En effet, les deux hérauts de Jehanne, Guyenne et Ambleville, étaient chargés de porter sa lettre au camp de Talbot avec tout le cérémonial chevaleresque d'usage.
— Jehanne, chuchota Catherine en gardant entre ses mains l'un des gantelets de la jeune fille, j'aimerais vous suivre. Faites-moi donner un habit de garçon. Je serai votre écuyer.
... et mes capitaines auront des distractions à cause de ce trop joli écuyer, sourit Jehanne. Ils ont grand besoin de leur sang-froid et la ville a grand besoin d'eux. Allez sur le rempart, Catherine, vous en verrez tout autant.
Catherine soupira, n'insista pas. Elle vit Jehanne monter à cheval suivie de quelques capitaines parmi lesquels l'armure noire d'Arnaud brillait d'un éclat sinistre. Il semblait des plus empressés à suivre et à servir la Pucelle mais, chose étrange, Catherine n'en éprouva aucune jalousie. Jehanne possédait l'étrange pouvoir d'imposer silence aux voix mauvaises qui pouvaient se lever au fond de l'âme. Bien plus, Catherine avait l'impression qu'il ne pouvait rien advenir de mauvais au jeune capitaine quand il était dans le sillage de la Lorraine. Jehanne forçait la confiance...
Tant que Jehanne et sa suite furent dehors, Catherine demeura sur le rempart de la porte Regnard, suivant des yeux la troupe guerrière, et ne redescendit qu'en les voyant revenir. En arrivant à la maison, elle constata que les yeux de Jehanne étaient pleins de larmes. Les Anglais n'avaient répondu que par des injures à sa lettre, l'avaient traitée de ribaude et de vachère. Et, ce qui était plus grave aux yeux de la Pucelle, ils avaient gardé prisonnier l'un de ses hérauts. Seul Ambleville était revenu. Guyenne était gardé au camp anglais où Gladsdale menaçait de le brûler vif.
Arnaud bondit aussitôt.
— J'y vais ! s'écria-t-il. Je le ramènerai.
— Non ! cria Catherine avec tant de spontanéité que tout le monde se tourna vers elle. Elle devint pourpre de honte, sous tant de regards, et comme Arnaud, sans daigner lui répondre, la toisait d'un air offensé, elle se retira derrière le large dos de dame Mathilde, souhaitant rentrer sous terre.
Seule, Jehanne lui avait souri.
Il faut qu'Ambleville retourne, fit celle-ci en se tournant vers son héraut plus mort que vif. Et, comme les dents du malheureux claquaient, elle hocha la tête. « Eh, mon Dieu, fit-elle en lui tapant sur l'épaule, ils ne feront aucun mal, ni à lui ni à toi. Tu diras à Talbot qu'il s'arme et je m'armerai aussi : qu'il se trouve devant la ville. S'il peut me prendre, qu'il me fasse brûler avec Guyenne. Si je le déconfis, qu'il lève le siège et que les Anglais s'en aillent dans leur pays... »
Dunois, alors, intervint :
— L'intention est généreuse et noble, Jehanne. Mais Talbot ne viendra pas. C'est un grand chef et un bon chevalier qui, pour tout l'or du monde, n'accepterait jamais de se mesurer à une femme. Il suffit qu'Ambleville dise, selon moi, qu'il en sera fait aux prisonniers anglais que nous tenons et à ceux qui viennent discuter des rançons comme il sera fait à Guyenne.
Le conseil était bon. Une heure plus tard, Amble- ville ramenait Guyenne et Jehanne, rassurée, s'en allait à la cathédrale avec toute la maisonnée pour faire chanter une antienne à la Sainte Vierge. Catherine, bien entendu, fit comme les autres. Elle suivit Mathilde et Marguerite.
La cérémonie terminée, comme on s'en revenait au logis, à la nuit close, la jeune femme remarqua le regard insistant dont l'enveloppait l'un des capitaines de la Pucelle. Si pesant était ce regard qu'elle en éprouva un peu de gêne en même temps qu'un vague sentiment de triomphe. C'était la première fois depuis bien longtemps qu'un homme la regardait ainsi, avec cette convoitise qui ne prenait même pas la peine de dissimuler. Et cela lui rendit un peu confiance en elle.
L'indiscret chevalier était un homme de haute taille qui pouvait avoir vingt-cinq ans. Ses cheveux et la courte barbe en collier qui cernait son visage Ce seigneur à la mine si sombre... qui est-ce ?
La vieille dame jeta un coup d'œil rapide, fronça les sourcils et entraîna sa protégée à plus vive allure.
Un Breton, de la noble maison de Laval. Il se nomme Gilles de Rais. On le dit fabuleusement riche. Brave aussi, mais sauvage comme vous l'avez sans doute remarqué. Il a été élevé par son grand-père, un redoutable vieux seigneur brigand, Jean de Craon, qui ne reconnaît d'autre loi que la sienne propre. La ville entière parle déjà du faste de ce garçon... et de sa brutalité. Il a pris logis à la « Tête Noire », chez Agnès Grosvillain qui ne sait trop si elle doit se louer de sa générosité où se plaindre de ses excès. On dit qu'il force les filles... et même de jeunes garçons ! Personnellement, je ne l'aime guère et ne vous souhaite pas d'attirer son attention...
Désagréablement impressionnée, Catherine ne parvint pas à se débarrasser de la sensation oppressante éprouvée sous le regard du sire de Rais et, tard dans la nuit, demeura sous son pouvoir. Tout le monde était couché depuis longtemps que Catherine se tournait encore et se retournait dans son lit, incapable de trouver le sommeil. Tout dormait dans la maison de Jacques Boucher. De sa chambre, Catherine pouvait entendre les ronflements de l'écuyer d'Aulon qui couchait devant la porte de la chambre dans laquelle Jehanne dormait avec Marguerite Boucher. C'était l'une des habitudes de la Pucelle : chaque nuit, une femme partageait son lit. Ses deux pages, le jeune Raymond et l'espiègle Louis de Coûtes, dit Imerguet, couchaient dans le couloir. Mais, malgré toutes ces présences rassurantes, Catherine ne pouvait se libérer de l'angoisse imprécise qui pesait sur elle. Il pouvait être minuit quand un bruit suspect se fit entendre sous sa fenêtre demeurée ouverte : un grattement prolongé, comme si quelqu'un raclait le mur extérieur.
Tout de suite debout, la jeune femme se précipita à sa fenêtre et avança la tête avec précaution, prenant bien garde de ne pas se faire voir. Elle étouffa de justesse une exclamation de surprise : là, en bas, un homme escaladait lentement le mur, lisse d'ailleurs et difficile. Mais le visiteur mystérieux semblait doué d'une souplesse féline. Il progressait, incontestablement. Sans doute n'aurait-il guère tardé à atteindre la fenêtre de Catherine si, surgissant d'une encoignure, une autre forme masculine ne s'était montrée et ruée sans plus attendre à l'attaque du grimpeur. Saisi par les chevilles, l'inconnu poussa un cri étouffé, perdit l'équilibre et roula à terre. Le nouveau venu lui tomba dessus de tout son poids. Une lutte sauvage s'engagea sous les yeux de Catherine qui ne savait si elle devait appeler ou se taire. Peu à peu, ses yeux s'accoutumaient à l'obscurité, relative d'ailleurs car, s'il n'y avait pas de lune, la nuit était claire. Catherine pouvait voir que les deux hommes étaient de taille et de force sensiblement égale. Tantôt c'était l'un qui avait le dessus et tantôt c'était l'autre mais, dans l'ombre de la rue, les pourpoints foncés et les cheveux noirs ne faisaient aucune différence. Elle entendait le bruit de leurs respirations, puissantes comme des soufflets de forge. Ils s'empoignaient avec des « han » de porteurs d'eau. Soudain, la jeune femme terrifiée vit briller l'acier d'une dague tandis qu'une exclamation de douleur s'échappait de l'inextricable nœud humain. Elle allait appeler quand, au premier étage, une fenêtre s'ouvrit, livrant passage au buste d'un homme en chemise qui portait une chandelle. Catherine reconnut Jacques Boucher. Il élevait sa bougie au-dessus de la rue, cherchant à distinguer ce qui s'y passait :
— Holà ! cria-t-il. Qui va là ? Que fait-on ici, à cette heure ?...
Dégrisés, sans doute, les deux combattants ne demandèrent pas leur reste.
Ils déguerpirent d'un accord tacite, l'un vers le bord de l'eau, en direction de la tour Notre-Dame, l'autre vers la porte Bannière. On entendit le bruit de leurs pas précipités, puis plus rien. Avec un haussement d'épaules, maître Boucher rentra chez lui. La lumière disparut. À son tour, Catherine regagna son lit, songeuse. Elle avait bien cru reconnaître la barbe noire du sire de Rais, mais elle n'en était pas sûre. Et puis, qui donc était l'autre ?
Elle retournait encore le problème, quelques minutes plus tard, quand elle se redressa brusquement dans son lit, le cœur fou. Le bruit... le bruit de tout à l'heure recommençait. L'oreille tendue, les yeux écarquillés cherchant à distinguer toutes les variations du carré plus clair de la fenêtre, Catherine retint son souffle, guettant le grattement léger, tellement semblable à celui de tout à l'heure, qui progressait le long du mur. Une sueur froide l'inonda soudain tandis que sa main se crispait, retenant sur sa poitrine les plis de la chemise. L'homme de tout à l'heure revenait... lui ou l'autre ? Une telle frayeur s'était emparée d'elle qu'il ne lui était pas possible de faire le plus petit geste. Et le bruit se rapprochait, se faisait plus net.
Quand une tête apparut dans l'encadrement de la fenêtre, Catherine ouvrit la bouche pour crier mais aucun son ne sortit de sa gorge contractée. Une forme noire enjamba la fenêtre, se laissa retomber dans la chambre sans le moindre bruit. L'imminence du danger rendit courage à la jeune femme.
Vivement, elle se laissa glisser à bas de son lit, cherchant à gagner la porte pour se sauver, mais le froissement de sa longue chemise de nuit dut alerter l'ouïe, sans doute très fine, de l'homme, car, sans hésiter, il bondit sur elle, la ceintura vigoureusement...
Tout contre elle, Catherine sentit un corps vigoureux, des muscles durs revêtus de daim souple. L'homme respirait fort et la jeune femme reconnut l'odeur légère de son haleine avant même que sa bouche ne lui fermât les lèvres. Sa peur s'envola soudain, tandis que, déjà vaincue, elle s'abandonnait.
— Arnaud !... soupira-t-elle, tu es revenu !...
Il ne répondit pas. Une étrange fureur semblait le posséder tout entier.
Sans un mot, avec une hâte brutale, il arrachait la chemise, cherchant la douce tiédeur de la peau que ses mains avides parcoururent en rapides et folles caresses. Attentive à la seule montée du plaisir, Catherine laissait déferler en elle les lourdes vagues bouleversantes. Loin de le repousser, elle s'offrait, à demi folle de passion, lui rendant ses baisers avec une ardeur grandissante. La chambre obscure se mit à tourner autour d'elle et elle sentit qu'elle chancelait mais déjà il l'enlevait de terre, l'emportait haletante jusqu'au grand lit dans les profondeurs duquel il s'ensevelit avec elle. La nuit se referma sur les deux amants, silencieuse et secrète, seulement peuplée de soupirs et parfois d'un doux gémissement.
Quand, de longues minutes plus tard, Arnaud se releva, il n'avait pas encore prononcé une seule parole. Il l'avait prise les dents serrées, avec une sorte de fureur désespérée qui n'excluait pas la passion. Entre ses bras, Catherine ne pouvait plus discerner lequel d'entre eux était l'esclave de l'autre tant les asservissait également la volupté violente, unique, qu'ils goûtaient ensemble.
Lorsqu'elle sentit, du fond de la torpeur heureuse où elle était plongée, qu'il s'éloignait, elle voulut le retenir, tendit les bras, mais ne rencontra que le vide. Aussitôt redressée, elle distingua sa silhouette qui se coulait par la fenêtre, mais n'osa pas crier. Déjà, il était en bas. Elle l'entendit s'éloigner en courant et, avec un soupir de bonheur, se laissa retomber sur ses oreillers. Il pouvait fuir. Pour cette nuit Catherine gardait une pleine moisson de bonheur. Demain, il ferait jour, demain elle le retrouverait. Et il n'était plus question de fuir, d'aller s'enterrer en Bourgogne. Xaintrailles avait raison.
Mais peut-être la bataille serait-elle moins longue qu'il ne le croyait. Arnaud semblait bien près de rendre les armes... Et Catherine passa le reste de la nuit à faire des plans d'avenir tous plus merveilleux les uns que les autres.
Mais le lendemain matin, comme les capitaines arrivaient en groupe auprès de Jehanne pour prendre ses ordres, Catherine, qui, du haut de l'escalier, les regardait entrer dans leurs armures étincelantes et leurs panaches multicolores, constata deux choses : d'abord, Gilles de Rais avait, au plein travers de la joue, une estafilade encore fraîche, tandis qu'Arnaud de Montsalvy offrait un œil gauche magistralement poché, détail dont, dans la nuit, Catherine ne s'était pas aperçue. Ensuite, le regard d'Arnaud ne se posa qu'à peine sur elle. Il détourna la tête, très vite en fronçant les sourcils et, de cet instant, évita soigneusement de regarder du côté de l'escalier.
Pourtant, le bariolage des figures de ses capitaines n'avait pas échappé à l'œil perspicace de Jehanne d'Arc. Posant tour à tour son regard bleu sur Rais et sur Montsalvy, elle déclara mi-figue, mi-raisin :
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