CHAPITRE x
LE DUEL
Les premiers mois de cette année 1685 comptèrent pour Charlotte parmi les jours les plus heureux qui lui eussent été donnés de vivre jusque-là et elle en goûta pleinement le calme feutré. Bien que Saint-Germain ne soit guère éloigné de Versailles, les bruits du palais n'y parvenaient qu’assourdis, comme apaisés. Quoique la paix ne régnât qu’en apparence dans la cité royale, où la crise de conscience que son épouse secrète avait fait naître chez le Roi se révélait contagieuse. Les dames qui, récemment encore, ne faisaient à la chapelle que des visites de « politesse » s’y montraient assidues. Quant aux hommes, il avait suffi qu’une phrase bénigne tombée des lèvres de celle que l’on ne savait plus trop comment nommer - « Le Roi estime beaucoup les gentilshommes qui vont à confesse pour faire leurs Pâques ! » - pour qu’églises et chapelles refusent du monde. D’ailleurs le deuil avait frappé la famille : le roi Charles II d’Angleterre, petit-fils d’Henri IV comme Louis XIV, et l’on avait fait ressortir crêpes et manteaux noirs mais, malheureusement, ce souverain aimable, fastueux, grand coureur de jupons sous lequel l’Angleterre avait redécouvert qu’il faisait bon vivre, laissait place à son frère Jacques II, catholique pur et dur, cruel de surcroît, et que ses sujets n’allaient pas supporter plus de quatre ans. Mais pour le moment, il était là et on lui dépêcha des ambassadeurs. Ainsi d’ailleurs qu’au roi de Siam !
De temps en temps, Charlotte rendait visite à Madame Une fois même, accompagnée de Mlle Léonie dont l’esprit vif plût à la princesse et qui en revint prête à rompre des lances pour cette femme étonnante dont elle n’eut aucune difficulté à déceler la tristesse réelle sous la couche de perpétuelle bonne humeur.
— Comment peut-on vouloir du mal à quelqu'un d’aussi prodigieusement sympathique ?
— Vous savez, Léonie, la Cour est identique à une girouette, elle tourne selon l’influx du vent qui prend naissance dans le cabinet du Roi. Elle adore ce qui lui plaît quitte à prendre en grippe quelques heures plus tard l’idole d’un instant sur un simple froncement de sourcil royal !
Il est certain que le franc-parler de la Palatine, son goût de la plaisanterie parfois gauloise - ce qui était un comble pour une Bavaroise ! - avaient cessé de plaire à un potentat à qui le sens de l’humour faisait de plus en plus défaut.
Un beau soir, on sut par Saint-Forgeat que Madame était au bord de la disgrâce. Il n’était pas rare, en effet, que l’époux de Charlotte vînt passer quatre ou cinq jours à l’hôtel de Fontenac. Visites le plus souvent intéressées quand les finances du jeune homme arrivaient à l’étiage, mais parfois aussi pour le plaisir de retrouver sa chambre rose, les plats savoureux de Mathilde, les parties d’échecs avec M. Isidore toujours aux prises avec la bibliothèque et, en général, l’atmosphère chaleureuse dont l’on bénéficiait chez sa femme.
— Avec vous, au moins, j’ai enfin l’impression d’avoir une famille. Vous n’imaginez pas ce que cela représente pour moi !
Charlotte le croyait volontiers puisque, après la mort de son père, elle n’en avait pas eu davantage. Aussi s’habitua-t-elle doucement à voir en lui une sorte de frère qu’il lui arrivait de prendre plaisir à gâter... mais pas au point de lui révéler que l’on avait retrouvé le trésor ! La tentation eût été trop forte ! Les pierres avaient réintégré la chaise espagnole où l’on n’aurait jamais eu l’idée d’aller les dénicher sans le secours du vieux conseiller. Celui-ci - comme Léonie d’ailleurs ! Prenait un malin plaisir à s’asseoir dessus pour répertorier les titres des livres ou écrire une lettre.
Ce soir-là donc - c’était en mai ! -, Adhémar débarqua tellement pressé de délivrer son message qu’au lieu d’emprunter l’une des voitures de la Cour, il avait effectué le parcours à cheval ! Un exercice proprement impensable chez lui, surtout par une journée déjà annonciatrice des chaleurs de l’été.
À peu près hors d’haleine, il déclara à Charlotte qu’il lui fallait se rendre le plus rapidement possible auprès de Madame:
— Il faut, précisa-t-il, que vous alliez la rejoindre sans attendre. Elle a reçu du Roi un message horrible et c’est à peine si les gens de son entourage ne lui tournent pas le dos ! De toute façon, elle est seule... ou quasiment !
— Où est Monsieur ?
— A Fromont chez Lorraine qui donne une fête !
— Pourquoi n’y êtes-vous pas aussi ? On ne vous a pas invité ?
— Oh si ! ... Mais, je vous avoue que ça ne m’emballe pas. Lorraine a décidé cette réjouissance après avoir pris connaissance d’un mot de Mme de Maintenon, l’avisant que le Roi, fort en colère contre Madame, allait le lui faire savoir. Aussitôt il a convaincu Monsieur de le suivre - sans l’informer de quoi il retournait ! - afin d’être sûr qu’il ne pourrait pas prêter assistance, d’une façon ou d’une autre, à son épouse. Elle n’aura auprès d’elle que la Grancey qui se fera une joie de raconter la chose à son amant. Lorraine en jubile d’avance, mais moi...
— Il va vous en vouloir à mort ?
— Non. J’ai prétexté que je devais me rendre chez vous prendre médecine et que la chaleur était trop éprouvante pour m’aventurer à courir les grands chemins ! Ce qui ne l’a pas surpris, venant de moi !
— Et vous êtes venu m’avertir? Adhémar ! ... Je crois que je vais finir par vous aimer ! S’enthousiasma-t-elle. Elle se hissa sur la pointe des pieds et plaqua un baiser sur sa joue ! Faites atteler ! Je prépare un sac et je pars ! ... Pauvre Madame Comment peut-on être aussi bassement cruel ? Où est-elle, à propos ?
— À Saint-Cloud. Au moins elle est dans son fief. Ce qui n’est pas le cas à Versailles. Et puis le jardin regorge de roses en ce moment. Vous devriez vous en souvenir...
Effectivement, Charlotte trouva Madame se promenant à petits pas le long des allées et des broderies fleuries qui, sans posséder la splendeur pleine de rigueur de la demeure du Soleil, débordaient d'un charme plus exubérant mais plus apaisant pour son cœur douloureux. Vêtue de la robe de taffetas violet que Charlotte lui avait vue vingt fois au moins, abritée sous un grand chapeau de paille semblable à celui qu' arborait Monsieur quand il jouait au jardinier, elle appuyait sur une canne sa pesante personne qui, cependant, avait incontestablement maigri. Nul ne l'accompagnait...
L’apparition de Charlotte lui arracha une exclamation de joie :
— Charlotte ! Mais quelle bonne idée d’être venue ! Comme celle-ci s’agenouillait presque pour baiser sa main, elle l’en empêcha :
— Vous n’avez pas peur d’attraper ma maladie ?
— Malade ? Madame a perdu du poids et est légèrement pâlotte mais je ne vois là rien d’inquiétant.
— Je suis une pestiférée, ma chère ! Tout le monde me fuit !
— Madame peut constater que non puisque me voilà.
— C’est sans doute parce que vous n’êtes pas au courant. Il se trouve que j’ai reçu...
— Un méchant avis du Roi porté par votre confesseur ? Je sais. M. de Saint-Forgeat vient de m’apprendre de quelle façon insensée l’entourage de Madame a réagi !
— Votre époux ? N’est-il pas parti comme les autres faire la fête chez ce démon de chevalier ?
— Eh bien, non ! Il s’est déclaré souffrant et a accouru à Saint-Germain me faire part de ce qui se passait !
— Lui ? C’est à peine croyable !
— Et, qui mieux est, il a fait le trajet à cheval pour être plus rapide ! J’en ai été la première surprise et je commence à croire qu’en l’épousant je n’ai pas conclu un si mauvais marché ! C’est un garçon bizarre mais il doit avoir plus de cœur que nous le pensions ! En tout cas, il aime bien Madame!
— Cela en fait toujours un ! ... Mais rentrons à présent! Vous n’avez pas soupé, j’imagine ?
— Non. Je ne voulais pas perdre de temps...
— Nous allons le partager ! Il me vient une petite faim!
Au mépris du protocole, elles soupèrent seules en tête à tête. Madame avait renvoyé son service et le repas se déroula comme dans n’importe quelle maison bourgeoise :
— Puisque l’on me traite en sauvage sans éducation, j’entends au moins vivre à ma guise lorsque je suis en mon particulier !
Tant qu’on fût à table, on échangea des banalités en raison de la présence des laquais et ce fût seulement en se retrouvant dans le cabinet de correspondance que Charlotte apprit les « crimes » de Madame. Elle avait pensé, naturellement, qu’une ou plusieurs de ses lettres. A sa tante Sophie de Hanovre avaient été ouvertes - ce qui était déjà scandaleux en soi ! -, mais pour cette fois, il n’en était rien. Ce qu’on lui reprochait, c’était des intempérances de langage ! Des broutilles dont le Roi aurait plaisanté autrefois lorsqu’il appréciait sans retenue le franc-parler de sa belle-sœur, même s’il arrivait de temps en temps que les propos fussent un peu « verts ». Il était alors définitivement acquis que la duchesse d’Orléans tenait plus du garçon que de la fille.
Les chefs d’accusation étaient les suivants. D’abord au cours d’une conversation, assez libre peut-être, ou l’on se récriait - Dieu sait pourquoi ? - sur la « beauté » physique de Mgr le Dauphin, Madame se serait mise à rire en déclarant, devant le prince d’ailleurs, que « si elle devait le voir nu de la plante des pieds à la tête », ni lui ni aucun autre ne pourrait la tenter. Second crime : elle avait trouvé normal que ses demoiselles eussent des amourettes. Enfin, elle aurait plaisanté la ravissante princesse de Conti sur les nombreux « galants » qui lui tournaient autour...
— Voilà ! conclut Madame. Je ne vous ai rien caché !
— Cela ne me paraît pas porter à conséquence. Et qu’a dit le Roi ?
A ce nom, de grosses larmes remontèrent aux yeux de la coupable :
— Oh, vous n’imaginerez jamais ! Il a dit... pour que cela me soit répété... que si je n’étais pas sa belle-sœur, il m’aurait « congédiée » de la Cour !
Et là-dessus, elle se remit à pleurer.
— Quoi ? Pour ces vétilles ? Souffla Charlotte, abasourdie.
— Eh oui ! Pour ces vétilles ! Jamais, au temps de la Montespan, on n’aurait fait autre chose qu’en rire, mais, apparemment, je ne suis plus ici qu’une pièce rapportée devenue choquante et même indésirable dans la cour d’une grue repentie qui pense faire oublier ses anciennes frasques en jouant les vertus intransigeantes et qui transforme notre Roi-Soleil en triste lumignon !
— C’est ridicule ! Puis-je demander à Madame ce qu’elle a l’intention de faire ?
— Me servir de la seule arme qu’on me laisse : écrire au Roi ! J’ai rédigé quelques brouillons, ajouta-t-elle en rassemblant des feuillets épars sur la table.
— Si Votre Altesse veut bien me permettre de lui donner un conseil, c’est de laisser de côté ces brouillons. Madame possède un réel talent d’écriture et n’a nul besoin de réfléchir longuement. Elle devrait simplement laisser parler son cœur : celui d’une grande princesse que l’on offense et non celui d’une petite fille que sa gouvernante vient d’admonester...
— Vous croyez ?
— Oh, j’en suis sûre ! Maintenon ou pas, il reste sans doute au Roi suffisamment de nobles sentiments pour qu’il puisse encore entendre leur langage. Mais c’est à lui que Madame doit s’adresser : pas à son beau-frère !
— ... Oui. Vous avez raison...
Et sans plus attendre, la Palatine prit une feuille de papier à ses armes, une plume fraîchement taillée et se mit à écrire... sans doute l’une des plus belles lettres qui fussent jamais sorties, de son encrier. Digne, longue et détaillée, elle s’achevait ainsi :
« Voilà, Monseigneur, d’un bout à l’autre ce que je puis vous dire pour ma justification. Je souhaite de tout mon cœur qu’elle puisse satisfaire Votre Majesté et je m’estimerais très malheureuse si cela n’était pas... Je ne puis que vous supplier Monseigneur d’oublier le passé, de m’ordonner quelle conduite vous voulez que je tienne à l’avenir, je l’exécuterai très exactement. Et je vous assure, Monseigneur, qu'en cela et en tout ce qui vous plaira jamais de m’ordonner vous serez obéi...
« Et je vous supplie encore de croire que je n’ai pas moins de respect et, si j’ose dire, de véritable amitié pour votre Majesté que les gens qui croient se faire valoir auprès de vous en me rendant de si mauvais offices. Je ne les connais pas mais je sais bien qu’ils ne peuvent avoir de véritable respect pour vous parce qu’ils ont la hardiesse de vous rendre odieux ! »
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