— Va… au diable !
Il tomba. Guise ricana de plus belle, mit le pied sur l’épée que cependant le jeune homme n’avait pas lâchée :
— Rassure-toi ! Je ne vais pas t’occire, mais seulement te traiter comme tu le mérites pour t’être opposé à un prince de ma naissance…
Et par deux fois, il le frappa du plat de son arme…
— Misérable ! hurla Gaspard, auquel Enghien, Tourville et François se pendirent littéralement pour l’empêcher de se ruer sur l’insulteur. Mais le drame n’était pas fini…
Rendu furieux par le camouflet, Maurice ramassait son épée, se relevait dans l’intention de se ruer sur Guise dont le fer lui traversa le bras de part en part au moment même où d’Estrades et Bridieu se blessaient sérieusement l’un l’autre…
Seul encore debout, le duc de Guise essuya froidement sa lame, la remit au fourreau tandis que l’on emportait son second, haussa les épaules et quitta le terrain. Cependant, Gaspard, que l’on avait enfin lâché contre sa parole de ne pas s’attaquer au prince lorrain, emportait lui-même son frère évanoui dans la voiture que l’on venait d’avancer. Dans les belles demeures rose et blanc de la place, les fenêtres se refermaient. La princesse Charlotte se leva.
— Il n’y a plus rien à voir. Partons !
— Où Monsieur le Duc emmène-t-il ce malheureux jeune homme ? Chez lui ?
— Dans la même maison que Madame la Duchesse ? Vous voulez rire ! Chez nous, je pense !
— Sans doute…
Elle était si visiblement soucieuse qu’Isabelle examina un instant la question qu’elle voulait poser et finalement se décida :
— Nous n’allons plus au Palais-Royal ?
— Plus tard, peut-être ! Je veux d’abord voir mon fils. On ne peut pas dire que ce duel se termine pour notre plus grande gloire, et tous les torts vont de notre côté.
C’est en gros ce que son époux lui lança à la figure quand, de retour à l’hôtel, elles le trouvèrent en train d’arpenter le cabinet des Nymphes d’un pas furieux, tout en déversant un chapelet d’imprécations incompréhensibles mais impressionnantes dans le profond silence régnant alors dans une demeure plutôt bruyante à l’état normal. Chacun devait y marcher sur la pointe des pieds et retenir son souffle en attendant que se calme la tempête.
— Ah, vous voilà ! clama-t-il en la regardant sous le nez – il était d’une taille nettement plus petite qu’elle ! Vous venez de là-bas, j’imagine, et vous avez pu admirer la belle figure qu’a faite le champion de votre fille ? J’espère que vous êtes satisfaite ? Tout Paris va rire de nous ! Et d’abord, où est-elle, votre fille ?
— Notre fille doit être chez elle, rétorqua la Princesse en détournant le visage avec une grimace afin d’éviter autant que possible l’haleine fétide de Monsieur le Prince…
— En train de recevoir les félicitations de son époux, sans doute ?
— Oh, celui-là, il n’avait qu’à faire son devoir ! Après tout, c’est sa femme que l’on veut traîner dans la boue ! Et quand je dis « on », il conviendrait de préciser que l’injure vient de sa maîtresse…
— Autrement dit, il aurait dû se battre contre lui-même ? Une situation difficile à gérer ! ricana Henri. Remarquez, j’aurais agi comme lui, à sa place ! Croiser le fer entre gentilshommes pour une histoire de bonnes femmes, ça ne tient pas debout ! A fortiori si le champion de l’offensée n’arrive même pas à manier convenablement sa lardoire et se fait taper dessus. C’est à mourir de rire ! Elle a bonne mine, maintenant, Mme la duchesse de Longueville ! Un pleutre…
Isabelle ne tint pas plus longtemps :
— Pauvre jeune homme ! C’est une honte de le traiter aussi cruellement ! Il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir qu’il était malade quand il est arrivé au rendez-vous ! Il avait peine à se tenir debout, et pourtant il est allé au-devant de l’épée de l’autre et…
— De… l’autre ? Est-ce ainsi qu’une gamine peut se permettre de traiter un duc de Guise, un…
— Un assassin ! Devant la vulnérabilité de son adversaire, il aurait dû refuser le combat et proposer de le reporter à une date ultérieure ! Au lieu de cela, il l’a lâchement insulté, frappé du plat de son arme avant de lui traverser le bras quand il tenta de se relever pour reprendre le duel ! On serait mieux avisé ici de se soucier de son état au lieu de l’offenser davantage ! Je dis, moi, que le duc s’est conduit comme un rustre de basse extraction, tout prince lorrain qu’il soit !
— Bravo, Isabelle ! Voilà de la bravoure pure d’oser affronter mon seigneur et père à mains nues !
Enghien entrait à cet instant dans le cabinet, suivi de Gaspard de Coligny. Laissant son compagnon saluer sa mère et son père, il vint à la jeune fille, la prit aux épaules et l’embrassa sur les deux joues.
— Votre père serait fier de vous ! Gaspard, tu as déjà rencontré, je pense, ma cousine de Montmorency-Bouteville ?
Le jeune homme, qui venait de saluer le ménage princier, s’approcha, visiblement très ému.
— Une fois… et trop brièvement ! Mademoiselle… Voyez en moi désormais votre dévoué serviteur ! En défendant mon frère de la sorte, c’est sur moi que vous avez acquis des droits et ma vie vous appartient ! Disposez-en à votre gré !
Le salut qu’il lui offrit aurait satisfait une Reine et Isabelle, rougissante, ne trouva rien à répondre. Dieu qu’il était beau, ce garçon aux yeux d’azur et à la voix chaude ! Elle lui tendit une main sur laquelle il s’inclina avec une sorte de dévotion tandis qu’elle réussissait à murmurer :
— Je n’ai fait que suivre le mouvement de mon cœur. Mon père est mort de la main du bourreau pour s’être toujours trop bien battu, mais non sans blessures, et je crois que chez nous on s’y connaît en vaillance !
— Très joli tout cela ! grommela Monsieur le Prince. Mais vous n’êtes pas venus tous les deux pour échanger des révérences. Où en est votre frère, marquis3 ?
— Il a perdu quantité de sang, Monseigneur et, dans son état de santé, je ne sais pas s’il parviendra à en réchapper… Il est extrêmement faible à cette heure !
— Où l’avez-vous mis ? fit Condé s’adressant à son fils. Pas chez lui, j’espère ?
— Non. Ni chez moi… En fait, mon père, il est chez vous !
— Comment ça, chez moi ?
— A Saint-Maur ! Ma sœur est auprès de lui, et nous venons quérir Bourdelot ! Si quelqu’un peut le tirer d’affaire, c’est lui !
— Bravo ! Et une fois guéri il pourra se rendre à la Bastille sur ses deux jambes ! En attendant d’être décapité !
— Décapité ?
Un seul mot mais quatre voix à des degrés divers d’indignation. Condé les considéra tour à tour avec un sourire sardonique.
— Eh oui ! La Reine dont pas un de vous ne semble se soucier est furieuse et songerait à faire un nouvel exemple… dans le genre Bouteville !
— Si elle s’en souciait tellement, que n’a-t-elle envoyé la garde place Royale ? Il y avait au moins la moitié de Paris, protesta Enghien. En outre, si l’on considère la situation actuelle de la question, sur quatre duellistes, trois sont quasi moribonds ! Ne me dites pas qu’elle va faire trancher la tête de Guise ? On ne l’aura pas sans peine, celui-là ! Il est capable de ressusciter la Sainte Ligue qui en a fait voir de toutes les couleurs au feu Roi Henri III. De plus, mon père, vous oubliez le cher Mazarin ! Il fait ce qu’il veut de Sa Majesté… Et n’oubliez pas que vous êtes plutôt en bons termes avec lui ! Alors songeons à sauver Coligny !
— Où est votre sœur ? Je sais qu’elle a assisté à la rencontre derrière une fenêtre de l’hôtel de Rohan.
— A Saint-Maur où elle pleure toutes les larmes de son corps… et attend Bourdelot !
— Démontrant ainsi qu’elle aime Coligny, qu’elle est sa maîtresse, que Longueville est cocu et que l’on a versé le sang de trois gentilshommes pour des prunes ! J’espère qu’elle est contente. Encore heureux qu’il n’y ait pas de morts ! Mais il est permis de rêver !
Le médecin arrivait à cet instant, prêt à partir. En quelques mots, Enghien lui expliqua la situation tandis que son compagnon s’approchait des deux femmes.
— Puis-je espérer votre agrément, Madame la Princesse, si j’osais me présenter à vous un jour prochain ? J’aimerais beaucoup…
— … venir me saluer, j’en suis persuadée, mais surtout faire plus ample connaissance avec ma jeune cousine Isabelle ? Je n’y vois aucun inconvénient… Où vous étiez-vous rencontrés auparavant ?
— Chez Mme de Rambouillet…
— Naturellement ! Où avais-je la tête ! Qu’en pensez-vous, Isabelle ?
L’intéressée arbora soudain son plus radieux sourire. Elle venait de saisir, le temps d’un éclair, le froncement de sourcils de Louis d’Enghien quand le jeune homme avait formulé sa demande.
— Que je verrai M. de Coligny avec un vif plaisir !
— A merveille ! Retournez auprès de votre frère, marquis, et faites-nous tenir des nouvelles ! Nous irons lui faire visite un jour prochain !
Les trois hommes sortis, Isabelle les suivit, devinant à sa mine que Monsieur le Prince allait encore piquer une colère, mais avec la ferme intention de rester derrière la porte et, de fait, à peine le battant refermé, elle entendit :
— Vous n’êtes pas un peu folle d’encourager ce garçon à courtiser la jeune Isabelle ?
— Et pourquoi pas ? Il est superbe, il a un beau nom, une fortune et davantage encore si son pauvre frère vient à mourir puisque, à la mort de son père, il deviendra duc de Châtillon. Pour une fois, nous pourrions assister à un mariage vraiment réussi !
— Ah, vous trouvez ? Vous êtes bien une femme à ne pas voir plus loin que le bout de votre nez et surtout les fariboles dont vous et vos amies vous gargarisez à l’hôtel de Rambouillet – et ici d’ailleurs ! – la… « Carte de Tendre » !… Les vers de poètes fumeux ! Les « romances » de la Scudéry et que sais-je encore ! Vous n’oubliez que deux détails : Isabelle est catholique et Coligny protestant, comme il se doit quand on descend du grand Coligny massacré à la Saint-Barthélemy ! En outre, elle n’a pas de dot ! Jamais le vieux maréchal, qui est pingre à tondre une puce, ne consentira à demander sa main, en particulier à notre cousine Bouteville qui, elle, n’acceptera jamais un parpaillot dans sa famille !
— Vous l’étiez vous aussi quand vous m’avez épousée !
— Vous savez parfaitement que j’ai été contraint d’abjurer !
— Eh bien, le jeune Gaspard fera de même ! A condition évidemment qu’Isabelle l’aime ! Ils formeraient un si beau couple…
— Un si beau couple ! Je vous demande un peu !
L’écho de son pas sonnant sur le parquet précipita la curieuse vers l’escalier dont elle grimpa les marches quatre à quatre. Il était temps, ainsi que le lui confirma le claquement de la porte. Au surplus, elle avait besoin de réfléchir. Elle tisonna le feu qui avait faibli, ajouta une poignée de brindilles puis trois bûches. Enfin elle s’installa dans son fauteuil favori, les pieds sur les chenets et les bras croisés sur l’écharpe de laine qu’elle avait jetée sur ses épaules. Dans ce qu’elle venait d’entendre, il y avait en effet matière à réflexion !
Même si elle ne se livrait jamais à d’édifiantes démonstrations de piété à l’instar de la Longueville, ses croyances étaient solides et, que ce soit par contrainte ou par amour, elle n’accepterait pas d’abjurer. D’ailleurs, Condé avait raison en disant que sa mère refuserait de la donner à un parpaillot, aussi charmant soit-il !
Et soudain, elle en eut de la peine. Ce Gaspard lui plaisait, plus qu’aucun autre si l’on mettait Enghien à part. Et encore ! Si elle demeurait captive de son premier et inoubliable regard, ce qu’elle éprouvait pour Enghien ressemblait beaucoup plus à de la rancune et à un désir de revanche qu’à l’amour tel qu’il était lorsque la cruauté de la Longueville avait éteint la flamme brûlant au fond de son cœur d’adolescente. Un « chandelier » ! C’était sa beauté qui lui avait valu cette injure, parce qu’on ne pouvait décemment pas se détourner de la ravissante et douce Marthe du Vigean que pour une fille qui en valait la peine. Le contraire eût été invraisemblable !
Quoi qu’il en soit, l’offense demeurait. Isabelle se sentait humiliée que l’on eût osé faire si bon marché de son cœur et de ses sentiments parce qu’elle était une fille sans fortune… et sans un bras viril pour lui faire rendre raison ! François sans doute, mais pas avant quelques années, aussi fallait-il qu’il n’en sache rien car, si jeune fût-il, il n’hésiterait pas à réclamer : « Vengeance ! » D’ailleurs, ses armes à elle devraient être suffisantes pour mettre l’adversaire à genoux et lui faire implorer grâce !
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