— Je sais. Tu oublies que j’y étais. Voyons un peu !
Adhémar versa sur le lit le contenu du sac de velours, libérant un joli collier de perles parsemé de petites émeraudes, deux bracelets de camées antiques enrichis de diamants, une parure d’améthystes et de perles, une deuxième de turquoises, des agrafes et divers colifichets que le chevalier mania du bout de ses doigts gantés de soie :
— C’est acceptable, fit-il, mais aucun point commun avec ce que nous cherchons. Tu pourras en tirer quelques écus mais ce qui m’étonne c’est qu’elle te les ait donnés ?
— Rien d’étonnant, elle détestait sa mère et songe à refaire entièrement la chambre après en avoir vendu le mobilier.
— Si l’on tient compte du genre de mort de la dame, je dirais qu’à sa place j’en ferais autant. Enfin on peut constater que le baron n’était guère généreux, ce qui renforce ma conviction qu’en matière de joyaux il devait garder les plus beaux par-devers lui. Conclusion : il faut chercher !
— Ah non, prévint Saint-Forgeat, tu ne vas pas me réexpédier avant les noces ?
— Nous allons faire mieux. À la réflexion, tu as eu raison de revenir, cela te mettra hors de cause.
— Qu’es-tu en train de concocter ?
— Pourquoi donc ne pas cambrioler l’hôtel de Fon-tenac en l’absence de ses maîtres ? Je connais les gens adéquats...
— Tu es fou ? S’ils découvrent le trésor, ils seraient tentés de le garder pour eux !
— Ils me connaissent suffisamment pour ne pas ignorer ce qu’ils risqueraient à ce jeu. Il se peut d’ailleurs que je leur tienne compagnie ! ... Tu vas me tracer soigneusement le plan des lieux en y ajoutant la valetaille, en indiquant où elle vit et quelles sont se habitudes. Tu en es capable, j’espère ?
— Sans aucun doute, mais tu oublies un détail... ou plutôt un hic : la vieille cousine, qui, elle, ne suivra pas Charlotte chez Madame. Elle est futée comme une souris et elle pourrait constituer un obstacle...
— Une souris est une bestiole que l’on prend au piège et qu’après on écrase..., fit le chevalier avec une cruauté qui effraya Adhémar.
— Tu ne vas pas te remettre à tuer du monde ? Il y a eu largement assez de sang dans cette maison qui m’appartient tout de même un peu... et dont je ne te cache pas que je trouve le séjour plaisant.
— On en tiendra compte. Il suffira de la ligoter convenablement. Sais-tu quand ta femme doit arriver ?
— Demain ou après-demain, je pense. Elle ne pourra pas faire moins que rester auprès de Madame deux ou trois semaines...
— Mais c’est à merveille ! Va voir ton tailleur !
Ce ne fut pas sans une certaine émotion - pas tellement agréable au demeurant - que Charlotte revit Versailles. Elle l’avait quitté dans des circonstances trop dramatiques pour n’en pas garder un goût amer. Mais il y avait Madame, son cœur immense et la joie qu’elle manifesta de la revoir :
— Enfin je retrouve une de mes petites filles ! s’écria-t-elle en bousculant allègrement le protocole pour prendre la revenante dans ses bras. Vous n’imaginez pas combien vous me manquiez toutes les trois ! Au moins j’en récupère une !
— Votre Altesse Royale a-t-elle des nouvelles de Mme de Beuvron et de Mlle de Neuville... Je veux dire Mme de Grand-Mesnil ?
— Oui. Theobon va bien. Elle est au couvent de Port-Royal où elle s’ennuie à périr mais je compte obtenir incessamment la permission de la visiter. Quant à notre Cécile, je l’ai invitée comme vous le pensez bien mais elle attend un enfant pour un jour prochain. Ce sera donc pour plus tard...
— Elle va bien ?
— Pour la santé, j’en suis persuadée. Mais pour le moral - car c’est cela qui vous intéresse, n’est-il pas vrai ? - il semblerait qu’elle s’accommode mieux que nous ne le pensions de son gros vieux mari qui se met en quatre pour lui faire plaisir. Nous la reverrons, je pense, cet été à Saint-Cloud. Mais... et vous ?
— Oh moi ! ... Je ne suis pas fort intéressante !
— Ah, vous trouvez ? Ou c’est de la mauvaise foi ou c’est de l’inconscience ! Voilà des semaines que vous mettez sur les dents les cancanières de la Cour et vous me sortez cette énormité ? Que n’a-t-on pas glosé sur votre disparition ! Le moindre était que vous aviez pris la poudre d’escampette pour un galant mieux outillé que ce pauvre Saint-Forgeat, le pire que vous aviez sauté à la figure de la Maintenon et que, pour vous apprendre à vivre, vous pourrissiez dans quelque cul-de-basse-fosse provincial à Pierre-Encise ou au château d’If !
— Rien d’aussi dramatique! La Bastille d’abord puis une maison... de repos, un trou perdu dans une forêt parce que j’étais tombée malade ! Mais puis-je me permettre de demander à Madame comment elle se porte elle-même ?
— Moi ? Je garde bon pied bon œil mais je suis en train de devenir quinteuse comme un vieux chien. Le prochain départ de notre Anne-Marie me désole parce que je l’aime à l’égal de ma fille. Cependant je suis moins soucieuse que pour le mariage de la reine d’Espagne. Le duc Victor-Amédée de Savoie est un homme normal et n’a rien de répugnant à ce que l’on m’a dit. En outre, la vie qu’on mène à la cour de Turin est presque semblable à celle que nous menons ici. Pas d’autodafé à craindre !
— Et à Madrid ? Tout se passe bien ?
Les yeux de la Palatine firent le tour de son cabinet comme si elle craignait d’y déceler un espion tapi der-rière un rideau ou une étagère de livres, puis, prenant
Charlotte par le bras, elle l’entraîna dans l’embrasure d’une fenêtre. Sa voix baissa jusqu’au chuchotement :
— Je ne peux que l’espérer, pourtant je ne suis pas tranquille. Figurez-vous que Saint-Chamant est reparti là-bas.
— Le Roi l’y avait-il autorisé ?
— Justement non ! Il m’est venu voir discrètement avant son départ me demander si je voulais lui confier une lettre pour la Reine, mais je me suis contentée d’un message verbal. Cet idiot est tellement maladroit qu’il est capable de se faire prendre et je n’ai nulle vocation à me retrouver en face de lui sur un échafaud avec entre nous un gaillard rouge armé d’une grande épée.
— N’est-ce pas un brin exagéré ? remarqua Charlotte en riant.
— Eh bien, je me le demande ! Mes relations avec notre Roi ne sont plus ce qu’elles étaient. Il voit avec plaisir Monsieur et même ses amis. Le chevalier de Lorraine est des plus révérencieux vis-à-vis de la Maintenon... mais moi je n’ai pas été invitée à la dernière chasse...
— Oh ! Compatit Charlotte, navrée du ton douloureux de la princesse.
— L’influence de cette mégère croît de jour en jour. Certains pensent qu’il l’a épousée morganatiquement et je me refuse à accepter une pareille idée ! Ce serait trop affreux ! Pourtant... il est des signes grandement inquiétants... Ce jour où elle est restée assise auprès du Roi quand nous autres princesses sommes entrées ! Je suis d’ailleurs repartie aussitôt...
— Et Monsieur ?
— Grâce à Dieu il n’était pas là, mais je sais ce qu’il penserait d’une telle mésalliance ! Son sang mêlé à celui de la veuve Scarron ! Il en serait malade d’horreur !
Après un instant d’hésitation, Charlotte pensa qu’il valait mieux dire ce qu’elle savait. Ce n’était pas un bon service à rendre à la Palatine de le lui taire. Cela ne ferait qu’aggraver la chute au moment où elle se produirait :
— Je crains fort, murmura-t-elle, que cette catastrophe ne soit déjà arrivée... Les bonnes joues qui faisaient ressembler Madame à une pomme d’api pâlirent d’un seul coup :
— Vous croyez ? D’où le tenez-vous ?
— À l’hospice de Saint-Germain où je suis allée il y a peu et où je suis arrivée au moment où la mère supérieure la reconduisait à la porte en bavardant avec elle.
— Si elle venait faire aumône, c’est normal...
— La présence des deux gardes du corps l’était-elle aussi ?
— Des gardes... Oh, mon Dieu! Vous pourriez avoir raison ? Et si vite après la mort de la pauvre Reine, c’est à peine pensable ! Comment a-t-il osé, lui le plus grand roi du monde, convoler avec cette femme de rien ? Cette grue ? C’est indigne, indigne !
Sa voix monta de plusieurs tons. À l’évidence la colère allait dominer. Et elle portait loin cette voix ! Mais soudain elle se calma :
— Et Monsieur ? ... Il faut à tout prix le lui cacher le plus longtemps possible ! Il en ferait une maladie ! Sa santé laisse à désirer, le pauvre !
— Son Altesse est-elle souffrante ?
— Pas vraiment, mais je ne le trouve pas au mieux. Il lui arrive de tousser et il serait préférable qu’il se couche à une heure décente au lieu de courir le guilledou avec sa « bande » de mauvais sujets. Alors, s’il vous plaît, ma chère Charlotte, ne racontez cela à personne d’autre ! Ici, les bruits vont à une vitesse incroyable ! Même les courants d’air sont moins rapides.
— Madame sait qu’elle peut me faire confiance..., assura Charlotte, touchée par cette sollicitude envers un époux qui, cependant, ne la ménageait pas. Mais je voudrais savoir comment il convient de se comporter lorsque l’on se trouve en la présence du Roi et de son... égérie ? Si ma mémoire est fidèle et puisque nous sommes mercredi, il y a ce soir Grand Appartement ?
C’était peut-être la plus agréable façon de passer une soirée à la Cour - avec toutefois les concerts que Charlotte adorait ! - parce que l’on y jouissait d’une certaine liberté. Le Grand Appartement avait lieu trois fois la semaine les lundi, mercredi et vendredi. Avant la mort de la Reine et l’achèvement de la galerie des Glaces, les gentilshommes se réunissaient dans l’anti-chambre du Roi et les dames dans la chambre de la Reine, après quoi l’on se rejoignait pour choisir le divertissement que l’on préférait dans l’une ou l’autre pièce desdits appartements royaux occupés de la façon suivante. Dans le Grand Cabinet se tenaient des violons pour ceux qui voulaient danser, puis dans la galerie occupée ordinairement par le trône, on pouvait écouter les chanteurs et les musiciens les plus en vogue. Dans la chambre du Roi, on dressait trois tables pour le jeu du Roi, de la Reine et de Monsieur. Sans doute Madame la Dauphine présiderait-elle celle laissée vacante par la défunte. À côté, un salon recevait plus de vingt tables de jeu tels que le tric-trac, le piquet, le reversi, les échecs, à l’exception du hoca et du pharaon que le Roi bannissait comme trop dangereux. Jouxtait une autre salle offrant quatre longues tables chargées de gâteaux et de sucreries diverses, tout ce qu’une collation pouvait offrir à la gourmandise. Et une autre encore où l’on pouvait se désaltérer à un large assortiment de vins et d’hypocras. Tout cela dans la plus grande liberté et quand le Roi pénétrait dans le salon des jeux, il était permis de rester assis. Ces distractions duraient de six heures jusqu’à dix heures, après quoi on allait souper.
Madame aimait beaucoup le Grand Appartement. Ne jouant pas, elle allait de la musique aux buffets où elle picorait, revenait jeter un coup d’œil aux joueurs pour aller ensuite entendre un chanteur. Seule la danse ne l’attirait pas en raison de son embonpoint.
À la question de Charlotte, elle répondit en souriant :
— Oh, pour cela vous ne trouverez rien de changé ! La douce amie ira écouter le concert cependant que Sa Majesté jouera et je dois dire que depuis le jour où elle est restée assise auprès du Roi sous le prétexte de douleurs, le fait ne s’est pas reproduit par égard pour la Dauphine dont cette vieille bigote porte toujours le titre de dame d’atour bien qu’elle n’en exerce plus la fonction. Je veux y voir une preuve que notre Sire veut ménager sa Cour, pensant peut-être qu’il est allé un peu trop vite. De toute façon, nous irons ensemble et vous me donnerez votre bras. Faites-vous belle ! ... Quoique, ajouta-t-elle, vous n’ayez guère de mal à vous donner... Vous avez ce qu’il faut pour cela au moins ?
— Que Madame se rassure, je ne manque de rien grâce à Mme de Montespan qui, avant d’abandonner la surintendance de la maison de la Reine, avait fait ranger chez elle ce qui m’appartenait.
C’était vrai et, en quittant Clagny pour Saint-Germain, Charlotte avait emporté le trousseau et les quelques jolies robes que la Reine lui avait fait confectionner pour son mariage. Aussi était-elle parfaite dans une robe de faille gris clair, givrée de menues broderies d’argent et ouvrant sur une jupe de satin blanc. Une légère fontange de dentelles assortie à celles qui moussaient à ses coudes et à son décolleté la coiffait... Elle était ravissante et Madame, habituellement avare de compliments, l’en félicita quand elle vint prendre place dans sa suite pour gagner l’ancienne chambre de la Reine d’où l’on passa au salon de la Paix puis, par la galerie des Glaces et le salon de la Guerre, dans le Grand Cabinet pour saluer le Roi. Mais celui-ci n’y était pas. Monsieur, arrivant avec ses gentilshommes, s’en offusqua :
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