Que s'est-il passé ? Pourquoi ne voulez-vous pas me le dire ? A moi ?
— Parce que c'est tellement stupide... j'ai peur que vous ne compreniez pas.
— D'une femme, fit Ermengarde péremptoire, je peux tout comprendre.
Surtout les pires folies. Y aurait-il encore du Montsalvy là-dessous ?
Catherine lui adressa un pauvre sourire et, pour cacher son embarras, se mit à tirailler une vrille verte qui pendait au-dessus de sa tête.
— Vous devinez toujours tout, mon amie. Il est perdu pour moi, à tout jamais... il se marie !
Le ton de la jeune femme était douloureux, presque. Tragique, et pourtant Ermengarde partit d'un véritable fou rire qui mit un bon moment à se calmer. Sous l'œil indigné de Catherine, la Grande Maîtresse aussi rouge que sa robe, les joues inondées de larmes, se tenait les côtes et s'étouffait à moitié.
— Ermengarde ! s'écria Catherine froissée. Vous rendez-vous compte que vous êtes en train de vous moquer de moi ?
— Je m'en rends parfaitement compte, ma chère ! fit celle-ci quand elle eut réussi à retrouver sa respiration. Mais c'est qu'aussi la chose est trop drôle ! C'est le mariage de notre héros qui vous a envoyée aux champs avec cette mine de petite nonne, qui vous fait ces yeux battus, ces joues pâles ?
Ah çà, mais vous êtes folle ! Est-ce qu'il n'est pas normal qu'un garçon de son rang et de son nom se marie ? Il doit, à lui-même et aux siens, de continuer sa race. Il lui faut des fils, une descendance. Et qui voulez- vous qui la lui donne sinon une femme ?
— Mais moi je l'aime ! Moi je me gardais pour lui, je ne voulais que lui !
s'écria Catherine, fondant déjà en larmes qui n'émurent aucunement Ermengarde.
Ce en quoi vous aviez grand tort ! Une femme comme vous est faite pour l'amour, je me tue à vous le dire depuis des mois. Votre Arnaud se marie ?
La belle affaire ! Vous le prendrez comme amant quand cette guerre stupide sera enfin finie... et vous n'en serez pas plus malheureuse. Qu'espériez-vous donc ? L'épouser vous-même. Mais votre mari, ma mignonne, est bien vivant et certainement pas décidé à défunter avant de nombreuses années. Laissez donc le jeune Montsalvy épouser quelque petite oie blanche bien riche et bien titrée qui lui fabriquera des moutards à longueur d'années... et soyez celle qui dispense les délices des amours défendues... tellement plus excitantes que le pot-au-feu conjugal !
Cette étrange leçon de morale avait laissé Catherine pantoise mais à moitié consolée. La terrible Ermengarde avait une manière réaliste de voir les choses qui non seulement ne manquait pas de charme, mais encore s'avérait étrangement efficace. Elle concluait d'ailleurs son sermon en disant:
— Ne vous condamnez pas à une vie stupide à cause d'un dadais qui prend femme, si beau soit-il. Philippe vous aime, il vous veut et il vous aura, croyez-m'en. Pourquoi ne pas essayer de prendre quelque plaisir à la chose ?
Il est jeune, il est beau à sa manière, il est charmant quand il veut, il est puissant en tout cas... et aucune de ses maîtresses ne s'est jamais plainte de lui, bien au contraire. Il a toujours toutes les peines du monde à s'en débarrasser ! C'est d'ailleurs un peu pour cela que je suis venue vous voir...
Ainsi donc, dame Ermengarde avait un but. Catherine réprima un sourire moqueur. L'art avec lequel elle avait glissé négligemment sur les derniers mots était à lui seul un chef-d'œuvre diplomatique. Sans beaucoup de peine, maintenant, Catherine parvint à savoir le fin mot de l'histoire. En fait, Ermengarde, qui « ne s'envoyait qu'elle-même », venait en messagère de la duchesse Marguerite inquiète d'avoir vu réapparaître à Dijon la dame de Presles, la maîtresse en titre de Philippe, dont elle n'ignorait pas l'ambition.
Vous vous souvenez, je pense, de cette créature blonde qui avait si bien décoré de son écharpe ce niais de Lionel de Vendôme... précisa Ermengarde.
C'est d'elle qu'il s'agit. Et la duchesse-douairière se tourmente. Cette femme s'est mis en tête d'être duchesse. Elle est intrigante, habile... et elle connaît son Philippe sur le bout du doigt. Dieu sait ce qu'elle est capable d'obtenir si vous lui laissez le champ libre ! Que cette femme, tout acquise à l'Anglais, parvienne à ses fins et nous en viendrons aux pires catastrophes. Jamais France et Bourgogne ne se rejoindront. En résumé...
La comtesse se leva, dominant son amie de toute la moitié supérieure de son corps. Grave, soudain, elle posa sa belle main blanche sur l'épaule de la jeune femme et acheva, avec une douceur inaccoutumée :
— ... Votre duchesse vous appelle à son secours, Catherine de Brazey.
Vous n'avez pas le droit de la décevoir. Elle est si malade !
Catherine baissa la tête sans répondre. Des sentiments confus l'agitaient.
Elle comprenait maintenant qu'elle se trouvait au centre d'un inextricable écheveau d'intérêts qui allaient bien plus loin que sa jolie personne. De grands personnages, par l'entremise de ses amis de chaque jour, réclamaient son aide. C'était la reine de Sicile, par Odette et frère Étienne, la duchesse Marguerite, par la voix d'Ermengarde... et chacune parlait de devoir, de mission respectable qui, au fond, se ramenaient toutes deux à la même chose: faire cesser la haine entre Philippe et le roi Charles.
L'arrivée de l'oncle Mathieu, qui accourait annoncer le dîner, la dispensa de répondre. Durant tout le repas auquel elle fit honneur avec son magnifique appétit habituel, Ermengarde s'abstint de parler politique. Par contre, elle fit l'admiration de Mathieu par ses connaissances en matière de commerce. Quand elle fut sur le point de partir, ce fut à qui la prierait de revenir bientôt.
— C'est selon..., fit-elle avec un coup d'œil significatif vers Catherine.
Celle-ci se contenta de sourire.
— Je vous promets de réfléchir, Ermengarde.
Et, comme frère Étienne, la comtesse fut bien obligée de se satisfaire de cette demi-promesse. Mais, après son départ, Catherine resta songeuse. Les paroles d'Ermengarde, avec leur positivisme un peu brutal, traçaient en elle leur chemin. Elles conseillaient d'accepter l'amour de Philippe et, dans ce soir d'automne, si doux et si doré, qui tombait sur elle, Catherine se révoltait moins que d'habitude contre cette idée.
Pour être plus seule avec ses pensées, elle retourna au jardin. C'était, de tout le domaine, son refuge, son coin préféré. Avec sa vigne et ses bordures sages, il n'avait rien d'extraordinaire, mais le cadre de campagne qui l'entourait lui conférait un charme profond. Près des murs relativement bas qui le séparaient du vignoble, de grands pins noirs l'abritaient sur un côté et des buissons de roses, poussés un peu à la diable, l'habillaient d'une grâce un peu sauvage. La jeune femme erra un moment près des pins où la fin du jour faisait les ombres plus denses. Sa robe balayait avec un bruit doux les premières feuilles tombées. Tête penchée, elle se dirigea vers le grand puits rond, datant des Romains à ce que l'on disait, qui tenait le milieu de l'enclos, et s'y appuya. L'exceptionnelle douceur de ce crépuscule apportait un apaisement aux profondeurs bouleversées de son être. Détendue, presque souriante, elle laissa son regard errer au-delà des murs... et soudain tressaillit: à la lisière des pierres brutes, elle venait de voir passer une plume noire qui ne pouvait appartenir qu'à une coiffure d'homme. La plume longea le mur, revint sur ses pas. Assise sur la margelle du puits et tapie contre le chèvrefeuille défleuri qui enlaçait le couronnement de fer forgé, Catherine retenait son souffle, observant ces étranges évolutions. La plume s'arrêta, parut monter. Un chaperon gris apparut, puis un front, puis deux yeux dont Catherine ne put distinguer la couleur dans la lumière pauvre. Le visiteur inconnu inspecta soigneusement le jardin sans se montrer davantage. Il ne vit pas la jeune femme que le .chèvrefeuille cachait complètement. Puis la tête redescendit. Seule la plume demeura visible, glissant rapidement le long du mur.
Catherine, alors, quitta sa cachette, se précipita sur le mur, l'escalada sans peine. Certaines pierres, sous l'action des plantes grimpantes, s'en détachaient. Mais, quand elle parvint au faîte, elle vit seulement une silhouette masculine, enveloppée d'un manteau sombre, qui s'éloignait rapidement vers un bouquet d'arbres sous lequel un cheval attendait. Le curieux sauta en selle, piqua des deux sans se retourner vers la maison de Mathieu Gautherin et partit au galop en direction de Dijon.
Lorsqu'il eut disparut, Catherine resta un moment assise au sommet de son mur, réfléchissant. Ce visiteur prudent devait appartenir encore à la troupe de Jacques de Roussay. Le jeune capitaine des gardes, sans aucun doute sur l'ordre de son maître, continuait à la faire surveiller. On n'avait, décidément, aucune confiance en elle, en haut lieu, car cet espionnage à domicile ne pouvait venir de Garin. Elle avait reçu de lui, le matin même, une lettre brève et impersonnelle dans laquelle son époux l'informait de la date exacte du mariage princier, dans les derniers jours d'octobre, et lui annonçait qu'en son absence, il s'était permis de faire confectionner pour elle les toilettes qu'il jugeait utiles pour la circonstance. Dame Gauberte avait ses mesures, connaissait ses goûts, elle saurait travailler presque aussi bien qu'en la présence de Catherine... En résumé, une lettre fort calme et fort incolore dans laquelle rien n'indiquait que Garin vît dans l'absence de sa femme autre chose qu'une visite à sa famille. Non, Garin n'était pour rien dans la visite de ce soir...
La voix de sa mère l'appelant du seuil de la maison fit rentrer Catherine.
Mais elle se promit bien de faire meilleure garde à l'avenir. Elle désirait demeurer encore quelques jours à Marsannay, ne fût- ce que par amour-propre, pour ne pas avoir l'air de se rendre trop vite aux raisons d'Ermengarde.
Toute la journée du lendemain, après la messe matinale qu'elle avait coutume d'entendre dans la petite église du pays, elle s'établit au jardin avec un travail de broderie. Mais la chasuble de soie blanche destinée au curé de Marsannay n'avança guère ce jour-là parce que Catherine était plus que distraite. Sans cesse, elle levait la tête penchée sur la gerbe d'épis de blé que son aiguille traçait au fil d'or pour tenter de surprendre une ombre sur le mur ou le rapide passage d'une mince plume. En pure perte. Rien ne vint troubler, sinon le chant lointain des vendangeurs, la paix profonde de cette journée d'automne, que Catherine, inconsciemment peut-être, savourait par toutes les fibres de son être. L'automne bourguignon, l'un des plus beaux du royaume, le plus opulent à coup sûr, s'épanouissait en gloire fastueuse. La terre y étalait insolemment sa richesse et sa fécondité.
Quand on l'appela pour le souper, Catherine rangea son ouvrage, mais ne quitta le jardin qu'à regret. Elle avait l'impression qu'il lui devait quelque chose et se promettait d'y revenir à la tombée de la nuit. D'ailleurs, le repas s'achevait quand elle crut entendre le galop étouffé d'un cheval. L'inconnu de la veille, sans doute, qui revenait... Sans attendre que l'oncle Mathieu eût dit les grâces, elle s'éclipsa, bien décidée à en finir une bonne fois avec cet importun, prétextant une subite vapeur. Nul ne prêta attention à son départ.
Jacquette, fatiguée par une longue journée de lessive, où, avec les servantes, elle avait charrié des baquets et des baquets de linge, somnolait sur sa chaise. Quant à l'oncle, il discutait avec Abou- al-Khayr les qualités futures du vin que l'on avait mis ce jour-là au pressoir et qui provenait de la partie la plus éloignée de sa propriété, tout au fond d'une combe... Ni l'un ni l'autre ne virent sortir la jeune femme...
En traversant le vestibule, elle aperçut dans un coin, appuyé contre un mur, le gourdin que Mathieu emportait toujours avec lui quand il allait dans les vignes et s'en empara. Il était fait d'une branche de chêne droite, mais terminée par un gros nœud formant poignée. La main de l'oncle, depuis des années qu'il le possédait, avait poli, adouci le bois rude, mais le gourdin demeurait lourd. Un homme vigoureux pouvait en faire une arme redoutable.
Ainsi équipée, Catherine retourna au jardin, un pli de décision au coin de la bouche. L'indiscret, s'il revenait, allait trouver à qui parler... Pourtant, aucun bruit ne se faisait entendre. La campagne sommeillait. La nuit était presque complète. Catherine fit quelques pas vers le mur, s'abritant dans l'ombre très noire des pins. Ce silence l'inquiétait, car elle aurait juré avoir distingué le galop d'un cheval... il est vrai qu'il semblait lointain. Ce n'était peut-être qu'un cavalier attardé qui regagnait Dijon avant la fermeture des portes... Malgré tout, elle resta à son poste d'observation, silencieuse et immobile.
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