- Mme de Koenigsmark la haïssait trop ! Elle avait juré de la tuer de ses propres mains si elle la retrouvait…
- Mieux valait laisser faire le Seigneur ! Il sait, Lui, ce qui convient !
- Votre Altesse Royale m'autorise-t-elle une question ?
- Pourquoi pas ? demandez !
- Comment a-t-elle pu connaître le sort des Platen ?
- Le fil conducteur a été Mlle de Knesebeck, la suivante de Sophie-Dorothée. Réfugiée à Vienne elle s’y est mariée et le hasard a voulu que son mari possède une propriété proche de la maison des Platen. Dès qu’elle a appris le mariage prussien de la jeune Sophie-Dorothée, elle est entrée en correspondance avec elle et lui a tout raconté. La jeune reine s’est confiée à moi : l’affaire Koenigsmark avait suscité en son temps énormément de curiosité à Versailles, mais une fois renseignée j’ai préféré le garder pour moi. Jusqu’à ce jour.
- Je remercie Madame de sa confiance mais… Votre Altesse Royale n'a-t-elle pas dit que la reine de Prusse est malheureuse elle aussi ?
- Quel sorte de bonheur peut-on trouver auprès d’un homme qui transforme son palais en caserne, fait vivre les membres de sa famille comme s’ils étaient des recrues ignares et lésine sur toutes choses ? Il a une mentalité de sergent-major !… Il n’aime que ses gigantesques grenadiers !
Pour laisser s’apaiser l’émotion causée par ses révélations, Madame et son visiteur bavardèrent encore un moment. Parler sa langue était pour la vieille princesse un pur plaisir. Quand enfin elle rendit sa liberté à Maurice, elle lui offrit à baiser une main quelque peu tachée d’encre et lui fit promettre de revenir.
- J’aurai toujours plaisir à vous voir, mon garçon ! conclut-elle familièrement. Nous boirons ensemble quelques chopes de notre bonne bière et je vous donnerai des conseils ! A propos de bière, vous soupez ce soir chez le Régent ?
- Je vais avoir en effet cet honneur… et ce plaisir !
- Pour le plaisir n’y comptez pas trop ! Oh, je sais les bruits que l’on colporte sur les fêtes intimes de mon fils et de ceux de ses amis que l’on surnomme les « roués ». Bruits malheureusement exacts que je n’ai cessé de déplorer. Mais l’été dernier ma petite-fille, Mme la duchesse de Berry, est morte à vingt-quatre ans, usée par ces débauches paternelles dont elle prenait sa large part. Il y avait entre mon fils et elle une complicité, une même envie de goûter à tout, même au moins avouable ! Sa mort - horrible elle aussi ! - a brisé le prince. S’il croyait en Dieu, il y verrait un châtiment, mais ce n’est pas le cas. Cependant le plaisir n’a plus pour lui la même saveur ! Alors, n’espérez pas trop !
- Ce que j’espère surtout c’est plaire à Monseigneur afin d’obtenir de lui un commandement !
- Cela tout au moins me paraît une bonne voie !…
A ce moment, trois petits chiens, menés en laisse par un valet et revenant visiblement de promenade, firent une entrée bruyante et se précipitèrent dans les jupes de la princesse.
- Ah, voilà mes amours ! s’écria celle-ci revenant au français. Aimez-vous les animaux, Monsieur de Saxe ?
- Beaucoup, Madame ! Avec une légère préférence pour les chevaux !
- Alors, vous êtes un brave homme ! J’avais raison…
Elle eut encore raison le soir même. Maurice, outre Charolais, rencontra autour de la table princière quelques-uns de ces « roués » dont Paris faisait des gorges chaudes : les ducs de Canillac, de Brancas, de Noailles, de Broglie, de Richelieu, tous gens fort gais, fort galants et fort spirituels. Sans compter le récent évêque de Cambrai, l’ex-abbé Dubois, petit bonhomme vif, à la langue bien pendue, qui avait été le mentor du prince puis son agent secret avant d’être son ministre. Comme son maître, c’était un bourreau de travail mais il n’en appréciait pas moins les jolies filles et la bonne chère. Le nouveau venu découvrit avec stupeur que la cuisine était faite par certains invités : ce soir-là par ledit Dubois dont la spécialité était l’omelette aux truffes et par Brancas auteur d’un plat espagnol où le piment ne manquait pas. Mais aucune femme ne vint partager la fête. Il y avait ce soir bal à l’Opéra et le Régent expédia son monde en s’excusant d’un travail urgent. Charles de Charolais et Maurice de Saxe rentrèrent sagement au logis : le lendemain le Régent présenterait lui-même le fils d’Aurore au jeune roi.
En pénétrant aux Tuileries, Maurice n’attachait pas tellement d’importance à cette visite. Il savait qu’il allait saluer un marmot de dix ans, sans doute grincheux, à moins que ce ne soit rien d’autre qu’une marionnette empesée débitant mécaniquement la leçon serinée par un gouverneur autoritaire. En somme une franche corvée dont il espérait qu’elle ne durerait pas trop longtemps. En fait il ne devait jamais l’oublier…
Franchie l’entrée d’honneur et la salle des Cent-Suisses prises dans le vieux palais jadis construit par Catherine de Médicis - et qu’elle n’avait jamais habité -, remis en état par Louis XIV, le Régent flanqué de Charolais et de Saxe traversa la première galerie, le pavillon de Bullant puis la petite galerie débouchant sur le pavillon de Flore où étaient les appartements royaux. Sans doute les plus agréables car ils avaient vue sur la grande terrasse, les jardins et la Seine. Là se déployait l’apparat de la royauté gardée par les uniformes rouges des Cent-Suisses et bleus des Gardes du Corps. L’atmosphère y était plus solennelle qu’au Palais-Royal, reflet du côté plus accessible voire plus familier du Régent.
L’heure choisie par celui-ci était celle du retour de la messe. Il y avait dans la petite galerie nombre de personnes porteuses de placets et d’autres qui voulaient seulement voir le roi et le saluer. Les trois hommes traversèrent cette petite foule et gagnèrent le cabinet-bibliothèque servant de salle d'études ainsi que l’indiquaient les cartes de France, d’Europe et l’imposante mappemonde sur pied de bronze placée devant une fenêtre. Le Régent s'assit, les deux autres restèrent debout. Après un moment d'attente, un brouhaha se fit entendre puis se rapprocha. La double porte s'ouvrit sous la main des laquais en grande livrée et le roi parut encadré de deux gardes de la manche5 et suivi du maréchal de Villeroy qui était son gouverneur. Un homme d'un certain âge, de haute taille, de belle allure, qui ne devait pas être facile à vivre tous les jours, mais Maurice ne le remarqua pas, séduit d'emblée par ce garçon de dix ans sur la tête duquel reposait une si lourde couronne et dont cependant le maintien se révélait déjà plein de naturelle majesté. Et qu'il était donc ravissant avec son teint délicat, ses grands yeux noirs ourlés de cils très longs, son nez fin qui s'affirmait déjà résolument bourbonien. Et quel charmant sourire tandis qu'il avançait les mains tendues vers Philippe d'Orléans sans rien perdre d'une précoce majesté :
- Monseigneur le Régent de France ! s'écria-t-il, une lueur malicieuse dans le regard. C'est toujours un plaisir de vous recevoir mais c'est avec une vraie joie que je vois venir mon cousin ! Et qui donc m'amenez-vous ?… Oh, bonjour, comte de Charolais. Quant à vous, Monsieur…
- Avec sa permission, je suis heureux de présenter au roi le comte Maurice de Saxe, fils de Sa Majesté le roi de Pologne. Le comte admire la France et souhaite mettre à son service une épée valeureuse dont les preuves ne sont plus à faire.
- Quelle bonne idée ! Vous êtes donc soldat, Monsieur ?
- Oui, sire. Depuis l'âge de treize ans.
- Sous qui avez-vous servi ?
- Le général de Schulembourg qui fut mon initiateur… et le prince Eugène de Savoie-Carignan.
- Le plus valeureux de nos ennemis…
- Un traître, sire ! intervint Villeroy avec sévérité.
- Si j’ai bien retenu vos leçons, Monsieur le maréchal, on ne lui a pas laissé le choix et c’est grand dommage ! Mais, si l’élève vaut le maître, le royaume aura moins de regrets !
- Avec la permission de Votre Majesté, émit Maurice d’une voix enrouée par l’émotion, c’est le prince Eugène qui m’a conseillé le service de la France !
- En ce cas, faites en sorte de lui mériter une absolution dont il n’a sans doute que faire.
- N’y aurait-il pas l’ombre d’un regret dans ce conseil, sire ? murmura le duc d’Orléans.
- C’est possible ! Monsieur le Régent, voulez-vous faire en sorte d’exaucer la prière du comte de Saxe… que je reverrai très volontiers.
- A condition que le roi Auguste II donne son accord ! coupa sèchement le gouverneur qui décidément n’aimait pas les seconds rôles.
- Cela va sans dire ! riposta le Régent qui, lui, n'aimait pas du tout Villeroy, auquel il reprochait de trop tourner l’éducation de son élève vers la représentation en prônant sans cesse l’exemple de Louis XIV dont il avait été l’ami et qui laissait le souvenir d’une idole scintillante de diamants se tenant à mi-chemin entre les élus célestes et les malheureux terriens.
C’était la fin de l’audience. Le Régent abandonna ses deux compagnons dès la sortie du cabinet royal pour aller s’occuper de ses propres audiences. Charles de Charolais en profita pour présenter le comte de Saxe à plusieurs personnes que d’ailleurs celui-ci salua machinalement et sans même entendre leurs noms. Son attention venait de se fixer sur un couple disparate et somptueux qui remontait la galerie au milieu des saluts. L’homme devait avoir vingt-quatre ou vingt-cinq ans, laid, bossu et contrefait, mais il le vit à peine, ébloui qu’il était par la jeune femme qui se tenait à son côté. Elle était jolie à damner un saint, fine et infiniment gracieuse, avec un teint éblouissant, des yeux clairs pailletés d’or comme sa chevelure châtain où passaient des reflets lumineux. Elle avait aussi un sourire facilement moqueur et ne prêtait aucune attention à son époux.
Maurice tira Charolais par la manche :
- Qui est-ce ? demanda-t-il, les yeux sur l’adorable créature.
- Le prince et la princesse de Conti ! Lui est méchant comme la gale, teigneux et aime l’or pardessus tout, ce qui ne l’empêche pas d’être jaloux… Il fait partie du Conseil de régence et il spécule tant qu’il peut chez Law.
- Et elle ? Je n’ai jamais vu de femme aussi éblouissante…
- Cela joue en faveur de votre goût, mon cher ! dit Charolais en riant. Ce n’est pas moi qui vous dirai le contraire : c’est ma sœur ! Venez ! Je vais vous présenter !
Les deux beaux-frères ne s'aimaient guère, pour ne pas dire qu'ils se détestaient franchement, bien que la franchise ne fût certainement pas la vertu principale du prince de Conti. Il suffisait de voir ses yeux qui glissaient sous la paupière à demi close. L’abord s’en ressentit : un salut sec de part et d’autre, après quoi l’aimable altesse tourna le dos à ces importuns sans même prêter attention au nouveau venu qu’on lui présentait. Humilié, celui-ci rougit tandis que sa main cherchait machinalement le pommeau d’une épée, absente puisque l’on n’en portait pas chez le roi. Un éclat de rire le ramena à la réalité. La princesse en était l’auteur :
- Vous êtes étranger ici, Monsieur, et cela se voit ! Sinon vous sauriez, comme tout un chacun, que mon époux est un rustre ! énonça-t-elle d’une voix haute et claire tandis que Maurice s’inclinait sur une petite main chargée de diamants. C’est aussi un lâche, ajouta-t-elle un peu plus bas. Il se réfugie derrière sa parenté avec le roi pour insulter les gens sans qu’il soit possible de l’amener sur le pré ! Cela dit, je vous connais déjà, Monsieur de Saxe. Mon frère est intarissable à votre sujet… et j’espère que nous vous garderons longtemps ?
Dieu qu'elle était belle ! Et tentante ! Sous l’apparat de la robe de cour Maurice devinait un corps fait pour l’amour qu’il se sentit brûler de découvrir. Comment ignorer aussi le scintillant regard qui se voilait et le lent sourire qui épanouissait les lèvres fraîches si délicatement ourlées ?
- S'il ne tient qu’à moi, Madame, je tombe à vos pieds et je n’en bouge plus…
Il sentait qu’il lui plaisait. C’était comme un courant impalpable soudain établi entre eux et peut-être, ayant tout oublié des alentours, Maurice se fût-il laissé emporter par son bouillonnement intérieur si Charolais n’avait glissé son bras sous le sien.
- Je vous l’amènerai chez vous, ma sœur, dès que vous serez de retour, puisque vous partez ce soir pour Chantilly.
- Vous le jurez ?
- Non, fit-il en l’embrassant le plus bourgeoisement du monde, c’est une promesse ! Pour l’instant, ma chère Elisabeth, vous devriez rejoindre votre délicieux mari, sinon il va entrer sans vous chez le roi…
Avec un gracieux geste d’adieu, elle glissa sur le parquet dans un froissement de soie, laissant derrière elle un sillage parfumé et à Maurice l’impression qu’on lui enlevait quelque chose d’essentiel. Surtout qu’il manquerait une lumière à sa vie s’il ne possédait pas cette étoile.
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