- Pas de sitôt je le crains. La Tournelle va recevoir un prochain jour le titre de duchesse de Châteauroux et je ne veux pas en être. Elle me déteste et je le lui rends au centuple. Dès le printemps je serai sur mes terres de Veretz en pays de Loire…
- C'est une invitation ?
- C'est une… promesse de bien vous accueillir si vous venez jusque-là. Je n'ai jamais réussi à vous oublier, mon ami…
Maurice sauta à terre et, tandis que le carrosse repartait vers l'entrée éclairée de l'hôtel de Conti, il rebroussa chemin le long du quai pour regagner l'hôtel de Châteauneuf qui était toujours sa résidence…
Rentré chez lui, il hésita sur ce qu'il allait faire. Lorsqu’il avait dit qu'il était attendu ce n'était qu’à moitié vrai. Avant l’arrivée de Richelieu il était convenu avec sa nouvelle maîtresse, Marie-Anne Dangeville, de la Comédie-Française, d'aller l’applaudir dans Mérope, la dernière pièce de Voltaire - avec lequel il était resté lié après la mort d’Adrienne -, et l’on devait souper puis, bien entendu, finir la nuit ensemble. Obligé de suivre le duc, il avait fait porter un billet à la jeune femme lui disant qu’il serait peut-être retardé et qu’au pire des cas il la rejoindrait chez elle après le spectacle… Mais, outre qu’il était encore plus tard que prévu, il découvrait qu’il n’avait plus envie, pour ce soir tout au moins, de rejoindre Marie-Anne. Pas avec aux lèvres le parfum de Louise-Elisabeth, d’autant plus doux qu’il lui avait restitué tout le charme d’antan. Sans l’arrivée imprévue du fils, il aurait achevé la nuit dans ses bras.
Un instant il se demanda ce qui se serait passé s'ils étaient revenus de Versailles deux heures plus tôt. A entendre sa mère, le jeune Conti le haïssait encore plus que son détestable père mais lui, elle l’aimait, ce qui était parfaitement naturel. Alors de deux choses l’une : ou bien on aurait tiré l’épée et il se voyait mal plantant deux pouces de fer dans la poitrine de ce garçon, ou bien il renouvelait son exploit de la nuit de Noël mais avec vingt ans de plus, ce qui faisait une sacrée différence !
Après avoir attendu le jour en mettant ordre à ses affaires et en écrivant quelques lettres, il décida de repartir aux armées et, tandis que ses gens s’activaient, se rendit chez son joaillier près du Palais-Royal, y choisit un bracelet de saphirs et diamants qu’il fit porter ensuite, avec un billet d’adieu, chez Mlle Dangeville, rue Richelieu. Puis revint quai des Théatins où Beauvais avait fait merveille. Ses équipages étaient prêts. Il n’eut plus qu’à monter en voiture au moment où l'horloge des Quatre Nations sonnait onze heures. Traversant d'ouest en est la plus grande partie de la ville, Maurice sortit par la porte Saint-Antoine pour prendre la route qui le mènerait en Alsace avec au cœur une excitation joyeuse : il allait faire ce qu’il aimait le mieux au monde à l’exception de la victoire et de l’amour : créer ce beau régiment de cavalerie dont il rêvait depuis tant d’années et qu’il mènerait au feu dès la prochaine campagne.
Au contact de ses soldats - il avait déjà quelques-uns de ces Tartares dont il avait vanté la rapidité - il retrouva son enthousiasme et son activité. Sachant où recruter, il eut tôt fait de réunir le millier d’hommes dont il entendait faire les meilleurs soldats du monde puis les cantonna à Haguenau et à Mirecourt…
Il s'aperçut vite qu'il avait bien fait de quitter Paris plus tôt que prévu.
En ce début d’année 1743, la situation internationale s’était considérablement modifiée. L’Angleterre, sous le prétexte de protéger son Hanovre ancestral, débarquait des troupes considérables sous le commandement du duc de Cumberland4. En même temps George II nouait des alliances avec l’Autriche, la Hollande, la Saxe et la Sardaigne. En France le maréchal de Noailles avait été nommé généralissime, ce qui lui donnait le pas sur les autres chefs. Il se porta au devant de Cumberland dans l’espoir de remporter le succès qui devait dissoudre d’elle-même cette coalition. Malheureusement, le 27 juin, il se faisait battre à Dettingen entre Aschaffenbourg et Francfort et dut retraiter précipitamment, laissant planer une menace sur la frontière française.
Auparavant, Maurice de Saxe, qui commandait en second sous le maréchal de Broglie, avait, le 5 avril, rejoint l’armée du Rhin à Bamberg où, n’ayant rien à faire mais pleinement conscient de la lourde menace que représentait Cumberland, il rongeait son frein : on l’avait commis au commandement des réserves mais il n’avait pas encore vécu le pire : ce poste qu’il jugeait indigne de sa valeur lui fut enlevé brusquement. Le commandement passait… au prince de Conti.
Pour la première fois le fils et l’amant de Louise-Elisabeth se trouvèrent face à face, le second contraint de remettre les réserves à ce garçon arrogant qui n’articula pas trois paroles mais dont le regard triomphant et le sourire plein de dédain en disaient plus qu’un long discours. Il fallut que Saxe fasse appel à tout son empire sur lui-même pour ne pas lui envoyer son poing dans la figure. Rendant mépris pour mépris, il se contenta de hausser les épaules, fit volter son cheval et s’en alla rejoindre ses hommes, ce régiment de Saxe-Volontaires qui n’avait pas encore fait parler de lui.
La revanche allait être rapide : au premier engagement Conti se faisait battre à plate couture par les Autrichiens.
Une aussi complète raclée aurait dû valoir une destitution à l’impudent personnage mais il avait l’oreille du ministre de la Guerre, le comte d'Argenson, et on le confirma dans son commandement… tandis que l’on rappelait son chef, le maréchal de Broglie. Ainsi en allait-il dans ce que l’on appellerait un jour la « guerre en dentelles ». Saxe était déjà loin : le maréchal de Noailles, généralissime, connaissant sa valeur, l’avait rappelé pour lui confier la défense de la frontière mise en péril par la défaite de Dettingen.
Ce nouveau commandement allait en faire rien de moins que le sauveur de la France. En trois mois, avec les « épluchures » de Noailles, il verrouille la frontière en échelonnant depuis Landau jusqu’à Brisach cinquante-huit bataillons parmi lesquels les patrouilles de Saxe-Volontaires feront merveille. En outre, les îles du Rhin sont occupées. Tout cela a fait réfléchir le roi Frédéric II de Prusse - « Frédéric le Grand » - qui connaît bien Saxe et l’apprécie. Des ouvertures discrètes menées en direction de Versailles aboutissent… à l’envoi encore plus discret de Voltaire à Potsdam sous le prétexte officiel d’échapper aux persécutions de l’Eglise, ce qui aboutira au traité de Francfort. Mais Maurice de Saxe, qui a décidément la bougeotte, n’est déjà plus en Allemagne. On lui avait confié la mission de tenter l’impossible : renverser la dynastie de Hanovre et ramener au trône le jeune Charles-Edouard Stuart - Bonnie Prince Charlie -, le plus romantique des prétendants !
C’est une idée assez folle. Réitérer l’exploit de Guillaume le Conquérant n’a rien d’évident mais la nouvelle duchesse de Châteauroux, désormais toute-puissante, y tient : elle aime beaucoup le prétendant ! Maurice aussi qui le rencontre à Dunkerque où Charles-Edouard lui tombe pratiquement dans les bras en pleurant de bonheur. C’est un charmant prince et Saxe voudrait lui faire plaisir - d’autant qu’étriller un Hanovre est toujours une idée séduisante pour qui garde dans ses veines le sang des Koenigsmark ! -, mais cette fois c’est la Nature qui s’en mêle. Certes, il y a à Dunkerque une flotte de solides navires chargés de bons soldats, mais impossible de sortir du port ! A peine les bateaux atteignent-ils la haute mer qu’une furieuse tempête se déchaîne, en disperse quelques-uns, en démolit d’autres… Retour au port ! Une nouvelle tentative - Maurice est monté à bord du vaisseau amiral - n’a pas plus de succès.
- Décidément, grogne-t-il, les vents ne sont pas jacobites !
On décida d’attendre que le temps se calme et, pour ce faire, on s’efforça de réparer les navires endommagés et de soigner ceux qui avaient eu à pâtir des chocs contre les rochers de la côte… Cependant à Versailles les vents tournaient plus vite que ceux de la mer et un courrier du ministre d’Argenson rappela le comte de Saxe à Paris. Les configurations astrales n’étant pas non plus favorables, on abandonna le projet… momentanément tout au moins puisque la guerre officielle était déclarée entre la France et l’Angleterre. Leurs rois respectifs s’étaient adressé des lettres bourrées de revendications, on allait donc en découdre. Mais une belle surprise attendait Maurice à Versailles : le lundi de Pâques 6 avril 1744 il était nommé maréchal de France.
Ce fut presque un scandale : on avait osé donner le bâton aux fleurs de lys à un huguenot ? Impensable ! Inadmissible ! Mais Maurice n'était pas fait d'un autre bois que son géniteur. Celui-ci s’était converti au catholicisme pour coiffer la couronne de Pologne, Maurice déclara qu’il était tout disposé à « se faire instruire ». Ce qui ne calma pas la cabale montée par le prince de Conti, outré de voir son ennemi au faîte des honneurs et autorisé, comme lui-même, à s’entendre appeler « mon cousin » par le roi… Il fallut un ordre formel du souverain pour que Conti n'oblige pas Maurice à régler sur le pré leur différend :
- Que cela vous plaise ou non… mon cousin, il en sera selon notre volonté.
- Sire, songez-y ! Le bâton fleurdelisé à ce parpaillot, ce reître, ce bâtard, ce…
- Un mot de plus, prince de Conti, et c’est la Bastille ! Quiconque offense le maréchal de Saxe offense le roi !
- Sire ! Cet homme a déshonoré ma mère, pris sa part de la mort de mon père et…
- Vous avez des preuves ?
- N… on. Non !
- En ce cas, ayez-en et peut-être alors vous écouterons-nous. En attendant oubliez même l’idée d’un duel ! C’est un ordre !
Comprenant qu’il était battu, Conti se retira… pour porter sa plainte à la duchesse de Châteauroux. La favorite n’aimait pas Saxe. En revanche elle appréciait son ennemi. Elle promit son aide mais cette fois n'obtint rien. Certes, elle était chère à Louis XV mais, comme tous les timides, il compensait par une obstination tenace sur certains points. Maurice de Saxe était de ces points-là parce que Louis n’ignorait pas qu'une partie de l’Europe le lui enviait. La nomination fut maintenue et l’on se contenta de la déclaration de bon vouloir de l’intéressé sans pousser jusqu’à l’abjuration. Bien plus, le roi accueillit alors dans ses armées un autre étranger déjà fameux que lui recommandait le nouveau maréchal dont il était l’ami : Ulric-Frédéric-Valdemar comte de Lowendal, dont le parcours offrait bien des analogies avec celui de Saxe. Né Danois, il avait comme lui porté le harnachement et le fusil à treize ans, s’était engagé au service de la Saxe, puis de la Russie d’Anna Ivanovna pour laquelle il avait chassé les Tartares d’Ukraine… A peu près du même âge, les deux hommes sont complémentaires, s’entendent à merveille et il y a du grain à moudre !
A la fin du mois d’avril, Maurice est à Valenciennes avec l’armée de la Moselle qu'il commande directement, l'autre manœuvrant sous Noailles avec, d'ailleurs, une parfaite entente entre les deux chefs… Saxe et ses cavaliers pratiquent une guerre d'usure et de harcèlement plus efficace que celle, trop statique, de siège. Le 7 mai, il prend Menin puis, sous les yeux du roi qui l'a rejoint, Courtrai, Ypres et Fumes. Une mauvaise nouvelle tombe à ce moment : Charles de Lorraine a franchi le Rhin et pris Lauterbourg. Alors, laissant le maréchal garder les Flandres à lui tout seul, le roi et Noailles galopent au secours de l’Alsace. Le 4 août, Louis XV est à Metz… et c’est la catastrophe !
Dans la nuit du 7 au 8 août, il tombe si gravement malade que comme une traînée de poudre la nouvelle court à travers la France, générant la consternation et la douleur. De toutes parts les églises, où commencent les prières de quarante heures, regorgent de fidèles. On implore le Ciel d’épargner ce jeune roi que l’on adore au point qu’on le surnomme le Bien-Aimé. Lui pendant ce temps se bat contre la mort. Mme de Châteauroux et sa sœur Lauraguais ne le quittent pas et pourtant elles vont devoir s’éloigner : le roi doit être « administré », et avant tout renoncer à ses péchés. L’évêque de Soissons et le duc de La Rochefoucauld s’emparent de sa chambre que gardaient trop bien les deux sœurs. Elles doivent quitter Metz sous les huées du peuple tandis que, faisant le chemin inverse, la reine, acclamée tout au long de la route, accourt de toute la vitesse de ses chevaux. Mais ce n’est pas encore assez pour l’évêque et son associé : il faut que le mourant fasse une confession publique, une espèce d’amende honorable rédigée dans les termes les plus avilissants. A l’exception du bas peuple, la Ville et la Cour vont l’entendre. Et aussi le Dauphin qui arrive. Les dévots réduits depuis longtemps à la seule cour de Marie Leczinska prennent leur revanche et la veulent éclatante. Ce qu’elle sera… et que Louis XV, revenu à la conscience, ne leur pardonnera jamais !
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