En effet, après le départ de Louise de La Fayette, le Roi était resté quelques jours à Versailles, accablé sous le poids d'une douleur si cruelle qu'un accès de fièvre s'en était suivi. Son visage en portait encore les traces.
- Ne vous souciez pas de ma santé, Madame, ricana-t-il en agitant le message sous le nez de sa femme. Ceci m'a fait le plus grand bien. Rien de tel, voyez-vous, qu'une victoire sur l'Espagne pour me rendre des forces et je suis heureux que vous partagiez ma joie. Nous fêterons cela ces jours prochains... tenez ! au château de Madrid [xxi] ! Cela me paraît tout à fait de circonstance.
Ayant dit, il tourna le dos, enflamma le papier à un candélabre et jeta le tout dans la cheminée. Après quoi, il alla prendre Mlle de Hautefort par la main et l'entraîna dans l'embrasure d'une fenêtre comme il faisait naguère avec sa chère Louise.
Le lendemain, tout Paris commentait le retour en faveur de l'Aurore et Sylvie obtenait un congé de quelques jours pour aller soigner son parrain.
- Croyez-vous que ce soit bien le moment d'abandonner votre poste ? gronda Marie qui, adossée à une commode dans la chambre de Sylvie, la regardait se préparer au départ.
- Je n'abandonne pas mon poste : je vais aider quelqu'un que j'aime beaucoup.
- Allons donc ! Pas à moi, ma petite ! Je croirais plutôt que c'est vous qui avez besoin de vous remettre. Les douleurs du parrain sont venues bien à propos après notre séjour au Val-de-Grâce dont vous ne gardez peut-être pas le meilleur souvenir ? J'ai raison ?
[xxi]. Le château de Madrid, dans le bois de Boulogne, a été construit par François Ier en souvenir de sa captivité espagnole.
Quittant sa commode, Marie vint prendre son amie aux épaules pour l'obliger à lui faire face.
- Regardez-moi, Sylvie ! Quand vous vous essayez à mentir cela se lit comme dans un livre sur votre figure. J'ai raison, n'est-ce pas ?
- Oui... Oh ! Marie, essayez de me comprendre ! J'ai vécu une nuit horrible. Je sais, vous allez me répéter que j'étais prévenue et que mon cour était par trop aventuré...
- Non. Ce n'est pas ce que j'allais vous dire. Ce que vous avez souffert, je l'endure moi aussi : je sais ce qu'il en coûte d'ouvrir devant celui qu'on aime la porte d'une chambre qui n'est pas la vôtre.
Brusquement sèches, les yeux de Sylvie s'ouvrirent démesurément.
- J'ai mal entendu ? Vous n'êtes pas en train de me dire que... vous l'aimez, vous aussi ?
- Mais si ! C'est tout à fait cela et je ne suis pas la seule. J'ajoute qu'il n'en saura jamais rien et que, dans le cas contraire, cela ne lui ferait ni chaud ni froid : il n'a d'yeux que pour la Reine et nous ne sommes pour lui que de charmantes amies qui viennent au secours de ses amours.
- C'est insensé ! Pourquoi faites-vous cela ?
- Ce serait trop long à vous expliquer. Je peux seulement vous dire ceci : mon amour n'ayant aucun avenir, je le soumets à celui que je porte à ma souveraine. Je ne veux pas qu'une infante d'Espagne, une reine de France soit chassée, répudiée sur les conseils d'un Richelieu qui la hait d'autant plus qu'il n'a jamais réussi à se faire aimer d'elle.
- Il me semble qu'au contraire vous faites tout pour cela. Que croyez-vous qu'il se passerait si l'on apprenait qui la Reine reçoit dans sa chambre en secret ?
- Mais on ne le saura pas. Nous sommes trois à être dans le secret : vous, moi et La Porte. Celui-ci est plus dévoué qu'un chien, quant à nous deux, nous aimons trop M. de Beaufort pour vouloir autre chose que son bien. Et son bien fait partie du plan que j'ai conçu !
- Un plan ? Mais pourquoi ?
- Parce qu'il plaît à la Reine et qu'il est le seul petit-fils d'Henri IV qu'elle regarde avec des yeux de femme éprise. Vous partez toujours ?
- Oui. Accordez-moi ces quelques jours ! Je suis moins forte que vous et j'ai besoin de me reprendre. D'ailleurs, il me semble que vous pouvez suffire seule à la défense de notre maîtresse, puisque vous êtes en train de reprendre toute votre influence sur l'esprit du Roi.
Hautefort haussa les épaules :
- Toute mon influence, c'est beaucoup dire ! Disons que c'est une chance sur la durée de laquelle il ne faut pas garder trop d'illusions. Le Cardinal souhaitait que le Roi tourne ses regards vers Mlle de Chémerault pour remplacer La Fayette, mais il se trouve qu'elle ne lui plaît pas. Le Roi aurait répondu que " son visage ne lui revenait pas " et qu'à tout prendre, il aimait mieux se " raccommoder " avec moi. Cette reprise-là pourrait bien n'être pas très solide.
- Est-ce que cela ne dépend pas beaucoup de vous ? Vous preniez plaisir, me disiez-vous, à malmener votre amoureux autrefois, d'où sa préférence pour Mlle de La Fayette. Soyez plus douce !
Marie éclata de rire.
- Voyez-moi la jolie prêcheuse ! Il faut me prendre telle que je suis, petit chat, ou me laisser. D'ailleurs, si je changeais, le Roi trouverait cela bizarre. Il est habitué à mes manières.
Sylvie n'insista pas mais en s'éloignant, une heure plus tard, en compagnie d'une Jeannette enchantée, elle éprouva un sentiment de soulagement et de libération. Le vieux Louvre bourré d'intrigues, où ne cessaient de se croiser haines, amours et intérêts de toutes sortes avait quelque chose d'oppressant. Chez Perceval, elle espérait retrouver un peu de la joyeuse insouciance de l'enfance. Un peu seulement, car elle avait pris soin d'emporter la fiole de poison dont le seul contact suffisait à gâcher toute joie mais qu'il lui était impossible de laisser derrière elle. De son côté, Jeannette était au moins aussi contente qu'elle, le contact quotidien avec la domesticité du palais et surtout les servantes des filles d'honneur ne constituant pas une réelle source de félicité.
La chambre tendue de brocatelle jaune où Nicole Hardouin introduisit Sylvie à son arrivée rue des Tournelles plut à la jeune fille au premier regard : elle donnait sur le jardin et n'avait jamais été occupée depuis que Raguenel avait acheté la maison. Il l'avait alors fait repeindre et retapisser dans l'espoir qu'un jour, peut-être, sa fille adoptive pourrait l'habiter. Le soin apporté dans les plus petits détails, comme le miroir de Venise et les jolis objets de toilette en argent, toucha Sylvie : c'était la preuve d'une vraie tendresse et elle en remercia son parrain quand, après le souper, ils se retrouvèrent tête à tête dans le cabinet de Perceval. Mais il refusa les remerciements.
- C'est à moi que j'ai fait plaisir. J'étais heureux d'imaginer qu'un jour vous prendriez possession de cette chambre. J'ai donc tout fait pour vous convaincre qu'ici vous seriez chez vous.
- Vous avez réussi. Je me sens tellement bien ! soupira-t-elle en caressant les bras du fauteuil où elle était assise.
- Mieux qu'au Louvre ?
- Oh ! le Louvre...
Elle eut un geste évasif qui en disait long.
- Vous n'y êtes pas heureuse et c'est ce que je craignais. Je n'étais pas d'accord pour que vous deveniez fille d'honneur si jeune, mais quel moyen avais-je de l'empêcher ? La Reine vous demandait, le duc César y tenait pour je ne sais quelle obscure raison...
- Elle n'avait rien d'obscur : il voulait se débarrasser de moi.
- C'est possible, mais j'ai eu aussi l'impression que vous-même souhaitiez prendre cet état ?
- Rien de plus vrai. Je me demande, à présent, si j'avais raison ou tort. Tout est si compliqué, si difficile autour de moi, au point que je finis par ne plus savoir qui complote avec qui et pourquoi !
- À ce point ? Mais la Reine ?
Sylvie faillit dire qu'elle complotait plus encore que tout le monde, mais se contenta de soupirer :
- Oh ! la Reine est très bonne et j'ai la chance d'avoir, en sa dame d'atour, une amie.
- Mlle de Hautefort ?
- Oui. Toutefois, elle adore la Reine et son amitié, je pense, dépend entièrement de la qualité de mon dévouement à notre maîtresse.
- Si vous déméritiez, elle pourrait se changer en ennemie. Et une ennemie redoutable, soyez-en sûre. Mais vous n'avez rien à craindre : vous aimez Sa Majesté.
- Oui... oui, bien sûr.
La légère réticence n'échappa pas aux oreilles attentives de Perceval qui, cependant, ne releva pas. Il se pencha, prit la main de sa " fille " et la garda un instant dans les siennes, ce qui lui permit de constater qu'elle tremblait.
- Dites-moi maintenant comment vous en êtes arrivée, l'autre nuit, là où je vous ai trouvée. Si, comme vous me l'avez confié, vous suiviez... François depuis l'abbaye du Val-de-Grâce, c'est qu'apparemment il y était, comme dirait M. de La Palice. Alors, si vous vouliez lui parler, pourquoi pas là-bas ? Pourquoi faire tout ce chemin en vous cachant ? Il vous avait vue au Val, je suppose ?
- Oui. En arrivant, mais quand il est parti j'étais censée être dans mon lit.
- Il est donc resté si longtemps ?
D'un seul coup, Sylvie s'empourpra. Elle crut entendre la voix de Marie affirmer : " Nous ne sommes que trois à savoir : vous, moi et La Porte. " Par la faute de sa folle équipée de l'autre nuit et des quelques mots prononcés pour l'expliquer, Raguenel était entré, lui aussi, dans le secret... mais était-ce grave ? Le regard qu'elle leva sur son parrain était si chargé d'angoisse qu'il s'en émut, comprenant qu'il venait de toucher un point très sensible.
- Venez là ! dit-il en l'attirant vers lui. Venez tout près de moi afin de mieux sentir combien je vous aime et désire vous aider ! Vous n'avez que quinze ans et vous n'avez personne à qui demander conseil, sinon moi, moi qui aimerais mieux mourir que vous trahir ou vous faire du mal...
Sylvie alors éclata en sanglots et, se laissant glisser à terre, vint poser sa tête sur les genoux de Perceval. Elle savait qu'elle pouvait tout lui confier, qu'il serait plus discret qu'un confesseur et que le poids devenait trop lourd pour un cour de quinze ans. Alors, à voix basse comme si elle craignait que les murs même puissent entendre, elle lâcha sa charge : la correspondance secrète avec l'ennemi, les visites nocturnes et surtout celle, interminable, de Beaufort.
- Si vous l'aviez vu marcher par les rues quand il est reparti ! Il avait beau être masqué, on aurait dit qu'il était devenu le roi du monde.
- C'est un peu ça. Et la Reine, quelle était sa mine, au matin ?
- Oh ! rayonnante ! Jamais je ne lui ai vu l'air si heureux. On aurait dit qu'elle venait de recevoir des nouvelles merveilleuses. Il est vrai qu'elle ignorait le succès de nos armes sur les Espagnols, succès que le Roi lui a annoncé hier sans le moindre égard. Ensuite, il a pris la main de Mlle de Hautefort afin de lui parler en privé... Mais, pour François, que pensez-vous ?
- Qu'il est devenu l'amant de la Reine ! gronda Perceval sans ménagement. Ce qui constitue une véritable folie !
C'était exactement ce qu'imaginait Sylvie, pourtant elle fit une dernière tentative, bien féminine pour sauver ses illusions naufragées.
- Mais elle a quinze ans de plus que lui !
- Cela ne compte pas, Sylvie ! Elle est très belle, elle est la Reine et vous saviez déjà qu'il l'aimait. À présent, nous savons aussi qu'elle l'aime. Reste à savoir jusqu'à quel point ?
- Que voulez-vous dire ?
- Que les risques courus sont énormes. Qu'arrivera-t-il si Richelieu, toujours à l'affût, découvre qu'elle trompe le Roi ?
- Un scandale, je suppose, et la répudiation pour adultère ?
- Sans doute, et elle est assez intelligente pour mesurer les risques qu'elle court. Et pourtant, elle les court à un moment où sa situation n'est pas brillante. C'est cela qui est prodigieux !
- D'autant plus que Mlle de Hautefort prétend que tout cela fait partie d'un plan conçu par elle au mépris de l'amour qu'elle porte, elle aussi, à François.
- Un plan ?
- C'est le mot qu'elle a employé. Elle a ajouté que c'est parce que François est le seul petit-fils d'Henri IV que la Reine regarde avec tendresse... Je vous avoue que je ne comprends plus rien et que je suis très, très heureuse d'être ici, avec vous. Loin de toutes ces intrigues qui me dépassent !
Perceval ne répondit pas, se contentant de caresser la tête soyeuse posée sur ses genoux. Il réfléchissait si profondément que Sylvie, surprise de ce soudain silence, le crut endormi. Non point, il avait les yeux grands ouverts, mais fixes, et même il prit sa pipe dans un pot de faïence placé sur une table auprès de lui et l'alluma. Elle n'osa pas troubler sa méditation. Au bout d'un moment, enfin, il demanda :
- Et Mlle de Hautefort, qui a un plan, est revenue dans la faveur du Roi ? Dites-moi, Sylvie, est-ce que Louis XIII rejoint souvent la Reine, la nuit ?
"La chambre de la Reine" отзывы
Отзывы читателей о книге "La chambre de la Reine". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "La chambre de la Reine" друзьям в соцсетях.