— Sans doute, mais, depuis qu’elle est à moi, je ne supporte plus l’idée qu’un autre entre dans son lit.
— Un autre ? Le Roi ? souffla Marie indignée. Pour le coup, mon ami, vous êtes fou !
— Peut-être, mais je regrette surtout de vous avoir écoutée à Chantilly. J’aurais dû l’enlever et, à cette heure, elle serait gouvernante des Pays-Bas et…
— Elle serait surtout une femme salie, décriée, abandonnée peut-être comme l’est la reine mère…
— Jamais ! Je lui aurais conquis un royaume…
— Balivernes ! Vous oubliez l’Inquisition ! Croyez-vous qu’une fois aux Pays-Bas, elle aurait toléré votre adultère affiché ? Le Cardinal-Infant non plus et, à cette heure comme vous dites, vous auriez sans doute été remis à des séides de notre Cardinal, à moins que l’on ne vous ait proprement tranché la gorge dans quelque coin bien noir !
— Vous êtes impitoyable ! Dites-moi au moins… comment cela s’est passé, car je suppose que vous avez épié le couple royal toute la nuit ?
— Il est vrai que je n’ai guère dormi mais je ne vous dirai rien de ce que je sais. Il s’agit de mes souverains et je suis leur fidèle sujette !
— Et vous ? Me direz-vous ? pria François en attirant Sylvie presque contre lui. Vous deviez être là, vous aussi ?
— Pour qui me prenez-vous ? coupa Marie. Les secrets d’alcôve ne conviennent pas à d’aussi innocentes oreilles. Sur mon ordre, Mlle de L’Isle est allée se coucher. C’est, je suppose, la seule à avoir bien dormi cette nuit !
— Quand la reverrai-je ?
— Pas de sitôt, je le crains. Ou plutôt je le souhaite. D’une part nous entrons dans l’Avent et ensuite, si Dieu le veut, la Reine sera trop surveillée. Il faut vous éloigner !
— Ne me demandez pas l’impossible !
— Je vous demande l’indispensable pour sa sécurité… et la vôtre ! De toute façon et jusqu’à nouvel ordre, il ne faut plus compter sur moi… ni sur Sylvie bien entendu. Tâchez de vous distraire, faites un voyage, allez vous battre sous un nom d’emprunt ou mariez-vous !
Les yeux de François flambèrent de colère :
— Merci de votre aide, madame ! Je vais suivre, je crois, votre dernier conseil et songer à ma propre lignée !
Lâchant la main de Sylvie après l’avoir portée une dernière fois à ses lèvres, il se dirigea vers le groupe qui entourait la princesse de Condé. Sylvie et Marie le regardèrent s’éloigner.
— Ouf ! fit la seconde qui ajouta d’une voix bizarre : « Fasse le Ciel que l’enfant qui viendra – si il vient ! – ne lui ressemble pas trop !… »
Comme la dame d’atour retournait avec décision vers la Reine, Sylvie ne put que suivre sans demander l’explication de ces paroles sibyllines. Explication qu’on ne lui donnerait sans doute pas. Le secret de la nuit royale était aussi celui de Marie et elle ne le partagerait avec personne. Surtout si, comme Sylvie le supposait, elle avait fait avaler au Roi, durant le souper ou dans le vin aromatisé du soir, une drogue quelconque…
À dater de ce jour, la Cour comme la Ville retinrent leur souffle. C’est tout juste si, dans les demeures royales, on ne marchait pas sur la pointe des pieds de peur d’effaroucher les fragiles esprits présidant à la gestation. La Reine passait en prières plus de temps que d’habitude. Le Roi, lui, changea de confesseur : au lendemain de la fameuse nuit, le père Caussin qui avait été aussi celui de Louise, se méprenant sur le contenu des recommandations de la jeune novice, crut bon de venir demander à son auguste pénitent de rappeler la reine mère d’exil, de rompre ses alliances avec les Hollandais et les princes protestants d’Allemagne, de baisser les impôts et de faire la paix avec l’Espagne : en résumé, de renvoyer Richelieu voir du côté de Luçon si l’herbe poussait mieux. Pour un jésuite, le digne homme faisait preuve de peu de discernement : Louis XIII l’envoya, non sans humour, discuter de ses projets avec le Cardinal, après quoi, une lettre de cachet exila l’imprudent à Rennes où il fut d’ailleurs traité avec beaucoup de respect. Un autre jésuite, le père Sirmond, prit sa place. Celui-là était d’âge canonique, un peu dur d’oreille, ce qui obligea Louis XII à clamer ses confessions, mais au moins il ne se mêlait pas des affaires de l’État.
Quant à François, il entreprit de noyer son chagrin dans les plaisirs. On le vit beaucoup à l’hôtel de Condé, près du Luxembourg, et plus souvent encore place Royale, dans le tripot de luxe tenu par la Blondeau. Il y jouait gros jeu, buvait comme une éponge mais sans jamais perdre le contrôle de lui-même, ce qui lui permettait au moins d’éviter des querelles souvent fatales. Inquiet, son frère aîné voulut le ramener à une plus sage conception des choses :
— Vous êtes en train de devenir un « libertin », mon frère ! Croyez-vous que ce soit le bon moyen d’obtenir la main de Mlle de Bourbon-Condé ?
— Qui vous dit que j’en aie envie ?
— Quand vous n’êtes pas chez la Blondeau, vous bourdonnez autour d’elle comme une abeille autour d’une fleur. Elle vous plaît, j’imagine ?
— Elle est très belle mais son humeur me déconcerte : elle est plus froide et plus hautaine encore que Mlle de Hautefort, et offre un bizarre mélange d’infernale coquetterie et d’austère dévotion…
— Auriez-vous quelque chose contre la dévotion ? Notre mère en souffrirait beaucoup.
— Rien. Je suis moi-même un homme pieux, mais j’estime qu’il ne faut pas mélanger les genres. En résumé, mon frère, je n’ai pas très envie de devenir l’époux de la belle Anne-Geneviève. En revanche, il me plaît assez que l’on m’y croie très disposé…
Mercœur n’insista pas. Il savait que la logique de son jeune frère n’était pas celle de tout le monde. François retourna à ses plaisirs.
Les fêtes qui marquèrent la fin de cette année 1637 si favorable aux armes de la France furent brillantes. Il y eut bal à Saint-Germain : Mlle de Hautefort, que le Roi s’était remis à courtiser, y brilla de mille feux et Mlle de L’Isle, dont la voix se fit entendre à plusieurs reprises, dansa pour la première fois avec une grâce qui enchanta la Cour. Cependant, comme François n’y vint pas – et pas davantage Jean d’Autancourt qui avait rejoint son père en Provence –, elle ne prit pas autant de plaisir qu’elle l’aurait cru à ce petit triomphe. En effet, amie de la favorite et proche d’une reine que tous adulaient à présent, la petite fille aux pieds nus de jadis devenait, sinon une puissance, du moins quelqu’un de tout à fait charmant qu’il était bon de courtiser… D’autant que le Cardinal n’avait pour elle que des sourires.
Son Éminence, elle aussi, participait à la gaieté générale. En son château de Rueil, Richelieu donna une grande fête où le Roi qui s’occupait volontiers de monter ces grands spectacles de Cour donna – et dansa – son ballet des Nations, dans lequel se produisirent toutes les belles dames. Sylvie, elle aussi, y joua un petit rôle, cependant que l’Aurore éclipsait les autres femmes par son éclat.
Et puis… et puis, dans sa première gazette de février 1638, Théophraste Renaudot écrivit : « Le 30 tous les princes, seigneur et gens de condition se sont allés conjouir avec Leurs Majestés à Saint-Germain, sur l’espérance conçue d’une très heureuse nouvelle à laquelle, Dieu aidant, nous vous ferons part dans peu de temps. »
Enfin ! La Reine était enceinte ! Paris éclatait de joie. Soulagées d’un grand poids, Marie et Sylvie en pleurèrent dans les bras l’une de l’autre. François, lui, se soûla comme toute la Pologne à lui tout seul. Au point qu’il fallut que ses écuyers le ramènent, inconscient, à l’hôtel de Vendôme.
Il prétendit ensuite que c’était sa façon à lui de fêter l’événement, mais son « allégresse » ressemblait beaucoup à celle de Monsieur. Au château de Blois, en effet, on s’efforçait de faire contre mauvaise fortune bon cœur devant une nouvelle qui abattait les espérances du duc d’Orléans. Des espérances que, cependant, il s’efforçait de ranimer en pensant que la Reine n’avait fait jusqu’à présent que des fausses couches et que, au pire, si elle s’obstinait à garder son enfant, celui-ci avec une chance sur deux d’être une fille. Aussi les prières de l’héritier inquiet ainsi que ses confessions prirent-elles une drôle de tournure.
Dans la première quinzaine de février, on porta chez la Reine, en grande pompe, la ceinture de la Vierge du Puy-Notre-Dame – au sud de Saumur – qui, rapportée de Jérusalem au temps des Croisades, possédait, assurait-on, le pouvoir de diminuer les douleurs de l’enfantement. De ce jour, les appartements d’Anne d’Autriche embaumèrent l’encens au point qu’il fallut souvent ouvrir les fenêtres.
Ce fut au lendemain de ce beau jour que Corentin, ravagé d’angoisse, accourut à Saint-Germain pour annoncer à Sylvie une terrible nouvelle : la nuit précédente, Perceval de Raguenel avait été arrêté par le guet et le Lieutenant civil en personne pour avoir assassiné une prostituée…
CHAPITRE 11
UN PIÈGE IMMONDE…
Cette nuit-là qui était de pleine lune, Perceval et son ami Théophraste visitaient du côté de la porte Saint-Bernard les abords du Petit Arsenal où le Roi avait installé depuis peu la fabrication de poudre à canon, jusqu’alors intégrée au Grand Arsenal des environs de la Bastille. De ce fait, le lieu, désert et plutôt inquiétant, avait été adopté par des truands avides de tranquillité et quelques courageux cabarets où se traitaient de fructueuses affaires. Tout naturellement, des filles s’étaient intégrées à cette faune.
Le hasard n’entrait pour rien dans le choix de ce nouveau terrain d’exploration : un court billet griffonné sur du papier sale et froissé était arrivé sur la table du gazetier. L’écriture tremblée laissait supposer que le correspondant inconnu mourait de peur. Celui-ci recommandait d’ailleurs à Renaudot la plus grande prudence, le tueur au cachet de cire étant dangereux.
— Pourquoi vous prévenir, vous ? objecta Raguenel qui trouvait le procédé bizarre. Vous ne remplacez pas, j’imagine, les archers du guet ?
— Je ne sais pas si vous l’avez remarqué mais, chez ces messieurs chargés de la paix nocturne de Paris, on n’est pas très courageux. Et cette histoire répand un parfum de soufre bien propre à glacer la moelle des os. Et puis, il se peut aussi que notre correspondant n’ait pas la conscience très pure et ne souhaite pas approcher de trop près des autorités portées parfois à confondre indicateur et coupable.
— C’est sagement pensé. Nous irons donc ce soir.
Humide et doux pour la saison, le temps annonçait déjà le printemps quand la barque de Renaudot déposa les deux hommes au port Saint-Bernard. Des nuages se poursuivaient d’un bout à l’autre du ciel, cachant parfois le disque blanc de la lune. Le Petit Arsenal, long bâtiment flanqué de maisons basses, apparaissait dans une sorte d’isolement silencieux mais le quartier voisin offrait une collection de masures plus ou moins lépreuses où l’on n’avait pas l’air de dormir : quelques lumières brillaient derrière les carreaux sales et, dans une taverne dont l’enseigne grinçait, quelqu’un chantait…
Les deux amis parcouraient les ruelles creusées d’ornières d’où émergeaient plus de détritus que de pavés sans avoir rien rencontré de suspect quand, soudain, un cri, le terrible cri qu’ils connaissaient déjà, se fit entendre.
— C’est par là ! souffla Théophraste en indiquant une artère qu’ils avaient visitée peu de temps auparavant.
Ils s’élançaient, guidés par un gémissement qui se poursuivait, quand un autre cri, plus affreux encore que le premier, éclata dans la direction opposée. Cette fois, c’était près de l’Arsenal…
— Continuez seul ! J’y vais, décida Perceval qui prit sa course vers le bâtiment militaire. En tournant le coin, il aperçut une ombre qui, tel un rat, se faufilait dans un boyau entre deux maisons basses, et naturellement l’y suivit. Mais à peine était-il entré dans l’étroit passage qu’il buta sur quelque chose et tomba de tout son long sur ce qui était un cadavre encore chaud. Au même instant, il recevait sur le derrière du crâne un coup violent qui lui ôta toute conscience.
Naturellement, de ce qui s’était passé en réalité, Corentin ne savait rien. Il ne put donc rapporter à Sylvie que ce que lui avait confié l’exempt de police Desormeaux, qui était le bon ami de Nicole Hardouin et qui, par chance, avait été chargé de la perquisition au domicile du prétendu coupable. Une chance, en effet, parce que, grâce à lui, les chers livres et papiers de Perceval, sa jolie maison, n’avaient subi que peu de dommages. Il n’empêche que ce qu’avait dit Desormeaux était grave : le guet, prévenu par un billet anonyme, s’était porté à l’endroit indiqué et avait trouvé le chevalier évanoui sur le corps d’une fille égorgée et portant au front le fameux cachet de cire. Le couteau qui avait servi était à portée de sa main, comme s’il s’en était échappé, et, mieux encore, on avait trouvé dans sa poche un morceau de cire à cacheter, un briquet, une chandelle et un petit sceau ciselé à la lettre oméga. Ce dernier détail mit un comble à l’indignation de Sylvie :
"La chambre de la Reine" отзывы
Отзывы читателей о книге "La chambre de la Reine". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "La chambre de la Reine" друзьям в соцсетях.