Lorenza tressaillit en se demandant si elle avait bien entendu. La Reine ? Elle avait dit la Reine ? C’était vraiment la première fois qu’elle usait du titre pour désigner une femme à qui elle n’attribuait jamais assez d’épithètes injurieuses ! Mais elle poursuivit ainsi un grand moment en dépit des regards inquiets de sa mère.
— Calmez-vous, Henriette, je vous en conjure ! Finit-elle par assener. Que vous soyez déçue, indignée même, je peux le comprendre mais vous savez que la colère ne vous vaut rien et qu’elle est le plus souvent mauvaise conseillère.
Débordant d’une bonne volonté touchante, Joinville voulut arranger les choses et les aggrava comme d’habitude :
— Votre mère a tout à fait raison, ma chère ! C’est à vous que vous faites du mal ! Ce n’est pas parce que le Roi a refusé de vous recevoir...
Elle braqua sur lui le double tir de son regard fulgurant :
— Vous feriez mieux de ne pas clabauder cela partout, Joinville, sinon je ne vous reverrai de ma vie ! Mais d’abord, je vais épouser votre frère aîné et nous verrons alors si ce vieux bouc puant osera refuser sa porte à la duchesse de Guise !...
Là-dessus elle sortit d’un pas outragé enfonçant presque la double porte que le valet n’eut pas le temps d’ouvrir devant elle.
— Miséricorde ! Gémit le coupable. Je crains que nous n’allions au-devant d’une catastrophe ! Mon frère confiait hier tout justement qu’il songeait à épouser Mademoiselle de...
— Taisez-vous, malheureux ! s’écria Mme d’Entragues. Vous voulez qu’elle démolisse le château avec ses dents ? Quand elle est dans cet état, elle est au-delà de tout raisonnement et vous auriez intérêt à rentrer à Paris !
— Oh ! Vous croyez ? Moi qui lui ai toujours souhaité tous les bonheurs, je voudrais qu’elle sache...
— Mais elle sait tout cela et vous le lui direz plus tard ! A bientôt !... Et n’allez pas rapporter au Roi ce qui se passe ici !
Il ouvrit de grands yeux innocents :
— Pourquoi pas ? Je suis certain qu’il l’aime toujours au fond de lui-même. Il serait désolé, j’en suis persuadé, de la savoir si troublée ! Il est tellement bon !
Ce fut au tour de la vieille dame de s’emporter :
— Tellement que mon fils Angoulême croupit à la Bastille et n’en sortira pas tant que sera vivant votre « bon » Roi ! Allez donc en parler aussi à Bassompierre dont il s’est attribué la fiancée. A ce pauvre Condé – prince du sang cependant mais impécunieux ! – à qui il réserve le rôle dégradant de mari postiche avant d’en faire la risée de la Cour en lui plantant la plus belle paire de cornes qui se soit jamais vue...
Lorenza n’en entendit pas davantage. Comprenant que l’on avait oublié sa présence et qu’il était préférable de ne pas rester là plus longtemps, elle avait cherché discrètement l’abri d’un paravent puis la porte de la pièce voisine qu’elle ouvrit précautionneusement, descendit l’escalier et, par les salons du rez-de-chaussée, sortit dans les jardins dont s’environnait Verneuil. Sans savoir pourquoi elle éprouvait un urgent besoin d’air frais et celui de ce beau temps revenu l’était merveilleusement.
S’enveloppant d’une mante qu’elle avait prise en passant au vestiaire du vestibule, elle fit quelques pas parmi les parterres descendant vers la rivière avec l’intention d’aller s’asseoir un moment sur un banc qu’elle affectionnait près d’un bouquet d’aulnes mais une armée de jardiniers était à l’œuvre en train de réparer les dégâts causés par la tempête qui s’était abattue sur la région deux jours auparavant. Alors elle choisit de quitter le domaine en suivant le cours de l’Oise dans la direction de la route de Paris. Elle rencontra bientôt un petit bois et s’assit sur une souche pour regarder couler l’eau. Là au moins on n’entendait que les oiseaux et le léger friselis du flot autour d’un tronc d’arbre abattu par le vent et cela l’apaisa. Elle se sentait en effet assez désorientée par la face cachée de cette vieille dame qu’elle aurait juré n’être que douceur. Son subit éclat de fureur, tellement semblable à ceux de sa fille aînée, l’avait stupéfiée parce qu’elle révélait une acrimonie – pour ne pas dire une haine ! – envers ce roi qui avait si longtemps donné la première place à cette même fille mais, évidemment, tenait son époux en résidence à Malesherbes et son fils au fond d’une prison qu’il ne quitterait peut-être jamais, refusant d’admettre qu’après une double conspiration contre la vie même du souverain, la captivité était peu de chose. Si le bâtard royal avait la réputation d’être une dangereuse bête fauve, pour Marie, il était son fils... et rien que son fils !
Elle resta là, sans bouger, à regarder couler la rivière en s’efforçant de faire le vide dans son esprit, mais c’était difficile... Une intuition lui faisait pressentir que vivre chez les dames d’Entragues pouvait le devenir plus encore. Ne leur avait-elle pas été confiée par le Roi ?...
Un bruit de voix vint interrompre sa rêverie. Un homme et une femme discutaient – ou plutôt se disputaient ! – derrière elle dans l’épaisseur du petit bois... Même leurs voix n’étaient pas en accord car, si la femme chuchotait, l’homme, qui semblait mécontent, ne s’encombrait pas d’assourdir un timbre sonore encore qu’un peu enroué.
— Pourquoi ne voulez-vous pas que je voie Mme la marquise ? Vous savez pourtant que je viens de loin et que M. le duc d’Epernon m’envoie !
Lorenza ne put percevoir la réponse de la femme. Se levant tout doucement, elle s’avança sous les arbres, jusqu’au tronc épais d’un chêne derrière lequel elle se dissimula. Elle se trouvait, en effet, suffisamment proche du couple pour mieux entendre mais aussi pour avoir sur ces gens une vue assez nette. La femme, immédiatement reconnue en dépit de la mante qui la recouvrait à moitié, était Jacqueline d’Escoman mais elle n’avait jamais vu l’homme, un grand diable au poil roux habillé d’un épais tissu de laine verte un peu élimé, un bonnet de même couleur drapé sur ses cheveux hirsutes comme sa barbe. Ses chausses, ses gros souliers poussiéreux et le bâton sur lequel il s’appuyait révélaient qu’il avait dû effectuer un long trajet à pied. Il semblait fort mécontent.
— L’an dernier, vous vous étiez occupée de moi et voilà que vous me renvoyez ?
— Parce que vous ne deviez pas revenir ! Vous m’aviez promis de ne plus penser à ces folies !
— C’est vrai... j’avais promis... mais les voix sont revenues. Elles annonçaient que le temps approche où je devrai accomplir la volonté de Dieu !
— Ces voix vous trompent !
— Ce n’est pas ce que disent mon confesseur et les bons pères ! Quand Dieu ordonne, il faut obéir ! Je voudrais que Mme la marquise – qui avait été si bonne pour moi, souvenez-vous, quand elle a envoyé le valet de son père me conduire ici depuis Malesherbes –, je voudrais qu’elle me garde jusqu’à ce que viennent le jour et l’heure où je saurai qu’il faut frapper l’Antéchrist...
— C’est impossible, vous dis-je ! Allez-vous-en ! Retournez à Angoulême et ne revenez plus !
— Mais M. le duc d’Epernon assure...
— Je ne veux pas le savoir ! Je ne vois pas d’ailleurs pourquoi il vous envoie ? Il n’a qu’à vous garder chez lui !
— Il y a trop de monde et il ne veut pas. Il dit que si on me voyait, cela pourrait gâter l’affaire. Alors il m’envoie chez Mme la marquise. C’est une campagne tranquille et le château est grand. Ce sera facile de me cacher...
— Et pendant combien de temps ?...
— Il ne sait pas encore... Ah si !... J’oubliais !...
L’homme leva un doigt et les yeux vers le ciel :
— Le sacre de la Reine ! Ce sera le signe... et de grands malheurs seront évités !
— Oh alors ! s’exclama la dariolette qui parut soulagée. Ce n’est pas pour demain ! Si même cela vient un jour, cela demandera un long temps de préparation ! Croyez-moi, Ravaillac ! Rentrez chez vous, priez pour que le Seigneur vous éclaire davantage !
— Mais...
— Pas de mais ! Croyez-moi !... Vous aurez largement le temps de revenir quand il sera question de la couronner ! Venez avec moi jusqu’au château. Je vous ferai donner de quoi manger et aussi un peu d’argent puis vous repartirez ! Mais surtout pas un mot de ce que vous venez de me dire !
— Et si je vois Mme la marquise ?
— Vous ne la verrez pas. Les murs ont des oreilles chez nous et vous pourriez non seulement vous perdre mais la perdre aussi.
— Ah bon !
— Venez !
Ils quittèrent le bois pour rejoindre l’entrée de Verneuil. Lorenza alors sortit de derrière son arbre et retourna s’asseoir au bord de la rivière, étourdie de ce qu’elle venait d’entendre et qui n’avait pas besoin d’explications laborieuses : cet homme projetait de tuer le Roi ! Il était envoyé à Mme de Verneuil, ce qui ne pouvait signifier qu’une entente entre elle et M. d’Epernon. Évidemment, d’Escoman s’était efforcée d’écarter le danger et Lorenza se demandait pourquoi. De l’humeur dont était la marquise, elle ne voulait aucun bien à son ancien amant... Mais ne lui en avait-elle pas voulu dès l’instant où elle avait compris qu’elle ne serait pas reine même si elle faisait encore semblant d’y croire ? D’ailleurs, même à l’époque de leurs folles amours, n’avait-elle pas participé à ces deux conspirations contre la vie du Roi ourdies par son père et son demi-frère ? Seule la passion d’Henri avait sauvé leurs têtes...
Lorenza rentra au château fort troublée avec l’idée de poser quelques questions discrètes à Joinville mais il était déjà reparti et cela aussi l’étonna : quand il prenait la peine de se déplacer depuis Paris, il passait la nuit au château...
Dans les trois jours qui suivirent, la jeune fille abandonna ses dernières illusions. En admettant qu’il lui en restât encore ! Il était évident qu’elle n’était plus que tolérée à Verneuil. Henriette lui adressait à peine la parole. En revanche, le nom de « la Reine » revenait de plus en plus souvent dans ses discours. Seule Mme d’Entragues conservait envers elle le même comportement ou tout au moins essayait, mais surtout en dehors de la présence de sa fille... Le reste du temps, elle devenait curieusement silencieuse.
Dans cette atmosphère en train de devenir irrespirable, il aurait fallu que Lorenza fût idiote pour ne pas comprendre qu’elle était gênante... Bientôt sans doute on la mettrait à la porte et il lui faudrait chercher un autre asile... Elle n’attendrait pas d’en être là. Il lui restait encore une carte à jouer.
Vint le matin où Mme de Royancourt devait l’emmener visiter Courcy...
Chapitre XIII
Enfin le port ?...
Posé comme un nénuphar blanc sur l’eau miroitante d’un étang, le château de Courcy enchanta Lorenza quand elle le découvrit au tournant d’une route forestière. Verneuil était joli mais celui-là ressemblait à un château de légende avec ses tours immaculées coiffées d’ardoises bleutées, ses girouettes dorées, ses hautes fenêtres dont les vitres renvoyaient les rayons du soleil. Autour, et jusqu’à la lisière des bois, s’étendaient des jardins parfaitement entretenus et, un peu à l’écart, un élégant bâtiment sans étages abritant les écuries et aussi une orangerie[21].
— Que c’est beau ! S’extasia Lorenza, incapable de contenir sa surprise admirative.
— Cela vous plaît ? fit sa compagne avec un sourire ravi.
— C’est peu de le dire ! Je ne trouve pas les mots... mais je comprends pourquoi, comme je l’ai appris, vous n’allez jamais à Paris !
— Si, quelquefois pour voir des amis comme notre ancienne reine Marguerite mais non au Louvre. C’est une question d’atmosphère ! J’avoue que j’y respire mal et mon frère pas du tout ! Il prétend que le soleil n’y a pas la même couleur !
— Je veux bien le croire !
Cette matinée, en tout cas, était radieuse et Lorenza en goûtait chaque minute depuis que l’on avait quitté Verneuil. Lorsque Mme de Royancourt était arrivée, elle n’avait pu se défendre d’une inquiétude sur la façon dont elle serait reçue par une marquise d’une humeur si sombre qu’un simple détail pouvait déchaîner une colère latente. Or, il n’en avait rien été : Henriette avait même déployé ses grâces, poussant l’amabilité jusqu’à inviter la nouvelle venue à s’entretenir avec elle en son particulier. Mais la jeune fille n’avait été vraiment rassurée qu’à la fin en voyant les deux dames se saluer avec des sourires. Et puis l’on était parti... Lorenza avait alors éprouvé une sensation neuve : celle d’être en vacances.
Tout au long du chemin d’environ une lieue et demie, son hôtesse lui fit découvrir un pays qu’elle aimait et connaissait à fond. C’était en effet une charmante région que cette vallée de l’Oise... Elle savait en parler.
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