Il la pria de venir lui faire visite et la reçut un soir dans le secret de son cabinet.
— J’ai là, dit-il en manière de préambule en tapant sur une pile de papiers posés sur un coin de sa table, j’ai là une lettre de Sa Majesté le Roi. Il s’inquiète, ma chère enfant, du peu de progrès que le roi Charles fait dans votre intimité. Je dirais même qu’il est assez mécontent. Et moi je vous crie : « Casse-cou ! » Ne croyez-vous pas, ma chère Louise, qu’il serait temps de vous montrer raisonnable ?
— Qu’appelez-vous raisonnable, Excellence ? Dois-je vraiment céder au Roi, comme toutes ces femmes dont il est accablé et qui déshonorent la Cour ?
— Ne confondez pas caprice et amour. Le roi Charles vous aime et vous le savez bien. Jamais je ne lui ai vu autant de patience ! Songez qu’il lui suffirait d’ordonner et qu’en ce cas il faudrait bien vous soumettre, sous peine d’être obligée de quitter l’Angleterre. Or il se contente de prier quand il pourrait exiger. Comment pouvez-vous encore, dans de telles conditions, douter de son amour ?
— Comment puis-je y croire, au contraire, quand il continue d’afficher cette Nell Gwynn, cette Moll Davis, cette Barbara Palmer et je ne sais quelles autres ?
— Il voit fort peu la duchesse – dont il a des enfants d’ailleurs –, et plus du tout Moll Davis. Quant à Nell Gwynn, vous savez bien qu’elle l’amuse par son ton faubourien. Et puis, il faut bien le dire, elle le tient aussi par les sens, et les sens du Roi sont fort exigeants. Cela peut durer encore… à moins qu’une autre ne le déprenne de sa comédienne.
— Voilà qui est clair, fit Louise, boudeuse. Si je ne cède pas, le Roi continuera de soupirer après moi dans les bras de Mrs Gwynn ?
Colbert de Croissy hocha la tête.
— Je ne suis pas certain qu’il continuera de soupirer, ma chère. Il peut aussi se lasser car il n’est habituellement guère plus patient que son grand-père le feu roi Henri IV. Je crains, moi, que, découragé par nos incessants refus, il ne finisse par abandonner que vous ne vous en apercevrez même pas. Vous n’aurez qu’à fermer les yeux et vous laisser conduire…
— Si facilement que cela ?
— Ne suis-je pas diplomate ? Allons, ma chère enfant, faites-moi confiance. Il y a beau temps qu’un plan a été élaboré par vos amis, par tous ceux qui souhaitent ardemment voir votre influence sur le roi Charles balayer… toutes les autres qui vous déplaisent tant !
Un mariage champêtre
En octobre, la Cour avait coutume de se rendre à Newmarket pour la saison des courses, dont tout bon Anglais se montrait friand, et le Roi plus encore que tout autre. Il adorait les chevaux et n’eût manqué pour rien au monde les courses d’automne.
Or, les Arlington possédaient à Euston, non loin de Newmarket, un château qui passait à juste titre pour l’une des demeures les plus agréables d’Angleterre. Le Roi, naturellement, aimait fort à s’y rendre car les fêtes d’Euston étaient célèbres. Louise, pour sa part, y avait déjà séjourné et s’y était beaucoup amusée.
Il fut décidé entre lady Arlington et Colbert de Croissy que la jeune fille ferait une nouvelle fois partie des invités d’Euston pour la saison des courses. L’ambassadeur lui servirait de mentor pour la circonstance, espérant surtout pouvoir écrire à son maître que les choses s’étaient passées suivant son désir.
Louise ne fut pas dupe. En recevant l’invitation, elle devina sans peine que c’était là l’occasion annoncée par l’astucieux diplomate et qu’il lui fallait se préparer à capituler. Elle s’y résigna sans trop de peine car, outre qu’elle était fatiguée de lutter contre le Roi aussi bien que contre elle-même, elle avait beaucoup de mal à se dissimuler encore l’ardent désir qu’elle avait à présent d’être vaincue dans cette tendre guerre, cette envie de « se laisser glisser », selon la lénifiante expression de Saint-Évremond. Et ce fut le cœur battant à la fois de crainte et d’espoir qu’elle partit pour le château d’Euston.
C’était bien une superbe demeure. Bâti tout en briques roses et en marbre blanc, le château dressait son élégante silhouette au milieu d’un grand parc peuplé de statues mais où biches et chevreuils couraient en liberté car la chasse en était sévèrement interdite. Une fraîche rivière serpentait à travers les plus beaux gazons du monde, de vrais modèles du genre : aussi doux et denses que du velours vert.
L’atmosphère s’y accordait volontiers à la nature. Ainsi, quand les musiciens ne jouaient pas dans les salons, ils se perchaient dans les arbres et dans les bosquets d’où ils devaient, invisibles et mélodieux, charmer les promenades, solitaires ou non, des nombreux invités. La vie au château était naturellement fastueuse et la présence du Roi, qui venait presque quotidiennement de Newmarket, ajoutait encore au charme du séjour.
Dès que la présence de Mademoiselle de Keroualle lui eut été signalée, le Roi fut présent très régulièrement, passant auprès d’elle la plus grande partie de ses journées et faisant montre d’une douceur et d’une patience tout à fait inhabituelles. Il savait bien, sans doute, que désormais sa patience ne serait plus longtemps mise à l’épreuve et, en bon chasseur, il ne voulait pas effaroucher son gibier.
De son côté, Louise, sachant que ce qui allait arriver était inéluctable, avait choisi de se laisser doucement vivre et emporter tout aussi doucement par ces heures de plaisir et de joie vécues dans un cadre de rêve. Et puis, Charles semblait si sincèrement amoureux, la suppliant inlassablement comme s’il doutait encore de sa victoire prochaine.
— Louise, Louise, disait-il non sans un brin d’hypocrisie, ce long siège ne finira-t-il jamais ? Croirez-vous enfin, un jour, que je vous aime sincèrement ? Ne savez-vous pas que si j’étais libre, vous seriez reine dès demain ?
Dieu, que c’était agréable à entendre ! Louise fermait les yeux, éblouie. Reine ! Se pouvait-il qu’il l’aimât à ce point ? Petit à petit, elle en venait à se demander si sa victoire n’était pas plus complète qu’elle n’osait l’espérer. Il arrivait que Charles eût des larmes dans les yeux.
— Vous savez bien que je vous aime aussi, mon cher seigneur, lui dit-elle un soir, seulement, j’ai tellement honte !
— Honte d’être à moi ? Oh, Louise !
Il allait de nouveau lui expliquer son amour quand lady Arlington arriva de l’orangerie où elle se promenait depuis un moment en compagnie du duc de Buckingham tout en surveillant discrètement le couple. La jeune femme semblait fort gaie et ses vifs yeux noirs brillaient d’excitation.
— Ah, Sire ! s’écria-t-elle, nous vous cherchions, milord Buckingham et moi. Le duc vient d’avoir une idée charmante que nous souhaitions soumettre sans tarder à Votre Majesté.
— Une idée ? Laquelle donc ?
— Nous voulons organiser une fête champêtre, une vraie fête champêtre, et comme les plus amusantes sont les noces, nous pensions reconstituer une noce villageoise. Nous nous déguiserons tous, nous commanderons un souper monstre, on dansera sur l’herbe et sous l’arbre de mai et l’on fera mille folies. Qu’en dit le Roi ?
— Mais que c’est une charmante idée en effet. Et qui voyez-vous dans le rôle des mariés ?
— Il nous semble que ce joli rôle revient de droit à Votre Majesté. Quant à la mariée…
Le regard rieur vint se poser tout naturellement sur Louise, qui devint soudain très rouge.
— Il faut une jeune fille. Pourquoi pas notre Louise ? Qu’en pensez-vous, Sire ?
— Que votre goût est sans défaut, comme toujours ! Si Louise veut bien se prêter à cette petite comédie, j’aurai donc le plaisir de l’épouser pour la plus grande joie de vos invités.
On se mit aussitôt à l’ouvrage pour préparer ces noces de comédie qui, quoique champêtres, n’en devaient pas moins être d’une splendeur digne de la personnalité du marié.
Ce fut, en vérité, une folle journée.
On habilla Louise d’une superbe robe de mariée qui n’avait pas grand-chose de paysan. Le Roi prit un habit blanc assorti mais avec plumes et diamants. Puis le cortège nuptial se forma et l’on se rendit, au son des violons et des flûtes, au fond du parc où, dans une grotte préparée à cet effet et illuminée de milles bougies, Buckingham déguisé en pasteur joua son rôle avec une gravité convaincante.
On passa ensuite à table. Le couvert était dressé sous les arbres avec une profusion de fleurs et, en vérité, ce mariage pour rire ressemblait à s’y méprendre à de véritables épousailles. Le banquet fut en tout point digne du décor et les vins de France coulèrent à flots.
Reine de la fête, grisée par le vin, Louise ne savait plus très bien où elle en était, mais elle ne se sentait plus ni les forces ni le désir de lutter contre le délicieux courant qui l’entraînait. Une griserie légère, aussi rose que son visage, lui montrait choses et gens sous le jour le plus charmant.
Le bras du Roi ne quittait pas sa taille et de temps en temps, comme un vrai marié de village, il posait ses lèvres sur la joue rougissante de sa compagne.
Il y eut des discours burlesques, des vœux quelque peu paillards, de nombreux toasts. On dansa ensuite avec ardeur et, quand le bal prit fin, la joyeuse bande entraîna les « mariés » jusqu’à la plus belle chambre du château, parée et illuminée pour le moment le plus important de la journée : le coucher de la mariée.
Avec force rires et chansons, au son des violons, Louise fut déshabillée, revêtue d’une longue chemise blanche de dentelle mousseuse puis les dames la mirent au lit en grande cérémonie tandis que les gentilshommes, en cortège, conduits par le faux pasteur, s’en allaient chercher le marié, qui parut drapé dans une superbe robe de chambre en soie épaisse brodée d’or qu’il laissa tomber au pied du lit.
Charles s’installa gravement auprès de Louise. Avec l’ensemble d’un ballet bien réglé, les invités firent la révérence puis, ne s’étant fait faute de souhaits malicieux, fermèrent soigneusement les rideaux du lit et quittèrent la chambre en file indienne – chacun essayant de traîner le plus possible – et s’en allèrent finir le plus gaiement du monde et la nuit, et ce qu’il pouvait rester de bouteilles.
Nul, bien sûr, n’a pu savoir ce que se dirent, une fois seuls, les faux mariés campagnards mais quand le soleil revint, Louise ressemblait à s’y méprendre à une jeune mariée heureuse qui vient de vivre la plus merveilleuse nuit de sa vie.
Un mois plus tard, le roi Louis XIV, qui savait reconnaître les services qu’on lui rendait, faisait parvenir à lady Arlington, par le truchement du cher Colbert de Croissy, un superbe collier de diamants. Huit mois après l’envoi du collier, Mademoiselle de Keroualle mettait au monde un superbe petit garçon que toute la Cour se fit une joie de venir admirer. Jamais elle n’aurait cru pouvoir être un jour aussi heureuse.
Malheureusement, toute médaille a son revers. Celui de Louise se présenta sous la forme d’une lettre venue de France, aussi cinglante qu’indignée, qui émanait de son père. En quatre longs feuillets, le vieux Guillaume de Penancoët de Keroual maudissait sa fille et l’accusait formellement d’avoir déshonoré la famille.
Cette lettre fit pleurer Louise pendant un jour et une nuit entiers. Au-delà de la rage paternelle, la jeune femme découvrait entre les lignes tout ce qu’avait de factice et d’instable sa situation si nouvelle de favorite royale.
Certes, l’amour que lui portait Charles était toujours aussi ardent. Il l’aimait autant qu’en ce jour merveilleux de leurs noces d’Euston. Louise possédait maintenant, à Whitehall même, un étourdissant appartement de quarante pièces. Elle avait des toilettes merveilleuses, des bijoux magnifiques, un attelage de reine et elle recevait chez elle tout ce que l’Angleterre comptait de plus noble, de plus riche ou de plus en vue. Dignitaires, ministres et célébrités en tout genre se pressaient dans ses salons. Charles, de son côté, suivait docilement ses discrètes suggestions politiques et donnait à la France des gages d’amitié sans cesse plus nombreux, et à Louis XIV toutes les raisons d’être plus que satisfait de son charmant agent secret.
Mais – car il y avait un « mais », et de taille ! – le rêve de Louise ne s’était pas réalisé sur un point fort important pour elle : les autres maîtresses du Roi étaient toujours là ! Bien plus, trois d’entre elles donnèrent le jour à un enfant à peu près dans le temps où Louise mettait le sien au monde.
Peut-être fut-ce à cause de cette abondance soudaine que Charles II négligea de reconnaître les quatre enfants, motivant ainsi largement la fureur du vieux Keroual.
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