— Le jeune Courcy s’est volatilisé de façon tout à fait inexplicable. Le Roi l’avait envoyé en Angleterre chercher votre beau-fils afin qu’il soit tout de suite informé mais Antoine de Sarrance est revenu sans l’avoir rencontré. Il est même reparti à sa recherche. Or Courcy est votre témoin majeur... Même s’il n’était pas présent rue de Bethisy au moment du drame.
— Mais il n’est pas le seul. Vous-même, Madame...
— J’y étais encore moins que lui ! En outre, la grosse banquière me hait plus que je ne la méprise parce qu’elle redoute que je la chasse de son trône !
— Et... le Roi ?
— Alors que personne n’y croyait plus, il a repris le chemin de cette maison et renoué les fils un instant distendus de sa passion pour moi. Si sa bourrique savait que vous êtes chez moi et qu’il m’est revenu, plus ardent qu’avant peut-être, braillerait-elle si fort que tout Paris, toute la France, et la terre entière le sauraient et elle serait bien capable de le faire assassiner par son Concini ou quelque autre sbire de la bande d’italiens qui foisonnent autour d’elle...
— Et si Courcy ne revient pas ?
— Mieux vaut n’y pas penser... Mais quand le temps sera plus clément, je pense vous envoyer à mon château de Verneuil ou alors à Malesherbes chez mes parents...
— Ne serait-il pas plus simple de m’aider à rentrer chez moi ?
— Pour subsister comment ? Vous êtes dépouillée de tout, ma chère. Ce qui vous appartenait est au seul Sarrance vivant à l’exception de vos vêtements – s’il en est que vous puissiez les récupérer puisqu’ils sont demeurés au Louvre ! – ainsi que vos bijoux dont je sais qu’ils plaisent beaucoup à votre si charmante marraine.
— Vous oubliez mon palais familial et ma ville de Fiesole. Je vois mal un Français aller s’y installer ! Pour quoi faire, mon Dieu ?
— Et pourquoi pas pour les vendre ?
— Ce serait indigne ! Selon nos lois, une veuve conserve au moins une partie de ses biens si elle a des enfants et la totalité si elle n’en pas !
— Ici aussi... sauf si elle meurt sur l’échafaud, ce qui pourrait être votre cas si l’on vous remet la main dessus. Votre tante n’aurait alors plus rien à réclamer, tout ce que vous possédez revenant alors à la Couronne...
— Jamais le grand-duc n’acceptera une telle vilenie !
— Vous ne m’avez pas laissée achever, reprocha Henriette avec un petit sourire C’est à la couronne de France que je faisais allusion puisque votre mariage a fait de vous une Française, ma chère enfant. Et qui dit la Couronne dit la grosse Médicis d’autant plus qu’elle vous est un peu parente. Soyez sûre qu’elle ne l’ignore pas. La Galigaï non plus qui ne cesse de lui soutirer argent et terres. Il ne faut pas chercher ailleurs la raison pour laquelle tout ce joli monde prend si grand soin de cette femme. Qui s’appelle comment, à propos ?
— Honoria Davanzati ! Mon père était son frère et si vous l’aviez connu, Madame, vous auriez peine à le croire : il était aussi beau qu’elle est laide, aussi bon et généreux qu’elle est méchante et avide...
— Cette anomalie peut se produire dans n’importe quelle famille. J’en sais des exemples, mais revenons à vous !...
— Pardonnez-moi, il me vient une idée ! A présent que je vais mieux, messer Campo va retourner auprès de messer Giovanetti. Il pourra, sinon le convaincre de venir ici ce qui pourrait lui être difficile...
— Sans aucun doute. Soyez sûre que cette grosse mégère le fait surveiller...
— ... mais lui demander d’essayer de prévenir le grand-duc Ferdinand et la grande-duchesse Christine de la situation dans laquelle je me trouve. Je peux compter sur leur affection et ils trouveront un moyen de me secourir, de me faire revenir. Même si je ne possède plus un ducat, il me sera alors possible de retourner au couvent où j’ai été élevée...
— On peut toujours essayer ! Mais nos relations diplomatiques avec la Toscane étant excellentes, il serait dommage que vous deveniez un brandon de discorde...
— Je ne vois pas pourquoi ? Le but de ma venue en France est atteint puisque le Roi et son épouse se sont réconciliés et que le jeune M. de Sarrance recevra ma dot. Quant au reste de notre fortune, il est géré par la banque Médicis...
— Inutile de discuter ! Trancha Henriette avec plus d’impatience que de politesse : nous continuerons à vous cacher ici et, dès que le temps le permettra, vous irez chez mon père à Malesherbes. C’est au sud de Paris alors que Verneuil est au nord et, si une opportunité se présentait de vous donner la clef des champs, ce serait toujours autant de gagné.
— Clef... des champs ?
— Vous permettre de fuir. Seigneur ! Il faut donc tout vous expliquer !
Cette fois, Lorenza garda le silence. Elle comprenait parfaitement qu’elle devenait gênante. Cette femme qu’elle avait crue bonne et charitable ne l’avait gardée que pour avoir l’occasion de faire revenir auprès d’elle un amant qui se lassait. C’était chose faite mais encore fallait-il savoir si le raccommodage serait solide. En outre, une guérison toujours incomplète rendait sa « protégée » encombrante, voire dangereuse puisqu’il n’était plus possible d’en appeler à Thomas de Courcy de son acte de charité... Cela se sentait dans sa façon de lui parler et même de la regarder. Elle ne voyait plus en elle qu’un meuble inutile dont elle se fût peut-être débarrassée si sa mère ne s’y était opposée... Marie « Je charme tout » était vraiment bonne et s’était prise pour elle d’une certaine affection allant jusqu’à lui fournir de quoi s’habiller car si elle était plus ronde que Lorenza, elle était à peu près aussi grande. Elle lui avait fourni tout le linge nécessaire et fait reprendre, pour les mettre à sa taille, deux robes d’hiver. Elle lui avait aussi donné des pantoufles et une paire de souliers. Un vrai coup de chance qu’elles eussent le même pied !
Quant au Roi, Lorenza ne l’avait jamais vu. Elle savait qu’il venait souvent, parfois en pleine nuit, mais lui et sa maîtresse avaient autre chose à faire que s’occuper d’elle. D’ailleurs, à mesure que l’état de la malade s’améliorait, Henriette veillait à ce qu’ils ne se rencontrent pas...
Apprendre que, à la Cour comme à la ville, elle n’était plus qu’une criminelle lui causa un nouveau choc, plus cruel encore que se savoir recueillie par charité et à peu près réduite à la misère. Qu’avait-elle donc fait à tous ces gens pour qu’ils la chargent d’un meurtre affreux commis sur le meilleur ami du Roi, un véritable héros ? Peu à peu l’inextricable de sa situation se révéla et elle éprouva de la douleur en pensant au fils de sa prétendue victime, à ce beau garçon qu’elle était toute prête à aimer, qu’elle aimait même depuis que leurs regards s’étaient croisés à Fontainebleau juste avant que le cauchemar ne commence. Joindrait-il sa voix au chœur des autres pour réclamer sa tête si elle reparaissait au grand jour ? Et le Roi, que tous proclamaient si bon, la laisserait-il comparaître devant le tribunal et monter à l’échafaud sans rien dire et simplement parce qu’il redoutait les scènes de ménage ?
Cela valait peut-être d’en faire l’expérience ?
Oui... mais comment ?
Comment d’abord sortir de cette maison dont elle ne connaissait que sa chambre. Remise sur pied, on ne lui avait jamais permis d’en franchir les portes même pour faire trois pas dans le jardinet, bien clos cependant, par crainte qu’elle ne soit reconnue par l’un des nombreux visiteurs des dames d’Entragues. Même si l’on croyait la marquise de Verneuil en semi-disgrâce, nombreux étaient les équipages que, de sa fenêtre, la recluse pouvait voir entrer et sortir de l’hôtel. Presque toujours des hommes et de haute mine la plupart du temps. Par l’entremise de Marie qui venait régulièrement lui tenir compagnie, elle apprit à reconnaître le prince de Joinville, son frère aîné, le duc de Guise, prétendant à la main d’Henriette au grand mécontentement du Roi. Un mécontentement dont la belle ne faisait que rire :
— Ne faut-il pas songer à me faire un grand établissement quand viendra le temps où vous m’abandonnerez ? Plaisantait-elle.
— Pas chez mes ennemis tout de même ! A l’exception de ce benêt de Joinville, tous les autres Guise me haïssent... et vous savez combien je tiens à vous !...
— Alors, rendez-moi à la face du monde la place qui est mienne si vous ne voulez pas que je cède à la tentation de devenir duchesse de Guise !
Quelques femmes aussi franchissaient le portail mais beaucoup plus rarement et la recluse ne les connaissait pas. L’une d’elles cependant attira son attention. En voyant descendre de voiture Mlle du Tillet, elle retint une exclamation. Que venait faire cette femme chez l’ennemie jurée de la Reine ? Ce n’était un secret pour personne que les deux dames se haïssaient. Quand chacune d’elles évoquait l’autre, elle n’usait jamais du nom mais d’un terme péjoratif sinon d’une injure. Or la du Tillet jouissait de la confiance de Marie de Médicis presque autant que la Galigaï. Et elle arrivait en affichant un sourire épanoui. Qu’est-ce que cela signifiait ?
Elle ne pouvait même pas en parler à Campo rentré l’avant-veille rue Mauconseil. Malheureusement, Mme de Verneuil avait surpris son invitée forcée à son poste d’observation et piqué une colère verte. Sa protégée n’avait-elle pas encore compris qu’elle ne devait courir aucun risque d’être aperçue et peut-être reconnue ? Ne comprenait-elle pas que, si on la savait là, toute la maisonnée serait impliquée et que le danger grandissait à mesure que le temps passait ?
— Personne – vous entendez ? – personne ne doit savoir que nous vous abritons. Y compris les domestiques ! Pourquoi donc croyez-vous que nous ayons mis à votre service la vieille Madeleine qui est sourde et à peu près muette ? Elle ne sait d’ailleurs même pas qui vous êtes !
— Et pour les autres, qui suis-je ?
— Une pauvre fille qui a eu des malheurs, tenté de se suicider et que ma mère a recueillie par charité...
— ... et pour laquelle on a fait venir le propre médecin de l’ambassadeur florentin ? C’est trop de bonté !
Les paupières d’Henriette se rétrécirent jusqu’à ne plus laisser filtrer qu’un mince trait bleu et brillant :
— Il était présent lors de votre venue. Il était normal qu’il s’occupe de vous. Mais vous avez raison de me le faire remarquer. Quand doit-il revenir ?
— Demain ? Je ne sais pas !
— Il ne reviendra pas. Je vais lui faire savoir que vous êtes complètement rétablie et qu’on vous envoie à la campagne respirer le bon air !
Lorenza se retint de faire observer que la pluie mêlée de légers flocons sévissant alors sur Paris ne lui paraissait pas le temps idéal pour une convalescence à la campagne mais elle se reprochait déjà sa remarque intempestive à propos de Valeriano Campo. Comme elle se reprochait d’ailleurs son manque de gratitude envers cette femme qui, tout de même, l’avait abritée, sauvée au moment du plus grand péril mais c’était plus fort qu’elle : tout au contraire de sa mère, la belle marquise ne lui inspirait aucune sympathie ! Ce en quoi elle aurait juré qu’elle était payée de retour. Mais que faire pour sortir de cette situation fausse ?
Deux jours plus tard, Mme de Verneuil rentrant à l’hôtel d’Entragues après avoir passé une partie de la journée dehors, monta directement chez Lorenza qu’elle trouva assise auprès du feu où elle chauffait ses mains.
— Je ne pensais pas en venir là aussi vite, lâcha-t-elle, un peu essoufflée d’avoir gravi deux étages à trop vive allure, mais vous ne pouvez plus demeurer ici. Demain, dès l’ouverture des portes, vous partirez pour Malesherbes. Sous un faux nom, évidemment. Vous passerez pour... pour... oh, il faut que j’y réfléchisse ! Ici, vous devenez trop dangereuse !
— Que se passe-t-il donc ?
— Votre grand-duc Ferdinand vient de mourir et la grosse truie exige le départ immédiat de Filippo Giovanetti qui, de ce fait, perd son titre d’ambassadeur en attendant qu’un autre vienne prendre sa place.
— Pourquoi tant de hâte ? Il l’a toujours bien servie, il me semble, et j’en suis la preuve !
— Une preuve que l’on apprécie pas du tout. Quant à lui, sa politique n’est plus au goût du jour. Marié à une Habsbourg, le nouveau prince va rapprocher Florence de l’Empire comme de l’Espagne, par conséquent tourner le dos à l’alliance avec la France...
Lorenza ne trouva rien à répondre sur le moment. La nouvelle la touchait au cœur. Elle aimait bien Ferdinand qui lui avait montré tant d’amitié... et Christine naturellement...
— Que devient la grande-duchesse dans ces beaux projets ? Le nouveau prince est bien jeune pour avoir des opinions aussi tranchées !
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