Il allait sortir. Elle le retint :

— Mais... Sire ! Il n’est plus là !

— Il est parti ? Sans dire au revoir ?

— C’est que... la Reine l’a renvoyé le jour même où l’on a su la mort du grand-duc. Votre Majesté venait de se mettre en route pour Boulogne...

— Qu’est-ce que vous racontez là ? Vociféra l’intéressé. C’est lui qui a voulu s’en aller ! Il était même fort pressé et il est facile de comprendre pourquoi : il voulait emmener cette fille...

— Il ne serait pas parti sans saluer le roi de France ! Gronda Henri. Mais nous réglerons cela aussi en temps voulu !

Et, sur ce, comme n’importe quel mari mécontent dévoré par l’envie de battre sa femme, Henri sortit en claquant la porte...

Après que l’on en eut délibéré – et aussi le passage en coup de vent de Bassompierre annonçant le retour du Roi et ce qui s’ensuivait –, Lorenza fut confiée provisoirement au couvent des Hospitalières Saint-Gervais proche de l’Hôtel de Ville et dont la supérieure était d’ailleurs une parente de Jean d’Aumont. Elle put y recevoir les soins rendus nécessaires par les chocs violents de son arrestation, de son emprisonnement et de sa montée à l’échafaud. L’intervention in extremis de Courcy avait apporté, certes, un soulagement appréciable mais tout cela suivait de trop près l’horreur de sa nuit de noces et ce qui en avait découlé.

La supérieure, mère Madeleine de la Divine Miséricorde, portait bien son nom. A cette échappée du billot qu’on lui amenait, quasi muette mais dont le regard criait la détresse, elle fit donner un bain chaud, une tisane calmante et, dans une cellule particulière, un lit de nonne c’est-à-dire pourvu du strict nécessaire mais dont les draps étaient propres et qui, comparé à sa couche du Châtelet, lui parut le comble du confort. Elle s’y glissa avec un soupir de bonheur et s’endormit aussitôt...

Quand elle s’éveilla le lendemain matin après des heures du meilleur sommeil qu’elle eût connu depuis longtemps, elle vit le visage attentif de Madame d’Entragues penché sur elle :

— Ah ! constata celle-ci avec satisfaction. Vous nous revenez cette fois encore ! Comment vous sentez-vous, ma petite ?

— Bien... je crois, répondit Lorenza en se redressant. Il me semble que je n’ai jamais aussi bien dormi ! Mais... vous vous êtes dérangée pour moi, Madame ? N’est-ce pas... imprudent ?

— Pas le moins du monde ! Beaucoup de choses ont changé depuis... depuis hier, s’empressa-t-elle de dire rattrapant de justesse la fâcheuse allusion au drame miraculeusement évité de la veille. Mais, en même temps, la mémoire revenait à la rescapée qui sentit son angoisse renaître.

— Dois-je retourner au...

Le mot ne passait pas. L’ex-favorite de Charles IX se mit à rire :

— Quelle idée ! Je viens de vous dire que l’on n’en était plus là ! Figurez-vous qu’au moment même où ce merveilleux Thomas de Courcy proclamait son intention de vous épouser, le Roi rentrait au Louvre. Il a entendu le glas, demandé des explications et – paraît-il parce que, hélas, je n’y étais pas à mon grand regret – le Roi a piqué une des plus belles colères de sa vie. Il a ordonné qu’on arrête votre affreuse tante et – d’après ce cher Joinville qui n’aime rien tant que raconter ce dont il a été témoin – un vent de panique a soufflé sur la clique fl... Italienne de sa femme menacée d’expulsion totale au cas où Bassompierre n’arriverait pas à temps pour vous sauver. Ce cher Sire avait même effleuré un retour à la répudiation ! Personne n’en mène large au palais aujourd’hui...

— Est-ce... qu’il a pris une décision pour moi ?

— Pas encore mais nous serons fixés demain. Je suis venue prendre de vos nouvelles et vous informer que je passerai vous chercher après le dîner.

Sa Majesté a décidé de réunir tous ceux qui ont participé à vos malheurs afin d’éclaircir toute l’affaire. Naturellement, ma fille Verneuil y sera et vous n’imaginez pas à quel point nous nous réjouissons, elle et moi ! Ce sera la première fois depuis longtemps qu’elle et la grosse banquière vont se retrouver en un même lieu ! Cela va être... fabuleux ! conclut-elle en battant des mains avec l’enthousiasme d’une jeune fille à la veille de son premier bal.

— Y aura-t-il aussi MM. de Courcy et de Sarrance ?

— Évidemment, voyons ! C’est vrai que vous l’ignorez, mais hier ils se sont empoignés comme des chiffonniers et, pour les faire tenir tranquilles, le prévôt d’Aumont les a envoyés se calmer au Châtelet, dans des prisons séparées pour plus de prudence.

— Quelle tristesse ! commenta Lorenza, navrée. Ils sont amis depuis si longtemps. Et j’ai semé la zizanie entre eux !...

— Cela n’est pas si grave et d’ailleurs c’est une histoire vieille comme le monde ! Deux coqs vivaient en paix, une poule survint et ce fut la guerre ! Allons, ajouta-t-elle en se levant, vous n’allez pas vous faire du souci ! Songez seulement à prier pour celui qui, à deux reprises, vous a sauvé la vie ! Si l’on avait écouté l’autre, vous seriez déjà à six pieds sous terre ! Pensez à vous, que diable !... Ah ! Pendant que j’y pense, je vous ai apporté de quoi vous vêtir comme il convient.

Après tout, vous êtes veuve et le noir doit vous aller à merveille !

Ayant dit, Dame Marie posa un baiser sur le front de Lorenza, lui tapota la tête en manière d’encouragement et la laissa à ses réflexions.

TROISIÈME PARTIE

TEMPÊTE SUR LE LOUVRE

Chapitre XI

L’offense

Après mûre réflexion, Henri IV avait décidé que cette affaire, délicate par certains côtés, ne se réglerait pas au Louvre, ce rendez-vous des courants d’air plus ou moins malveillants mais à l’Arsenal, chez son ami et néanmoins ministre, Sully, qui, outre ses fonctions de grand maître de l’artillerie et de surintendant des Finances, avait entre autres charges celle de médiateur au sein du ménage royal et cela plus souvent qu’à son tour.

L’Arsenal, c’était à la fois son poste de commandement et sa maison : un petit palais reconstruit par Henri en 1594 entre la Bastille – il en avait fait le coffre-fort de l’État – et la Seine dont le séparait une belle allée plantée d’ormes, le Mail. Le jardin était magnifique et, aux beaux jours, le Roi et son épouse aimaient y venir festoyer[17].Il arrivait même que la Reine lui empruntât sa Chambre Haute pour y monter l’un de ces ballets quelle adorait et où elle jouait généralement le premier rôle...

Au physique, Maximilien de Béthune, marquis de Rosny et duc de Sully, n’avait en rien la prestance d’un diplomate... Gros homme de quarante-six ans, son crâne chauve compensé par une longue barbe et l’œil bleu glacier, c’était un bourreau de travail, doué d’un caractère exécrable. Mais d’une France quasi ruinée par les guerres de Religion il avait fait un pays prospère. Seules les Affaires étrangères, fief du duc de Villeroy, qu’il détestait, lui échappaient. Une espèce d’oubli qu’il espérait bien réparer un jour.

Tel qu’il était, une indéfectible amitié le liait à Henri depuis l’âge de douze ans. Interrompue parfois par des chicanes mais tenant fermement le cap contre toutes les tempêtes.

C’est dans un beau salon jouxtant le cabinet du grand homme qu’un garde introduisit les dames d’Entragues, mère et fille, escortant Lorenza vêtue cette fois de velours et de fourrure noirs, le visage caché par un voile assorti épinglé sur sa couronne de nattes et facile à rejeter en arrière. Elle était pâle mais ne tremblait pas. Toutes trois prirent place sur les sièges qu’on leur indiqua, à la droite des fauteuils préparés pour les souverains. L’autre côté était occupé par plusieurs chaises. Le feu flambait dans la cheminée.

Sully les rejoignit presque aussitôt, l’air rogue à son habitude. Il salua les deux dames avec une certaine chaleur envers la mère et une extrême froideur à l’égard de la fille : il lui devait trop de nuits sans sommeil passées à trouver des arguments propres à recoller les morceaux du ménage royal. En revanche, Lorenza qu’il n’avait jamais vue parce qu’il n’était pas à Fontainebleau, eut droit à l’esquisse d’un sourire.

— Évidemment ! dit-il seulement après l’avoir regardée avec attention.

Mme de Verneuil ouvrait déjà la bouche pour lui demander de s’expliquer mais Jean d’Aumont et Jacques Sanguin, suivis des juges, effectuaient leur entrée amenant avec eux Thomas de Courcy et Antoine de Sarrance, libres de toute entrave mais portant les traces de leur séjour au Châtelet. Leurs yeux convergèrent sur la jeune fille et, si Thomas lui adressait un sourire radieux, elle ne reçut d’Antoine qu’un regard chargé de rancune qui la fit frissonner mais lui rendit sa combativité. Après tout, il ne valait pas plus cher que son père. Même mauvais caractère, même cruauté puisqu’il s’obstinait à vouloir sa mort... Dieu sait ce qu’il serait advenu d’elle entre les pattes de ce trop beau garçon !

L’entrée du couple royal détourna son attention. Tout le monde s’inclina.

— Serviteur, Messieurs ! lança Henri avec sa jovialité habituelle. Mesdames, je vous baise les mains ! Mon cher Sully, merci de nous accueillir pour tenter d’en finir avec des événements d’autant plus tristes qu’ils n’auraient dû engendrer que du bonheur !

— Drôle de bonheur ! rétorqua Mme de Verneuil, acerbe. Une pucelle de dix-sept ans unie à un barbare qui aurait pu être son aïeul !

Occupée à loger dans un fauteuil son imposant volume de velours châtaigne abondamment brodé d’or, de perles et fourré de martre, la Reine lui jeta un regard venimeux :

— Que fait-elle ici, celle-là ?

Henri sourit à sa maîtresse et tapota gentiment la main dodue de sa femme :

— Allons, ma mie, essayez de vous montrer un peu accommodante ! Madame d’Entragues et sa fille ont bien voulu venir jusqu’ici pour apporter leur témoignage dans le drame qui nous occupe...

Avec plus d’énergie que de distinction, Marie renifla :

— Elles jouent un rôle dans cette infamie ? Rien d’étonnant !

— Un rôle important ! Assena-t-il avec sévérité. Et tout à leur honneur puisqu’il s’agit de charité !

— Charitable, la Verneuil ? Voilà qui est nouveau et je voudrais bien savoir...

— Madame ! Coupa Sully en s’efforçant d’introduire une dose d’apaisement dans le ton de sa voix. Nous avons à débattre d’une affaire trop grave et trop douloureuse pour que Votre Majesté nous refuse son attention. Nous avons tous eu connaissance du procès qui s’est déroulé la semaine passée sous la présidence de M. le prévôt de Paris, procès qui s’est conclu par une condamnation à la décollation. Grâce à Dieu, elle n’a pas été suivie d’exécution, un témoin capital s’est présenté à l’ultime minute...

— On peut se demander pourquoi il a attendu si longtemps ? Croassa la Reine, maussade. Où était-il passé, cet envoyé du ciel ?

— Je pense qu’il va nous le faire savoir. Monsieur de Courcy ?

Thomas se leva et salua :

— Un accident stupide et dont je ne suis pas fier : envoyé à Londres par Sa Majesté le Roi pour en ramener au plus vite le fils du marquis de Sarrance, j’ai été désarçonné par mon cheval entré au galop en collision avec un tombereau chargé de pierres. Sur le coup, ma monture a été tuée net. Quant à moi, blessé à la tête, je suis resté sans connaissance pendant plusieurs jours...

— Où est-ce arrivé ? demanda le ministre.

— Près de Beauvais, Monsieur le duc !

— Je suppose que vous avez été soigné en quelque lieu ? Où était-ce ?

L’air soudain gêné de Thomas n’échappa à personne :

— Un... manoir aux environs de la ville...

— Et il s’appelle comment, ce manoir ? Intervint le Roi. Il a bien un nom je présume ?

— Oui, Sire, mais je demande humblement au Roi de ne pas me le demander... et de me croire sur parole.

— Mais pourquoi, Jarnidieu !

— Sire ! Piailla Marie, indignée, vous manquez à votre vœu ! N’avez-vous pas promis solennellement à votre confesseur, le père Coton, de ne plus jurer le nom du Seigneur !...

— Vous croyez que le moment est opportun pour me le rappeler ? Gronda Henri. Jarnicoton alors ! Et toi, jeune Courcy, explique-nous pourquoi tu te refuses à dire où tu as été soigné ?

— Par délicatesse, Sire ! En... en fait, quand j’ai été remis sur pied, je me suis sauvé ! avoua le malheureux devenu écarlate en piquant du nez. Que l’on veuille me comprendre ! Il s’agit... d’une dame.

L’éclat de rire d’Henri dont les yeux se mirent à pétiller détendit l’atmosphère :

— Si tu es devenu son amant il ne faut pas en faire un drame ! Elle t’avait si heureusement... soigné que tu as tout oublié ?