elle avait fait construire une niche au bas de l'escalier de la tour Neuve1. Elle avait aussi un grand perroquet, un merveilleux cacatoès blanc à huppe rose qu'un voyageur vénitien avait rapporté pour elle des îles Moluques. Comme justement un page apportait l'oiseau, hiératique et grognon sur son perchoir d'or, le sujet de conversation entre Catherine et la duchesse fut tout de suite trouvé.
1. Aujourd'hui tour de Bar.
Catherine admira le plumage éclatant de l'oiseau avec une sincérité qui lui gagna le cœur de Marguerite, parla discrètement de son Gédéon sur lequel maintes et maintes questions lui furent posées avec un intérêt non dissimulé. La duchesse avait donné à son oiseau le nom de Cambrai qui avait vu son mariage avec le duc Jean. Elle s'amusa fort des méfaits de Gédéon et de son exil chez le petit médecin maure.
— Il faudra nous amener et l'oiseau et son gardien, fit Marguerite.
Nous sommes curieuse de voir aussi bien l'un que l'autre. Et peut-être ce physicien infidèle pourra-t-il quelque chose pour nos maux, qui sont nombreux.
La duchesse était si enchantée de sa nouvelle dame de parage, que, lorsque les écuyers de bouche apportèrent la collation, elle fit servir Catherine la première. Comme boisson on servit du galant, ce vin cuit fortement aromatisé, que feue la duchesse Marguerite de Flandres avait mis à la mode et qu'elle ne dédaignait pas de fabriquer ellemême. Des gâteaux et surtout le boichet, fait de farine et de miel1 composaient le léger repas.
Dans cette atmosphère de bienveillance et de sympathie, Catherine oubliait sa timidité. Elle sentit qu'elle se plairait, dans ce cercle, même si deux ou trois de ses nobles compagnes, comme Marie de Vaugrigneuse, lui faisaient grise mine. Elle grignota deux darioles et but un gobelet de galant avec plaisir. Garin lui avait dit que la duchesse appréciait les appétits vigoureux à la mode de son pays.
La collation se terminait et les valets emportaient les reliefs, quand un page vint annoncer à la duchesse qu'un chevaucheur de la Grande Écurie du Duc arrivait d'Arras avec un message urgent.
— Conduisez-le ici ! ordonna Marguerite.
1. L'ancêtre du célèbre pain d'épices dijonnais.
Quelques minutes plus tard, un pas rapide faisait résonner les dalles du vestibule sous une paire de sole- rets de fer. Un homme, pas très grand mais singulièrement vigoureux, portant l'uniforme de drap vert garni de plaques d'acier des chevaucheurs ducaux, entrait presque aussitôt et, conduit par un page, venait s'agenouiller aux pieds de la duchesse. Il avait ôté son casque poudreux qu'il tenait sous le bras et, de son tabard brodé aux armes ducales sortait un rouleau de parchemin qu'il tendit, tête respectueusement inclinée. Cette tête aux épais cheveux noirs coupés carrément, Catherine la regardait avec une surprise encore hésitante, mais qui, à mesure que la conviction se précisait, se faisait plus grande et plus joyeuse. Est-ce que vraiment, ce pouvait être lui ? Est-ce qu'elle n'était pas le jouet d'une illusion ?
Le profil busqué était tellement semblable à celui dont elle avait gardé le souvenir.
— Vous venez d'Arras en ligne droite ? demanda la duchesse.
— En ligne droite, Madame, et aux ordres de votre Grâce !
Monseigneur le Duc, en personne, a daigné me recommander la promptitude. Les nouvelles que j'apporte sont d'importance.
L'homme s'exprimait sans trouble, sans hardiesse non plus et le son de sa voix, un peu plus basse que jadis mais si familière, enleva à Catherine ses derniers doutes. Le chevaucheur de Philippe de Bourgogne, c'était Landry Pigasse, son ami d'enfance...
Il ne la regardait pas, ne tournait même pas la tête vers le groupe chuchotant et soyeux des filles d'honneur. Simplement, toujours à genoux, il attendait les ordres... Mais Catherine dut faire appel à toute sa bonne éducation pour ne pas bousculer tout le monde et sauter au cou de son camarade d'aventures. Hélas, ce qui était permis à Catherine Legoix, ne l'était pas à la dame de Brazey surtout sous l'œil de la duchesse.
Celle-ci avait pris le parchemin au grand sceau de cire rouge et le déroulait en le tenant à deux mains. Sourcils froncés, elle parcourut le texte à vrai dire assez court. Son visage se creusa un peu, sa bouche se pinça et la curiosité de sa cour se changea en inquiétude. Les nouvelles étaient donc mauvaises ?
D'un geste, la duchesse congédia Landry. Il se releva, s'éloigna à reculons, suivi avidement par le regard de Catherine. Quand il eut disparu, la jeune femme réprima un soupir mais se promit bien de le faire rechercher dès qu'elle pourrait...
Marguerite de Bavière, un coude appuyé à son fauteuil et le menton dans la main gardait le silence. Elle réfléchissait profondément. Au bout d'un moment, elle se redressa, jeta un regard circulaire sur ses femmes, arrêta ce regard sur ses filles.
— Mesdames, dit-elle d'une voix lente, les nouvelles que nous mande notre seigneur et fils sont, en effet d'importance. Il n'est pas trop tôt pour vous les communiquer. Dès maintenant, il nous faudra prendre nos dispositions afin d'accompagner auprès de Monseigneur Philippe celles de ses sœurs qu'il réclame...
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