— Moi, Arnaud de Montsalvy, seigneur de la Châtaigneraie et capitaine du roi Charles, septième du nom, que Dieu veuille garder, je suis venu vers toi, Duc de Bourgogne, pour te porter mon gage de bataille. Comme traître et félon je te défie en champ clos, au jour et à l'heure qui te plairont et avec les armes de ton choix. Je réclame le combat à outrance...
Un véritable rugissement accueillit ce discours que la voix sonore d'Arnaud avait envoyé aux quatre coins de la salle. Un cercle menaçant se formait déjà derrière le jeune homme. Des seigneurs tiraient de leurs fourreaux les dagues légères qu'ils portaient et qui eussent été bien inefficaces contre une armure de bataille. Mais le cœur de Catherine défaillit de peur. Pourtant, d'un geste de sa main levée, Philippe de Bourgogne avait fait taire ses courtisans. La colère, peu à peu, s'effaçait de son visage, laissant place à la curiosité. Il se rassit, se pencha en avant.
— Tu ne manques pas d'audace, seigneur de Montsalvy. Pourquoi dis-tu que je suis traître et félon ? Pourquoi ce défi ?
Arrogant comme un coq de combat, Arnaud haussa les épaules.
— La réponse à ces questions est inscrite sur les armes de ton principal invité, seigneur Philippe de Valois. C'est la rose rouge des Lancastre que je vois ici, c'est l'Anglais que tu traites en frère, à qui tu donnes ta sœur. Et tu me demandes en quoi tu trahis ton pays, prince français qui reçoit l'ennemi sous son toit ?...
— Je n'ai pas à discuter ma politique avec le premier venu.
— Il ne s'agit pas de politique, mais d'honneur. Tu es vassal du roi de France et tu le sais bien ! Je t'ai lancé un défi, le relèves-tu ou bien dois-je de surcroît te traiter de lâche ?
Le jeune homme se baissait déjà pour reprendre son gantelet. Un geste du Duc l'arrêta.
— Laisse !... le gant est jeté, tu n'as plus loisir de le reprendre.
Un mauvais sourire fit étinceler un instant les dents blanches d'Arnaud. Mais le Duc poursuivait :
— Pourtant, un prince régnant ne peut se mesurer en champ clos avec un simple chevalier. Notre champion relèvera donc le gage lancé.
Un éclat de rire insolent lui coupa la parole. Catherine vit se crisper les doigts de Philippe sur les bras de son siège. Il se leva.
— Sais-tu que je pourrais te faire saisir par mes gens,-jeter en quelque basse-fosse...
Arnaud renonça soudain à tutoyer le duc :
— Vous pourriez aussi, seigneur duc, m'opposer dans le champ tous vos escadrons. Mais ce ne serait pas non plus vous conduire en chevalier. Sur le champ de mort d'Azincourt, où toute la noblesse de France tint à honneur de rompre les lances, sauf vous et votre noble père, plus d'un prince croisa l'épée avec plus simple gentilhomme que moi.
La voix de Philippe atteignit alors, sous l'effet de la colère, un diapason aigu qu'on ne lui avait que rarement entendu et qui trahissait sa fureur mieux que ses paroles.
— Nul n'ignore combien grands furent nos regrets de n'avoir pu participer à cette glorieuse et désastreuse journée.
— N'importe qui peut en dire autant, huit ans après ! fit Arnaud goguenard. Moi j'y étais, seigneur duc, c'est peut-être ce qui me donne le droit de parler si haut. N'importe ! Vous préférez boire, danser et fraterniser avec l'ennemi, libre à vous. Je reprends donc mon gage et...
— Moi je le relève...
Un chevalier gigantesque, portant un extravagant costume mi-partie rouge et bleu qui moulait strictement un torse épais comme celui d'un ours s'était avancé. Courbé rapidement avec une agilité dont pareille masse semblait incapable, il ramassa le gantelet. Puis se tourna vers le chevalier noir.
Tu souhaitais t'affronter à un prince, seigneur de la Châtaigneraie, tu peux te contenter du sang de Saint Louis, même frappé de bâtardise...
Je suis Lionel de Bourbon, bâtard de Vendôme et je te dis, moi, que tu en as menti par la gorge...
Catherine se soutenait à peine. Sur le point de défaillir, elle chercha instinctivement un appui. Elle rencontra le bras solide de dame Ermengarde qui se tenait près d'elle. Prunelles dilatées, narines battantes, la Grande Maîtresse piaffait comme un cheval de bataille qui entend la trompette. La scène jouée sous ses yeux, accaparait toute son attention et la ravissait visiblement. Elle couvait d'un regard brillant la silhouette vigoureuse et noire du capitaine de Montsalvy et une véritable houle soulevait sa poitrine généreuse... Le chevalier cependant contemplait avec un sang-froid absolu la gigantesque silhouette de son adversaire. L'examen dut le satisfaire car il haussa ses larges épaules vêtues d'acier.
— Va pour le sang du bon roi Louis, bien que je m'étonne de le voir aventuré dans une mauvaise cause ! J'aurai donc l'honneur, seigneur bâtard, de te couper les oreilles, à défaut de celles de ton maître. Mais retiens bien ceci : c'est au jugement de Dieu que je t'appelle. Tu as choisi de défendre la cause de Philippe de Bourgogne comme je l'attaque moi, au nom de mon maître. Il ne s'agit pas ici de rompre des lances courtoises en l'honneur des dames. Nous combattrons à outrance, jusqu'à la mort de l'un de nous, ou jusqu'à ce qu'il crie merci.
Catherine poussa un sourd gémissement que Garin entendit. Il tourna vers sa femme un regard oblique, mais ne fit aucun commentaire. Dame Ermengarde aussi avait entendu. Elle haussa les épaules.
— Ne soyez pas si sensible, ma chère ! Le jugement de Dieu est une chose passionnante. Et j'espère bien que Dieu rendra justice à ce jeune chevalier. Il est magnifique, sur ma parole !... Comment s'appelle- t-il ? Montsalvy ? Un vieux nom je crois, fort bien porté !
Ces paroles de sympathie réconfortèrent un peu Catherine. Dans le concert de haine qui entourait Arnaud, elles étaient les quelques notes amicales qui rassurent. Une autre voix pourtant, s'élevait pour le jeune homme. Le duc venait de lui demander sèchement s'il avait un second pour la rencontre.
— Par la mordieu, s'écria Arthur de Richemont. S'il n'en a pas, je suis prêt à lui offrir mon épée. C'est un vaillant compagnon que j'ai vu combattre à Azincourt. N'y voyez pas offense, Monseigneur mon frère, mais seulement ancienne fraternité d'armes.
— Et je vous approuverais, Monseigneur, dit Marguerite, sa fiancée, d'une voix émue. Ce chevalier est le jeune frère d'un écuyer que j'ai eu jadis en ma maison de Guyenne, un gentil seigneur qui fut vilainement mis à mal par la populace parisienne, lors de ces affreux jours de la Caboche. J'ai imploré pour sa vie et mon père me l'a refusée. Si vous combattez pour Arnaud de Montsalvy, c'est doublement, mon cher seigneur, que vous porterez mes couleurs. Je n'approuve pas mon frère.
Richemont, attendri, prit la main de sa blonde fiancée et la baisa tendrement.
— Douce dame, en vous choisissant, mon cœur ne s'était pas trompé.
Mais, pendant ce temps, Arnaud, après avoir salué le Breton, avait désigné fièrement un autre chevalier, armé aussi de toutes pièces, qui était apparu au seuil des portes.
— Le sire de Xaintrailles soutiendra ma querelle si besoin est.
L'arrivant, la tête découverte, offrait une tignasse rousse comme une carotte et un sourire moqueur. Il était, lui aussi, grand et solidement charpenté. Nommé, il avança de quelques pas, salua.
Philippe de Bourgogne, avec effort, s'était levé de son siège, gardant cependant une main appuyée à l'accoudoir.
— Messires, dit-il, s'il plaît à Dieu et pour ne point souiller la terre de notre seigneur l'évêque d'Amiens, c'est à Arras, chez moi, et dans trois jours que se déroulera votre rencontre que Dieu jugera. Ma parole vous est donnée que vous y serez reçus courtoisement et en sûreté. Et maintenant, puisque ce soir est soir de fête, oublions la bataille à venir et joignez-vous à mes hôtes...
L'orgueil était enfin venu au secours de Philippe. Il avait repris tout empire sur lui-même et nul ne pouvait plus deviner les sentiments tumultueux qui l'agitaient après cette insulte publique. Au plus haut point il avait le sens de sa dignité et de son rang de prince souverain.
De plus, confiant dans la force formidable du bâtard de Vendôme, il pouvait, à peu de frais, s'offrir le luxe de se montrer magnanime et d'exercer, même envers un ennemi juré, les lois de l'hospitalité.
Mais froidement Arnaud de Montsalvy recoiffait son casque dont, d'un coup de doigt sec, il avait relevé la visière. A nouveau son regard noir défia les yeux gris de Philippe.
— Grand merci seigneur duc ! Mais en ce qui me concerne, mes ennemis demeurent mes ennemis et je compte ceux de mon prince au premier rang de ceux- ci. Je ne bois qu'avec mes amis. Nous nous retrouverons dans trois jours, au champ clos... Pour l'heure, nous rentrons à Guise. Place !
Inclinant brièvement la tête, le chevalier tourna les talons et marcha lentement vers la porte. Mais avant qu'il ne se fût retourné, son regard avait glissé. Un instant il s'était fixé sur Catherine et la jeune femme, au bord des larmes, avait vu un éclair traverser leurs noires prunelles.
Elle avait eu un geste instinctif, à peine ébauché, des deux mains tendues vers lui, mais déjà Arnaud de Montsalvy était loin. Bientôt, les portes se refermaient sur les deux compagnons. Et, quand, la silhouette du noir chevalier fut évanouie, Catherine eut la sensation que toutes les lumières s'étaient éteintes à la fois et que la vaste salle était devenue sombre et froide.
Les trompettes alors sonnèrent pour annoncer le souper.
CHAPITRE XI
La bataille
Le festin avait été un véritable supplice pour Catherine. Elle eût aimé demeurer seule, dans le silence de sa chambre, afin de pouvoir évoquer à loisir celui qui venait de réapparaître si brusquement dans sa vie. La vue d'Arnaud avait fait défaillir son cœur, mais ce cœur s'était ranimé avec le départ du chevalier, pour n'en battre que plus fort et plus obstinément. Lorsque la silhouette noire avait franchi la porte de chêne, Catherine avait dû faire appel à tout son bon sens et à tout son contrôle d'elle-même pour ne pas courir derrière lui, tant avait été violente l'impulsion qui la jetait vers le jeune homme. Elle ignorait quel accueil il lui eût réservé, mais pouvoir seulement lui parler, le toucher, sentir sur elle le poids sans douceur de son regard noir... pour ces humbles joies, la jeune femme eût donné tous les princes de la terre. Et pour se retrouver, ne fût-ce qu'une fugitive seconde, entre ses bras, elle eût joyeusement vendu son âme au Diable.
Durant toute la soirée, elle parla, sourit, accueillit les hommages qu'attirait sa beauté, mais ses lèvres et ses yeux agissaient machinalement. En réalité, Catherine n'était plus dans ce palais d'Amiens. A la suite de Montsalvy et de Xaintrailles, elle galopait sur la route de Guise où les gens du roi Charles avaient leur camp. Elle voyait, avec cette double vue de l'amour qui se trompe si rarement, la silhouette d'acier noir penchée sur l'encolure du cheval, le profil dur, les lèvres serrées dans l'ombre du casque, elle entendait le galop lourd des chevaux, le cliquetis des armes et jusqu'au battement du cœur d'Arnaud sous sa carapace de fer... Elle était avec lui, près de lui, contre lui, si proche que le cavalier lui semblait taillé dans la même chair que son propre corps... Elle ne prit pas garde à la sécheresse du ton de Garin quand il lui dit :
— Rentrons !...
Parce que plus rien n'avait d'importance, ni Garin et sa richesse, ni Philippe et son amour, du moment qu'Arnaud s'était rapproché d'elle !
Le regard qu'il lui avait jeté, en quittant la salle, n'avait pourtant rien d'encourageant, si ce n'est peut-être qu'au milieu de la colère et du mépris, la jeune femme avait cru y lire une sorte d'admiration. Et c'est de cette faible lueur qu'elle éclairait son rêve. Il la haïssait sans doute, la méprisait plus que certainement, mais Abou- al-Khayr avait dit qu'il la désirait et, tandis qu'aux côtés de Garin, elle regagnait la maison sur le canal vert, Catherine sentait revenir en elle ses forces combatives.
Le but de sa vie, elle venait de le voir là, tout près d'elle, un but qui n'avait plus rien d'inaccessibles car, si l'orgueilleux comte de Montsalvy pouvait regarder dédaigneusement la nièce d'un drapier, par contre la dame de Brazey devenait digne de lui. Catherine comprenait que son mariage l'avait mise presque sur le même plan qu'Arnaud. Elle était partie intégrante de son univers d'orgueil et de splendeur, qu'il le voulût ou non et, ce soir, elle avait pu mesurer l'éclat et la puissance de sa beauté. Combien de fois le regard de Philippe ne s'était-il pas posé sur elle... et tant d'autres avec lui ? Tous étrangement semblables avec leur expression avide... Ce soir, Catherine se sentait de taille à balayer les autres obstacles dressés entre elle et son amour, jusque et y compris cette haine d'Arnaud pour les Legoix et qu'elle se jurait de lui arracher. Pourrait-il lui reprocher la mort de Michel quand il saurait qu'elle avait failli en mourir, que Gaucher son père avait été pendu, sa maison détruite ? Cet homme, jusque-là si lointain, Catherine savait maintenant qu'elle le voulait, de toutes les forces tendues de son âme et quelle n'aurait de cesse ni de repos tant qu'il ne l'aurait pas faite sienne sans retour possible.
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