- J'ai encore mieux, ajouta sa collègue.
- Quoi ?
- Ils l'ont suivie jusqu'au garage où il l'a ramenée. Et ils ont l'adresse.
- Tu sais, Nathalia, c'est bien que l'on ne soit pas ensemble, toi et moi.
- Pourquoi dis-tu ça maintenant ?
- Parce que là, j'aurais eu la preuve que j'étais cocu.
- Tu sais quoi, George ? Tu es un vrai con. Tu vas vouloir y aller dès maintenant ?
- Non, demain matin, le garage doit être fermé et sans mandat je ne pourrai rien faire. En plus je préfère y aller sans attirer l'attention. Je ne cherche pas à coincer l'ambulance mais les types qui s'en sont servie. Mieux vaut y aller en touriste plutôt que de faire courir les lièvres dans leur terrier.
Pilguez paya la note et ils sortirent tous les deux sur le trottoir. Le lieu où l'ambulance avait été contrôlée se situait à un carrefour de l'endroit où ils venaient de se restaurer, et George regarda le coin de la rue comme en quête d'une image.
- Tu sais ce qui me ferait plaisir ? dit Nathalia.
- Non, mais tu vas me le dire.
- Que tu viennes dormir à la maison, je n'ai pas envie de dormir seule ce soir.
- Tu as une brosse à dents ?
- J'ai la tienne !
- J'aime bien te taquiner, il n'y a qu'avec toi que je m'amuse. Viens, on y va, moi aussi je voulais rester avec toi ce soir. Ça fait longtemps.
- Jeudi dernier.
- C'est ce que je dis.
Lorsqu'ils éteignirent la lumière une heure et demie plus tard, George avait acquis la conviction qu'il résoudrait cette énigme, et ses convictions tombaient juste une fois sur deux. La journée de mardi fut fructueuse. Après avoir rencontré Mme Kline, il écarta toute suspicion à son égard, il avait appris que les médecins avaient eux-mêmes proposé d'en finir. La loi fermait les yeux depuis deux ans dans des cas similaires. La mère avait été coopérative, elle était indiscutablement très boule-versée, et Pilguez savait distinguer les gens sincères de ceux qui simulaient la douleur morale. Elle ne collait pas du tout à la peau d'un personnage capable d'organiser une telle opération. Au garage, il avait repéré le véhicule incriminé. En y entrant, il avait été surpris ; l'établissement était spécialisé dans la réparation des véhicules de secours. Cet atelier de carrosserie ne contenait que des ambulances en révision, il était impossible d'y jouer au touriste.
Quarante ouvriers mécaniciens et une dizaine d'administratifs y travaillaient. En tout, près de cinquante personnes potentiellement suspectes. Le patron, dubitatif, avait écouté le récit de l'inspecteur, s'interrogeant sur ce qui avait pu pousser les auteurs du crime à ramener sagement le véhicule au lieu de le faire disparaître. Pilguez répondit que le vol aurait alerté les services de police, qui auraient fait le lien. Un employé du garage était probablement dans la combine et avait espéré que
« l'emprunt » passerait incognito.
Restait à trouver lequel était impliqué. Aucun d'après le directeur, la serrure ne présentait pas de trace d'effraction et personne n'avait la clé du garage pour y pénétrer la nuit. Il interrogea le chef d'atelier sur ce qui avait pu inciter les «emprun-teurs » à choisir ce vieux modèle, ce dernier lui expliqua que c'était le seul qui se conduisait comme une voiture. Pilguez y vit un indice de plus pour qu'un membre du personnel soit complice dans
« son affaire ». À la question : était-il possible que quelqu'un subtilise la clé et en fasse un double durant la journée, il répondit positivement : « C'est envisageable, à midi lorsqu'on ferme la porte principale. » Tout le monde était donc suspect. Pilguez se fit remettre les dossiers du personnel, et mit sur le haut de la pile ceux des employés qui avaient quitté le garage au cours des deux dernières années.
Il retourna au commissariat vers quatorze heures.
Nathalia n'était pas revenue de sa pause déjeuner, il se plongea dans l'analyse approfondie des cinquante-sept pochettes marron qu'il avait posées sur son bureau. Elle arriva vers quinze heures, parée d'une nouvelle coiffure et prête à assumer les sarcasmes de son compagnon de travail.
- Tais-toi, George, tu vas dire une connerie, dit-elle en entrant, avant même d'avoir posé son sac.
Il leva les yeux de ses papiers, la scruta et esquissa un sourire. Avant qu'il ne dise quoi que ce soit, elle s'était rapprochée de lui et posa son index sur sa bouche pour qu'il ne prononce aucun mot :
« Il y a un truc qui va t'intéresser beaucoup plus que ma coiffure, et je ne te le dis que si tu te dispenses de tout commentaire, on est d'accord ? » Il fit mine d'être bâillonné et émit un grognement synonyme de son acceptation des conditions du marché. Elle ôta son doigt.
- La mère de la petite a téléphoné, elle s'est souvenue d'un détail important pour ton enquête et elle veut que tu la rappelles. Elle est chez elle et attend ton appel.
- Mais j'adore ta coiffure, ça te va très bien.
Nathalia sourit et retourna à son bureau. Au télé-
phone, Mme Kline fit part à Pilguez de son étrange discussion avec ce jeune homme rencontré par hasard à la Marina, celui qui l'avait tant sermonnée sur l'euthanasie.
Elle lui raconta dans le détail l'épisode de sa rencontre avec cet architecte qui aurait connu Lauren aux urgences, à la suite d'une coupure au cutter. Il avait prétendu déjeuner souvent avec sa fille. Bien que la chienne semblât l'avoir reconnue, il lui paraissait improbable que sa fille n'ait jamais parlé de lui, surtout si comme il le disait la rencontre remontait à deux ans. Ce dernier détail faciliterait sûrement l'enquête. « Ben tiens », avait murmuré le policier à cet instant. « En gros, avait-il conclu, vous me demandez de rechercher un architecte qui se serait coupé il y a deux ans, qui aurait été soigné par votre fille, et que nous devrions suspecter, parce que au cours d'une rencontre fortuite, il vous a manifesté son opposition à l'euthanasie ? - Cela ne vous semble pas une piste sérieuse ? avait-elle questionné. - Non, pas vraiment », et il raccrocha.
- Alors c'était quoi ? demanda Nathalia.
- C'était quand même pas mal tes cheveux mi-longs.
- D'accord, c'était une fausse joie !
Il replongea dans ses dossiers, mais aucun d'entre eux ne parlait. Énervé, il se saisit du téléphone qu'il cala entre son oreille et son menton, et composa le numéro du standard de l'hôpital. L'opératrice répondit à la neuvième sonnerie.
- Eh bien il vaut mieux ne pas mourir avec vous !
- Non, pour ça vous appelez la morgue directement, répondit l'hôtesse d'accueil du tac au tac.
Pilguez se présenta, et lui demanda si son système informatique lui permettait de faire une recherche sur les admissions aux urgences, par métier et par type de blessure. « Ça dépend de la période sur laquelle vous recherchez », avait-elle répondu. Puis elle précisa que le secret médical lui interdirait de toute façon de communiquer une information, surtout par téléphone. Il lui raccrocha au nez, prit son imperméable, et marcha vers la porte. Dévalant l'escalier il sortit sur le parking, et se dirigea d'un pas vif vers sa voiture. Il traversa la ville, gyrophare sur le toit et sirène hurlante en ne cessant d'invec-tiver. Il arriva au Mémorial Hospital à peine dix minutes plus tard et se planta devant la banque d'accueil.
- Vous m'avez demandé de retrouver une jeune femme dans le coma qui vous a été empruntée dans la nuit de dimanche à lundi, soit on m'aide ici, et on ne m'emmerde pas avec vos secrets de toubibs à la noix, soit je passe à autre chose.
- Que puis-je faire pour vous ? demanda Jarkowizski, qui venait d'apparaître dans l'angle de la porte.
- Me dire si vos ordinateurs peuvent retrouver un architecte qui se serait blessé et aurait été admis par votre disparue.
- Sur quelle période ?
- Disons deux ans.
Elle se pencha sur l'ordinateur et tapota quelques touches sur le clavier.
- On va regarder les entrées, et rechercher un architecte, dit-elle. Cela va prendre quelques minutes.
- J'attends.
L'écran rendit son verdict en six minutes. Aucun architecte n'avait été soigné pour ce type de lésion au cours des deux dernières années.
- Vous êtes sûre ?
Elle était formelle, la case «profession» était obligatoirement documentée, à cause des assurances et des statistiques sur les accidents du travail. Pilguez l'avait remerciée et rentra aussitôt au commissariat. En route, cette histoire commença à le tra-casser. Le genre de tracas qui pouvait en un rien de temps mobiliser toute sa concentration et lui faire oublier toutes les autres pistes possibles, dès lors qu'il sentait tenir un vrai maillon de la chaîne de son enquête. Il prit son portable et composa le numéro de Nathalia.
- Recherche-moi si un architecte habite dans le pâté de maisons où l'ambulance a été repérée. Je reste en ligne.
- C'était Union, Filbert et Green ?
- Et Webster, mais pousse la recherche aux deux rues adjacentes.
- Je te rappelle, lui dit-elle, et elle raccrocha.
Trois cabinets d'architecture et le domicile d'un architecte correspondaient à la requête, seul le domicile de l'architecte était dans le premier périmètre étudié. Les cabinets se situaient pour l'un d'entre eux dans la première rue voisine, et pour les deux autres à deux rues de là. De retour à son bureau il contacta les trois cabinets pour faire le compte des employés qui y travaillaient. Vingt-sept personnes en tout. En résumé, à dix-huit heures trente il avait près de quatre-vingts suspects, dont l'un d'entre eux était peut-être en attente d'un don d'organe ou avait l'un des siens dans la même situation. Il réfléchit quelques instants et s'adressa à Nathalia.
- On a un stagiaire en trop ces jours-ci ?
- Nous n'avons jamais de personnel en trop !
Sinon je rentrerais chez moi à des heures décentes, et je ne vivrais pas comme une vieille fille.
- Tu te fais du mal, ma chérie, envoie-m'en un en planque devant le domicile de celui qui habite dans le carré, qu'il essaie de me prendre une photo quand il va rentrer chez lui.
Le lendemain matin Pilguez apprit que le stagiaire avait fait chou blanc, l'homme n'était pas rentré de la nuit.
- Bingo, avait-il dit au jeune élève inspecteur, tu me donnes tout sur ce type pour ce soir, son âge, s'il est pédé, s'il se came, où il travaille, s'il a un chien, un chat, un perroquet, où il est en ce moment, ses études, s'il a fait l'armée, toutes ses manies. Tu appelles l'armée, le FBI, je m'en fous, mais je veux tout savoir.
- Moi, je suis pédé, inspecteur ! avait rétorqué le stagiaire avec une certaine fierté, mais ça ne m'empêchera pas de faire le travail que vous me demandez.
L'inspecteur, renfrogné, passa le reste de sa journée à établir la synthèse des pistes qu'il avait, et rien ne lui permettait d'être optimiste. Si l'ambulance avait été identifiée grâce à un clin d'oeil de la chance, aucun des dossiers du personnel du garage ne désignait un suspect présumé, ce qui laissait envisager un nombre important d'interrogatoires, à terrain découvert. Plus de soixante architectes devraient être questionnés pour avoir travaillé aux abords ou habiter au centre du pâté de maisons où l'ambulance tournait en rond le soir du kidnapping.
L'un d'entre eux serait peut-être suspecté pour avoir caressé le chien de la mère de la victime, et déclaré être hostile à l'euthanasie, ce que Pilguez s'avouait à lui-même, ne définissait pas à propre-ment dire un mobile d'enlèvement. Une « vraie enquête de merde », pour le citer dans le texte.
Ce mercredi matin, le soleil s'éleva sur Carmel à peine voilé par les brumes. Lauren s'était éveillée tôt. Elle était sortie de la chambre pour ne pas réveiller Arthur et fulminait de son incapacité à lui pré-
parer ne serait-ce qu'un simple petit déjeuner. Puis finalement, à choisir, elle s'avoua reconnaissante qu'au cœur de cet imbroglio d'aberrations il ait pu la toucher, la ressentir, et l'aimer comme une femme en pleine possession de sa vie. Il y avait toute une série de phénomènes, qu'elle ne comprendrait jamais et qu'elle ne chercherait plus à comprendre.
Elle se souvint de ce que son père lui avait dit un jour :
« Rien n'est impossible, seules les limites de nos esprits définissent certaines choses comme incon-cevables. Il faut souvent résoudre plusieurs équa-tions pour admettre un nouveau raisonnement. C'est une question de temps et des limites de nos cer-veaux. Greffer un cœur, faire voler un avion de trois cent cinquante tonnes, marcher sur la Lune a dû demander beaucoup de travail, mais surtout de l'imagination. Alors quand nos savants si savants déclarent impossible de greffer un cerveau, de voyager à la vitesse de la lumière, de cloner un être humain, je me dis que finalement ils n'ont rien appris de leurs propres limites, celles d'envisager que tout est possible et que c'est une question de temps, le temps de comprendre comment c'est possible. »
"Et si s’etait vrai…" отзывы
Отзывы читателей о книге "Et si s’etait vrai…". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Et si s’etait vrai…" друзьям в соцсетях.