Restait Gaspard de Coligny. Le mari idéal ! Beau comme un dieu, riche comme un puits et sûrement futur maréchal de France. Sa vaillance était citée en exemple et, de fait, maréchal de camp à vingt-trois ans, qui pourrait dire mieux ? Maintenant, savoir s’il l’aimerait assez pour accepter d’abjurer était la question…
Isabelle plongea si loin dans ses pensées profondes qu’elle finit par s’endormir…
Etabli sur une faible colline au-dessus d’une boucle de la Marne, le château de Saint-Maur, dont la construction avait été jadis ordonnée par la Reine Catherine de Médicis, aurait été sans doute l’un des plus grands et des plus beaux de France si celle-ci avait vécu une dizaine d’années de plus, car il restait inachevé. Tel qu’il se présentait, cependant, il ne manquait ni de majesté ni d’agréments, comme c’est toujours le cas pour les châteaux de femmes.
C’était alors la propriété de la princesse de Condé et non de son époux, et Enghien le savait en déclarant à son père que Maurice de Coligny était chez lui. Flatterie diplomatique destinée à faire passer la pilule ? Cela l’obligeait à respecter les lois de l’hospitalité jointes au droit d’asile. Quant au château lui-même, un voyageur hollandais devait plus tard en tracer un bref portrait : « La construction dans le goût italien est fort belle. Dans la première cour, il y a une façade avec des armoiries sculptées. De chaque côté sont les statues de la Géométrie et de l’Abondance. Sur les murs l’image de François Ier et, non loin, des Grâces en pierre blanche… »
Autour, naturellement, des jardins plutôt mal entretenus, Madame la Princesse s’étant surtout attachée à rendre vivable ce château que les Rois employaient pour la chasse et où ils se faisaient précéder de leur mobilier. Tel Louis XIII qui, retenu au couvent de la Visitation par un très violent orage alors qu’il venait à Saint-Maur, retourna se coucher au Louvre. Sur les supplications de celle qui avait été Mlle de La Fayette et son grand amour. Il lui fallut demander l’hospitalité de la Reine qu’il n’approchait plus. Louis XIV était né de cette unique nuit…
Quand, au lendemain du duel, Madame la Princesse s’y rendit avec Isabelle afin de prendre des nouvelles de son hôte involontaire, elles purent constater que le blessé était fort convenablement installé dans une belle chambre où rien ne manquait… mais qu’il avait une mine épouvantable.
Elle se reflétait dans les sourcils froncés du médecin et les visages inquiets de ceux qui entouraient le lit. A l’un de ses chevets, Madame de Longueville retenait difficilement ses larmes en tenant une de ses mains, à l’instar d’ailleurs de celui qui tenait l’autre : le jeune prince de Marcillac, fils du duc de La Rochefoucauld. Au pied du lit, Bourdelot, les manches retroussées, venait de pratiquer une saignée dont un valet emportait le résultat. Auprès de lui, Gaspard de Coligny, Enghien et François. Personne ne parlait, ce qui permettait d’entendre la respiration difficile du blessé.
A l’entrée des deux femmes, les trois gentilshommes vinrent à leur rencontre.
— Il va si mal que cela ? s’inquiéta Mme de Condé, choquée parce qu’elle ne s’attendait pas à ce que les choses en fussent là.
— Je ne crois pas pouvoir le sauver, dit le médecin. Le bras ne cesse d’enfler et je crains la gangrène…
— Mon Dieu ! murmura la Princesse en se signant, imitée par Isabelle. Mourir pour une blessure au bras ? Cela n’a pas de sens !
— M. de Coligny souffrait déjà quand il est allé sur le terrain. Si l’on y ajoute le froid et le fait que la lame du duc de Guise était peut-être malpropre…
— Malpropre ? Une épée ?
C’était une notion nouvelle pour la Princesse comme pour Isabelle et qui ne laissait pas d’être choquant. L’épée, ce symbole de l’honneur, lacérait les chairs, mais qu’elle pût les empoisonner n’était même pas pensable. Cependant elle accordait confiance au praticien, ne fit aucun commentaire et alla s’asseoir dans le fauteuil que son fils lui avançait, Isabelle restant debout à son côté.
Après avoir répondu au salut de Gaspard de Coligny qui peinait à cacher sa joie de la revoir, celle-ci fixa son attention sur Mme de Longueville, qui n’avait pas bougé pour venir vers sa mère. Les larmes coulaient à présent sur son visage, et pourtant ce n’était pas l’agonisant qu’elle regardait mais l’homme qui, en face d’elle, tenait l’autre main et dont les yeux ne la quittaient pas. Comme Isabelle ne le connaissait pas, elle demanda tout bas à la Princesse :
— Qui est ce gentilhomme à la mine sombre en face de ma cousine ?
— Un revenant ! Le prince de Marcillac, François de La Rochefoucauld, le fils aîné du duc. Je ne le savais pas de retour.
— C’est un voyageur ?
— Non. L’un de ceux qui ont suscité la cabale des « Importants » et ont été exilés. Pour lui, la destination s’est traduite par le château familial de Verteuil. Il haïssait à la fois Richelieu et le feu Roi, et ce pour une excellente raison : il était amoureux de la Reine et ne se donnait même pas la peine de cacher ses sentiments. Il avait trop d’orgueil pour cela ! Il avait benoîtement formé le projet d’enlever Sa Majesté et de l’emmener à Bruxelles…
— Quelle idée !
— Oui, n’est-ce pas ? Il fut aussi l’amant de Mme de Chevreuse… Mais je vous en raconterai plus long quand nous rentrerons !
— Il est très beau, mais… comme un ange déchu !
— L’orgueil, toujours l’orgueil ! Pour l’heure présente, on croirait que ma fille et lui se plaisent. Retournons ! Nous sommes restées assez longtemps !
Charlotte de Condé se leva, aussitôt rejointe par son fils qui proposait de raccompagner les deux femmes à leur voiture, mais Gaspard s’interposa courtoisement :
— Accordez-moi ce privilège, Monseigneur ! Cette demeure est vôtre, mais c’est à mon frère que Madame la Princesse et Mlle de Bouteville ont fait la grâce de cette visite…
Ils arrivaient au perron quand un carrosse passablement boueux vint s’y arrêter. Une dame emmitouflée dont le visage était à demi dissimulé sous un échafaudage de coiffes en descendit avec difficulté, aidée de deux laquais que d’ailleurs elle morigénait et menaçait d’une canne. Gaspard émit un borborygme qui ressemblait à un gémissement :
— Seigneur ! Ma mère !
— Allez à son devant, décida la Princesse. La circonstance doit être affreuse pour elle et elle a besoin de toute votre attention !
— Je n’en suis pas certain ! En colère, oui… Mais c’est son état naturel ! Veuillez m’excuser !
Le carrosse crotté repartait déjà pour laisser place à la voiture aux armes des Bourbons-Condés. Ses occupantes commençaient à descendre les marches tandis que la dame les gravissait péniblement sans cesser de vociférer. Vint le moment inévitable du croisement. La Princesse armait déjà son visage de profonde compassion, imitée par Isabelle, quand elles entendirent, sortant de l’amas de tissus :
— Les Condés, hein ? Mauvaises gens !
— Mère ! s’écria Gaspard, épouvanté. Songez à qui vous parlez !
— Tu préfères renégats ? Leur père a abandonné la vraie foi pour s’enrichir et faire plaisir à ce vieux paillard d’Henri de Navarre ! Alors je dis…
— Rien du tout ! Pressons, vous autres ! ajouta-t-il à l’adresse des valets. Madame la Princesse, je viendrai vous offrir mes excuses…
Charlotte le rassura d’un sourire et se hâta de monter et de se glisser sous la couverture de fourrure qui gardait encore un peu de la chaleur dispensée auparavant par des chaufferettes déjà éteintes.
— Quel affreux caractère ! soupira-t-elle. Son fils aîné agonise et elle en est encore aux guerres de Religion !
— Est-ce qu’elle ne l’aime pas ?
— On pouvait supposer que si, mais en fait je m’interroge car il y a fort longtemps que je ne l’ai vue. Elle ne quitte jamais son château de Châtillon-sur-Loing où elle ne reçoit personne à cause de la dépense ! Elle et son époux sont aussi avares l’un que l’autre !
— Je n’ai pas vu son visage. Est-elle belle ?
— Elle l’a été jadis quand elle s’appelait Diane de Polignac. D’ailleurs, vous pouvez constater que ses fils sont également beaux ! De toute façon, elle a toujours eu ce caractère de teigne et, en vieillissant, ça ne s’améliore pas. Son époux et elle s’entendent comme chien et chat, ne se rencontrant que sur les biens terrestres… et leur croyance intransigeante.
— Que leurs fils partagent ?
— Vous voulez rire ? Les garçons n’ont hérité que de la bravoure et des qualités militaires du Maréchal, mais, pour ce qui est de leur manière de vivre, Enghien y a mis bon ordre ! Huguenots ou pas, on prend la vie comme elle vient, on court les filles, les tripots et l’on collectionne les belles amies. Tous deux ont fait leurs premières armes chez Marion de Lorme, la courtisane de la place Royale, et Gaspard aurait été le premier amant de la jeune Ninon de Lenclos dont on parle tant et qui est en passe de détrôner son aînée ! Ce qui ne l’empêche pas d’être épris de vous, et très sérieusement, j’en jurerais !
— C’est facile de l’aimer, soupira Isabelle soudain triste. Il est si beau, si charmant…
— Si vaillant aussi ! Maréchal de camp à vingt-trois ans ! Ce n’est pas négligeable. Il aura sûrement droit au bâton fleurdelisé…
— Malheureusement, rien n’est possible entre nous ! Même si je l’aimais passionnément, je n’abjurerais pas ma foi catholique ! J’aime trop Notre Dame des Cieux pour mettre en doute son immaculée conception !
Charlotte tourna vers elle un regard surpris.
— On croirait entendre ma fille Longueville ! Je ne vous savais pas si au fait des dogmes de l’Eglise !
— Oh, elle est beaucoup plus pieuse que moi ! Je n’ai jamais été tentée par les austérités du cloître. Je préfère rire et m’amuser. Ce qui ne signifie pas que je ne prierai pas de tout mon cœur pour ce pauvre jeune homme ! Si Bourdelot ne le sauve pas, il sera mort d’amour… C’est beau !
— Mais pour rien. Si ce n’est ajouter quelques rayons à l’auréole dont les poètes décorent ma fille ! Alors que je ne suis pas sûre qu’elle le pleure indéfiniment !
La note de colère dans la voix de la Princesse surprit Isabelle. C’était bien la première fois qu’elle l’entendait émettre l’ombre d’une critique à l’encontre d’Anne-Geneviève dont il semblait entendu, chez les Condés comme à l’hôtel de Rambouillet, que la duchesse de Longueville était un déesse descendue de l’Olympe pour s’offrir à l’admiration des foules à genoux !
— Puis-je demander ce qui vous fait penser cela ?
— Ce que nous venons de voir. Elle est en larmes et l’on ne peut douter de son chagrin, mais celui qu’elle regarde – et qui la dévore des yeux ! –, ce n’est pas le malheureux Maurice mais bien le ténébreux Marcillac. Qui pleure d’ailleurs tout autant qu’elle ! Je gage qu’il sera son amant !
Pour le coup, Isabelle se tut, un peu interloquée de découvrir une telle perspicacité de la part de sa chère princesse dont mieux que personne elle connaissait la bonté et l’amour qu’elle portait à ses enfants…
Le silence s’installa et dura. Ce ne fut que quand le carrosse eut franchi le portail de l’hôtel de Condé que la Princesse eut un soupir agacé.
— Un si grand drame pour deux lettres perdues, c’est à n’y pas croire, en vérité !
1 L’hôtel de Longueville s’élevait à peu près sur une moitié de la colonnade du Louvre et du parterre qui s’étend devant.
2 Elles ne se révélèrent que plus tard. Cependant, son père ne cessa jamais de l’aimer.
3 Fils cadet du maréchal-duc de Châtillon, Gaspard de Coligny était marquis d’Andelot.
7
Trois mariages, sinon rien…
Le mariage de Marie-Louise de Bouteville avec le marquis de Valençay eut lieu huit jours plus tard à l’église Saint-Sulpice et à l’hôtel de Condé, accompagné d’un faste de bon goût mais sans excès. La blonde mariée était belle, l’époux aimable et de fière prestance, et tous ceux qui y parurent s’en déclarèrent enchantés. Madame la Princesse eût préféré Chantilly, proche voisin du village de Précy, mais les rudesses de l’hiver eussent apporté un bémol au charme d’un mariage à la campagne. On admira beaucoup la dignité et l’élégance discrète de Mme de Bouteville que l’on voyait peu à Paris. Toute de velours noir vêtue comme il sied à une femme demeurée fidèle à son deuil, encore séduisante, elle arborait un collier et des ornements de perles qui s’inscrivaient en faux contre l’étiquette de cousine pauvre qu’on lui appliquait généralement.
Bien que son frère, toujours mal en point, fût encore l’hôte de Saint-Maur, Gaspard de Coligny y vint, mais il fut vite évident pour tous qu’il n’était là que pour Isabelle.
"La fille du condamné" отзывы
Отзывы читателей о книге "La fille du condamné". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "La fille du condamné" друзьям в соцсетях.