— Vingt-deux ! vingt-trois... rugit Jolival ! Il va y en avoir cent un ! C’est un garçon !... Vive l’Empereur ! Vive le Roi de Rome !...
Comme par magie, son cri eut un écho immense. On entendit s’ouvrir les fenêtres, claquer les portes, hurler les gorges de tous les Parisiens qui se précipitaient dans les rues. Marianne, seule, n’avait pas bougé et fermait les yeux. Ainsi Napoléon avait enfin le fils qu’il désirait tellement ! La rose génisse autrichienne avait accompli son travail de génitrice ! Comme il devait être heureux ! Et fier !... Elle l’imaginait, éveillant les échos du palais sous les éclats métalliques de sa voix, sous le claquement nerveux de ses talons... L’enfant était né et c’était un garçon !... Le Roi de Rome !... un bien beau nom qui résumait l’empire du monde ! Un nom bien lourd aussi pour de si fragiles épaules.
— Allons, Marianne ! Il faut boire à cette heureuse naissance !
Arcadius avait fait sauter le bouchon d’une bouteille de Champagne, emplissait les verres, en offrait un à chacune des deux femmes ! Son regard joyeux alla de l’une à l’autre tandis qu’il levait la flûte de cristal translucide où pétillait le vin d’or pâle.
— Au Roi de Rome !... Et à vous, Marianne ! Au jour où nous boirons à votre fils ! Il ne sera pas roi, celui-là, mais il sera beau... fort et brave comme son père !
— Vous le croyez vraiment ? demanda Marianne dont les yeux se mouillaient à la seule évocation d’un si grand bonheur.
— Je fais mieux que le croire, dit Arcadius gravement : j’en suis sûr !
Et, vidant son verre, il l’envoya, à la manière russe, se briser contre le marbre de la cheminée en concluant :
— ... aussi sûr que d’avoir à jamais détruit ce verre.
L’une après l’autre, les deux femmes l’imitèrent, amusées par cette coutume bizarre, puis Marianne ordonna :
— Réunissez les domestiques, Arcadius, et faites-leur, à eux aussi, servir du Champagne ! C’est dans la joie que je veux leur dire adieu parce que je ne les reverrai qu’heureuse ou pas du tout... Je vais m’habiller !
Et elle alla se préparer pour le long voyage qui allait commencer. Au-dehors, par-dessus les cris de joie et les vivats des Parisiens, le canon tonnait toujours... On était le 20 mars 1811.
Notes
[1] Les représentations commençaient beaucoup plus tôt que de nos jours et s’achevaient de même. Cela permettait de regagner des propriétés parfois assez lointaines.
[2] L’une des tours domine le village et les trois autres l’étang.
[3] Chapeau retroussé devant et derrière.
[4] Adieu.
[5] A cette époque, en effet, l’ancien forçat François Vidocq, qui travaillait obscurément caché parmi la faune des prisons, eut la permission de s’évader définitivement. Il devait ensuite faire partie de la police d’Etat et même en devenir le chef.
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