— Eh bien, soupira la vieille demoiselle, voilà une bonne chose de faite ! Vous allez redevenir fréquentables et personne ne s’en réjouit plus que moi. Je vous en donnerai la preuve en « montant » à votre fichu Paris pour votre mariage ! Il doit y avoir vingt ans que je n’y ai mis les pieds.
— Vous ne quittez jamais Cannes ? demanda Alexandra.
— Pour quoi faire ? A-t-on envie de visiter l’enfer quand on la chance d’habiter le paradis ?
— Sans doute mais les voyages peuvent avoir du charme.
— Je ne les ai jamais aimés. Voyez-vous, ma petite, je suis une vieille vestale qui s’imagine vouée au dernier supplice si elle laisse s’éteindre le foyer familial…
— Vous avez des serviteurs tout à fait capables de l’entretenir… et j’aimerais beaucoup vous présenter notre domaine familial de Delaware Bay ainsi que Philadelphie…
— Pas New York ?
Le regard d’Alexandra embrassa le paisible et chatoyant panorama que l’on découvrait de la terrasse, le bleu intense de la mer, l’exubérance du jardin fleuri et pour finir la silhouette fragile et hors du temps de Mlle Mathilde. Amity alors l’entendit murmurer ces mots impensables quelques semaines plus tôt chez l’arrogante Mrs Carrington.
— Non. New York ne vous plairait pas. C’est une ville sale où le mauvais goût s’étale trop souvent… Elle n’est pas faite pour vous mais vous pourriez aimer Philadelphie.
Ce fut alors au tour de Nicolas de se perdre en conjectures quand sa sœur répondit :
— Vous me tentez, ma petite ! Nous verrons ! Je ne dis pas non…
Deux jours plus tard, débarquant au matin d’un Méditerranée-Express dépourvu cette fois de toute originalité et on ne peut plus quotidien, Mrs Carrington et la future Mme Rivaud opéraient leur entrée dans le hall du Ritz où, au mépris de tout protocole, Olivier Dabescat vint les saluer en personne.
— C’est avec un grand soulagement que nous avons appris hier soir l’annonce de votre retour, Mrs Carrington et miss Forbes, dit-il aux voyageuses.
— Du soulagement ? fit Amity. Votre hôtel manque-t-il à ce point de clients ? Menacez-vous de faire faillite ?
— Grâce à Dieu, il n’en est rien. Nous sommes même débordés. Seulement hier matin nous avons reçu une jeune demoiselle, miss Hopkins, qui vous a réclamée en disant qu’elle est votre belle-sœur.
— Cordélia. Ici ?
— Oui, en compagnie de deux dames de New York et nous ne savions s’il fallait vous avertir de cette arrivée ou conseiller à notre nouvelle cliente de vous rejoindre à Cannes. À notre grand regret nous n’avons pu lui offrir qu’un appartement au second étage. La semaine du Grand Prix approche et, à vingt-quatre heures près, nous ne pouvions rien lui offrir du tout…
Il aurait pu discourir ainsi pendant un long moment ; Alexandra ne l’écoutait pas. Une seule chose pouvait l’intéresser : que venait faire ici la sœur de Jonathan ?
CHAPITRE IX
UN SEUL ÊTRE VOUS MANQUE..
— C’est tout simple ! Je suis venue choisir ma robe de mariée à Paris. Je n’ai rien trouvé qui me plaise à New York…
— Vous vous imaginez que je vais croire ça, Délia ? fit Alexandra en souriant. Dites la vérité : c’est Jonathan qui vous envoie ?
— Lui ? Pauvre cher garçon ! Il ignore tout de mon escapade. Aux dernières nouvelles il était à Washington pour je ne sais quel congrès. Je n’ai jamais compris cette passion que nos Américains éprouvent pour ces grandes réunions. Je suppose que ce sont de bonnes occasions d’oublier un peu le foyer conjugal. Quant à moi…
— N’essayez pas de noyer le poisson, jeune fille ! Si Jonathan n’est pas au courant votre mère doit l’être… ou bien vous êtes-vous enfuie en quelque sorte ?
— Bien sûr que non. Maman est tout à fait d’accord, ce qui veut dire qu’elle s’en moque complètement. Vous savez que nous nous portons mutuellement une affectueuse indifférence ? Quand je me suis embarquée, elle faisait ses bagages pour Newport. Elle était aux cent coups : la dernière tempête a malmené le yacht familial…
— Et de deux ! ironisa Mrs Carrington. À présent causons du troisième personnage pouvant prétendre à quelque influence sur vous : votre fiancé ? Ne me dites pas que ce cher Peter, qui ne sera tranquille que lorsqu’il vous aura passé l’anneau au doigt, vous a encouragée à venir faire des folies à Paris ? Cela ne lui ressemblerait guère.
— Je vous accorde qu’il n’est pas très content mais il s’en remettra. Je lui ai bien expliqué que je ne me sentais pas le courage de me passer la corde au cou sans un dernier petit tour dans les boutiques françaises. Il a fini par admettre…
— … que cela valait tout de même mieux que de vous voir repousser encore la date de votre mariage ? Je jurerais que vous lui avez tenu ce genre de discours…
— Disons que je l’ai suggéré… mais sans méchanceté. C’est mon dernier caprice et voilà tout ! J’ai promis de rentrer avec vous.
— Il n’en est pas question ! Je ne rentrerai qu’au mois d’août et vous avez mille choses à faire pour votre mariage…
— Je n’ai rien à faire du tout. Ceci regarde ma mère, Peter et un tas de gens mais pas moi ! Vous n’imaginez pas que j’aie traversé l’océan pour huit jours ?
— Soyez raisonnable ! Vous tenez vraiment à faire souffrir ce pauvre Peter ?
Délia haussa les épaules puis se mit à virevolter à travers le salon, examinant les objets qu’Alexandra avait achetés depuis son arrivée et passant d’un biscuit de Sèvres à un tableautin signé Renoir.
— Il ne souffre pas vraiment. L’attente, vous savez bien que c’est délicieux et ensuite il n’appréciera que mieux le bonheur de vivre en ma compagnie. Vous allez toujours à Venise ?
— Oui, fit assez sèchement Mrs Carrington. Je suis invitée par des amis pour assister, le 18 juillet, à la fameuse fête du Rédempteur. Mais comment pouvez-vous savoir ?
— Par Jonathan, bien sûr. Il était furieux mais si cela en vaut la peine, j’estime que vous avez raison… Et j’aimerais beaucoup vous accompagner. Vos amis seront peut-être assez gentils pour m’inviter aussi ?
Alexandra se contenta de soupirer. Délia était toujours la même : charmante et d’une humeur égale, pleine de vie et de gaieté… mais déplorablement mal élevée parce que trop gâtée par la nature d’abord et par un frère aîné qui, en fait, ne savait rien lui refuser. Sa mère qu’elle amusait lui laissait la bride sur le cou et, depuis qu’elle avait jeté son dévolu sur Peter Osborne, le pauvre garçon, éperdument amoureux, était autant dire réduit à l’esclavage.
En la regardant aller et venir, ouvrir un carton à chapeau pour en tirer une toque composée de tulle bouillonné autour d’un bouquet de muguet et se mettre à l’essayer devant une glace, elle pensa qu’elle était en train de devenir une des plus jolies filles de New York sinon la plus jolie, et elle n’avait que dix-huit ans. Elle avait la nerveuse finesse d’un pur-sang, une taille presque trop mince portée sur de longues jambes mais qui mettait bien en valeur une poitrine haute et ronde. En fait, avec ses cheveux d’un blond argenté et ses larges prunelles transparentes de ce bleu-vert des belles turquoises, elle ressemblait à une Norvégienne ou à une Danoise plus qu’à une fille née sur les bords de l’Hudson.
Prenant soudain conscience de l’examen qu’elle subissait, Délia revint vers sa belle-sœur dont elle entoura le cou de ses bras d’un joli geste tendre :
— Je vous aime beaucoup, vous le savez bien, alors n’en abusez pas ! Laissez-moi rester avec vous ! Ce n’est pas charitable de vouloir garder pour vous seule toutes ces choses ravissantes et j’en veux ma part ! Maman s’est montrée très, très généreuse.
Alexandra se mit à rire :
— D’accord ! Je vais vous aider à ruiner votre mère… D’ailleurs, en attendant vos noces, je vous offre un rôle de demoiselle d’honneur… si vous consentez à m’épargner des yeux ronds et des exclamations de stupeur : dans trois semaines ma tante Amity se marie.
— Et vous n’avez pas commencé par cela ? s’écria là jeune fille. Mais c’est la meilleure nouvelle ! Et que va-t-elle devenir ? Comtesse ? Marquise ? Baronne ?
— Rien du tout ! et c’est l’une des choses qui me plaisent dans cette union : elle épouse un homme charmant, cultivé, riche et plein de générosité qui saura, je crois, la rendre heureuse mais elle s’appellera tout simplement Mme Nicolas Rivaud.
— Dire que sans mon escapade j’aurais pu manquer ça ! Oh, Alexandra, je ne me le serais jamais pardonné !… Sans compter que la famille va en tomber sur le derrière !
— Cordélia ! protesta Mrs Carrington choquée. Si vous voulez rester avec moi, il faudra songer à surveiller votre langage.
Tandis qu’au Ritz Alexandra tentait de raisonner la jeune Cordélia, deux voitures élégantes s’arrêtaient avec ensemble devant la maison qu’habitait Jean Lorrain. De l’une descendit M. Rivaud, de l’autre le duc de Fontsommes et son ami le comte Robert de Montesquiou mais, de toute évidence, les trois personnages étaient animés d’intentions similaires. Néanmoins, étant plus près de la porte, l’ancien ingénieur des Mines s’arrêta, jeta un rapide coup d’œil à la portière armoriée de l’autre voiture et, au lieu de sonner, alla au-devant des deux gentilshommes qu’il salua courtoisement :
— Veuillez me pardonner de m’adresser à vous sans avoir été présenté, dit-il. C’est bien M. le duc de Fontsommes que j’ai l’honneur de rencontrer ?
Le regard froid du jeune homme s’adoucit un peu devant l’amabilité de ce visage, l’élégance du personnage et le fait qu’il était commandeur de la Légion d’honneur.
— En effet, monsieur, et si vous voulez bien me dire qui vous êtes…
— Je n’ai pas le bonheur d’être connu de vous. Je me nomme Nicolas Rivaud, ingénieur des Mines en retraite, mais vous comprendrez mieux pourquoi je me présente à vous quand je vous aurai dit que je vais épouser prochainement miss Amity Forbes…
— La tante de Mrs Carrington ? dit Fontsommes avec un sourire un tout petit peu malicieux. Je vous en fais bien mon compliment et je vous offre mes vœux les plus sincères.
— Je vous en remercie mais ce n’est pas pour vous apprendre cette nouvelle que je suis venu vers vous. En fait… je suis extrêmement heureux d’avoir pu vous rencontrer avant que vous n’entriez dans cette maison. Je suppose que la même raison nous y amène tous deux ? Il s’agit de certain article paru dans le « Pall-Mall » du Journal ?
— C’est exact et je vous serais reconnaissant de me laisser la priorité. J’ai l’intention de corriger ce misérable de façon à lui ôter l’envie de recommencer. Je suis assez fort en boxe…
— Je ne doute pas que vous ne veniez facilement à bout d’un homme malade. Vous risquez même de le tuer.
Fontsommes eut un dédaigneux mouvement d’épaules qui signifiait que ce serait pour lui sans importance.
— .. auquel cas, continua M. Rivaud sans se laisser démonter, vous serez accusé de meurtre et salirez définitivement la réputation d’une jeune femme tout à fait innocente.
— Là ! Qu’est-ce que je disais ? intervint Montesquiou. Je suis, monsieur, tout à fait de votre avis. Néanmoins vous admettrez qu’une correction… modérée est la seule solution. Quand on est le duc de Fontsommes, on ne se bat pas en duel avec un plumitif…
— Un duel n’arrangerait pas davantage le renom de ma future nièce. En réalité, ce serait l’affaire de son mari mais il est loin.
— Un rude imbécile, si vous me permettez cette opinion, jeta le duc. Laisse-t-on une jeune femme aussi belle courir seule les grands chemins d’Europe ? Mais ces considérations ne nous avancent pas : que proposez-vous de faire ?
— Que vous me laissiez agir. Je suis beaucoup plus âgé que vous et je possède quelques armes. En fait, aucun nom n’a été écrit ?
— Rien que des initiales ! grinça Fontsommes, mais ô combien transparentes !
— Justement. Je pense obliger ce Lorrain à écrire un autre « papier » mondain mais, cette fois, avec des noms entiers ! Et je crois que vous pourrez vous estimer satisfait…
— Vous n’y arriverez pas ! C’est obstiné, cette espèce de gratte-papier…
— Voulez-vous parier ? Si je perds, je vous donne cent louis mais si je gagne…
— Ce sera à moi de vous les donner, sourit Fontsommes qui aimait les paris autant qu’un Anglais.
— Non. Ce que je désirerais c’est que vous quittiez Paris pendant quelque temps. Mrs Carrington doit revenir ce matin et il serait mieux, je crois, que l’on ne puisse plus vous voir ensemble…
— Vous voulez lui faire manquer le Grand Prix et les Drags, fit Montesquiou scandalisé. C’est tout bonnement impensable !
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