— Demain, fit-il gravement, vous demanderez à Madame Yolande de vous envoyer auprès de la reine Marie, sa fille, qui ne quitte guère Bourges.
Et vous y resterez !
— Vous voulez encore vous débarrassez de moi ! protesta Catherine tout de suite révoltée.
Ces simples mots eurent le don de mettre Arnaud en rage. Il empoigna Catherine par les épaules et se mit à la secouer comme il semblait en affectionner l'habitude.
— N'essayez pas de me faire croire que vous êtes idiote ! Je veux que vous soyez à l'abri, et ici non seulement vous ne l'êtes pas, mais vous êtes en danger. Savez-vous ce que j'ai trouvé sous l'escalier de votre maison ? Des brindilles de paille qui achevaient de se consumer et trois torches que l'on avait dû jeter dedans. Il y a à Loches des gens qui vous veulent du mal et qui, ignorant que vous étiez sortie, ont tenté de vous faire griller toute vive dans votre maison. Catherine, Catherine, vous avez, n'est-ce pas, renvoyé à sa propriétaire la robe qu'elle vous avait prêtée ?
— Aussitôt !
Alors, ne cherchez pas ! Cette femme ne pardonne jamais la moindre blessure d'amour-propre. Si vous aviez accepté d'être sa créature, elle eût utilisé votre beauté, votre grâce à son profit. Vous la rejetez et, immédiatement, vous devenez une ennemie dangereuse. Vous êtes bien plus belle qu'elle, et déjà le roi vous a remarquée. Que vous preniez de l'empire sur Charles et l'influence de La Trémoille sera contrebalancée. Faites ce que je vous dis : allez vous enterrer momentanément parmi les pieuses femmes dont la reine Marie fait sa compagnie.
— C'est absurde ! protesta Catherine. Et puis, si je suis en danger... vous serez débarrassé de moi plus vite !
Elle s'attendait à une riposte acerbe, ironique, il n'en fut rien. Arnaud se contenta de hocher gravement la tête.
— Ne soyez pas idiote ! Je vais repartir. Ce soir, au conseil, Jehanne a obtenu que l'on ouvrirait la marche sur Reims en attaquant les villes de Meung, de Beaugency et de Jargeau où s'est retranché l'Anglais. Ensuite, si l'on suit son conseil, on s'enfoncera en Champagne pour ouvrir à la pointe de l'épée la route du sacre au roi Charles. Je ne pourrai pas veiller sur vous.
Allez à Bourges.
Butée, elle baissait un front obstiné, boudeur, et ne relevait pas les yeux vers lui.
— Au fond, vous n'êtes pas logique, remarqua-t-elle. 11 y a un instant vous disiez que, si vous en aviez l'occasion, vous m'enverriez sans hésiter à la potence. Laissez-moi donc à mon destin. Pour ce que la vie m'intéresse maintenant...
La petite fêlure de sa voix avait quelque chose de si tragique et de si pitoyable que, malgré lui, le capitaine s'émut. Elle s'était assise sur le montoir à chevaux et, les mains nouées autour de ses genoux, regardait d'un air absent se consumer la maison qu'on lui avait donnée. D'un geste las, elle rejeta en arrière une longue mèche blonde qui lui tombait dans la figure.
Tournant son regard vers Arnaud, elle essaya de sourire mais ne réussit qu'une petite grimace triste.
— Ne vous tourmentez plus pour moi, messire de Montsalvy. Je me rends compte que je vous obsède. Mais cela ne durera plus longtemps.
Elle n'avait pas fini de parler qu'il l'arrachait de son siège, l'enfermait étroitement entre ses bras et, d'une main, lui relevait doucement le menton.
— Je n'ai pas le droit de vous aimer, Catherine, parce que les âmes des miens me maudiraient. Mais j'ai celui de vouloir que vous soyez en paix et en sécurité. Demain reprennent les combats. Je me battrai mieux si je suis tranquille pour vous. Dites-moi que vous irez à Bourges, dites-le-moi. J'ai besoin de le savoir.
Vaincue, elle accepta, d'un battement de ses paupières, priant intérieurement pour que durât toute une vie cet instant merveilleux qui la ramenait dans ses bras. Et, comme elle relevait les yeux vers lui et que les derniers feux de l'incendie faisaient briller ses lèvres humides, le jeune homme ne résista pas à l'envie brûlante qui le dévorait. Longuement, passionnément, il l'embrassa... Puis, la lâchant aussi brusquement qu'il l'avait saisie, il s'enfuit à toutes jambes en direction de la ville basse...
Catherine, bouleversée, le sang en feu, esquissa un mouvement pour se jeter à sa poursuite mais, à cet instant précis, une exclamation satisfaite de Mme de Gaucourt lui apprit que Sara était revenue à elle. Elle s'approcha de sa vieille amie pour l'embrasser puis, comme les valets avaient confectionné une civière pour emporter la bohémienne, elle suivit docilement le petit cortège qui regagnait le château. Ses idées étaient aussi peu claires que possible. Comment concilier les paroles d'Arnaud, ce désir qu'il affichait d'être débarrassé d'elle, et le baiser qu'il venait de lui donner ? Comment ne pas croire qu'il l'aimait autant qu'elle-même le chérissait ? Comment surtout lui expliquer que jamais elle n'avait été son ennemie, qu'elle avait tenté l'impossible pour sauver Michel ? Chaque fois qu'elle avait voulu crever une bonne fois cet abcès lourd de malentendu, il avait pris la fuite ou lui avait imposé silence.
CHAPITRE XVI
Pour rendez-vous à Arnaud
Elle n'avait aucune envie de se joindre aux « pieuses femmes dont la reine Marie fait sa compagnie ». Cependant elle éprouvait une joie, un peu négative mais certaine, à obéir à Arnaud. L'armée de Jehanne avait quitté Loches la veille au soir, se dirigeant vers Jargeau dont la Pucelle entendait déloger les Anglais. Longtemps, penchée à la fenêtre de sa chambre, Catherine avait regardé s'éloigner les troupes et, surtout, cette avant-garde à laquelle appartenaient La Hire, Xaintrailles et Montsalvy ; le flamboiement des armures et des pennons multicolores s'était éteint depuis de longues minutes dans la poussière de juin qu'elle fatiguait encore ses yeux à chercher la forme d'un épervier d'argent au cimier d'un casque d'acier noir.
Bourges, qui de loin et à travers les fantaisies de son imagination lui faisait l'effet d'une sorte de ville-couvent terne et sans éclat, lui réservait une surprise : même les fastueuses cités flamandes de Philippe le Bon ne parvenaient pas à surpasser l'éclat de la capitale du duché de Bercy devenue, par la force des choses, capitale de la France libre. Le duc Jean de Berry, grand-oncle du faible Charles VII, avait été le premier et l'un des plus fastueux mécènes français. Il avait fait de sa ville une œuvre d'art difficilement égalable. Quand elle se trouva devant les portes imposantes de son immense palais, Catherine se dit que ni Bruges ni Dijon ne possédaient une demeure de cette splendeur. Au fond, le « roi de Bourges » n'était pas si à plaindre et il devait être doux de régner sur cette belle cité avec la masse touffue de ses hôtels luxueux pressés autour de la fantastique dentelle de pierre de sa cathédrale.
Évidemment, Marie d'Anjou, reine de France, ne correspondait guère à la beauté de la ville, ni même à l'idée que l'on pouvait se faire d'une fille de Yolande d'Aragon. Peu de beauté, un long visage sans grâce aux yeux doux mais dépourvus d'éclat, et peu d'intelligence, la reine de vingt-cinq ans semblait n'avoir été créée et mise au monde que pour porter des enfants.
Elle s'acquittait, d'ailleurs, de cette tâche avec conscience : quatre enfants étaient déjà nés au palais de Bourges. L'un était mort en naissant, mais un cinquième s'annonçait.
La reine Marie accueillit Catherine avec amabilité et l'oublia tout aussitôt. La jeune femme grossit seulement l'escadron des dames de parage.
Elle fut nantie d'une grande chambre au-dessus de la galerie du Cerf et commença l'existence sans éclat qui était de règle quand la reine était seule à Bourges : messe matinale, visites charitables, lectures pieuses, , soins des enfants, plus, pour se distraire, quelques affaires du duché à mettre en ordre.
— Si je dois vivre ici longtemps, confia un jour Catherine à Sara, je serai mûre pour me faire nonne ou bien je me jetterai dans le premier étang venu.
Jamais je ne me suis autant ennuyée...
Pourtant, elle pouvait désormais figurer dignement au milieu de n'importe quelle Cour. Ermengarde de Châteauvillain lui avait fait tenir, sous forte escorte, ses coffres à robes, ses bijoux et une grosse somme d'argent, plus une longue lettre dans laquelle elle lui donnait les dernières nouvelles de Bourgogne. Catherine apprit ainsi que sa mère et son oncle se portaient à merveille et que leurs terres de Marsannay prospéraient mais que le duc Philippe avait fait saisir le château de Chenôve qu'il avait jadis donné à Catherine. Ermengarde avait reçu de lui une lettre personnelle qui l'avait mise dans un grand embarras. Aux termes de sa missive, Philippe priait la comtesse de Châteauvillain de s'entremettre auprès de son amie Catherine de Brazey pour lui faire entendre raison et l'engager à regagner Bruges dans les plus courts délais.
— Le mieux serait qu'il me croie morte, fit Catherine, sincère, en repliant la lettre. Ainsi, Ermengarde n'aurait pas d'ennuis.
— Ce n'est pas mon avis, dit Sara qui s'occupait à ranger les toilettes. Tu ignores comment tournera ton destin. Tu ne sais pas si tu ne souhaiteras pas, un jour, revoir la Bourgogne. Ne coupe pas les ponts derrière toi, c'est une manœuvre dangereuse. Dame Ermengarde peut dire qu'elle est toujours sans nouvelles et ignore ce que tu es devenue. Tes parents, eux, ne savent rien et ne risquent pas de te trahir. Le silence, vois-tu, est encore la meilleure sauvegarde...
C'était l'évidence même. Catherine, non sans soupirer intérieurement, s'installa dans la vie sans éclat qui devenait sienne, supportant comme elle pouvait les interminables séances de broderies auprès de la reine Marie.
Celle-ci était capable de pencher, durant des heures, son long nez et son ingrat visage sur des tapisseries ou des broderies et, dans cet art, elle était passée maîtresse. Catherine se résignait, tirait l'aiguille tandis que son esprit s'en allait vagabonder à la suite de l'armée de Jehanne. Par les fréquents messagers qu'envoyait le roi, elle apprit les victoires de Jargeau, Meung, Beaugency, Patay où la Pucelle abattit deux mille Anglais en laissant seulement trois Français sur le terrain. Puis le départ vers Reims à travers le dangereux pays de Champagne. On s'en allait vers le sacre et Catherine, naïvement, avait espéré que la reine rejoindrait son époux, comme son rang lui en faisait le devoir. Hélas, Madame Marie se contenta d'aller saluer son seigneur à Gien, laissant à Bourges la plus grande partie de sa suite dont Catherine, affreusement déçue.
— L'enfant que je porte me rend trop dolente pour pareil voyage, confia-t-elle au cercle laborieux de ses dames. Nous nous contenterons de prier pour les armes de mon seigneur et pour son sacre.
— Pour une fois que nous avions une chance de voir un sacre, soupira la jeune Marguerite de Culant qui brodait, de concert avec Catherine, une bannière pour le roi Charles. Et pour une fois que nous aurions pu danser !
C'était une jeune fille brune et vive, très gaie et c'était la seule des dames de la reine pour qui Catherine eût quelque sympathie. Elle et la jeune fille avaient fini par s'installer ensemble et tuaient le temps comme elles pouvaient en bavardant et en commentant les échos qui leur parvenaient des armées.
— Bah ! fit Catherine. Le roi reviendra pour la saison d'hiver et tout son entourage avec lui. Nous aurons, je pense, des fêtes, des danses...
Marguerite la regarda avec une sincère stupeur, son mince visage tout arrondi entre ses deux nattes roulées sur les oreilles.
Seigneur, ma chère ! Qui vous a fait croire cela. Bien sûr le roi va revenir, mais il ne restera guère à Bourges. C'est à Mehun qu'il tient sa Cour alors que la reine préfère Bourges où ses enfants ont leurs commodités. Nous resterons ici, nous aussi et ne verrons rien des fêtes de Mehun !
Catherine commençait à trouver qu'Arnaud, en l'envoyant auprès de la reine Marie, lui avait joué un vilain tour. Sans doute voulait-il avoir ses coudées franches et la jeune femme soupçonnait maintenant que tant de sollicitude pour sa personne ne cachait, au fond, que son perpétuel désir d'être débarrassé d'elle. Tandis que ses doigts habiles tissaient les fils d'or sur la soie bleue de l'étendard, traçant les sept lis de l'écusson royal, elle laissait vagabonder son imagination et accumulait les pensées amères. Après tout, qui prouvait qu'Arnaud ne lui avait pas menti en jurant que la belle La Trémoille n'était rien pour lui ? Lorsque Catherine l'avait rencontrée, sortant de la maison de saint Crépin, la dame n'avait rien de quelqu'un qui vient de se faire éconduire. Et le souci d'Arnaud de mettre Catherine à l'abri ne venait-il pas plutôt du désir d'éloigner une rivale dangereuse qui déplaisait tant à cette femme ?
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