Elle vint, en effet, après l'Angélus, toujours pressée, toujours affolée mais elle n'était pas seule. Une splendide créature, vêtue avec la plus grande richesse, l'accompagnait et Catherine, en les voyant entrer, pensa qu'elle n'avait jamais vu plus belle rousse. Le teint éclatant, la bouche rouge et sensuelle, la nouvelle venue portait une lourde robe de brocart de Venise vert et or dont la nuance s'assortissait à ses yeux pers et dont le décolleté généreux dévoilait audacieusement sa gorge parfaite. Ses cheveux de flamme sombre étaient presque entièrement cachés par un fantastique hennin de même tissu que la robe, si haut qu'il mettait le visage de la dame à mi-chemin de ses pieds et l'obligeait à se courber pour franchir les portes. Son visage, abondamment maquillé, se serait aisément passé de cette surcharge car il était lisse et plein mais sa forme triangulaire l'apparentait vaguement à une belle chatte et Catherine, amusée, songea qu'elle faisait avec Mme de Gaucourt une curieuse paire : la chatte et la souris.
Cependant, la belle rousse se jetait à son cou avec toutes les marques d'une joie désordonnée et l'embrassait chaleureusement
— Ma chère ! Quelle joie de vous voir ici ! Depuis de si longs mois où nul ne savait plus ce que vous étiez devenue ! Mon époux et moi-même nous tourmentions fort de vous ! On dit le duc Philippe inconsolable !...
Catherine fit la grimace. Entendre parler de Philippe à Loches était certainement la dernière chose qu'elle souhaitât. Mais Mme de Gaucourt, rouge jusqu'aux oreilles, toussota et vint à son secours.
— Il est vrai, dit-elle, que Madame de La Trémoille et notre Grand Chambellan ont bien souvent parlé de vous !
— Voyons, c'était tout normal : la rose de Bourgogne, la reine de Bruges la Fastueuse avait disparu. Il n'était pas une cour policée en Europe qui ne s'interrogeât sur ce qu'elle était devenue !
La belle Mme de La Trémoille se jeta sur un haut fauteuil garni de coussins rouges et se mit à bavarder à tort et à travers tandis que Catherine, un peu remise de sa surprise, l'examinait entre ses yeux mi-clos, un sourire de commande sur les lèvres. Elle avait déjà rencontré, à la Cour de Philippe, le gros Georges de La Trémoille, mais c'était la première fois qu'elle voyait son épouse. Ce n'était pourtant pas faute d'en avoir entendu parler car la dame avait eu l'existence la plus orageuse qui fût ! Ainsi, c'était là cette fameuse Catherine de l'Isle-Bouchard ? Son histoire valait un roman, en vérité !
Veuve en premières noces d'un grand seigneur bourguignon, Hughes de Châlon, elle avait attiré et pris au filet de sa voluptueuse beauté l'inquiétant Pierre de Giac, alors favori de Charles VII, un seigneur forban qui avait, à ce qu'il avoua lui-même au moment de mourir, vendu sa main droite au Diable.
Pour l'amour de la belle Catherine, Giac assassina sa première femme, Jeanne de Naillac, dans d'abominables conditions : après lui avoir fait boire, par force, du poison, il avait jeté la malheureuse, enceinte et presque à terme, sur son cheval qu'il avait lancé au galop à travers la campagne et ne s'était arrêté que lorsque sa victime eut rendu l'âme. Il l'avait enterrée sur place, puis, tranquillement, était revenu épouser sa belle. Mais La Trémoille convoitait aussi l'opulente veuve et n'eut de cesse qu'il se fût débarrassé de Giac. Convaincu de trahison, celui- ci fut arrêté en pleine nuit, par ordre de la reine Yolande, jugé, cousu dans un sac de cuir et jeté à l'Auron. Trois semaines plus tard, Catherine de Giac épousait La Trémoille.
Depuis, le couple menait la vie la plus somptueuse et la plus dissolue qui fût. Le mari, d'une insatiable ambition, avait des goûts de satrape et l'épouse un tempérament de feu. Ils constituaient à eux deux une sorte de curiosité qui n'en était pas moins redoutable pour autant.
Tout le temps que dura la visite de la dame de La Trémoille, Catherine resta sur une souriante réserve. Elle commençait à deviner qu'il pouvait être aussi difficile de naviguer à la Cour de Charles VII qu'à celle de Philippe de Bourgogne. Davantage peut-être car elle n'aurait ici ni l'amour du maître, ni l'amitié à poigne solide d'une Ermengarde de Châteauvillain. La prudence, elle le sentait instinctivement, allait s'imposer. Mais elle n'en accepta pas moins les offres de service que lui fit sa visiteuse.
— Dès demain, fit celle-ci, je vous présenterai moi-même au roi. Si, si, j'y tiens ! Je vous prêterai une robe convenable car, d'ici là, vous n'aurez pas le temps de remonter votre garde-robe.
Catherine remercia poliment et les deux visiteuses se retirèrent peu après, en conseillant à la jeune femme de prendre un repos nécessaire. Mme de Gaucourt, d'ailleurs, semblait avoir hâte de partir et Catherine ne les retint pas.
— A ta place, fit Sara qui était réapparue peu après la sortie des deux dames de la Cour, je me méfierais de cette belle rouquine ! Ses lèvres sourient et ses paroles sont de miel mais ses yeux sont froids, appréciateurs.
Sois assurée que, si cette belle dame ne tire pas de toi ce qu'elle espère en tirer, elle sera pour toi une ennemie sérieuse.
— Et que crois-tu qu'elle veuille tirer de moi ?
— Comment veux-tu que je le sache ? Nous arrivons seulement. Mais je tâcherai d'en apprendre le plus que je pourrai sur les La Trémoille.
Tout en commençant à se dévêtir pour se mettre au lit, Catherine se tourna vers sa fidèle compagne.
— Il y a quelque chose de bien plus important à apprendre pour moi, fit-elle. Arrange-toi pour savoir où loge le capitaine de Montsalvy quand il est à Loches.
Sara n'hésita même pas une seconde.
— Quand il n'est pas de service auprès du roi, il loge en ville, auprès de la porte des Cordeliers, dans une maison qui appartient à un riche tanneur et qui porte une image de saint Crépin au-dessus de la porte.
Puis, comme Catherine, les yeux arrondis de stupeur, la considérait avec un respect nouveau, elle ajouta en riant :
— C'est la première chose dont je me suis inquiétée auprès de nos valets parce que je savais aussi que ce serait la première chose que tu voudrais connaître.
Un peu de rose aux pommettes, Catherine renouait déjà, hâtivement, les lacets de sa robe. Sara s'empara avec autorité desdits lacets et les ôta.
Tu n'as rien à y faire ce soir ! Il ne rentrera que demain avec le roi. Tu ne vas pas te mettre à courir les rues, dès cette nuit, pour le seul plaisir de contempler une porte close, même ornée de la figure de saint Crépin. Va donc te coucher. Je vais te porter un souper léger et ensuite tu dormiras.
Demain, il faut être belle et fraîche.
Joignant le geste à la parole, Sara dévêtit sa maîtresse en un tournemain, l'affubla d'une longue chemise plissée et la fourra au lit sans plus de cérémonie que si elle était encore une gamine de quinze ans. Après quoi, satisfaite, elle se planta devant elle les poings sur les hanches, goguenarde.
— Va falloir perdre ces habitudes de bohémienne que tu as prises depuis quelque temps, ma belle. Nous sommes maintenant redevenue une dame, une vraie. Et il faudra aussi compter avec Madame la Reine qui ne doit pas aimer beaucoup que ses dames d'honneur courent le guilledou après la nuit tombée.
La robe que la dame de La Trémoille fit porter, dès le matin, chez Catherine était réellement très belle et la jeune femme, à toucher le magnifique tissu, ne put retenir un frisson sensuel. Il y avait bien longtemps que ses doigts n'avaient palpé un véritable , brocart milanais, encore que la couleur ne l'enthousiasmât pas tellement. C'était un somptueux assemblage d'oiseaux fantastiques, des aigles surtout, d'azur et de pourpre sur un fond d'or tissé. Catherine, pour son goût, en trouvait les nuances un peu trop vives mais l'ensemble était gai et fastueux.
— Comment me trouves-tu ? demanda-t-elle à Sara une fois vêtue. Est-ce que je n'ai pas un peu l'air d'une enseigne de teinturier ?
Sourcils froncés, bouche serrée, Sara hocha la tête.
— À toi, tout va. C'est un peu vif mais joli tout de même.
Malgré cet avis favorable, Catherine ajouta à sa toilette une gorgerette de fine mousseline plissée dont le décolleté de la robe, réellement excessif, menaçait à tout moment de libérer complètement ses seins et une voix intérieure soufflait à Catherine que la reine Yolande n'apprécierait peut-être pas un aussi spectaculaire étalage de chair. Le son lointain d'une trompe l'arracha à la contemplation de son miroir. Elle se hâta d'enfoncer sur sa tête le hennin assorti à la robe, piqua les épingles un peu au hasard et se rua vers la porte.
— J'entends le cortège ! cria-t-elle à Sara. Il faut que j'aille au château.
En effet, le son se rapprochait, annonçant le roi, Jehanne et leur nombreuse escorte. Catherine, un peu hors d'haleine, rejoignit le cercle des dames de la reine juste comme les trompettes d'avant-garde franchissaient la porte Royale. Elle alla se placer auprès de Mme de Gaucourt. Consciente de l'effet qu'elle produisait, elle nota le sourire un peu amusé de la reine, les chuchotements des autres dames et le sourire éclatant de la dame de La Trémoille, toute vêtue de satin fauve et blanc. La longue habitude qu'elle avait des cours et de leurs curiosités lui fut d'un grand secours pour faire bonne contenance. Puis, comme la brillante cavalcade mettait pied à terre sur la terrasse du logis royal, elle oublia tout. Elle vit le roi et Jehanne qui chevauchaient côte à côte mais surtout, derrière l'armure blanche de la Pucelle, une autre armure, noire celle-là, et certain casque surmonté d'un épervier qui fit battre son cœur très vite. Arnaud semblait bien intégré à la suite de Jehanne, désormais. Il la suivait de près et, à côté de lui, Catherine reconnut Xaintrailles, La Hire et Jean d'Aulon.
Le roi, bien que son regard se fût attardé pensivement sur elle, n'intéressa Catherine que très peu. Elle fut même déçue de lui trouver si petite mine.
Mince, pâle et grêle avec un visage morose aux lignes tout en longueur, un nez tombant et des yeux globuleux, sans éclat et quasi sans vie, il semblait porter sur ses épaules étroites le poids d'une éternelle inquiétude. Ses robes de velours paraissaient trop grandes pour lui et le grand chapeau de feutre aux bords retroussés qu'il portait l'écrasait quelque peu. Derrière lui venait un énorme seigneur, incroyablement cousu d'or et de pourpre, sous un fantastique chaperon plus compliqué qu'un turban et que Catherine prit pour un musulman. Avec sa barbe brune, son large visage et ses gestes onctueux, avec surtout le luxe étourdissant qu'il affichait, celui-là ressemblait à un sultan. En voyant la dame de La Trémoille se jeter dans ses bras courts, Catherine comprit que c'était là son seigneur et maître, Georges de La Trémoille. Mais il avait tellement grossi, depuis qu'elle l'avait vu à la Cour de Philippe, qu'elle ne l'aurait pas reconnu ! Il semblait d'ailleurs plus vaniteux et plus inquiétant que jamais : le digne matou soyeux de la belle chatte rousse !
Tandis que la société entrait au château pour la collation, Catherine sentit une main la tirer en arrière, se retourna et se trouva en face d'Arnaud qui la regardait sévèrement.
— D'où tenez-vous cette robe ? fit-il brutalement sans même prendre la peine de la saluer tandis que son doigt, accusateur, désignait la toilette de la jeune femme.
— J'aimerais savoir en quoi cela peut vous intéresser ! répliqua-t-elle vivement. Est-ce parce que vous servez une femme que vous vous intéressez à la toilette ?
Puis, avec un sourire moqueur, elle ajouta :
— Vous ne me ferez pas croire que l'on parle tellement chiffons dans l'entourage de Jehanne !
Arnaud haussa les épaules, rougit légèrement.
— Je n'ai que faire de vos appréciations. Répondez ! D'où vient cette robe?
Catherine avait bonne envie de l'envoyer promener. Pourtant, il y avait dans le ton agressif du capitaine quelque chose d'inhabituel qu'elle ne put définir mais qui la poussa à lui obéir.
— Madame de La Trémoille me l'a fait porter ce matin pour me permettre de figurer convenablement à l'entrée du roi. Tout ce que je possède actuellement ne dépasse guère la toilette bourgeoise...
— Qui eût cent fois mieux valu en l'occurrence ! Toute la Cour connaît cette robe que Madame de La Trémoille a portée plusieurs fois et qui est faite à ses couleurs. Vous obliger à vous en affubler, c'est vous enrôler, aux yeux de tous, parmi les clients des La Trémoille. Ma parole, c'est presque une livrée dont on vous a accoutrée ! Et je me demande ce qu'en pense la reine Yolande. Ignorez-vous que La Trémoille est son pire ennemi et qu'il n'est pas un seul parmi les vrais amis du roi qui ne souhaiterait l'étouffer dans sa graisse pour les mauvais conseils qu'il donne à notre Sire ? Il est, en outre, l'ennemi mortel du connétable de Richemont2 et j'ajoute qu'il est, bien entendu, celui de Jehanne par-dessus le marché. Vous voilà fixée.
"Catherine Il suffit d’un Amour Tome 2" отзывы
Отзывы читателей о книге "Catherine Il suffit d’un Amour Tome 2". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Catherine Il suffit d’un Amour Tome 2" друзьям в соцсетях.