Ses blessures, le sang qu'il perdait, ne lui laissaient que cette seule alternative et Catherine le sentait dans sa chair même. Elle souffrait, physiquement, pour lui. La hache rebondit sur l'armure de Vendôme qui s'apprêtait à frapper. D'un mouvement vif, Arnaud sauta de côté, évita le coup qui l'eût assommé, revint à la charge, frappa encore... Le heurt des haches sur l'acier retentissait avec un bruit de cloches, faisant jaillir des étincelles. Le chevalier du Roi porta alors un coup qui arracha les « vivats » des assistants. Sa hache s'abattit sur le timbre du heaume de Lionel, tranchant net le lion d'or qui roula dans le sable. Le rugissement de rage du bâtard fut entendu de tous. Il se dressa de toute sa hauteur, empoignant la hache à deux mains pour assommer l'insolent qui venait de le découronner. Mais ses poulaines de fer le gênaient. Il buta, faillit tomber et Arnaud n'eut aucune peine à détourner le coup avec le manche de sa cognée. Catherine devina qu'une fureur aveugle possédait Vendôme. Il voulait tuer, tuer vite !
Ses coups, rapides mais peu précis l'épuisaient sans avoir toute l'efficacité désirable. Il frappait en aveugle, possédé par la rage.
Arnaud, au contraire, semblait se faire plus froid d'instant en instant. Il saisit son moment, porta plusieurs coups de tranchant à la visière de Lionel qu'il fit sauter, découvrant la face rouge et suante de son ennemi. Le bâtard tendit la main pour empoigner la hache du jeune homme mais celui-ci la lança loin de lui et se jeta sur le géant, les griffes de fer de ses gantelets visant le visage. Vendôme, sentant les serres du chevalier lui labourer la face eut un mouvement de recul, glissa et s'écroula à terre. Arnaud se laissa tomber sur lui, continuant avec acharnement son travail d'écorcheur. Le bâtard, brusquement vidé de ses forces, aveuglé à demi, beuglait comme un bœuf à l'abattoir. On l'entendit crier merci !
Arnaud, un genou sur la gorge de son ennemi, fit un geste pour tirer sa dague, mais se ravisa. Il se releva, secouant ses gantelets dont le sang dégouttait puis, avec dédain :
— Dieu a jugé ! s'écria-t-il. Relève-toi ! Un chevalier du roi de France n'égorge pas l'ennemi vaincu. Tu as crié merci. Je te fais grâce... duc de Bourgogne !
Sans rien ajouter, sous les vivats impartiaux de la foule amassée le long des barrières de la lice, il se détourna. Catherine bouleversée le sentait s'affaiblir comme si c'eût été son propre sang qui s'écoulait sur la terre. En s'acheminant vers son pavillon, Arnaud titubait comme un homme ivre. Son écuyer et Xaintrailles accoururent juste à temps pour le recueillir dans leurs bras au moment précis où il perdait connaissance et s'écroulait.
— Les lys de France n'ont point mordu la poussière, fit gravement Saint-Rémy. C'est peut-être un présage...
Catherine le regarda mais, cette fois, son expression était indéchiffrable. Nul ne pouvait dire si le gentilhomme était satisfait ou mécontent de l'issue du combat. Peut-être n'osait-il se réjouir quand le dépit crispait le visage glacé de Philippe où roulaient des larmes de colère. Elle haussa les épaules avec mépris, se leva, ramassant sa robe, et entreprit de gagner la sortie du hourd. Ermengarde l'arrêta.
— Où allez-vous ?
— Vous le savez bien ! Et vous savez aussi que, cette fois, vous n'aurez pas le pouvoir de m'arrêter. Personne n'a ce pouvoir. Pas même le Duc !
— Qui vous dit que j'y songe seulement ? fit la comtesse en haussant les épaules. Courez, mon beau papillon, courez vous brûler les ailes. Quand vous reviendrez, je verrai ce que je peux faire pour éteindre l'incendie.
Mais Catherine était déjà loin.
CHAPITRE XII
Sous la draperie de soie bleue
Catherine eut quelque peine à se frayer un passage dans la foule excitée qui, maintenant, débordait de partout et que les gardes ne contenaient plus. On s'écartait, pourtant, devant cette belle dame superbement vêtue. Elle souriait sans bien s'en rendre compte au grand tref azuré qui, par-dessus les têtes, semblait lui faire signe. Quand elle parvint auprès de la tente, l'Écossais de garde hésita une seconde mais, à la vue de ses joyaux, de sa toilette qui annonçaient son rang, n'osa pas lui interdire l'entrée. Il se recula, saluant courtoisement, roulant des yeux émerveillés au-des- sus d'une imposante moustache rousse et poussa la galanterie jusqu'à relever lui-même, devant elle, le pan de soie bleue qui fermait le pavillon. Et Catherine vit Arnaud...
Il était étendu sur une sorte de lit bas, aux mains de son écuyer qui lui prodiguait ses soins. En fait, Catherine ne vit de lui, en entrant, que ses cheveux noirs et le haut de son front étayés par un coussin de soie bleue. Les pièces d'armure que l'on avait dû ôter hâtivement jonchaient le sol hormis le heaume à fleurs de lys et les gantelets sanglants posés sur un coffre. C'était la première fois que la jeune femme pénétrait sous la tente d'un chevalier et les dimensions l'en étonnèrent. Le tref, à l'intérieur, formait une très vaste chambre octogonale, entièrement tendue de tapisseries et de rideaux de soie. Il y avait des meubles, des coffres, des fauteuils, des bahuts supportant aiguières et coupes à boire, des armes un peu partout et surtout un effroyable désordre. L'écuyer avait ouvert auprès du lit, un grand coffret contenant la pharmacie de campagne du chevalier. Une odeur de beaume à la fois piquante et douce en émanait, odeur que Catherine reconnut aussitôt pour l'avoir respirée à l'auberge du Grand Charlemagne lorsque Abou- al-Khayr soignait Arnaud.
Personne n'avait remarqué son entrée. L'écuyer lui tournait le dos, Arnaud, caché par ce dos, ne la voyait pas et, dans un angle, Jean de Xaintrailles qui se préparait à en découdre avec le sire de Rebèque, se faisait armer par son écuyer personnel tout en chantonnant une chanson d'amour dont les paroles curieusement s'imprimèrent dans l'esprit de la jeune femme :
Belle, quelle est votre pensée ?
Que vous semble de moi ? Point ne me le célez,
Car, me donnerait-on l'or de dix cités,
Je ne vous prendrais point, si ce n'est votre gré.
Catherine entendit Arnaud, que les soins devaient faire souffrir jurer entre ses dents, puis grogner :
— Tu chantes faux !...
Le chevalier rouquin se retourna pour répliquer quelque chose. Ce faisant, il vit Catherine et les paroles de la chanson se changèrent entre ses dents en un léger sifflement admiratif. Il repoussa son écuyer d'une bourrade, s'approcha avec un large sourire.
Belle dame, fit-il en saluant aussi gracieusement que le permettait sa carcasse de fer, une aussi char mante visite à l'instant du combat est pour un chevalier digne de ce nom le plus précieux réconfort. Je ne pensais pas que mes mérites eussent déjà fait assez de bruit pour que la plus belle des femmes vînt à moi dès avant la fin des joutes. Me ferez-vous la grâce de m'apprendre qui vous êtes ?
Catherine lui sourit gentiment mais se hâta de le détromper :
— Pardonnez-moi, messire. Ce n'est point vous que je viens voir céans, c'est lui, acheva-t-elle en désignant Arnaud qui, au son de sa voix, avait bondi entre les mains de son écuyer et, assis maintenant, la regardait avec un mélange d'étonnement et de fureur.
— Encore vous ! s'écria-t-il peu galamment. Vous seriez-vous donné à tâche d'accourir à mon chevet chaque fois que je reçois un horion ? En ce cas, ma chère, vous aurez fort à faire...
La voix était dure, le ton ironique, mais Catherine s'était juré de ne pas se mettre en colère. Elle lui sourit avec une tendresse inconsciente.
— Je vous ai vu perdre connaissance, messire. J'ai craint que votre blessure à la tête ne se fût rouverte. Vous perdiez beaucoup de sang tout à l'heure.
— Je vous ai déjà priée de ne pas vous soucier de moi, Madame, fit Arnaud hargneux. Vous avez un mari, à ce que l'on m'a dit et, si vous avez de la compassion à dépenser, allez plutôt la porter à votre amant. Le duc Philippe en a le plus grand besoin !
Xaintrailles, dont les vifs petits yeux marron allaient de l'un à l'autre, entra dans la conversation :
— Cet ours auvergnat n'est pas digne de votre sollicitude, Madame. Vous devriez la reverser sur quelqu'un d'infiniment plus digne. Sur mon honneur j'ai grande envie de laisser Rebecque me faire quelques bosses si je peux espérer recevoir ensuite les soins d'aussi douces mains.
Arnaud écarta du même geste et son ami et son écuyer. Il portait encore les pièces de l'armure jusqu'à la ceinture, mais, au-dessus, était seulement vêtu d'une chemise de lin blanc. Largement ouverte sur la poitrine, elle laissait voir l'emplâtre que l'on venait de poser sur la blessure.
— Je n'ai rien ! Que des égratignures ! fit-il en se levant avec effort. Va donc te battre, Rebecque t'attend. Et je te rappelle que, si je suis un ours auvergnat, tu en es un autre...
Xaintrailles plia deux ou trois fois les genoux pour voir si les jointures de sa carapace jouaient bien, passa la cotte de soie à ses armes et prit son heaume des mains d'un page, un casque impressionnant sommé d'une tour et garni de lambrequins multicolores.
— Je vais, je tue Rebecque et je reviens ! fit-il avec bonne humeur.
Pour l'amour de Dieu, Madame, ne vous laissez pas impressionner par le maudit caractère de ce garçon et ne quittez pas ce pavillon avant mon retour afin que j'aie la joie de vous contempler encore. Il y a ici des gens qui ont plus de chance qu'ils n'en méritent !
Saluant à nouveau, il sortit en reprenant sa chanson au point où il l'avait laissée : « Las, si vous me déniez votre amour... »
Arnaud et Catherine demeurèrent seuls car les deux écuyers et le page étaient sortis sur les pas de Xaintrailles pour voir la joute. Ils étaient debout en face l'un de l'autre, seulement séparés par le coffret d'onguents laissé à terre par l'écuyer. Peut-être aussi par cet invisible antagonisme élevé entre eux et qui les rejetait chacun dans un camp ennemi. Catherine subitement ne savait plus que dire. Elle avait tant désiré cette minute, tant souhaité se retrouver seule avec lui que la réalisation du rêve la laissait sans force, comme un nageur épuisé par la tempête et qui, enfin, atteint la grève... Les yeux levés sur Arnaud, elle ne se rendait pas compte du tremblement de ses lèvres, de son regard humide. Tout son corps n'était qu'une imploration, une supplication de ne pas lui faire de mal. Lui aussi la regardait, sans colère cette fois, avec une sorte de curiosité. La tête un peu baissée, il détaillait le visage doré que la dentelle du hennin idéalisait, la bouche ronde, exquise et rose le petit nez court, les grandes prunelles dont les coins extérieurs se relevaient légèrement vers les tempes.
— Vous avez des yeux violets, remarqua-t-il doucement, comme pour lui-même. Les plus beaux que j'aie jamais vus, les plus grands !
Jean a raison, vous êtes merveilleusement belle, merveilleusement désirable... digne d'un prince ! ajouta-t-il avec amertume.
(Brusquement son visage se ferma, son regard reprit sa dureté.) Maintenant, dites-moi ce que vous êtes venue faire ici... et ensuite allez-vous-en ! Je croyais vous avoir fait comprendre que nous n'avions rien à nous dire.
Mais la parole et le courage étaient revenus à Catherine. Ce sourire qu'il avait eu, ces mots qu'il avait dits, c'était plus qu'il n'en fallait pour la jeter à la conquête de l'impossible. Elle n'avait plus peur, ni de lui, ni des autres. Il y avait entre eux quelque chose d'invisible que le jeune homme, peut-être, ne percevait pas mais qu'elle sentait dans chaque fibre de son être. Arnaud aurait beau dire et faire, il ne pourrait empêcher qu'elle fût, en esprit et pour jamais, soudée à lui aussi complètement que s'il l'avait faite sienne, par la chair, dans l'auberge de la croisée des chemins. Très doucement, sans effroi et sans hésitation, elle dit :
— Je suis venue vous dire que je vous aime.
Le mot prononcé, elle se sentit délivrée. Comme cela avait été simple et facile ! Arnaud n'avait pas protesté, ne l'avait pas injuriée comme elle avait craint qu'il fît ! Non, il avait seulement reculé d'un pas en portant une main à ses yeux, comme si une trop vive lumière l'avait frappé, mais un long moment après, il avait murmuré sourdement :
— Il ne faut pas ! C'est là du temps et de l'amour perdus ! J'aurais pu, moi aussi, vous aimer parce que vous êtes belle et que je vous désire. Mais il y a entre nous des abîmes qui ne se peuvent combler et que je ne saurais franchir sans horreur, même si, un instant, je laissais la chaleur de mon sang l'emporter sur ma volonté. Allez-vous-en...
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