Car il guérit soudain. Contre toute attente, il ressuscite littéralement et la joie du peuple déferle comme une grande marée. On chante, on danse dans les rues tandis que les Te Deum éclatent dans les églises. On ne remerciera jamais assez le Seigneur… Le roi, lui, s’en va passer quelques jours chez son beau-père, Stanislas Leczinski, au château de Lunéville, puis à Strasbourg d’où il rejoindra le maréchal de Noailles qui assiège Fribourg. Louis XV lui-même emportera la place sous une pluie battante avec le soutien de Lowendal qui sera blessé durant le dernier assaut. Mais quand, deux mois plus tard, il regagne Versailles en triomphateur au début de la mauvaise saison qui arrête les combats, il va régler ses comptes : La Rochefoucauld et le duc de Châtillon qui s’était « donné des airs de maire du palais » durant la maladie sont exilés sur leurs terres, l’évêque de Soissons consigné dans son évêché avec interdiction d’en sortir. Plus jamais le soleil de Versailles ne brillera pour ces trois-là. Et, bien entendu, la duchesse de Châteauroux et Mme de Lauraguais sont rappelées.
Pas pour longtemps. Début décembre, dans son hôtel de la rue du Bac à Paris, Mme de Châteauroux tombe malade et meurt en si peu de temps que le bruit du poison se propage. Le chagrin du roi est extrême. D’abord réfugié dans son château de La Muette il ne rentre à Versailles que pour s'enfermer au Grand Trianon… Bientôt cependant une très jolie femme va paraître dans sa vie avec la volonté affirmée de se faire aimer du roi. Elle est toute jeune, élégante, ravissante, pleine d’esprit et de charme. Elle s'appelle Mme Le Normand d'Etioles, belle-fille d’un fermier général, Le Normand de Tournehem, dont on chuchote qu’il pourrait être son vrai père, et ce n'est qu’une bourgeoise, pourtant Versailles abasourdi découvrira en elle un astre singulièrement brillant…
Que devenait pendant ce temps-là le maréchal de Saxe ?
Chargé de garder la Flandre avec un effectif de quarante mille soldats il tenait en échec, depuis Courtrai, un adversaire de beaucoup supérieur en nombre. Ne se livrant guère qu’à de rares escarmouches, il en profitait pour instruire ses régiments au maniement de nouvelles armes : fusil à baguette de fer, cartouches à balle, canon suédois pouvant tirer jusqu’à dix coups en un temps record, qui allaient lui permettre d’affiner les plans de stratégie déjà développés dans ses Rêveries. Des principes qui prouveront leur efficacité dans la campagne de l’année suivante avant de devenir règles de bataille dans l’armée française durant les guerres de la Révolution et de l'Empire. Il s’attarda même une partie de l’hiver pour une raison où la guerre n’avait pas grand-chose à voir. Une opération aux environs de Courtrai lui permit de pousser une avance à Lille… et de se retrouver au rendez-vous des souvenirs !…
Le maréchal de France céda soudain la place à un petit lieutenant de quinze ans à qui Schulembourg enseignait la guerre et qu’il tentait de convertir aux bienfaits de la vertu. Un gamin monté en graine subjugué par la grâce d’une petite dentellière de douze ans. Tout lui revenait. En revoyant la grande salle du château il évoqua sans peine le banquet du prince Eugène, la gaieté de la fête qu’avait couronnée l’apparition de jeunes filles portant des corbeilles de dentelles. Il revoyait Rosette si ravissante avec ses yeux clairs, son teint de fleur et son sourire ! Une bouffée de nostalgie lui remonta du cœur avec le désir fou de la revoir ou du moins de savoir ce qu’il était advenu d’elle. A l’époque il n’avait aucun moyen de faire des recherches mais à présent il disposait d’un véritable service de renseignements. Il le lança sur les faibles traces qu’il avait pu relever, offrant même une récompense à qui la retrouverait. Mais c’était une vieille histoire et, si remarquable que fût l’habileté de ses limiers, ils en vinrent à la même conclusion : il semblait que ni Rosette ni sa petite Julie ne fussent sorties vivantes du couvent où le père Dubosan les avait enfermées. Hélas, on ne put lui dire où se trouvait leur tombe. Et, cette nuit-là, le maréchal de Saxe pleura comme avait pleuré le gamin d’autrefois lorsqu'on lui avait appris qu’il devait renoncer.
Malgré tout il se rendit au couvent en question et demanda à parler à l’abbesse, mais elle ne le reçut même pas entre deux portes. Outre qu’il était l’ennemi, sa réputation de coureur de jupons l’avait précédé. On l’éconduisit sans plus de façons. En quittant le couvent, il se sentit tout à coup si las qu’il ne prit pas garde à la violente rafale de pluie venue soudain s’abattre sur la ville. Tandis que d’un pas pesant il allait rejoindre sa voiture, il ne vit pas une jeune femme qui, la tête enveloppée d’un châle, courait à perdre haleine à travers les flaques d’eau pour échapper à l’averse. Elle le heurta de plein fouet, manquant le faire tomber, mais il pesait trop lourd pour être si facilement déraciné. Ce fut elle qui perdit l’équilibre et instinctivement se raccrocha à lui :
- Oh, pardon ! s’excusa-t-elle. Je ne vous avais pas vu, Monsieur !
- Vous devriez porter des bésicles, jeune dame, car je suis haut et lourd et n’ai rien d’un pur esprit…
Avec un sourire contrit elle voulut poursuivre son chemin mais il la retint :
- Vous allez loin ?
- Assez, oui… et j’ai été surprise par la pluie…
- En ce cas, permettez-moi de vous accompagner. Ma voiture est là et sans doute la pluie vous empêche-t-elle aussi de la remarquer ?
- Non… et j'accepte avec plaisir ! Je suis trempée…
Il l’aida à monter puis s’installa près d’elle et se découvrit pour la saluer, heureux de cet aimable intermède surgi au milieu de sa peine. Elle était toute jeune, charmante… et même elle ressemblait un peu à Rosette ! Quand elle lui eut appris qu’elle était dentellière, il ne douta plus qu’elle ne fût envoyée par le Ciel pour adoucir le chagrin revenu de si loin ! Pour elle il déploya l’arsenal de sa séduction et quand il le voulait il savait être irrésistible. Aussi ne résista-t-elle pas longtemps. Elle s’appelait Mathilde et, pour elle, Maurice prolongea son séjour en Flandre…
CHAPITRE XI
LE GÉNIE DE LA VICTOIRE
- Ne croyez-vous, mon cher ami, que vous devriez vous ménager ?
Venu de sa chère Avignon afin d’assister aux fêtes du mariage du Dauphin avec l'infante Maria-Raffaela, le chevalier de Folard observait avec une pointe d’inquiétude la démarche de son ami Saxe avec lequel il faisait une promenade dans le parc de château du Piple, à Boissy-Saint-Léger, que le maréchal venait d’acheter… Le pas avait sans aucun doute pris de la lourdeur bien que Saxe s'efforçât de manier avec désinvolture sa canne à pommeau d’or. Il ne répondit d’ailleurs pas tout de suite et Folard, avec un rien de sévérité, reprit :
- Quel âge avez-vous ?
- Quarante-neuf ans ! grogna le maréchal. Et ne commencez pas à jouer les mentors sous le prétexte qu’à… soixante-quinze ans…
- Soixante-seize !
- De mieux en mieux ! Qu’à soixante-seize ans donc vous voltigez comme un danseur de ballet ! Vous savez bien que ma vieille blessure de Crachnitz me taquine toujours sinon je n’irais pas me morfondre tous les étés prendre les bains de Balaruc au fin fond de la France ! Que j’éprouve… parfois un peu de peine à marcher est tout à fait naturel et, dans mon cas, les jambes sont moins importantes que le cheval !
- Je vous trouve tout de même le souffle un peu court ! poursuivit l’autre, impitoyable.
- Et que préconisez-vous, docteur Folard ? Que j’aille faire des galipettes au cimetière Saint-Médard sur la tombe de ce malheureux diacre Pâris, comme vous le fîtes jadis ?
- Vous pourriez faire plus mal ! Quant à moi, j’en ai ressenti un grand bien. Cela dit, revenons à notre propos initial : je sais que vous travaillez trop… et l’on vous prête beaucoup trop de maîtresses !
Maurice éclata de rire, sa mauvaise humeur envolée :
- On ne prête qu’aux riches, mon cher. C’est vrai que j’aime les femmes ! Mieux, j’en ai besoin comme d’une drogue et cela tient de famille ! N’oubliez pas que je suis fils d’un homme qui eut, dit-on, trois cent soixante-cinq bâtards, donc au moins autant de maîtresses !
- Sans doute, mais le roi Auguste n’était pas toujours sur la brèche comme vous-même. Vous n’êtes rentré des Flandres que fin novembre, nous voici en mars et je gage que…
- Que je vais repartir ? Bien sûr et dans peu de jours.
- Alors à quoi bon ceci ? fit le chevalier en enveloppant d’un geste large le parc aux cent hectares et le joli château, neuf car il n’y avait guère plus de vingt ans que le fermier général Cantorbe l’avait bâti avant d'être obligé de le céder précipitamment à un autre propriétaire1.
- Justement parce que j’ai senti la nécessité de respirer hors de Paris et surtout d’y être tranquille…
- Tranquille ? Pas de châtelaines épisodiques alors ?
- Pas encore ! Je viens d’acheter le Piple, j’y fais des travaux, j’y prends mes aises… et je le présente à mes amis. Voltaire est venu hier et, tenez, lui aussi s’inquiète de ma santé.
- Il est plus sage que je ne pensais… mais il continue à vous présenter des comédiennes…
- Je n’ai pas besoin de lui pour cela ! La Comédie, l’Opéra sont pour moi autant de corbeilles de fleurs où je n’ai qu’à cueillir…
- Qui est la sultane du moment ?
- Allons, Folard ! Ne m’obligez pas à être indiscret !
C’était montrer bien de la vertu sur un sujet qui relevait du secret de Polichinelle. Les aventures du maréchal de Saxe défrayaient la chronique amoureuse de Paris. Après Mlle Dangeville prise au marquis de Mirabeau et qu’il lui avait rendue, il y avait en ce moment la charmante Mlle Navarre, de la Comédie-Française, et en même temps « une petite Gélin qui me joue de mauvais tours. J’ai été tenté deux ou trois fois de la noyer ! ». Ce qui nel’empêchait pas de fréquenter le « salon » légèrement faisandé de Mme de La Popelinière, fille du comédien Dancourt et épouse séparée d’un fermier général grâce à une liaison avec le duc de Richelieu. Maurice de Saxe était un pilier de ce salon qui n’avait pas grand-chose à voir avec ceux de Mme Du Deffand ou de la marquise d’Epinay. En outre, lorsque revenait la saison de la guerre, il emmenait à sa suite trois ou quatre courtisanes pour son service quotidien… Sans oublier les beautés locales ! Il en venait à un point où il ne pouvait se passer de femmes, au pluriel, la diversité augmentant son appétit… Honnête avec lui-même, il convenait en son for intérieur que de tels excès pouvaient avoir des conséquences fâcheuses sur un homme plus de première jeunesse et dont le métier était déjà éreintant… Mais il refusait de s’y arrêter.
Folard reparti, Maurice alla se coucher, épuisé par l’effort qu’il venait de produire durant la visite de son ami pour être « à la hauteur ». Il se sentait même si mal qu’il appela Senac, le médecin attaché à sa personne par ordre du roi et qu’il s'efforçait de consulter le moins possible parce que, en dehors des saignées, des pilules et autres clystères, il n’appréciait pas ses prescriptions.
Celui-ci diagnostiqua une crise d’hydropisie déterminée par un accident vénérien générateur de vives douleurs. Il s’essaya à la sévérité, ce qui n’était pas facile avec ce diable d’homme :
- Si vous voulez vivre longtemps, Monsieur le maréchal, il va falloir être prudent.
- Qu’appelez-vous être prudent ?
- Rester couché d'abord… et tout seul !
- Rester couché ? s’écria le malade, ignorant superbement l’autre moitié de la recommandation. Mais je dois rejoindre mon commandement en Flandre la semaine prochaine !
- Eh bien faites-vous porter en litière !
- Un soldat en litière ? vous vous moquez de moi, Senac ?
- Quand on est malade on est malade ! Le cardinal de Richelieu n’y regardait pas de si près et il a donné ses lettres de noblesse à la litière !
- C’était un homme d’Eglise ! Moi, je suis un homme de guerre !
- Il faut savoir si l’homme de guerre veut vivre !
- Il ne s’agit pas de vivre mais de partir ! brama Maurice. Faites quelque chose ! Soulagez-moi, que diable !
- C’est ce que je vais faire. Vous avez le bas-ventre rempli d’eau. Je vais donc ponctionner… mais ensuite : repos ! ajouta-t-il avec un regard éloquent vers le plafond au-dessus duquel on entendait claquer des talons de mules et parfois des bribes de chanson.
Le malade eut un petit rire enroué :
- D’accord pour ce soir, en tout cas, je souffre trop !
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