Cauchon ne broncha pas. Son lourd visage demeura impassible. Son regard était dur comme une pierre d'ambre pâle.
Il me gênait, en effet ! Le temps n'était pas aux demi-mesures. Après tout, peut-être avez-vous raison. Je n'ai pas cherché à le sauver parce que je n'en voyais pas l'utilité.
— Voilà qui est franc !
Ils étaient arrivés dans l'embrasure profonde d'une fenêtre. L'évêque posa sa main sur l'un des carreaux, suivant distraitement du doigt les méandres de plomb qui le sertissaient, le regard au loin.
— Acceptez que je vous pose une question ? Pourquoi avez-vous désiré me rencontrer ? Vous devez me haïr ?
— Je vous hais, en effet, répondit Catherine imperturbablement calme.
J'ai seulement voulu vous voir de près... et aussi vous dire que j'existais.
Enfin, je vous dois quelques remerciements car votre corde a épargné à mon père une fin aussi pénible mais infiniment plus longue...
— Laquelle ?
— Mourir de chagrin ! Il aimait trop son pays, son Roi et sa ville de Paris pour endurer d'un cœur paisible d'y voir régner l'Anglais.
Une flambée de colère fit briller momentanément le regard atone de Pierre Cauchon.
— L'Anglais y règne par droit de naissance et par héritage royal ! Il est notre très légitime souverain, né d'une fille de France et choisi par ses grands- parents, tandis que le bâtard de Bourges... n'est qu'un aventurier !
Le rire bref et insolent de Catherine lui coupa la parole.
A qui ferez-vous croire cela ? Pas à moi, en tout cas... et pas même à vous !
Votre Révérence n'ignore pas que le roi Charles VII ne l'aurait certes pas choisie pour être aumônier de France. L'Anglais est moins difficile... et pour cause ! Il n'a guère le choix ! Mais permettez-moi de vous faire remarquer que, pour un prêtre de Dieu, vous ne vous y entendez guère à distinguer celui qu'il a élu par droit de naissance pour régner sur la France.
— Henri VI, seul, est vrai Roi de France...
L'évêque semblait proche de l'apoplexie, mais
Catherine lui adressa son plus délicieux sourire.
— L'ennui, avec vous, Monseigneur, c'est que Votre Révérence aimerait sans doute mieux périr que reconnaître qu'elle s'est trompée ! Allons, souriez, Monseigneur ! On nous regarde... singulièrement le duc Philippe.
On a dû vous dire que nous sommes de grands amis.
Au prix d'un effort surhumain, Pierre Cauchon réussit à unifier son visage. Il sourit même, mais du bout des lèvres, et siffla entre ses dents serrées :
— Soyez sûre que je ne vous oublierai pas, Madame !
Catherine s'inclina légèrement puis murmura, suave :
— J'en suis heureuse. Quant à moi, je n'ai jamais oublié votre Révérence.
C'est avec intérêt que je suivrai sa carrière.
Et, laissant là sa victime, Catherine s'en alla, lente et gracieuse, traînant derrière elle la vague verte et blanche de sa robe, pour retrouver Philippe qui, depuis un moment, suivait avec étonnement, de loin, son aparté avec l'aumônier de France. La voyant se diriger vers lui, il vint à sa rencontre et lui offrit la main. Nul ne s'avisa de le suivre. L'instinct des courtisans était trop sûr pour n'avoir pas compris que, désormais, Catherine de Brazey devait être l'objet de toutes les attentions et de tous les égards.
— Qu'aviez-vous donc de si important à dire à notre évêque de Beauvais? demanda-t-il en souriant. Vous étiez graves, tous deux, comme prélats en concile. Discutiez-vous un point de saint Augustin ? J'ignorais même que vous le connussiez...
Nous discutions... un point d'histoire de France, Monseigneur ! Il y a fort longtemps que je connais Sa Révérence, dix ans à peu près. Nous nous sommes beaucoup rencontrés, jadis, à Paris. C'est ce temps-là que je lui rappelais...
S'interrompant, elle leva sur le duc son regard vide, brusquement humide de larmes et reprit, une colère contenue faisant vibrer sa voix :
— ... comment pouvez-vous employer... estimer un tel homme ? Un prêtre qui a pris des bains de sang pour se hisser à son trône épiscopal ?
Vous, le grand-duc d'Occident ?... C'est un misérable !
Philippe adorait qu'on lui donnât ce beau titre qui le flattait. Et l'émotion de Catherine le touchait au plus profond. Il se pencha vers elle afin d'être sûr de n'être entendu de personne :
— Je le sais, mon cœur ! Et si je l'emploie, c'est qu'il m'est utile. Mais de là à l'estimer, non ! Voyez- vous, lorsque l'on est prince souverain, il faut parfois se servir de toutes sortes d'instruments. Maintenant... souris-moi et viens ouvrir le bal ! Plus bas encore il ajouta : « Je t'aime plus que tout au monde ! »
Un pâle sourire revint dans les yeux et sur les lèvres de Catherine. Les musiciens, dans leur tribune, attaquaient une pavane. Elle se laissa entraîner par le duc au milieu du vaste cercle, à la fois admiratif et envieux, que formaient les assistants.
CHAPITRE V
Nunc dimittis
Le jour des funérailles de Marguerite de Bavière, Catherine crut mourir de froid et d'angoisse à la fois. La duchesse douairière s'était éteinte rapidement, le 23 janvier 1424, trois mois après le mariage de sa fille, dans les bras d'Ermengarde. Philippe, qui se trouvait alors à Montbard avec Arthur de Richemont, était revenu trop tard pour revoir sa mère vivante et, depuis, une sombre désolation s'était abattue à la fois sur le palais et sur la ville où la défunte laissait de grands et sincères regrets. Quelques jours plus tard, par un froid noir, la dépouille mortelle fut conduite à sa dernière demeure, sous les voûtes admirables de la Chartreuse de Champmol, aux portes de Dijon. Là reposaient déjà son époux, Jean sans Peur, son beau-père, Philippe le Hardi, et sa belle-fille, la douce Michelle de France.
Lorsque, tôt le matin, alors que le jour n'était pas encore levé, Perrine avait habillé sa maîtresse en vue de la longue journée de cérémonies, elle avait été effrayée par la pâleur de Catherine.
— Madame devrait rester ici, se faire excuser...
C'est impossible ! Dans une semblable occasion, il faut être à la mort pour se dispenser d'assis ter aux funérailles. Ce serait offenser le duc dans sa douleur, répondit Catherine.
— Même Madame... dans son état ?
Catherine avait souri tristement.
— Oui, Perrine. Même moi !
Deux personnes seulement, dans l'entourage de Catherine, savaient qu'elle était enceinte : sa petite servante et Abou-al-Khayr qui, le premier, avait diagnostiqué la raison profonde d'un brusque évanouissement de la jeune femme aux environs de Noël. Depuis, la santé de Catherine était très chancelante, malgré les efforts qu'elle faisait pour le cacher. Elle supportait très mal son état et de fréquentes nausées, depuis cette première perte de conscience, la torturaient. Elle ne pouvait plus endurer les odeurs de cuisine et, quand elle traversait le bourg, les relents des chaudières des tripiers la révulsaient. Mais elle luttait courageusement pour tenter de cacher la vérité, le plus longtemps possible, à son mari.
C'est que, depuis les fêtes du mariage, ses relations avec Garin s'étaient singulièrement détériorées. Le Grand Argentier ne se départissait plus, envers elle, d'une glaciale politesse en public et, dans le privé, du moins quand il était là, il ne lui adressait presque jamais la parole, sinon sur un ton blessant auquel Catherine ne comprenait rien. Évidemment, il savait, comme tout Dijon, la nature exacte de ses nouvelles relations avec le duc, mais qu'il songeât à s'en montrer offensé, voilà qui dépassait l'entendement de la jeune femme. N'avait-il pas tout fait, tout mis en œuvre pour qu'il en fût ainsi ?
Alors, pourquoi cette attitude méprisante que Catherine supportait mal ?
D'autant plus mal que, depuis un mois et demi, elle n'avait pratiquement pas revu Philippe, occupé aux soins de ses états et toujours par les chemins. La tendresse passionnée qu'il lui montrait, la vigilante protection qu'il étendait sur elle lui devenaient peu à peu indispensables. En outre, il avait éveillé son corps à l'amour et la jeune femme était bien obligée de s'avouer qu'elle avait vécu auprès de lui des heures de délire difficiles à oublier... difficiles à ne pas souhaiter voir renouveler !
Perrine achevait d'habiller Catherine aussi chaudement que possible.
Obligée, comme toute la Cour au deuil intégral, elle était vêtue de noir de la tête aux pieds, mais une fortune en zibeline réchauffait le velours épais de ses vêtements. Un lourd voile noir tombait de l'atour à bourrelets de fourrure qui la coiffait. De courtes bottes fourrées, dissimulées par la robe et la cape, et des gants de velours de même couleur complétaient cet équipement dont aucun bijou ne relevait l'austérité. En principe Catherine était bien protégée, mais il faisait si froid ! La jeune camériste, peu rassurée, avait hoché la tête en regardant par la fenêtre l'épaisse couche de neige qui couvrait les toits et se transformait peu à peu dans les rues, sous les pas des citadins, en boue glaciale ou en plaques dangereusement glissantes. Or, Catherine aurait à parcourir, à pied, un long trajet.
La messe solennelle, célébrée à la Sainte-Chapelle tendue de noir, avait été mortellement longue. Malgré la forêt de cierges disposés autour de l'autel et du catafalque, il y régnait un froid intense. Toutes les haleines fumaient.
Mais le pire avait été l'interminable cortège qui, au pas, avait serpenté à travers la ville. Catherine avait gravi là un vrai calvaire !
Sous le jour livide, on avait défilé entre les maisons drapées de noir, au son des trompettes funèbres tandis que toutes les cloches de la ville sonnaient un glas qui ne finissait pas. La seule tache de couleur, dans ce cortège nocturne, était le char funèbre que Philippe avait voulu tout semblable à celui de son père : six chevaux le traînaient et le corps embaumé de la duchesse défunte reposait sous un drap de brocart d'or barré d'une grande croix de velours rouge. Aux quatre coins du char flottaient des bouquets de bannières de soie bleue brodée d'or. Soixante porteurs de torches et une véritable armée de moines, pleurant et psalmodiant, l'entouraient. Philippe venait derrière, tête nue malgré le gel, très pâle et les yeux fixes. Toute la Cour, puis toute la ville avec les bannières des corporations suivaient.
L'aspect du duc avait achevé de glacer le cœur de Catherine. Il avait l'air d'un automate. Brusquement, sous l'empire du chagrin, Philippe était redevenu pour elle le souverain inquiétant... à qui, cependant, il allait falloir demander une difficile grâce, et le plus vite possible ! La veille au soir, Colette, la vieille camériste de Marie de Champdivers, était venue trouver Catherine, en toute hâte, et lui avait appris la terrible nouvelle : quelques heures plus tôt, Odette et frère Étienne avaient été arrêtés au couvent des Cordeliers tandis qu'un ordre d'exil immédiat frappait les parents de la jeune femme. Seule, Colette était restée en arrière pour avertir Catherine en qui Marie voyait son unique et dernier recours.
Le cas était grave. Le duc de Savoie avait obtenu une nouvelle trêve entre les princes ennemis. Or, sur l'instigation d'Odette, un turbulent chef de routiers que l'on appelait le bâtard de La Baume avait rompu cette trêve en attaquant un village de Bourgogne. Pris et peu soucieux de laisser sa peau dans si mince affaire, le bâtard avait tout confessé. La riposte n'avait pas tardé : Odette, Étienne Chariot et un marchand de Genève qui était leur complice avaient été jetés en prison où la torture, puis la mort les attendaient.
Catherine ne parvenait pas à comprendre ce qui avait pu pousser Odette à une telle folie. On disait même que le complot ambitionnait jusqu'à l'assassinat du duc Philippe ! Était-ce l'annexion de sa ville ou bien la hâte de voir triompher plus tôt la cause du roi Charles VII à qui Dieu avait accordé un fils le 3 juillet 1423'? De toute façon, Catherine se refusait à laisser son amie sous pareille menace, dût-elle y risquer sa propre vie.
La Chartreuse de Champmol s'élevait hors des murs de la ville, entre la route de l'ouest et le cours de l'Ouche. Encore neuve, elle avait été bâtie par le grand-père de Philippe, le duc Philippe le Hardi, sur les plans de l'architecte Drouet de Dammartin. Bien souvent, Catherine avait entendu vanter les merveilles de ce couvent, l'une des plus grandes réussites de l'époque, mais n'avait encore jamais eu l'occasion d'y entrer. Seuls les hommes pouvaient pénétrer chez les Chartreux et les femmes n'étaient admises à la chapelle qu'en des occasions comme celle-ci. Cette chapelle avait remplacé celle de Cîteaux en tant que sépulture des ducs de Bourgogne.
"Catherine Il suffit d’un Amour Tome 2" отзывы
Отзывы читателей о книге "Catherine Il suffit d’un Amour Tome 2". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Catherine Il suffit d’un Amour Tome 2" друзьям в соцсетях.