— Tout, dans ce procès, est illégal, faux, pourri, disait frère Isambert de sa belle voix grave. Cauchon a promis de la tuer mais il désire surtout jeter le discrédit sur le roi de France. Et, pour en arriver là, il ne reculera devant rien !
On sut, par lui, que Jehanne avait été conduite dans la salle de tortures du donjon mais qu'elle était demeurée ferme et droite devant les fouets armés de plomb dont on la menaçait, que rien ne parvenait à abattre son extraordinaire courage. Mais, plus les jours passaient et plus elle était difficile à atteindre.
Jean Son, accompagné d'Arnaud qui, pour être mieux déguisé, avait laissé pousser sa barbe, s'était rendu à la tour de Bouvreuil sous prétexte d'examiner la maçonnerie et de s'assurer qu'aucune galerie n'avait été creusée pour faire évader la prisonnière. Tous deux étaient revenus désespérés.
— Nul ne peut lui parler. Elle est gardée à vue, plus que sévèrement. Et le château regorge de soldats. Nous avons été fouillés au moins dix fois à l'aller et au retour. Il faudrait une armée solide pour attaquer pareille forteresse, dit Arnaud en se laissant tomber sur un escabeau. Nous n'y arriverons jamais... Jamais !
Un moment, les conjurés avaient songé à tenter d'acheter certains juges au moyen des bijoux de Catherine. Mais frère Isambert les en avait dissuadés.
— Ce serait inutile. Il me répugne de porter pareil jugement sur des hommes d'Église mais ils accepteraient la fortune offerte... et vous livreraient aussitôt. Aucun d'eux n'hésiterait, même un instant, à manger à plusieurs râteliers. Ceux qui étaient de bonne foi, comme l'évêque d'Avranches, se sont récusés depuis longtemps.
— Que faire, alors ? demanda Catherine.
Maître Jean Son haussa ses grasses épaules et avala d'un trait un plein pot de vin pour se donner du courage.
— Attendre le jour de la condamnation... puisqu'elle doit immanquablement venir et tenter quelque chose à ce moment-là. C'est notre seule chance... la seule chance de Jehanne, que Dieu ait pitié d'elle, dit-il.
Quand ils quittaient le profond caveau voûté, ancien cellier roman, qui servait de cave à Jean Son et se retrouvaient dans leur soupente, Arnaud et Catherine ne trouvaient plus rien à se dire. Entre eux se dressait l'ombre tragique et pitoyable de la prisonnière. Elle les unissait dans le même effort, la même volonté de l'arracher à un sort injuste mais, en même temps, elle les séparait de toute la hauteur de son martyre. Comment s'abandonner à l'amour quand on savait tout ce que, si près, endurait la jeune fille?
Mais, un soir, comme on allait se mettre à table pour le souper, quelqu'un frappa au volet de la rue. Margot alla ouvrir. Un homme de haute taille, tout vêtu de noir, entra.
— Le bonsoir à tous ! fit-il, et pardon si je dérange. Il faut que je voie maître Son.
L'homme portait un capuchon qui cachait une partie de son visage mais Catherine vit clairement qu'à son aspect Nicole avait pâli et frissonné. Elle se pencha vers sa pseudo-cousine, demanda tout bas :
— Qui est-ce ?
— Geoffroy Terrage... le bourreau ! fit l'autre d'une voix blanche. Sans même prendre la peine de dissimuler son expression de dégoût, Jean Son s'était levé de table et avait interposé sa massive personne entre les femmes frissonnantes et la silhouette noire de l'exécuteur.
— Que veux-tu ? demanda-t-il rudement.
— J'ai besoin de vous, maître Son, et dès demain. J'ai reçu ordre de faire dresser pour après-demain, jeudi 24 mai, une haute maçonnerie de plâtre dans le cimetière Saint-Ouen.
— Pourquoi faire cette maçonnerie ?
Terrage détourna les yeux, pris d'une gêne subite devant tous ces regards fixés sur lui et dont aucun ne songeait à dissimuler son angoisse.
— Un bûcher ! fit-il courtement.
Puis, comme nul ne soufflait mot dans les assistants glacés d'horreur, il ajouta :
— Un bûcher assez haut pour que, de partout, on puisse voir la condamnée... trop haut pour qu'une fois allumé, je puisse l'atteindre par-derrière et l'étrangler discrètement.
Malgré le sentiment du danger couru, Catherine ne put se taire.
— Jehanne n'est pas condamnée, que je sache !
Le bourreau haussa les épaules, indifférent.
— Que voulez-vous que je vous dise ? On m'a donné des ordres, je les exécute. Je peux compter sur vous, maître Son ?
— Ça sera fait ! répondit le maître maçon sans parvenir à dissimuler tout à fait le tremblement de sa voix. Bonsoir !
— Bonsoir !
Quand il fut sorti, tous restèrent figés sur place, même Margot qui, sa marmite dans les mains, regardait d'un air stupide la porte par laquelle le bourreau était sorti. Au bout d'un instant seulement, elle vint poser sa charge sur la table, se signa vivement.
— Pauvre fille ! fit-elle. Le bûcher... c't'une mort affreuse !
Tard dans la soirée, longtemps après que se fut terminé le plus silencieux de leurs soupers communs, les habitants de la maison de la rue aux Ours retrouvèrent dans le cellier frère Isambert et frère Étienne, revenu le soir même d'une mission à Louviers. Le dominicain et le cordelier étaient d'une gravité de mauvais augure. Leurs visages creusés de rides montraient une profonde tristesse.
Non, elle n'est pas condamnée, expliqua frère Isambert à la question d'Arnaud, mais peu s'en faut. Jeudi, elle doit être conduite au cimetière de l'abbaye Saint-Ouen pour y être publiquement admonestée et pressée d'abjurer ses fautes, de se soumettre à l'Église... telle qu'elle est si misérablement représentée ici, c'est-à-dire à maître Cauchon. Si elle refuse, on la jette au feu ; si elle accepte...
— Si elle accepte ? répéta Nicole.
Le moine haussa ses maigres épaules sous le froc blanc et le manteau noir qui le vêtaient. Son visage émacié se tendit :
— On devrait, normalement, la remettre à un couvent pour y être gardée et y subir la pénitence qu'il plaira au tribunal de lui infliger. Mais je sens qu'il y a là un piège, que Cauchon prépare quelque chose. Il a trop souvent promis à Warwick que Jehanne mourrait.
Tandis que chacun pesait, au fond de son esprit, les paroles du moine, maître Son avait tiré de sa poche un rouleau de parchemin qu'il étalait sur un tonneau. Pour l'empêcher de se rouler à nouveau, il posa dessus un chandelier de fer puis lissa de la main la peau craquante et brunie par le temps. Alors que tous les autres affichaient une mine sombre, lui- même avait l'air curieusement satisfait. Sa femme le remarqua.
— On dirait que ce que vient de dire frère Isambert te fait plaisir ?
— Beaucoup plus que tu ne crois car j'entrevois une possibilité sérieuse de sauver Jehanne. Ceci, ajouta-t-il en désignant son parchemin, est un plan très ancien de l'abbaye Saint-Ouen, dont, entre parenthèses, j'ai aussi l'entretien. Et ce plan est, selon moi, d'un intérêt capital. Venez plutôt voir...
Ils se massèrent autour de lui, penchant au-dessus de ses épaules leurs visages avides. Longtemps, Jean Son parla, à voix contenue.
CHAPITRE XIX
Le feu et la eau
Afin d'être sûre de pouvoir se placer où Jean Son et Arnaud le lui avaient prescrit, Catherine avait gagné, tôt dans la matinée, le cimetière de l'abbaye Saint-Ouen. Elle devait se tenir sur les marches d'un calvaire à demi écroulé, face aux tribunes préparées pour les juges et au petit échafaud sur lequel Jehanne allait prendre place. Non loin de là, entre les tribunes et le portail sud de l'église Saint-Ouen, se dressait sinistrement le bûcher édifié la veille par le maître maçon, croulant sous les piles de fagots. Nicole, peu après, s'installa avec une bande de commères endimanchées sous l'une des galeries de bois qui entouraient l'enclos des morts et dans les toitures desquelles s'entassaient les vieux ossements des corps déjà relevés. On appelait cela un charnier. Le cimetière s'emplissait rapidement, la douceur du temps et la curiosité ayant fait sortir presque tous les Rouennais de chez eux. La plupart devaient voir Jehanne pour la première fois en cette occasion.
Bientôt, Catherine reconnut Arnaud. Vêtu de son costume noir, étriqué et râpé, le dos rond, la tête cachée par un vaste chaperon vert sombre, il s'installa aussi près que possible de l'échafaud préparé pour Jehanne, juste derrière les cordons d'archers anglais. Ceux-ci formaient, avec leurs piques tenues en travers, une barrière solide, mais tout de même possible à renverser pour un homme aussi vigoureux que le capitaine. Les autres conjurés devaient être à leur place : Jean Son dans le beffroi de la ville et frère Étienne à l'intérieur de l'église Saint-Ouen.
Le plan conçu par le maçon était d'une grande simplicité. Dans les vieux plans de l'église, il avait découvert, plusieurs années auparavant, l'existence d'un souterrain joignant la campagne qui aboutissait sous une dalle de la vieille crypte romane. Sans trop savoir pourquoi, il n'en avait jamais soufflé mot à personne et s'en félicitait maintenant. Il savait exactement sous quelle dalle ouvrait l'antique escalier et, tandis que ses ouvriers élevaient le soubassement de plâtre commandé par le tribunal, il avait, sous couleur d'examiner les piliers de la crypte, descellé la dalle et indiqué à frère Étienne le moyen de la lever sans peine. Le costume de cordelier du moine lui permettait d'entrer de jour comme de nuit dans n'importe quelle église sans que personne s'en étonnât. Pour le moment, il devait être en prières dans la crypte, attendant qu'Arnaud lui amenât la fugitive.
Les consignes distribuées portaient que l'on ne devait pas bouger avant la sentence. À ce moment, deux éventualités pouvaient se présenter : ou bien Jehanne s'en remettait au jugement de l'Église et serait confiée à des nonnes, ou bien elle refusait et serait donnée au bourreau. Dans l'un et l'autre cas, Catherine devait à ce moment précis entrer en convulsions, jouant la femme hystérique, et Nicole, sous couleur de lui porter secours, devait accroître la confusion dans le cimetière. D'autre part, Jean Son, posté dans le beffroi de la ville d'où il pouvait voir et surtout entendre les hurlements stridents que les deux femmes avaient mission de pousser, mettrait en branle, au même moment, les deux cloches d'alarme, Rouvel et Cache-Ribaud dont la voix formidable avait toujours, au cours des siècles, appelé les gens de Rouen à la défense ou à la révolte. Ce tocsin inattendu achèverait de créer un tumulte et une agitation suffisants pour permettre à Arnaud, avec l'aide de frère Isambert qui n'était jamais loin de Jehanne, d'arracher la prisonnière à ses gardes et de la jeter dans l'église. Avec un homme comme Cauchon, le droit d'asile ne jouerait sans doute guère mais il suffirait de gagner deux ou trois minutes sur les poursuivants pour que la dalle se fût refermée sur Jehanne.
Avant que les Anglais aient trouvé le point de la fuite, la Pucelle et ses sauveteurs seraient dans la campagne et rejoindraient, après la chute du jour, La Hire qui s'avancerait avec un détachement aussi près que possible de la ville. Revenue de son malaise apparent, il serait facile à Catherine de rejoindre peu après les fugitifs...
Le public emplissait maintenant le cimetière, et le calvaire auquel s'appuyait Catherine était battu par une mer humaine qu'heureusement elle dominait sans peine. Là-bas, près des tribunes, une vague d'acier hérissée de piques signala un détachement de soldats, puis la tribune des juges s'emplit de robes noires et blanches sur lesquelles tranchait le violet pourpre de l'évêque. De loin, il parut énorme à Catherine, ses grasses épaules réchauffées, malgré la douceur du temps, d'un camail d'hermine sur lequel tranchait grotesquement l'écarlate de son visage. Haut dans le ciel, traversé du vol noir et blanc des hirondelles, le tintement du glas tomba lourdement de la tour ciselée de l'église. Catherine, le cœur étreint d'une soudaine angoisse, vit arriver le bourreau et ses aides puis, encadrée de soldats, une mince silhouette vêtue de noir.
Quand Jehanne apparut sur l'échafaud qui lui était réservé, un long murmure traversa la foule, murmure où entrait beaucoup de pitié.
—Qu'elle est jeunette et maigre ! chuchotait une femme.
— Pauvrette, reprenait un vieillard à barbe blanche, ils ont dû lui en faire voir dans sa prison, ces maudits Godons que Dieu damne !
— Chut !... faisait à son tour une jeune fille. Si l'on vous entendait...
Bientôt, d'ailleurs, tout le monde se tut. Un homme en robe noire s'était placé debout auprès de Jehanne agenouillée, un parchemin ceinturé de rouge entre les doigts. Quelqu'un, derrière Catherine, chuchota avec un respect craintif.
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