- Jamais, vous entendez ? Jamais ! J’aimerais mieux rendre ma nomination au Régent de France que partir avec vous !
Il sortit en claquant la porte et courut au palais, donnant au passage une pensée tendre à sa grand-mère défunte Anna-Sophia qui l’avait si souvent aidé. Malheureusement elle n’était plus là pour le conseiller. En revanche son père le reçut aussitôt et, pour une fois, lui donna raison. Auguste le Fort, s’il était faible avec les femmes, savait d’expérience comme il est parfois difficile de s'en débarrasser quand on n'en a plus rien à faire. Aussi prêta-t-il à son fils une oreille compréhensive.
- Je suis prêt, clama Maurice, à prendre tous les torts à ma charge alors qu'elle n'a jamais cessé ses relations avec son Iago ! Et voilà qu’elle découvre qu’elle m’adore et jure de devenir une épouse modèle ! Ce qu'elle veut, c'est aller à Paris ! Je n'y vois pas d'inconvénients à condition qu’elle ne porte plus mon nom. Si je ne peux m’en défaire, je ne repartirai pas !
Le roi n’eut pas le temps de répondre, Flemming qui avait ses entrées chez lui de jour comme de nuit faisait son apparition et, naturellement, n’avait rien perdu de la conversation :
- Il y a un moyen, Monsieur le comte, c’est de vous faire surprendre en flagrant délit d’adultère par votre épouse et cela en présence de plusieurs témoins. Si elle veut éviter le ridicule elle ne pourra faire autre chose que porter sa plainte devant le roi et devant le Consistoire…
- Un moment, Flemming ! coupa Auguste. Vous oubliez qu’en cassant le mariage, la loi polonaise que nous avons adoptée punit de mort le coupable ? Je n’ai nulle envie de perdre mon fils pour un jupon qui n’est pas assez blanc pour avoir le droit de se plaindre.
- Voilà qui explique une attention aussi soudaine ! ricana Maurice. M. le comte de Flemming vient de trouver le meilleur moyen d’être délivré de moi ! Et, comme ma mère ne le supporterait pas, il en aurait fini définitivement avec les Koenigsmark !
Une lueur mauvaise s’alluma dans l’œil du ministre et n’échappa pas au souverain :
- Je suis le roi ! barrit-il. Et le droit de grâce est mien ! Il ferait beau voir que l’on empêche le nom de Saxe de se couvrir de gloire en France !
Et l’on passa à l’exécution du plan paternel. Il ne fut pas difficile à Maurice de « séduire », avec son accord, la plus jolie des chambrières de sa femme - elle était d’ailleurs toute séduite mais il ne voulait pas la laisser dans l’embarras ! - et, une belle nuit, la suivante préférée de Johanna, qui était aussi sa confidente, la conduisit dans la chambre de la belle où la comtesse put surprendre son mari en pleine action. La complice de celui-ci se livra alors à un désespoir particulièrement bruyant qui attira l’ensemble de la maisonnée. Le scandale était public, l’épouse bafouée ne pouvait plus que porter plainte. Avec rage elle jeta à Maurice :
- Cela vous vaudra la mort, Monsieur, et nulle n’en sera plus aise que moi !
- Celina est assez belle pour que l’on accepte de mourir pour elle, ironisa galamment le coupable. Aussi soyez donc assez aimable pour vous retirer ! J’ai encore bien des choses à lui dire et cela adoucira mon trépas.
Et, mettant tout le monde à la porte, il reprit en riant son amoureux dialogue. Le soir même, en soupant chez son père, il trouva sa grâce sous sa serviette. Sa jeune complice passa aussitôt au service d’une amie de Maurice et reçut en outre une somme rondelette en manière de dot.
Battue sur toutes les coutures, Johanna-Victoria adressait, le 21 mars 1721, au Consistoire supérieur de l’Eglise réformée, une requête en annulation de mariage. Le 26 eut lieu la tentative légale de conciliation. La plaignante déposa la première, affirmant qu'un rapprochement n’était plus possible et énumérant ses griefs, puis Maurice vint à son tour, lut la déclaration de sa femme, et comme le président lui demandait s’il avait quelque chose à dire pour sa défense :
- Absolument rien ! J’avoue que notre affection mutuelle n’a jamais été bien vive et que les faits dont se plaint la comtesse sont parfaitement exacts.
Il ne restait plus au Consistoire qu’à déclarer dissous légalement et religieusement le mariage de Maurice de Saxe et de Johanna-Victoria de Loeben au bénéfice de la plaignante, ce qui lui laissait la possibilité de se remarier. On se sépara en s’adressant une profonde révérence comme il sied entre gens du monde. Puis l’ex-comtesse de Saxe partit aussitôt pour son château en Lusace.
Rentré chez lui, Maurice, fou de joie, écrivit à son père une longue lettre qu’il terminait ainsi : « Après que le président eut prononcé, avec toute la politesse du monde, une sentence qui d’ordinaire n’est guère polie, le surintendant voulut me régaler d’un plat de son métier car les prêtres veulent toujours se mêler de tout. Mais j’abrégeai la harangue en disant : Monsieur, je sais ce que vous voulez dire. Nous sommes tous de grands pécheurs, cela est vrai, la preuve en est faite. Je fis la révérence et je laissai ce qu’on appelle le Consistoire supérieur dans la méditation de la grande vérité que je venais de dire. »
Joyeux comme un collégien en vacances, Maurice demanda ses bagages, fit de tendres au revoir à sa mère, à sa tante et à la vieille Ulrica qui achevait douillettement ses jours à Quedlinburg, et prit à bonne allure le chemin de Paris. Il avait à conquérir la plus belle des princesses et chaque minute comptait…
CHAPITRE VII
IL ME SEMBLE QUE JE VOUS ATTENDS DEPUIS TOUJOURS…
Ce fut le 30 juillet que Maurice de Saxe retrouva la princesse de Conti. Ce soir-là, le Régent donnait une fête somptueuse en l’honneur de sa nouvelle maîtresse, la jeune et ravissante Sophie d’Averne, dans l’ancienne propriété de l’électeur de Bavière près du pont de Saint-Cloud. C’était la fille d’un conseiller au Parlement et l’épouse d’un lieutenant aux Gardes-Françaises, épileptique, qu'elle avait trompé jusque-là avec le petit-fils du maréchal de Villeroy. Ce n’était donc pas une vertu mais elle était si fraîche que Philippe d’Orléans, las et déjà malade, s’enflamma pour elle. Après la rude secousse qu’avait été la fin du système de Law, véritable tempête déchaînée sur la France, l’éclatante jeunesse de Sophie lui faisait l’effet d’un bain de jouvence. Et c’était ce renouveau qu’il fêtait avec toute la Cour.
La nuit chaude était magique. Le coup d’œil aussi. Au souper que présidaient les amants - elle dans une robe de cent mille livres -, les convives arboraient tous des habits d’or et d’argent que faisaient briller les quatorze mille lanternes disséminées dans le parc jusqu'à Seine. Et soudain le ciel s’illumina des premières fusées d’un fabuleux feu d’artifice qui allait éclairer les alentours jusqu’à Boulogne.
Lorsque l’on sortit de table, Maurice vit la princesse descendre vers le fleuve au bras d’une amie. Il hésitait à la suivre, non à cause de son époux bienheureusement absent mais parce qu’il ne savait pas trop comment il serait reçu. En effet, elle l’avait à peine regardé pendant le festin.
- Est-ce que tu restes là ? pressa Charolais déjà à moitié ivre. Va ! Suis-la ! Ne vois-tu pas qu’elle t’attend ?
- Tu rêves ! Ou plutôt tu as trop bu. Elle n’a pas paru s’apercevoir de ma présence et elle est avec une amie…
Le jeune pochard eut un rire bêlant, étouffa un hoquet mais poursuivit :
- La Saint-Aubin sait à merveille son rôle de confidente. Elle va… disparaître ! Sois tranquille !
- Tu crois ?
- Morbleu ! Aurais-tu peur, par hasard ?… Oh, et puis… fais donc ce que tu veux ! Moi… j’ai encore soif !
Et virant sur ses talons rouges Charolais revint d’un pas incertain vers les tables où quelques confrères s’attardaient à parachever leur cuite. Maurice alors n’hésita plus et se lança sur la trace de la robe argentée comme un clair de lune qui allait s’évanouir dans l’ombre. Quand il la rejoignit, la compagne avait disparu. La princesse était seule, appuyée à la balustrade de pierre, regardant le ruban scintillant de la Seine.
- Madame !… commença-t-il tandis que le bruit de son cœur battant la chamade emplissait ses oreilles.
Elle se retourna et il put voir qu'elle tremblait.
- Vous vous êtes fait attendre, murmura-t-elle d’une voix basse et émue. Pourquoi ? Vous êtes là depuis deux mois et vous n’êtes pas venu ? Ne saviez-vous pas…
- Que pouvais-je espérer… On m’a dit que vous aimiez ailleurs.
- J’ai aimé ailleurs mais notre rencontre chez le roi a effacé cet ailleurs.
Les étoiles dans sa chevelure la nimbaient d’une lueur un peu mystérieuse. Elle était belle comme un rêve… Maurice n’eut qu’un pas à faire pour être contre elle et, tout naturellement, elle vint dans ses bras qu’il resserra en cherchant ses lèvres, puis son cou, sa gorge. Sous le tissu froid de la robe, sous les pierres scintillantes glissant jusqu’à la naissance des seins, sa peau était infiniment douce et brûlante. Sentant la jeune femme vaciller, il comprit qu’elle le désirait autant que lui et peut-être depuis aussi longtemps… et, reprenant sa bouche, il chercha des yeux le nid qui pourrait les accueillir. Alors, il l’entendit rire doucement.
- Viens ! souffla-t-elle à son oreille.
Elle voulut lui prendre la main pour le guider mais, refusant de l’écarter de lui si peu que ce soit, il la glissa autour de sa taille. Ainsi enlacés, ils descendirent sur la berge du fleuve par une petite grille. Il y avait là une barge supportant une sorte de pavillon de bois qui s’ouvrit, découvrant, sous la lumière douce d’une veilleuse, un large divan et des coussins de soie… le nid que Maurice désespérait de trouver ! Un seul inconvénient : il y faisait une chaleur de four… A peine entré, Maurice sentit qu’il transpirerait mais à nouveau elle rit tout en se détachant de lui :
- Allons nous baigner d’abord !
Avec une incroyable rapidité, elle laissa tomber ses robes, lui offrant l'éclair laiteux de son corps encore paré de ses bijoux avant de se glisser dans l’eau noire. Un instant plus tard il la rejoignait pour renouer leur étreinte. L’eau était délicieusement fraîche mais pas assez pour éteindre le feu qui les brûlait. Ils y firent l’amour pour la première fois avant de revenir sur l’herbe de la berge afin d’y retrouver leur souffle. Ils s’enlacèrent de nouveau, vite repris par ce désir qu’ils portaient en eux depuis tant de mois mais, avec l’approche du jour, la nuit fraîchissait et Maurice enleva Louise-Elisabeth dans ses bras pour la rapporter dans la cabine où le lit les accueillit. Le lit… et la lumière, et pendant de longues minutes le comte découvrit toute la beauté de ce corps qui se soumettait si tendrement à lui. Avec tous ces diamants, Louise-Elisabeth ressemblait à une idole à laquelle il ne pouvait rendre que le plus païen des cultes…
- Quand vous reverrai-je ? murmura-t-il le cœur soudain serré tandis qu’elle lui échappait pour revêtir ses atours de fête.
- Mais ce soir, chez moi !… Oh, par pitié, venez m’aider ! Ces robes sont pleines de pièges et je ne sais comment m’y prendre. Alors qu’il est si facile de les ôter !
Ce fut un autre jeu, ponctué de baisers, de caresses et de rires. La chambrière occasionnelle semblait prendre un malin plaisir à compliquer la tâche. Louise-Elisabeth fut prête, la coiffure un peu en désordre mais, à la fin d’une fête chez le Régent, il ne se trouverait personne pour s’en étonner… Maurice la vit remonter vers le château, disparaître sous les arbres. Il s’étira longuement, envahi d’un délicieux bien-être… et aussi d’une grande envie de dormir. Alors, comme il était toujours nu, il replongea dans la Seine en se demandant s’il n’allait pas y rester toute la journée. Le soleil qui se levait enveloppé d’une brume de chaleur annonçait une température torride et les rues de Paris allaient devenir brûlantes.
Néanmoins, pensant qu’un billet arriverait sans doute chez lui pour compléter les indications du rendez-vous, il sortit de l’eau, se sécha, s’habilla et s’en alla à la recherche de sa voiture…
Il rentra donc à l’hôtel de Châteauneuf pour y dormir dans l’attente de la prochaine nuit mais, vers cinq heures, son valet l’éveilla en lui apportant un billet : il fallait ajourner. Le mari qui devait s’absenter demeurant à Paris pour une grave raison. Le petit roi était très mal…
Plus qu’inquiet parce qu’il savait ce que signifierait la mort du jeune Louis XV - l’écroulement de la Régence et un hallali féroce de ses innombrables ennemis sur le duc d’Orléans… et ses proches -, Maurice se précipita au Palais-Royal. L’imminence de la catastrophe y était peinte sur tous les visages et il n’eut aucune peine à apprendre ce qui s’était passé. Le matin même, tandis qu’il assistait à la messe à Saint-Germain-l’Auxerrois comme d’habitude, l’enfant s'était évanoui. La chaleur sans doute mais, ramené aux Tuileries, ses médecins constatèrent qu'il avait une forte fièvre laissant tout à craindre, même le pire.
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