Charlotte, qui ne manquait pas de caractère, fournit une défense assurée et roula superbement le bonhomme en lui disant que sa fortune n’appartiendrait jamais qu’à son mari.
— Qu’à cela ne tienne, dit Saint-Césaire, je vais vous en procurer un.
— Au cas où vous l’auriez oublié, je suis déjà mariée.
— Ce mariage sera cassé avant peu et j’ai l’homme qu’il vous faut : Henri de La Fare, marquis de Tourniac. Il est jeune, beau, spirituel. Il vous adore…
Le plus grand charme de Monsieur de Tourniac, sur lequel Saint-Césaire ne s’étendit pas, c’est qu’il avait promis à ce dernier, une fois les noces faites, de partager avec lui le magot de Charlotte.
Sentant bien qu’elle n’avait rien à gagner à se battre à visage découvert, Charlotte fit mine d’accepter, reçut Monsieur de La Fare, se laissa courtiser… et écrivit à la fois au prince de Conti et à son cher Fulcrand.
On imagine sans peine l’effet qu’eut cette missive sur le bouillant jeune homme. Charlotte, sa Charlotte, livrée aux entreprises d’un coureur de dot ! Il n’y avait ni Dieu ni roi capable d’endiguer sa juste colère ! Courant à Montpellier, il leva une armée de cinq cents hommes et s’en vint tout bonnement camper devant l’hôtel de Calvières, prêt à mettre le feu partout, sans se faire faute de clamer à tous les vents qu’il était là pour enlever sa femme et que « ni le Roi ni la justice ne les empêcheraient d’exécuter ses projets » !
Épouvanté, Saint-Césaire appela à son aide le gouverneur de Montpellier, marquis de Castries, qui envoya aussitôt des troupes pour protéger l’hôtel contre les entreprises des Du Bosc, mais avec ordre de ne pas attaquer.
Les deux troupes se trouvèrent donc face à face et, bien entendu, personne ne voulut céder du terrain. De son côté, depuis Paris, le prince de Conti se déclara hautement le partisan des Du Bosc et annonça qu’il entendait présenter lui-même l’affaire au Roi.
Le marquis de Castries était un homme sage et prudent. Il pensa qu’une bataille rangée n’arrangerait rien et envoya une fois de plus interroger la jeune Charlotte. Qui aimait-elle au juste ? Était-ce Fulcrand Du Bosc ou bien ce marquis de Tourniac qu’elle recevait si volontiers tous ces temps derniers ? Charlotte bien sûr n’hésita pas.
— J’aime d’autant plus Fulcrand Du Bosc que je suis son épouse devant Dieu et les hommes. Quant à Monsieur de Tourniac, ajouta-t-elle avec son désarmant sourire, je n’ai jamais fait que me moquer de lui !
Il était impossible de se montrer plus formelle. Devant cette affirmation de la volonté de la jeune femme, le marquis de Castries commença par confier Charlotte à un couvent, celui du tiers-ordre de saint François. Elle n’y resta pas, son cas paraissant un peu léger pour cette austère maison, et passa au couvent des Maltaises, où elle ne se plut pas. En définitive, on en appela au Roi, qui ordonna le transfert de la litigieuse enfant à Paris même. On la conduisit chez les Cordelières de Saint-Marceau, où elle arriva fin février 1663. Le 8 juin intervint un arrêt envoyant Charlotte au couvent de Sainte-Avoye et condamnant son tuteur à lui verser une pension de trois mille livres. Bien entendu celui-ci protesta, ne voyant pas pourquoi il donnerait de l’argent à une pupille qui, tout compte fait, lui avait causé bien plus de soucis que de joies… et une nouvelle décision du Conseil royal réexpédia Charlotte chez les Cordelières de Saint-Marceau.
Elle se plaisait beaucoup dans ce couvent agréable où l’on avait pour elle toutes les gentillesses… mais ce n’était tout de même qu’un couvent et les couvents, Charlotte commençait à en être saturée. Le temps passait. Elle avait maintenant seize ans et souhaitait mener une vie un peu moins bancale. Et surtout, surtout, vivre enfin en compagnie du cher Fulcrand. Mais il fallait attendre que les graves personnages des cours de justice se fussent enfin décidés à trancher son cas.
Cette attente, il faut dire que les Cordelières s’arrangèrent pour la lui rendre aussi douce que possible. Elles s’étaient, avec une belle unanimité, prises d’affection pour cette toute jeune femme aussi douce que belle, aussi belle que fidèle, qui leur parlait de son cher Fulcrand avec des larmes dans les yeux.
Il est inutile d’ajouter, bien sûr, que le cher Fulcrand s’était, de son côté, hâté de gagner Paris, où il fréquentait assidûment chez le prince de Conti et travaillait activement à ses affaires. Il en profitait aussi pour rendre à sa jeune épouse quelques visites au parloir du couvent, lesquelles ne faisaient qu’aiguiser le désir qu’ils avaient tous deux d’être un peu seuls ensemble, vraiment seuls.
Ce fut Charlotte qui trouva la solution. Elle feignit de se languir tant de sa liberté supprimée que les bonnes sœurs lui accordèrent quelques sorties dans la ville, sous la conduite bien entendu d’une religieuse. Elle obtint même un court séjour chez le prince de Conti. Et ce séjour s’avéra si agréable qu’à la fin de l’année, le couvent vit se dérouler dans ses murs austères un événement auquel vraiment il n’était pas habitué : la jeune Madame Du Bosc donna le jour à un beau garçon qui se mit à donner de la voix avec la dernière énergie.
Il n’était guère de Parlement qui tînt devant un événement de ce genre. Il fallait bien se décider à statuer et fixer enfin le sort de Charlotte. Mais les paperasseries étaient si bien installées dans ces honorables chambres qu’il fallut encore dix-huit mois de patience aux jeunes époux. Enfin, le 6 mai 1665, le Conseil royal prononça définitivement la validité du mariage de Charlotte de Calvières et de Fulcrand Du Bosc. La jeune femme et son enfant furent solennellement remis au jeune homme, et l’heureux couple, enfin, put prendre tranquillement le chemin du bonheur. Ils vécurent heureux, eurent beaucoup d’enfants et poussèrent même la magnanimité jusqu’à faire dire chaque année une messe pour le repos de l’âme inquiète de Monsieur l’abbé de Psalmody.
Françoise de Roquelaure : entre l’amour et l’avarice
Un prince breton et une fille inavouée de Louis XIV
Hercule-Mériadec !
Dans le courant du mois de décembre 1707, il fut grandement question, dans les salons de Versailles, d’un mariage auquel on disait que le roi Louis XIV prêtait bénévolement la main en attendant de lui donner sa bénédiction : celui du jeune prince de Léon, fils du duc Charles de Rohan et de la duchesse, née Guéménée, avec l’une des filles de la duchesse de Roquelaure, la jeune Françoise. Fille de la duchesse mais pas du duc ! Car ce n’était un secret pour personne dans les milieux bien informés que l’enfant avait été conçue à une époque où le Grand Roi s’occupait fort de sa mère alors que le duc guerroyait quelque part du côté des Pays-Bas. On dit même que, lorsque la nourrice la lui présenta, Roquelaure, qui ne manquait ni d’esprit ni d’élégance, la salua profondément en disant : « Soyez la bienvenue, Mademoiselle, je ne vous attendais pas si tôt. »
Quoi qu’il en soit, la Nature se chargea de le venger car, alors que ses autres enfants héritaient de la beauté de leur mère, la fille du Roi-Soleil, bossue et fort laide, était complètement ratée. Aussi prolongea-t-on quelque peu son éducation au couvent des Filles de la Croix, situé rue de Charonne1. C’était d’ailleurs une agréable maison pourvue d’un très beau jardin où la jeune Françoise atteignit tranquillement l’âge de vingt-quatre ans sans se trouver trop malheureuse.
C’est là que sa mère vint un beau matin lui annoncer que son mariage avait été décidé par le Roi et qu’elle pouvait se préparer à devenir prochainement princesse de Léon. Elle pouvait aussi se disposer à recevoir sous peu la visite de son fiancé.
Si Françoise était laide, le futur n’était pas beaucoup plus beau. Il avait vingt-sept ans, il était maigre et sec comme un jour de Carême et tout le contraire d’un Adonis mais… mais il était tout de même assez séduisant grâce à son esprit, son amabilité, sa gaîté, son élégance et, disons le mot, par son charme. Avec cela grand viveur, grand buveur, grand coureur et grand prodigue lorsqu’il s’agissait de ses plaisirs, mais avare comme Harpagon lorsqu’il s’agissait d’autrui. Un trait de caractère familial, qu’il partageait avec Monsieur son père et Madame sa mère.
Or, au moment de la fameuse entrevue dans le parloir du couvent, il se passa l’un de ces miracles comme l’amour seul est capable d’en faire : ces deux laiderons se subjuguèrent mutuellement. Il faut d’ailleurs ajouter, pour une meilleure compréhension du phénomène, que si la jeune fille était contrefaite et sans beauté, elle possédait les mêmes qualités que son fiancé : un esprit du diable, une extrême vivacité, et donc un charme certain.
Les choses en étant à ce point, l’histoire devrait s’arrêter là et se clore dans l’apothéose d’un grand mariage à Versailles en présence du Roi, de son épouse morganatique la marquise de Maintenon et de toute la Cour. Mais c’est hélas compter sans la pingrerie bien connue des Rohan et le fait que la duchesse de Roquelaure, assez près de ses sous quoique fort riche, considérait avec complaisance la grande fortune des princes bretons. Mais écoutons plutôt Saint-Simon :
« Sur le point de signer, tout se rompit avec aigreur par la manière altière dont la duchesse de Roquelaure voulut exiger que le duc de Rohan donnât plus gros à son fils. Lui et sa femme se piquèrent, tinrent ferme et rompirent… »
La raison profonde des exigences de la dame et du refus des Rohan tenait surtout au fait qu’au moment où les pourparlers de mariage s’engageaient, une certaine Florence Pellerin, fille d’un gargotier de Saint-Germain-des-Prés, faisait son entrée à la Bastille – avec son plein consentement d’ailleurs – par la vertu d’une lettre de cachet obtenue par le duc de Rohan. Depuis quatre ans, en effet, cette Florence, fort belle personne au demeurant, tenait Hercule-Mériadec captif de ses charmes au point qu’il avait même parlé de l’épouser et qu’elle était en train de lui donner un enfant. À la Bastille, elle eut d’ailleurs un traitement de grande dame et obtint même la permission d’aller faire ses couches chez la femme d’un exempt de la prison, Marie Bazin, devenue son amie, après quoi elle entra, toujours à sa demande, dans un agréable couvent où elle devait couler des jours paisibles en attendant de jouir en toute tranquillité de la petite fortune qu’on lui avait donnée. Une fortune qui avait fait grincer des dents chez les Rohan, et que Madame de Roquelaure jugeait indécente. Elle partit alors du principe que les futurs beaux-parents devaient faire un effort financier, après un tel scandale, pour avoir l’honneur de s’allier à elle. Il advint de ses exigences ce que l’on sait.
Mis en demeure de renoncer à épouser sa chère Françoise, Hercule-Mériadec, désespéré, se précipita rue de Charonne pour apprendre la nouvelle à sa « fiancée ». Les deux jeunes gens commencèrent alors par se désoler ensemble en déplorant la sécheresse de cœur et l’avarice des auteurs de leurs jours, avant de se prendre à réfléchir. La seule solution était de mettre les parents devant le fait accompli.
— Je vous enlève, je vous épouse et nous verrons bien.
Naturellement, Françoise approuva hautement ce projet qui flattait si agréablement la corde romanesque toujours prête à vibrer dans le cœur d’une fille élevée chez les nonnes. Et l’on prit sur-le-champ des dispositions pour en mener à bien la réalisation. En trois jours, l’affaire serait réglée.
En effet, Madame de Roquelaure, qui ne quittait guère Versailles, avait autorisé depuis longtemps la supérieure du couvent à laisser sortir Françoise et sa gouvernante Marguerite Vitu toutes les fois que sa marraine, la marquise de La Vieuville, la réclamerait.
Renseigné sur cette circonstance intéressante, Hercule-Mériadec ne perdit pas de temps ; il fit repeindre un de ses carrosses, ajouta sur les portières les armes des La Vieuville, équipa son cocher et deux laquais aux couleurs de cette noble maison et envoya le tout au couvent le 29 mai 1708 au matin avec une ancienne lettre de la marquise que Françoise lui avait donnée et qui réclamait la jeune fille.
La supérieure n’y vit que du feu et Françoise, triomphante, monta dans le carrosse avec Mademoiselle Vitu… qui ne tarda pas à pousser les hauts cris quand elle constata que l’on ne prenait pas du tout le chemin habituel. L’hôtel de La Vieuville se situait en effet à l’emplacement de l’actuel quai des Célestins, et le carrosse courait vers les hauteurs campagnardes de Ménilmontant. En outre, à quelque distance du couvent, elle avait vu monter Monsieur le prince de Léon, tout ravi du succès de son entreprise.
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