— Ma cousine, répondit-il, vous êtes d’âge à savoir ce que vous voulez. Pourtant, je vous prierais de ne point prendre de décision hâtive que vous pourriez être amenée à regretter. Qui donc avez-vous choisi ?
— Sire, c’est Monsieur de Lauzun. Je l’aime et ne veux aucun autre époux que lui.
Louis XIV garda le silence un instant. Il aimait Lauzun, appréciant aussi bien son esprit que sa folle bravoure, mais il avait peine à croire qu’il se fût mis à brûler d’une folle passion pour Mademoiselle.
— C’est un homme de cœur, articula-t-il enfin sans trop se compromettre. Mais, encore une fois, il vous faut faire réflexion.
— Sire, il y a un an que je ne fais que cela ! Par grâce, accordez-moi le bonheur que je vous demande. Comme vous le dites vous-même, je ne suis plus tellement jeune et je n’ai plus de temps à perdre.
Le Roi alors s’inclina.
— Qu’il soit fait selon votre désir, ma cousine. J’espère que vous serez heureuse.
Heureuse ? Mais elle l’était déjà. Elle était même si folle de joie qu’elle crut pouvoir négliger le bon conseil que des amis avertis lui donnaient : « Mariez-vous cette nuit même, sans tambour ni trompette… »
Hélas ! Elle voulait non seulement le bonheur mais, pour celui qu’elle aimait, la plus éclatante consécration. Quelques jours plus tard seulement la nouvelle était annoncée à la Cour en même temps que la fiancée publiait la liste des fabuleuses donations qu’elle entendait faire à son bien-aimé : duché de Montpensier, comté d’Eu, principauté de Dombes… tout y passait, ou presque.
Éperdu de joie et d’orgueil, Lauzun crut toucher au Paradis sur terre. Dès qu’il serait marié, ses anciens compagnons devraient lui donner du Monseigneur, et cette seule idée le plongeait dans un nirvana de vanité satisfaite. Sans compter la prochaine possibilité de puiser tout à son aise dans les coffres si bien garnis de sa future épouse. Déjà, les deux fiancés préparaient les magnifiques équipages qui allaient être ceux du nouveau duc de Montpensier.
Malheureusement pour la pauvre princesse, l’idée de donner prochainement du « Monseigneur » à Lauzun en chagrinait plus d’un à commencer par les princes du sang qui jugeaient parfaitement odieux de se voir traités d’égal à égal par « le petit Lauzun ». Il n’était jusqu’à la Reine, si douce et si effacée mais dont l’orgueil espagnol se réveilla en face de ce qu’elle jugeait un intolérable scandale.
Enfin, il y avait Madame de Montespan. Les relations de la toute-puissante favorite avec Lauzun n’ont jamais été réellement tirées au clair. Ils étaient en principe amis, et peut-être avaient-ils été amants, toujours est-il que leurs relations furent une suite de brouilles parfois violentes et de raccommodements plus discrets. À la fière Athénaïs, issue d’une des plus nobles familles du royaume – sa devise n’était-elle pas : « Avant que la mer fût au monde Mortemart portait les ondes » ? –, la pensée d’appeler l’insupportable Lauzun Monseigneur et de lui faire la révérence était proprement intolérable. En outre, étant depuis fort longtemps amie de Mademoiselle et connaissant Lauzun par cœur, elle n’avait aucune illusion sur le genre de bonheur que la trop sensible vieille fille allait trouver avec un tel mauvais sujet. Enfin, pourvue d’enfants naturels, son raisonnement était le même que celui de Monsieur, frère du Roi, et jusqu’alors héritier tout désigné de sa cousine : il était positivement écœurant de voir le fabuleux héritage s’en aller dans l’escarcelle d’un Lauzun qui n’aurait même pas l’excuse de le transmettre à l’enfant qu’il aurait pu avoir de Mademoiselle car personne n’imaginait qu’elle pût encore procréer à son âge.
Tout cela fit que le Roi subit de toutes parts un assaut en règle : tout le monde criait haro sur l’élévation vertigineuse de ce « parvenu ».
Le résultat de ce harcèlement fut désastreux pour la pauvre amoureuse : quelques heures avant de marcher à l’autel, alors même que Lauzun, déjà décoré du titre de duc de Montpensier, avait reçu les félicitations – ô combien hypocrites ! – de la Cour, on vint avertir Mademoiselle que le Roi l’attendait dans sa garde-robe.
Elle s’y rendit, le cœur soudain inquiet. Le Roi, qu’elle y trouva, était à la fois triste et ému car il savait qu’il allait peiner et cela le mettait mal à l’aise, encore qu’il ne fût pas des plus sensibles.
— Ma cousine, dit-il, je suis au désespoir de ce que j’ai à vous dire. On m’a rapporté que l’on dirait dans le monde entier que je vous sacrifie pour faire la fortune de Monsieur de Lauzun, que cela peut me nuire auprès des pays étrangers, et que je ne dois point souffrir que cette affaire s’achève. Vous aurez raison de vous plaindre de moi… Battez-moi si vous le voulez ! Il n’est d’emportement que vous ne puissiez avoir et que je ne souffre, et que je ne mérite.
Avec un cri, Mademoiselle se jeta à genoux.
— Ah, Sire, que me dites-vous ? Quelle cruauté !
Pour la consoler, le Roi se jeta à genoux lui aussi, et pendant un moment les deux cousins se tinrent étroitement embrassés, pleurant ensemble.
— Hélas, murmura la pauvre princesse. Qui ne se serait fié à la parole de Votre Majesté ? Vous n’y avez jamais manqué, et vous commencez par moi et Monsieur de Lauzun. Je n’avais jamais aimé de ma vie. J’aimais et aime passionnément le plus honnête homme de votre royaume. Je faisais mon plaisir et la joie de ma vie de son élévation. Vous me l’aviez donné, vous me l’ôtez… C’est m’arracher le cœur !
Il se faisait tard et la scène commençait à ennuyer Louis XIV, qui s’arracha des bras de Mademoiselle.
— Je n’y peux rien. Il faut vous résigner, et je n’en dirai pas davantage.
C’était fini. Mademoiselle fit la révérence et s’en fut, toute secouée de sanglots, cacher son chagrin au palais du Luxembourg où, une fois encore, elle se mit au lit.
Lauzun, pour sa part, sembla prendre la chose avec plus de philosophie mais, sachant bien d’où venait le coup et n’osant s’en prendre à la famille royale, il se répandit à travers la ville et la Cour, couvrant la seule Madame de Montespan d’injures et de plaisanteries de corps de garde.
Il dépassa les bornes. Louis XIV ayant appris qu’il traitait son amie de « bougresse de fille publique », il fit arrêter Lauzun que l’on embarqua sans autre forme de procès jusqu’en Piémont, à la forteresse de Pignerol où se trouvait déjà depuis longtemps le surintendant Fouquet.
Pour Mademoiselle, ce fut le dernier coup. Il n’y eut plus pour elle de soleil, ni dans Paris, ni dans aucune de ses vastes terres.
Lauzun allait demeurer prisonnier dix ans, dix ans au cours desquels il tenta de s’évader, noua amitié par le conduit d’une cheminée avec Fouquet et se brouilla finalement avec lui pour avoir séduit sa fille lorsqu’elle avait enfin eu la permission de rendre visite à son père. Il y serait peut-être demeuré plus longtemps encore si Madame de Montespan n’avait eu une idée : celle de faire adopter par Mademoiselle l’aîné des enfants qu’elle avait donnés au Roi : le jeune duc du Maine.
Ce n’était pas qu’elle eût pour cet enfant une prédilection particulière, mais le Roi, lui, l’aimait beaucoup et, en outre, il était l’enfant chéri de la nouvelle Madame de Maintenon, sa gouvernante, qui s’entendait un peu trop bien avec Louis XIV. La marquise pensait ainsi faire coup double : non seulement elle assurait une fortune quasi royale à l’enfant né de sa chair, mais elle faisait au Roi un sensible plaisir. Ce Roi qui déjà se détachait d’elle.
Mademoiselle ne se laissa pas convaincre sans combat, mais elle avait trop envie de retrouver son cher Lauzun et elle finit par céder en faisant donation d’une partie de ses biens à l’enfant (s’en réservant naturellement la jouissance jusqu’à sa mort).
Lauzun revint donc. Hélas, du sémillant seigneur de jadis il ne restait qu’un homme déjà âgé, aigri par la captivité et dont l’humeur, souvent cruelle, s’était changée en franche méchanceté. Il était en outre plus coureur que jamais.
Toujours amoureuse, Mademoiselle ne vit ni ses cheveux gris ni ses dents absentes. Elle l’épousa sur-le-champ dans le plus grand secret. Ce fut pour le regretter presque aussitôt car elle s’aperçut, un peu tard, qu’elle s’était liée au plus affreux mufle que la terre ait jamais porté.
Lasse de ces avanies répétées, elle choisit de s’éloigner et de s’installer dans ses châteaux d’Eu ou de Saint-Fargeau, tandis que Lauzun demeurait à Paris. Elle finit d’ailleurs par le chasser carrément parce que, lors d’une de leurs rares rencontres, il avait osé la traiter comme une servante.
— Sortez, Monsieur, et ne reparaissez jamais devant moi. Vous n’êtes qu’un coquin !
On était loin du grand amour de jadis… Le cœur de la pauvre princesse ne s’en remit pas. Dix mois après cette expulsion, elle mourut, en mars 1693, tout entière tournée vers Dieu, dans son palais du Luxembourg.
Lauzun, que le Roi avait fini par faire duc, montra un deuil si ostentatoire que Louis XIV, indigné, faillit bien le renvoyer à Pignerol. Il n’en fit rien finalement, et l’incorrigible séducteur se remaria peu après, épousant une jeune fille de quinze ans qui pensait être veuve rapidement mais dont il empoisonna encore l’existence pendant vingt longues années.
Le grand amour de Ninon de Lenclos
Jamais le marquis de Villarceaux n’avait passé une aussi mauvaise soirée ! Il était maintenant près de minuit et la maudite fenêtre qu’il contemplait depuis tantôt trois heures était toujours aussi brillamment éclairée ! C’était à devenir fou !
Cette fenêtre, sise au bel étage d’un hôtel de la rue des Tournelles, était celle de l’ensorcelante Ninon de Lenclos, dont Villarceaux était amoureux à s’en rendre malade. Elle était à la fois son étoile et le feu cruel qui lui dévorait le cœur.
Il y avait six bons mois que, chez le poète Scarron, il avait rencontré celle que l’on surnommait la reine de Paris et, depuis, il en avait oublié tous ses autres succès féminins. Ceux-ci, cependant, n’étaient pas minces car, aux environs de trente-cinq ans, Louis de Mornay, marquis de Villarceaux et capitaine de la meute de soixante-dix chiens courants de Sa Majesté le roi Louis XIV, n’avait pas rencontré beaucoup de cruelles. Grand, vigoureux, il avait un visage aux traits réguliers, des yeux tendres qui atténuaient l’air assez martial de sa figure. Élégant et riche, il aimait les femmes à la folie mais, le jour où il avait été admis à baiser la jolie main de Ninon, il avait oublié d’un coup qu’il en existait d’autres qu’elle au monde.
Dès le lendemain, il s’était rué au logis de la belle, rue des Tournelles, et avait commencé une cour en règle qui, à sa grande surprise, n’avait rien donné du tout. Ninon lui souriait, l’accueillait avec cette grâce qui n’était qu’à elle, mais répondait par un sourire doucement ironique à ses aveux les plus enflammés.
Pourtant, Ninon de Lenclos était loin d’être farouche. Elle était même très certainement, et de loin, la femme de France qui avait eu le plus d’amants. En cette année 1652, où elle atteignait son trente-deuxième printemps, elle n’était certainement plus capable de les compter car trois mois étaient le maximum de sa fidélité… et elle avait commencé ce joli jeu à dix-sept ans.
Fille d’un gentilhomme joyeux vivant et artiste, Anne de Lenclos, dite Ninon, s’était juré dès son plus jeune âge de ne vivre que pour son seul plaisir. Elle avait trop vu, autour d’elle, la condition peu enviable des femmes mariées, à peu près réduites en esclavage par leur époux, pour souhaiter pareil sort. Sa propre mère, pieuse et sèche personne qui cherchait dans la religion toutes les joies de son existence, n’était pas un modèle des plus réjouissants à suivre. Aussi, quand la mort de ses parents l’avait mise en possession d’une assez jolie fortune qui lui permettait de vivre sans soucis d’argent et dans une entière liberté, s’était-elle bien gardée d’aliéner cette indépendance toute neuve. Le souvenir de sa mère, la dévote, avait tout juste servi à lui inspirer cette étrange prière qu’elle se plaisait à adresser au Seigneur :
— Mon Dieu, faites de moi un honnête homme mais n’en faites jamais une honnête femme !
Et elle s’appliquait à remplir fort exactement ce programme. Cela lui était facile car elle était ravissante. Elle avait le teint blanc et uni, le visage du plus bel ovale éclairé par des yeux de velours, une peau délicate comme un pétale de fleur et, par-dessus tout cela, un corps admirable et les plus belles jambes du monde. Elle n’avait d’ailleurs pas que des avantages physiques et, réellement, sur cette charmante femme, la nature s’était plu à multiplier ses bienfaits. Très cultivée, elle jouait agréablement de divers instruments, chantait avec une jolie voix douce et possédait l’esprit le plus vif, le plus gai et le plus pénétrant qui soit.
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