A ce moment, emporté par l’une de ces fureurs qu’il ne savait pas contrôler, Antoine ricana avec insolence :
— Que vous avez gaillardement l’intention de mettre dans votre lit un jour prochain ?... Avec mon père ce n’eût...
La gifle l’interrompit. Henri l’avait appliquée à toute volée et la joue de l’impudent s’empourpra :
— Tudieu, si vous n’étiez pas le Roi..., gronda-t-il, les poings serrés.
— Eh bien, que feriez-vous ?
— Je vous enverrais rejoindre vos ancêtres !...
— Et vous, vous vous retrouveriez en place de Grève... mais pour y être tiré à quatre chevaux !
— Vous avez osé me souffleter ! Moi, un gentilhomme...
Terrifié, Thomas tenta d’intervenir :
— Tu es malade ! Reprends-toi !
— Mêles-toi de tes affaires ! Il m’a humilié !
— Un gentilhomme qui insulte son roi n’en est pas un pour moi ! Gronda Henri. Rien d’autre qu’un traître !...
— C’est le moment ou jamais de me reléguer à la Bastille !
— Non ! Allez-vous-en, Monsieur de Sarrance ! Je ne veux plus vous voir ! Votre père avait un caractère exécrable mais il était fidèle ! Je ne peux plus admettre que ce soit encore votre cas ! Rentrez chez vous !
— Giflé, banni ! Le Roi me gâte !
— Estimez-vous heureux qu’il vous laisse libre !
— Sire, protesta Sully ! Faites-lui tâter de la Bastille ! Au moins le temps qu’il s’apaise !
A demi fou de rage et d’orgueil blessé, Sarrance brisa son épée sur son genou, en jeta les morceaux aux pieds du Roi :
— Surtout ne changez rien, Sire ! La liberté a du bon... et, à ce propos, je pense qu’elle sera encore meilleure agrémentée de l’héritage de mon père comprenant, bien entendu, la dot de ma ravissante belle-mère ! Fallait-il avoir été assez sot pour la refuser !
Et il s’en fut laissant derrière lui un silence consterné, que Thomas eut le courage de rompre le premier :
— Il a perdu l’esprit, Sire ! Son comportement ne peut s’expliquer autrement. Moi qui le connais depuis notre prime jeunesse, je n’arrive pas à croire ce que je viens d’entendre et de voir !... Et j’ai peur d’en être responsable. Après tout, c’est moi qui l’ai attaqué le premier. Je... je n’ai pas supporté de l’entendre pour la énième fois mettre en doute l’intégrité de...
— De celle que vous aimez, Courcy ? C’est bien naturel ! Si vous le souhaitez toujours, épousez-la donc !
— Ce serait pour moi un bonheur infini... mais après ce qu’elle vient de subir, l’idée d’une nouvelle union ne doit guère la séduire.
Il semblait si gauche, tout à coup, si malheureux aussi qu’Henri retrouva le sourire :
— Puisque je vais de ce pas chez Mme d’Entragues, j’essaierai de savoir ce qu’elle en pense !
— Merci, Sire ! Mais que le Roi veuille bien lui dire que je souhaite seulement le droit de la protéger de ses ennemis dont je crains que le nombre n’augmente de façon inquiétante et que... je serai pour elle... comme un frère ! J’en fais serment !
Les sourcils du Béarnais remontèrent jusqu’au milieu de son front tandis qu’une flamme de gaieté animait son regard :
— Comme un... Ventre-saint-gris, mon ami, vous vous avancez peut-être un peu beaucoup ? Ou alors, vous avez une sacrée force de caractère. J’en connais un qui en serait incapable...
— C’est pourtant facile à expliquer : je prends conscience que je l’aime ! J’avoue qu’en arrivant au lieu du supplice, j’aurais inventé n’importe quoi pour l’arracher au bourreau...
— De la chevalerie pure, en quelque sorte ?
— Je ne sais pas... mais ce que je sais, maintenant, c’est que je désire par-dessus tout la voir sourire... me sourire et s’en remettre à moi de sa sécurité !
— C’est ce que je disais : de la chevalerie ! D’un autre âge sans doute mais que je me réjouis de voir encore fleurir. Pas vous, Sully ?
— C’est une question épineuse à se poser quand on vit à la Cour !
— Quoi qu’il en soit, je me ferai votre interprète, mon garçon !
Le ministre se racla la gorge, renifla et enfin hasarda :
— Faut-il vraiment que vous rendiez visite à ces dames ce soir, Sire ?
— Évidemment qu’il le faut ! Je viens de vous le dire. Et puis...
— Et puis ?
Henri allongea une bourrade dans les côtes du grand maître :
— Vous ne croyez pas, mon bon, que j’ai largement mérité une petite récompense ?
— Vous n’allez tout de même pas larmoyer jusqu’à la fin des siècles ! protesta Mme de Verneuil en voyant Lorenza, assise en face d’elle de l’autre côté de la cheminée, effacer du bout du doigt – discrètement cependant – une nouvelle larme.
La jeune fille tressaillit :
— Pardonnez-moi ! Je... je pleure sans m’en rendre compte. Mes nerfs, je pense...
— Laissez-la tranquille, ma fille ! Plaida Mme d’Entragues. Tout ce qu’elle vient d’entendre, surtout après le calvaire qu’elle a enduré, en abattrait de plus coriaces. Cette hargne dont la poursuit le jeune Sarrance est incompréhensible.
— Je vous le concède. Ce garçon ne sait pas ce qu’il veut. Il a supplié le Roi de l’envoyer au loin afin de ne pas assister, en témoin impuissant, aux accordailles de son vieux père avec celle dont il venait de découvrir qu’elle lui plaisait après l’avoir refusée parce qu’il était épris d’une autre, et le voilà qui réclame sa tête à tous les échos ? Cela n’a aucun sens et il doit être stupide. C’est dommage quand on est si beau ! déplora-t-elle avec un soupir qui était peut-être un regret...
Marie d’Entragues étendit une main qu’elle posa sur celles de Lorenza :
— Je suis d’accord avec vous, ma fille, mais je pense que cette enfant a vécu le plus dur. On peut faire confiance au Roi...
L’instant suivant, celui-ci entrait sans qu’on l’ait entendu venir et, tout sourire, s’adressa à Mme d’Entragues :
— Comme c’est heureux, Madame, d’avoir aussi bonne opinion de moi. Me direz-vous ce qui me vaut cette confiance ?
— Ma mère pensait, Sire, que vous avez sans doute su ramener Antoine de Sarrance à la raison !
— Cela, ma chère, c’est tout à fait impossible car, de raison, il n’en a plus guère. Il en est à nier l’évidence... Les gens du prévôt, partis appréhender le sieur Bertini, sont revenus nous apprendre qu’il avait été assassiné la nuit dernière avec sa maîtresse. Ce qui innocente définitivement votre protégée...
— Oh, quelle joie, Sire ! s’écria Lorenza. Ainsi je suis libre ?... Et je vais pouvoir regagner Florence ?
Henri IV la regarda un instant : l’idée qu’il allait encore lui faire du mal le peinait :
— Libre, oui, mais que ferez-vous à Florence où Ferdinand n’est plus et où Christine de Lorraine s’est retirée dans l’une des villas médicéennes ? En outre, votre fortune ne vous sera pas rendue... Le nouveau marquis de Sarrance... qui ne fait plus partie de nos proches a finalement décidé de la garder ! Il est toujours persuadé de votre culpabilité. Pardonnez-moi d’ajouter à vos douleurs ! fit-il en lui prenant la main.
Le geste alerta la marquise qui se hâta d’aller prendre le bras libre d’un amant qu’elle entendait conserver pour elle seule :
— Il y a là un mystère ! Comment se peut-il ?
— C’est tout simple, mon cœur. Ce blanc-bec a dépassé les limites jusqu’à m’insulter. Je l’ai giflé et chassé !
— Pourquoi ne l’avoir pas envoyé à la Bastille ? protesta Henriette.
— Je l’ai frappé à la tête et il est gentilhomme. Si je n’étais le Roi, nous en aurions décousu sur le pré. Il m’a paru plus juste de l’éloigner de mon service.
— Tout de même ! C’est faire preuve de...
Lorenza n’écoutait plus. De ce qu’avait dit le Roi elle retenait seulement qu’Antoine demeurait convaincu de sa culpabilité. C’était tellement navrant qu’elle avait peine à le croire. La voix de la marquise se faisant plus aiguë à mesure que sa colère montait l’atteignit d’autant mieux qu’elle la tenait par les épaules :
— Et celle-ci, alors, que va-t-elle devenir ? Elle perd tout dans cette machination montée par votre grosse pondeuse !
— Sauf l’amour d’un noble cœur ! Thomas de Courcy a réitéré son offre de vous épouser, ma chère enfant !
— Je ne veux de la pitié de personne !
— Ce n’est pas de la pitié mais de l’amour et le plus pur qui soit ! Les Courcy sont de très ancienne et très noble maison. Leur tortil de baron vaut la couronne d’un duc et ils n’ont nul besoin d’augmenter leur fortune. Thomas est fils unique. Le baron Hubert ne s’est jamais remis de la perte de son épouse mais ne s’est pas enseveli pour autant dans les larmes. Dans son magnifique château sur l’Oise... pas très loin de Verneuil, précisa-t-il, avec un sourire à sa maîtresse. Il vit avec sa sœur et préfère cultiver son jardin et sa bibliothèque plutôt que la mélancolie... Vous pourriez, un jour, être heureuse...
— Et eux, le seraient-ils avec moi ? Je ne porte pas bonheur !
— Vous n’avez pas eu de chance, voilà tout ! Je crains, malheureusement, d’y avoir joué un rôle – et que dire de mon épouse ! Ce mariage ferait de vous une grande dame et serait peut-être votre meilleure revanche sur la vie ?...
— Si le Roi le dit... mais il y a dans le mariage des... réalités...
— Qui vous effraient ? Rassurez-vous ! Courcy vous aime assez pour vivre avec vous comme un frère ! Il me l’a juré... et j’ai toutes les raisons de le croire ! Rien ne vous presse, d’ailleurs ! Réfléchissez !
Ayant dit, il se tourna vers Henriette et passa un bras autour de sa taille...
— Si nous nous occupions un peu de nous, mon cœur ? Déposer les soucis du pouvoir entre vos belles mains est ce à quoi j’aspire le plus maintenant. C’est chose si facile et si douce auprès de vous !
— Le croyez-vous vraiment ? Il m’a semblé, parfois, que vous pensiez différemment ?
— C’est que je n’étais pas moi-même mais vous me connaissez mieux que je ne le fais et vous savez bien que vous êtes... incomparable !
Il l’attira à lui, l’embrassa dans le cou et ils sortirent tous deux en se tenant enlacés sans plus se soucier de Mme d’Entragues ni de Lorenza mais la première était habituée et la seconde perdue dans ses pensées...
Un devin passant à l’hôtel d’Entragues à ce moment aurait fort surpris Henri en lui prédisant que, le lendemain, à la même heure, il serait complètement guéri – et cela de manière irrévocable ! – de la passion chamelle qui l’enchaînait depuis tant d’années et qui, même après les pires tempêtes, le ramenait toujours dans les bras de Mme de Verneuil.
Et pourtant...
Chapitre XII
Des conséquences d’un coup de foudre
Henri IV était de mauvaise humeur.
D’abord parce qu’il n’avait pour ainsi dire pas dormi. Ou si peu !
Rentré tard, avec le plus de discrétion possible en caressant l’espoir que Marie serait endormie, il avait eu la surprise de la trouver assise sur son lit entre un plateau de fruits confits et Leonora Galigaï à visage découvert cette fois, qui lui parlait de façon intime en agitant des papiers qui semblaient lui tenir fort à cœur. L’irruption du Roi la fit disparaître comme par enchantement, voile réajusté et papiers escamotés. Henri, qui avait sommeil, se garda bien de poser la moindre question et se coucha avec un soupir de soulagement après avoir repoussé le plateau au pied du lit. Fâcheuse idée ! Sa royale épouse ouvrit la bouche mais non pour croquer la prune qu’elle tenait du bout des doigts, hélas ! C’était parti pour la scène de ménage que l’on tenait au chaud depuis la séance chez Sully. Tout y passa à commencer par la « parodie de justice » donnée à l’Arsenal jusqu’à la présence de la marquise « poutane » à cette réunion... et ce qui s’ensuivait touchant ses relations avec Henri, et sans omettre la « criminelle » mansuétude envers une meurtrière avérée qui ne tarderait sans doute pas – si ce n’est déjà fait ! – à le recevoir dans son lit...
Après avoir vainement tenté de changer en duo conciliateur ce solo vengeur, Henri se leva, enfila sa robe de chambre, ses pantoufles, prit son oreiller sous le bras et s’en alla finir chez lui – où les feux étaient éteints ! – le peu qu’il restait de la nuit...
Son travail de la matinée s’en ressentit. En outre, le temps était froid, gris et il neigeait. Enfin, alors qu’il examinait le dernier rapport de son ambassadeur en Espagne, des flots de musique envahirent le palais et changèrent son humeur noire en humeur massacrante : le ballet ! Le foutu ballet les Nymphes de Diane que la Reine avait mis en répétitions pour le mardi gras où il serait interprété dans la Chambre Haute de l’Arsenal. Il ne manquait plus que ça !
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