C’était là une maladresse. En fait, Bussy-Rabutin ne croyait pas plus que La Rivière à la fameuse principauté mais il voulait se donner du temps… celui de faire l’enquête par laquelle il aurait dû commencer.
Le résultat en fut qu’au retour d’un voyage commun à Paris (à condition de montrer quelque discrétion, l’exilé pouvait s’y rendre de loin en loin), le comte de Bussy chassa purement et simplement le prétendant de sa maison. La fameuse enquête lui avait appris que le « marquis » était fils de laboureur et se nommait Rivier.
Mais pour ne pas désespérer sa fille, il n’osa pas lui dire la vérité, préférant passer pour un père odieusement intransigeant sur le chapitre des ancêtres et de la fortune. Ce fut un tort : plus éprise que jamais, Louise vit beaucoup plus La Rivière que par le passé mais le vit secrètement : le galant savait comment la rejoindre dans sa chambre sans éveiller l’attention du maître de céans.
Toute cette activité secrète n’allait pas tarder à porter ses fruits et, en juin 1681, Madame de Coligny se retrouva enceinte. Cette fois il fallait régulariser au plus vite.
Profitant d’une absence de Bussy-Rabutin qui s’était rendu à Dijon pour quelques jours, les deux amants se marièrent, le 19 de ce même mois de juin à minuit dans la chapelle du château. Le curé du village, Monsieur Dupoisson, n’hésita pas devant une union parfaitement irrégulière, en ne publiant les bans qu’après le mariage et établissant un faux sur le lieu réel de la cérémonie.
Mais la jeune femme ne voulait rien tant qu’être toute à son cher mari et, pendant les quatre jours que dura l’absence du comte, le couple vécut à Lanty sa lune de miel. Puis on se sépara pour que Louise pût accueillir son père. Plus jamais la nouvelle Madame de La Rivière ne devait vivre avec son époux.
Après s’être confessée et avoir communié, Louise passa aux aveux et informa son père de ce qui venait de se produire. La colère de Bussy fut terrible. Il jeta feu et flammes, jura qu’il tuerait sa fille et son bonheur, tant et si bien que Louise, épouvantée, s’enfuit au couvent des ursulines de Montbard tandis que La Rivière, se jugeant menacé de mort, allait se plaindre au lieutenant du Roi qui écrivit au père outragé pour le rappeler à plus de modération envers un « gentilhomme ».
« Je n’ai de démêlé avec aucun gentilhomme, répondit Bussy. Ainsi vous n’avez rien à voir aujourd’hui sur mes actions par l’autorité de votre charge. Quand un paysan m’offense, je lui fais donner des coups de bâton et cela regarde la justice des Parlements. Vous m’ordonnez, dites-vous, de n’en venir à aucune voie de fait ? Et moi je vous ordonne d’apprendre à qui vous parlez quand vous écrivez à un homme comme moi… »
Dans son couvent, Louise pleurait à fendre les pierres et écrivait en cachette à son « cher mari ».
Une nuit, il vint la voir secrètement, avec la complicité de la tourière. Et là se situe une scène que rien ni personne n’a pu élucider mais dont l’issue est étrange : à dater de cette entrevue, non seulement Louise cessa d’aimer La Rivière mais encore elle lui voua une haine sur laquelle jamais elle ne s’expliqua. On ne peut que supposer qu’au cours de cette nuit dramatique, la jeune femme ouvrit enfin les yeux sur la vérité du personnage.
Malheureusement, elle était enceinte et elle avait compris que La Rivière comptait sur l’enfant pour affirmer ses droits. Elle se hâta alors de revenir auprès de son père et, côte à côte, le père et la fille s’apprêtèrent à faire front. Le plan élaboré par Bussy était simple : le mariage était nul et sa fille n’attendait pas d’enfant. Il fallait donc la cacher durant la période où sa grossesse serait visible et, surtout, la faire accoucher secrètement.
Tous deux, presque furtivement, vinrent à Paris. Grâce à Madame de Scudéry, le Roi consentait enfin à pardonner. Il reçut Bussy et se montra favorable à son plan, mais La Rivière entendait lui aussi avoir raison. Et il possédait également quelques relations, certaines amitiés… dont celle de la bonne cousine Sévigné, toujours discrètement acharnée à faire payer à son cousin le malencontreux « portrait ». Il lança la police sur ses traces.
Pour lui échapper, Louise et son père se réfugièrent dans une auberge, La Croix de Lorraine, sous les noms de Madame Du Mas et Monsieur Du Puis, Bretons. Il fallut en déloger, et l’on alla s’installer à l’hôtel de Brissac. Retrouvés, ils s’enfuirent à Vaugirard, dans une petite maison où la malheureuse Louise accoucha en catastrophe avant de chercher refuge, à demi morte, chez un fidèle ami de son père, le duc de Saint-Aignan.
L’enfant, confié à une nourrice, fut aussitôt enlevé par La Rivière. Plus rien ne pouvait éviter le procès, beau-père et gendre se traînant mutuellement devant les juges. Ce fut, pendant deux ans, une affreuse guerre de placets, de libelles et de calomnies. Bussy somme La Rivière de prouver son identité. Celui-ci n’apporte aucune preuve de la noblesse qu’il affirme et, à l’examen, on s’aperçoit que le père dont il se réclame a quitté ce monde deux ans avant sa naissance. Par contre, il se venge bassement en accusant sa femme d’inceste avec son père et Bussy, fou de rage, se laisse emporter par sa haine et, « délirant de colère », se laisse aller à fabriquer de fausses lettres… que d’ailleurs La Rivière commença par reconnaître avant de les nier. Il avait, pour sa part, livré toutes les lettres d’amour de Louise, dont tout Paris se régalait.
Le procès fut horrible. Les parties y furent traitées avec une sévérité égale mais il est assez navrant de constater que ce fut La Rivière qui gagna : son mariage était déclaré valable, à la joie féroce de la cousine Sévigné, qui, oubliant pour une fois le souci de son nom, osa écrire à sa fille :
« Ce procès mettra notre ami La Rivière en vogue. Bussy bondit dans les nues. Sa fille est forcenée dans son lit. Dieu l’a réglé de toute éternité. Amen… » Elle devait, plus tard, essayer de s’en excuser auprès de sa victime, car de ce procès, Bussy, dont une ancienne blessure s’était rouverte, faillit mourir et la pauvre Louise pensa trépasser de douleur et de honte.
Puis le calme revint. Père et fille retrouvèrent les doux ombrages de Bussy-Rabutin. La Rivière, gagnant, se garda bien de réclamer femme et enfant (celui-ci devait mourir à six ans chez sa nourrice) mais laissa entendre qu’il se contenterait du château et de la terre de Lanty que Louise lui abandonna en échange de sa paix intérieure.
Il devait y mourir à quatre-vingt-quatorze ans, toujours vert et guilleret et se déclarant « encore propre à amuser une veuve qui n’a rien à faire, une femme dont le mari est à la guerre, une religieuse hors de son couvent ou une demoiselle à marier… ».
Louise, elle devait mourir bien avant lui. Après avoir enterré son père en 1693, elle se retira à Chaseu, puis à Monjeu, près d’Autun, où elle rédigea une vie de sa parente sainte Jeanne de Chantal et une autre de saint François de Sales. Elle mourut en 1714 sans avoir pardonné et, peut-être, inconsolée…
L’étrange histoire de la comtesse de Verrue
Comment on devient favorite princière… pour sauver son honneur !
Le mariage avait eu lieu au château de Dampierre, dans la vallée de Chevreuse, et, pour une belle noce, on peut affirmer sans crainte de se tromper que cela avait été une belle noce ! Elle alliait deux grands noms en même temps que deux pays. En effet, si la jeune fiancée, Jeanne-Baptiste d’Albert de Luynes appartenait à la plus haute noblesse de France (elle était fille du duc de Luynes et d’Anne de Rohan-Montbazon), le futur époux, d’ancienne famille poitevine passée au service du duché de Savoie, était l’un des plus brillants représentants de la cour de Turin. Et, par-dessus le marché, ce très grand mariage fut un mariage d’amour.
La jeune épousée, pourtant, était bien jeune : treize ans tout juste mais dès cet âge encore tendre, elle n’en promettait pas moins d’être l’une des plus jolies femmes de son temps. Non qu’elle fût d’une beauté classique : certains de ses traits manquaient de régularité mais elle avait une grâce, un charme auxquels il était à peu près impossible de résister. Avec cela grande, souple, pleine de vie, avec de beaux grands yeux sombres et des cheveux de soie claire, les plus doux et les plus brillants qui fussent. Et comme, de son côté, l’époux qui atteignait ses vingt ans ne manquait pas de séduction, personne ne trouva étrange que ce mariage « arrangé » se muât du jour au lendemain en la plus joyeuse fête de l’amour.
Dûment mariée, la petite Jeanne prit sans trop de douleur le chemin de Turin. Bien sûr, elle laissait en France des parents qu’elle aimait et, surtout, son frère bien-aimé, le chevalier de Luynes, qui était pour elle non seulement un frère mais le meilleur des amis. Toutefois il lui avait promis d’aller la voir dans sa nouvelle demeure et puis, il faut bien redire qu’elle était très amoureuse de son jeune mari.
La cour de Turin, d’ailleurs, n’avait rien de lugubre. Le maître en était alors le jeune duc de Savoie, Victor-Amédée II, qui n’avait guère que dix-huit ans. Extrêmement beau, d’une grande vivacité de caractère, passionné par les exploits guerriers, le duc entretenait autour de lui une cour brillante où ne manquaient ni les jolies femmes ni les beaux esprits. On menait joyeuse vie à Turin, où les bals succédaient aux concerts et les soupers fins aux parties de campagne et aux chasses. La nouvelle comtesse de Verrue s’y vit accueillie avec un enthousiasme digne de son charme et de son nom.
À vrai dire, cet accueil plein d’agréments allait en faire passer un autre qui en avait moins : celui de la belle-famille ! En pénétrant dans l’immense et austère palais des Verrue, situé dans le vieux Turin, non loin du fameux palais Madama, où vivait la veuve du duc Charles-Emmanuel II (une douairière de trente-neuf ans !), Jeanne comprit que son époux représentait le bon côté de la famille.
Sa belle-mère, la comtesse douairière, une vraie celle-là, était une femme revêche, austère, pieuse naturellement, d’esprit étroit et de corps desséché qui n’avait pour les atours et les colifichets qu’un penchant fort mince et qui, se fournissant sans doute en eaux de toilette et produits de beauté à la sacristie de l’église voisine, répandait autour d’elle une odeur qui était peut-être celle de la sainteté mais qui n’en demeurait pas moins regrettablement terrestre ! En outre, cette haute et noble dame était, si l’on peut dire, tirée en double exemplaire : entendez par là qu’elle avait un beau-frère, l’abbé de Verrue, personnage aussi respectable que considérable, d’âge plus que mûr et qui, bien qu’ancien ambassadeur et ministre d’État, n’en ressemblait pas moins de redoutable façon à sa belle-sœur, en vertu sans doute de cette espèce de mimétisme qui sévit chez les gens qui ont longuement vécu ensemble.
Mise en présence de ces deux réfrigérants personnages, la petite comtesse soupira, fit une belle révérence et gagna joyeusement avec son mari l’appartement qui leur était réservé, fermement décidée, pour l’amour de son cher Charles, à faire contre mauvaise fortune bon cœur et à se consacrer attentivement à ses devoirs d’épouse.
Les choses, dans les débuts, allèrent assez bien. Si austères qu’étaient les Verrue, ils ne pouvaient qu’être satisfaits d’un mariage qui unissait à leur famille la fille du Grand Fauconnier de France qui comptait dans sa parenté des Chevreuse et des Soubise. Jeanne, d’ailleurs, quand elle n’était pas retenue au logis par les malaises puis par les soins d’une première maternité, passait beaucoup de temps à la Cour, où elle ne comptait que des admirateurs.
Les fêtes d’ailleurs avaient redoublé d’éclat au printemps qui avait suivi son mariage, pour les noces fastueuses du jeune duc Victor-Amédée II avec la nièce de Louis XIV, la princesse Anne-Marie d’Orléans, fille de Monsieur et de la pauvre et charmante Henriette d’Orléans, morte quatorze ans plus tôt.
La jeune comtesse de Verrue prit une large part aux bals. Dans une cour si jeune et si frivole, une légère atmosphère de galanterie flottait en permanence et Jeanne reçut plus d’une déclaration enflammée, opposant d’ailleurs un refus souriant qui savait ne pas blesser. Qu’avait-elle besoin de l’amour des autres quand son cher époux était toujours aux petits soins pour elle ? De plus elle s’était fait une amie véritable en la personne de la jeune comtesse de Sales et elle ne demandait rien d’autre au destin que de continuer longtemps une existence aussi agréable. Elle en arrivait à oublier belle-maman et l’oncle abbé !
Malheureusement, si Charles de Verrue était un mari fidèle, le trop séduisant Victor-Amédée ne l’était guère. Depuis qu’il avait atteint l’âge d’homme, il n’avait guère rencontré de cruelles, et une fois passés les premiers temps du mariage, il ne vit aucun inconvénient à revenir à ses nombreuses maîtresses. Il en avait une belle collection mais ne demandait qu’à y ajouter d’autres charmants spécimens. Or, un beau jour, il regarda attentivement Jeanne de Verrue.
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