— Pour le cheval je l'ai, pour le costume je pense que ce sera facile.
— Parfait. Alors, rentrez chez vous et revenez juste après le crève-feu, comme si vous veniez tout juste de franchir les portes avant leur fermeture, et annoncez-vous au corps de garde comme mon cousin, Alain de Maillet. Dites que vous avez à me parler d'urgence. Je serai auprès du Roi car... il m'arrive parfois de faire une partie d'échecs avec lui pour le désennuyer, ajouta-t-il d'un ton honteux qui fit sourire Catherine. La garde extérieure est alors moins sévère puisque je l'assure moi-même à l'intérieur. Je vous ferai monter auprès de moi.
Un élan juvénile jeta Catherine au cou de Roussay sur les joues duquel elle plaqua deux baisers sonores.
— Vous êtes l'homme le plus merveilleux du monde, Jacques, et je ne vous remercierai jamais assez ! Soyez sans inquiétude : je saurai jouer mon rôle de façon à ne pas donner l'éveil.
— Je n'en doute pas, je n'en doute pas... Ah ! pendant que j'y pense : un peu élégant le costume, s'il vous plaît ! Nous ne sommes pas des croquants.
Catherine se mit à rire et alla se regarder devant une glace pour rajuster les plis de son chaperon un peu dérangés par toutes ces embrassades. Dans le miroir, elle saisit le regard de Roussay qui s'attachait avidement à son cou, à la ligne de ses épaules.
— Comment faites-vous pour être toujours aussi belle ? murmura-t-il. Vous allez emporter avec vous toute la lumière de cette pièce.
Nous sommes de trop vieux amis pour les madrigaux, Jacques ! Au fait, puisque vous êtes si heureux de me voir, comment se fait-il que l'on ne vous ait pas vu chez dame Symonne comme vous l'aviez promis ? Vous avez eu trop à faire?
Il y eut un silence comme si cette simple question embarrassait le capitaine. Mais il finit par prendre son parti et jeter, brusquement :
— Oui... enfin, non ! j'étais gêné ! Furieux contre moi et contre mes hommes.
— Pourquoi, Grand Dieu ?...
— Parce que... oh, autant que vous le sachiez après tout : le nommé Philibert a bien été jeté en prison... mais la fille La Verne nous a échappé en traversant le bourg. On n'a pas pu la retrouver... et je craignais que vous ne m'en teniez rigueur.
Catherine fronça les sourcils. La nouvelle ne lui faisait pas plaisir.
Il lui était désagréable de savoir libre et impunie la femme qui avait si froidement condamné le bon Mathieu à une mort lente et horrible.
Mais elle avait trop besoin de Jacques pour manifester son mécontentement, si légèrement que ce soit. S'efforçant au contraire d'oublier que la fuite d'Amandine lui valait une ennemie de plus dans la ville, elle haussa les épaules avec une feinte désinvolture.
— Puisque vous tenez l'homme, c'est déjà bien... Cela vous permettra de retrouver la femme. Elle ne représente d'ailleurs plus un grand danger pour mon oncle. S'il n'en est pas guéri après ce qu'elle lui a fait endurer, c'est à désespérer de la sagesse des hommes.
— Aucun homme n'est sage lorsqu'il s'agit de la femme qu'il désire, fit Roussay d'un ton tellement lugubre que Catherine craignant qu'il ne revînt à la charge préféra ne pas entendre et se dirigea vers l'escalier suivie du capitaine qui s'était remis à soupirer. Le costume masculin serait peut-être une bonne chose pour venir le rejoindre cette nuit...
La tour n'était pas très haute, pourtant l'escalier paraissait sans fin. Au poing de l'homme qui précédait Catherine la torche brûlait mal, fumait beaucoup et ne donnait guère de lumière. Aussi la jeune femme prenait-elle grand soin de ne pas buter sur les marches usées quand un tournant éclipsait la flamme.
CHAPITRE IV
... et les larmes du roi
Au-dehors, c'était le calme d'une nuit d'automne déjà froide, humide en tout cas, et cela se sentait dans la tour. Aussi Catherine bénissait-elle la précaution qui lui avait fait prendre des vêtements chauds et un manteau de cheval épais.
Se procurer lesdits vêtements masculins ne lui avait pas été difficile : elle s'était contentée de se rendre, flanquée de Bérenger, chez un tailleur et de rhabiller l'adolescent de façon convenable. Il commençait d'ailleurs à en avoir besoin et, comme il avait beaucoup grandi, sa taille et celle de sa maîtresse étaient voisines.
— De toute façon, il vous fallait des habits pour cet hiver, répondit-elle à ses protestations ravies. Choisissez donc en conséquence... mais tâchez de choisir des teintes discrètes ! ajouta-t-elle prudemment car elle connaissait le goût prononcé du jeune garçon pour les mélanges de couleurs hardies.
Le résultat s'était révélé satisfaisant. Bérenger s'était laissé séduire par un justaucorps et des chausses vert printemps sans aucune adjonction de jaune ou de rouge. C'était la couleur même de la garde ducale et cela allait aussi bien à la blondeur dorée de Catherine qu'à ses propres cheveux couleur de châtaigne mûre. Un manteau de cheval noir et un chaperon vert complétaient l'ensemble et, ainsi déguisée, Catherine n'avait eu aucune peine à se faire passer pour le jeune Alain de Maillet, cousin poitevin du capitaine bourguignon.
À l'exception du double bruit de pas, la tour était silencieuse comme une tombe et ce silence ajoutait à l'angoisse, encore imprécise, que Catherine avait emportée en quittant l'hôtel Morel-Sauvegrain, due au fait que Gauthier n'avait pas reparu.
Bérenger avait attendu vainement son retour tout l'après-midi et, s'il avait suivi avec plaisir Catherine chez le tailleur, il n'en avait pas moins repris sa faction mais avec un énervement grandissant.
— Mais où est-il ? Où a-t-il pu aller ? répétait-il continuellement.
Sa maîtresse s'était efforcée de le calmer en affichant une tranquillité qu'elle était bien loin d'éprouver. Elle eût donné cher pour être capable de répondre aux questions du page car elle connaissait suffisamment les bas-fonds de Dijon pour savoir qu'un homme pouvait y disparaître, en plein jour et sans laisser de traces, aussi aisément que dans les cours des Miracles parisiennes. Et c'était l'esprit soucieux qu'elle était partie pour la tour Neuve. La nuit qui commençait risquait d'être longue si, à son retour, elle ne trouvait pas Gauthier rentré au bercail car il faudrait bien, alors, se lancer à sa recherche.
On avait atteint le palier. Le soldat qui guidait le faux Alain de Maillet venait de s'arrêter devant une porte armée de rames de fer et d'énormes verrous près de laquelle veillaient deux hommes assis sur des escabeaux, leurs vouges étincelantes appuyées contre la muraille.
Il jeta un mot à travers le guichet grillé qui ajourait la porte et celle-ci s'ouvrit presque instantanément, découvrant l'intérieur d'une pièce d'assez belles dimensions mais dont les fenêtres à meneaux étaient grillées de barreaux si épais et si rapprochés qu'ils ne devaient guère laisser passer de lumière.
L'ameublement en était succinct : un lit simple tendu de serge grise, une large table flanquée de deux bancs et un grand coffre sans ornements. Ni tapis ni tentures. Le seul luxe relatif tenait dans l'étroite cheminée en entonnoir où brûlaient quelques bûches et dans l'échiquier posé sur la table entre les deux personnages assis sur les bancs. Un chien à longs poils dormait, roulé en boule devant la cheminée.
La voix vigoureuse de Roussay accueillit Catherine.
— Quelle surprise, mon cousin ! Quand on m'a fait savoir votre venue, je n'en croyais pas mes oreilles ! Vous, si loin de votre cher Poitou ?
En même temps, il s'était levé et accolait l'arrivant avec de grandes tapes dans le dos qui le firent tousser.
— C'est que j'avais à vous entretenir d'affaires importantes pour notre parentèle, mon cousin et je n'ai que peu de temps... répondit Catherine en se félicitant de ce que le Ciel lui eût accordé un timbre chaud et légèrement voilé plutôt qu'une claire voix typiquement féminine.
Tout en parlant elle ne pouvait détacher son regard de l'autre personnage, resté assis à la table et apparemment plongé dans les combinaisons savantes du jeu d'échecs.
Elle savait son âge, vingt-sept ans, mais en vérité il ne les paraissait guère bien qu'il fût solidement bâti et même un peu trapu. Cela devait tenir au blond attendrissant de ses cheveux, de vrais cheveux de bébé, à la fraîcheur de sa peau et à ses grands yeux, d'un si joli bleu de porcelaine qu'on en venait à oublier qu'ils étaient un peu à fleur de tête.
Mais en dehors de son élégance naturelle, rien dans son aspect actuel n'annonçait un roi : ses vêtements étaient négligés et sa barbe longue. René d'Anjou n'avait prêté aucune attention à l'arrivant, sans doute offensé dans sa dignité royale par ce qu'il croyait être le sans-gêne d'un Jacques de Roussay, osant recevoir des visites privées dans sa cellule.
Pour essayer d'attirer malgré tout son attention, Catherine ajouta :
— Je vous demande mille pardons d'avoir ainsi insisté pour vous voir car j'ai grand-peur d'être importun. Mais, mon cousin... ne pouviez-vous me recevoir ailleurs qu'ici ?
— Nous venions, Monseigneur et moi, de commencer une partie qu'il eût été désagréable d'interrompre. Et vous pensez bien, mon cher Alain, que j'ai d'abord demandé au Roi sa permission. Sire, ajouta-t-il en s'adressant directement au prisonnier, le Roi permet-il que je lui présente mon jeune cousin, Alain de Maillet, qui nous arrive tout droit de sa province ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de le lui dire ?
Enfin, le regard de René d'Anjou se releva, froid et indifférent.
— Faites, messire, faites... mais, je vous en prie, oubliez un instant ma présence. J'étudierai la suite de la partie tandis que vous parlerez en toute tranquillité, assis sur ce coffre par exemple. Ainsi, ajouta-t-il avec une hauteur toute royale, nous ne nous gênerons ni les uns ni les autres.
— Monseigneur est trop bon. Holà, soldat, voyez donc un peu ce que devient ce pichet de Beaune que j'avais ordonné d'apporter et qui ne vient point ? Veillez un peu à ce qu'on le monte à l'instant !
Le soldat se retira tandis que Catherine, dont le profond salut n'avait même pas été honoré d'un regard du prisonnier, suivait Roussay vers le coffre en question. La porte se referma avec le même vacarme de barres et de verrous que tout à l'heure.
Pour mieux s'en assurer, Roussay alla jusqu'au guichet puis.se retournant, sourit à Catherine qui l'observait passionnément...
Alors, d'un élan, elle fut aux genoux du prisonnier, arrachant le gant qui couvrait sa main gauche pour libérer l'émeraude gravée.
— Sire ! chuchota-t-elle, daigne Votre Majesté m'accorder un instant d'entretien car je lui suis envoyée par son auguste mère.
René d'Anjou sursauta. Son regard bleu, effaré, considéra un instant la mince forme verte puis se tourna vers Roussay toujours debout près de la porte.
— Mais... que signifie ?
Le capitaine sourit.
— Que je ne me serais pas permis, Sire, d'introduire chez Votre Majesté un mien cousin, si bon gentilhomme soit-il... et que voici, aux pieds de Votre Majesté, un excellent ambassadeur de Madame la Reine Yolande, votre mère.
— Ma mère ?
— Oui, Sire, dit Catherine chaleureusement, votre mère qui veut bien m'honorer de sa confiance, qui m'a donné cet anneau où vous voyez ses armes... et dont voici le message !
La lettre venait d'apparaître au bout de ses doigts et René s'en emparait avidement, effleurait le sceau d'un coup d'œil, le faisait sauter et dépliait le papier en se penchant vers les chandelles pour mieux lire.
Catherine vit que ses mains tremblaient. C'étaient les premières nouvelles directes que le prisonnier recevait de sa mère depuis des mois et son émotion, presque palpable, touchait la jeune femme.
Quand il eut achevé sa lecture, il en baisa tendrement la signature, replia la lettre et la glissa dans l'ouverture de son pourpoint. Puis, se retournant vers Catherine, toujours agenouillée, il la regarda longue ment sans dire un seul mot mais avec une sorte d'avidité qu'elle ne tarda pas à trouver gênante, tout autant d'ailleurs que sa position inconfortable.
— Sire... commença-t-elle au mépris de tout protocole mais ce seul mot eut un effet magique.
René d'Anjou tressaillit comme s'il s'éveillait d'un songe et rougit.
— Oh ! Pardonnez-moi ! s'écria-t-il en se penchant vers elle pour lui prendre les deux mains et l'aider à se relever. Vous allez me prendre pour un rustre, ajouta-t-il avec un sourire qui lui rendit son âge. Une femme ! Une femme jeune et belle que je laisse à mes pieds!
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