Mme de Longueville n’avait pas assisté au mariage, elle non plus, n’ayant sans doute pas jugé utile de quitter le magnifique château de Coulommiers, où elle attirait une foule de monde, pour un événement qu’elle considérait légèrement ridicule.
Son absence enchanta Isabelle, peu désireuse de servir de cible aux quolibets souvent cruels de son ennemie. D’autre part, elle n’était pas mécontente de recevoir des échos de Coulommiers où jeune belle-mère et belle-fille s’entendaient comme chien et chat, au point que Longueville avait choisi de prendre la poudre d’escampette en direction de son gouvernement de Normandie, où, selon les courants d’air locaux, il se serait trouvé une consolatrice en la personne, déjà un peu sur l’âge mais fraîche comme une laitue, d’une accueillante et bonne fille immensément fière de surcroît d’avoir été distinguée par M. le duc, et aussi gourmande qu’il pouvait l’être. Il fallait bien cela à ce malheureux chassé de chez lui par deux mégères et, par-dessus le marché, plus ou moins abandonné par sa maîtresse en titre. Depuis l’arrestation du duc de Beaufort, Mme de Montbazon avait obtenu, Dieu sait comment – peut-être parce qu’elle était l’épouse du gouverneur de Paris –, la permission de lui rendre visite dans sa prison deux fois la semaine afin de lui porter les consolations d’une maîtresse aimante et, sur un autre plan, quelques apaisements aussi utiles pour la santé mentale que physique… Le peuple de Paris, ce successeur du chœur antique, chantait à ce propos :
Beaufort est dans le donjon
Du bois de Vincennes
Pour supporter sa prison
Avec moins de peine
Il aura sa Montbazon
Deux fois la semaine…
Lassée des criailleries, Mme de Longueville finit par rentrer à Paris. L’été y était pratiquement aussi chaud qu’à Coulommiers, mais son hôtel pourvu de jardins nettement plus silencieux. Tellement plus agréable aussi pour y recevoir François de La Rochefoucauld – prince de Marcillac –, qui lui vouait une ardente et sombre passion où elle finit par s’embraser elle-même…
En attendant que la fin de l’automne ramène les guerriers, vainqueurs – le duc d’Enghien ne cessant de récolter des lauriers de victoire ! –, Isabelle passa un délicieux été auprès de sa princesse. Sa sœur rentrée à Valençay et présentant un début de grossesse avait emmené leur mère, au soulagement inavoué – et peut-être inavouable – d’Isabelle, à qui Mme de Bouteville battait froid après la retentissante aventure qui avait nourri pendant des mois la chronique scandaleuse de la Cour et de la ville. Rien de tel auprès de Charlotte, qui, en matière de scandale, possédait une royale expérience et à qui la liait désormais cette véritable tendresse que la Princesse ne trouvait plus auprès de ses enfants, sauf peut-être du petit Conti, alors âgé de quatorze ans et qui, visiblement, adorait sa mère mais ne rêvait que de rejoindre son aîné dans ses champs de lauriers.
« Vous êtes ma seconde fille ! », disait-elle parfois tandis qu’au bras l’une de l’autre elles se promenaient dans le parc et au bord des étangs où traînaient toujours quelques poètes, les portes du beau domaine restant largement ouvertes à tous ceux et toutes celles qui hantaient, en hiver, l’hôtel de Condé et celui de Rambouillet. Et le temps coulait léger et insouciant…
A la surprise d’Isabelle, elle n’éprouvait aucune inquiétude sur le sort de son époux que, cependant, elle aimait… ou croyait aimer. En revanche elle se tourmenta quand un courrier apprit aux dames de Chantilly que Louis d’Enghien avait subi une rechute du mal dont il avait si péniblement souffert au lendemain de son mariage. Et s’interrogea sur cette anomalie.
A force de réfléchir, elle finit par toucher du doigt l’explication. Gaspard était beau, charmant et surtout il était un merveilleux amant. Elle avait connu, dans leur petite chambre de Stenay, des heures divines, pleines de gaieté en outre, Gaspard étant toujours un joyeux compagnon. Mais, à mesure que le temps s’écoulait, elle s’étonnait qu’il ne lui manquât pas davantage. Elle se surprit même, une nuit, à rêver justement d’une nuit à Stenay, sauf que le visage penché sur elle n’était pas celui de son époux mais un autre, âpre et tourmenté, celui d’Enghien, et elle en éprouva un bonheur infini.
Aussi en vint-elle à se demander si elle aimait son mari autant qu’elle le croyait !
Au retour du guerrier, elle cessa de se reprocher ce qu’elle considérait comme une trahison involontaire… Gaspard, en effet, repris par la vie entre hommes et les fâcheuses habitudes qui en découlaient souvent, rendait à la beauté de sa jeune femme l’ardent hommage qu’elle méritait, mais, dès le lendemain, retournait à ses compagnons de beuveries et à leur vie dissolue. Il courut chez Marion de Lorme, fit bombance avec ses amis et quelques jolies filles, s’offrit même Mlle de Guerchy et Mme d’Olonne qui avaient été à Beaufort, sans oublier la présidente Tambonneau, qu’il troussa congrûment alors qu’il était venu lui demander d’accorder ses faveurs à son jeune beau-frère, François de Bouteville, pris d’un accès de timidité devant le grand air de la dame. Le bruit en ayant transpiré, la dame Tambonneau poussa les hauts cris et pressa son amant Roquelaure de provoquer l’iconoclaste en duel. Qui se récusa : s’il fallait à présent en découdre entre gentilshommes pour l’honneur problématique des coquettes en vogue, où irait-on ?
Bref, il fit tant et si bien que le vieux maréchal, son père, à qui il coûtait fort cher, menaça de le déshériter. Ce que, bienheureusement pour le sacripant, il n’eut pas le temps de réaliser : il trépassa brusquement. De colère ou de ladrerie, car il se refusait à voir des médecins qu’il aurait fallu payer, l’âge qu’il avait atteint – soixante-deux ans ! – n’ayant rien de canonique.
De grand soldat besogneux, plus ou moins entretenu par son ami Enghien, Gaspard se retrouva du jour au lendemain possesseur d’une plus que confortable fortune – comme tous les avares, le maréchal avait beaucoup amassé ! –, et surtout il devint duc et pair de France. Avec les années, il avait toutes les chances de recevoir à son tour le bâton bleu aux fleurs de lys d’or !
Duchesse de Châtillon, Isabelle pensa mourir de plaisir quand sa princesse et son frère lui donnèrent son titre pour la première fois…
Le lendemain, elle recevait un petit paquet qu’aucune lettre n’accompagnait. Il ne contenait qu’un large ruban de satin… Mais ce satin était noir !
L’ennemie ne désarmait pas !
1 Le document, daté du 16 mars 1645, a été conservé dans les archives de Chantilly.
DEUXIÈME PARTIE
LE TEMPS DES TRAHISONS
8
Un vent de Fronde…
C’était le dimanche 26 août, le temps était radieux et Isabelle s’apprêtait à vivre au côté de son mari un moment de gloire pure. Une semaine plus tôt, le 19, Gaspard était arrivé en trombe au Palais-Royal annoncer la magnifique victoire de Lens remportée par Condé1 sur les Impériaux. Victoire qui se soldait dans les rangs des Espagnols par trois mille tués, cinq mille prisonniers, la prise de tous leurs canons et plus de cent drapeaux et étendards, alors que les Français comptaient mille cinq cents hommes hors de combat. Dans la lettre de son chef que Gaspard remit à la Reine, Condé exposait la part prépondérante que Châtillon, devenu son bras droit, avait prise dans ce succès grâce aux charges furieuses de ses troupes contre l’ennemi dont il rapportait les drapeaux, et demandait que lui et la duchesse soient à l’honneur pour le Te Deum inévitable. Ce qui fut accordé.
Aussi Isabelle rayonnait-elle d’une joie enfantine en prenant place avec son héros dans le cortège, immédiatement après le carrosse royal. D’autant que les retrouvailles avec son époux les avaient quasiment ramenés au début de leur folle aventure conjugale. Elle était plus ravissante que jamais et lui, bronzé, tanné par des semaines de vie au grand air, était superbe, et bien des regards féminins le suivaient. Ils s’étaient aimés avec une sorte de violence née peut-être de la rancune lovée au fond du cœur d’Isabelle et, chez Gaspard, du mécontentement éprouvé quand, aux armées, une de ces affreuses lettres sans signature était venue lui apprendre que sa duchesse écoutait sans déplaisir les galanteries du séduisant duc de Nemours… Mais ils avaient trop envie l’un de l’autre pour user en disputes le temps qui leur était imparti, le duc devant rejoindre Condé aussitôt la fin des cérémonies.
A dix heures, le canon du Louvre tonna pour annoncer la sortie du Roi. Somptueusement vêtu d’azur et d’or, il apparut auprès de la majestueuse silhouette de sa mère toute de noir habillée, mais avec d’admirables joyaux de perles. Une formidable ovation salua au long du chemin ce bel enfant de dix ans, dont la fière attitude ne laissait de doute à personne sur la hauteur de son rang. Derrière le carrosse aux huit chevaux blancs, celui portant le duc et la duchesse de Châtillon. Isabelle en velours noir, satin blanc et dentelles neigeuses, chaussée de petits souliers rouges assortis à une superbe parure de rubis et diamants. Elle souriait à belles dents blanches à ce peuple en habits de fête qui saluait sa rayonnante beauté.
Toutes les cloches de Paris sonnaient en même temps, dominées par la voix grave du bourdon de Notre-Dame, et chacun se sentait joyeux, sauf peut-être ces messieurs du Parlement pour qui cette victoire inattendue représentait un démenti formel, puisque depuis plusieurs mois ils prétendaient se libérer des contraintes royales sous le prétexte que l’impôt servait à conduire une guerre que l’on ne gagnait jamais.
La cérémonie fut ce qu’elle devait être : grandiose. L’archevêque de Paris, Mgr de Gondi, et son coadjuteur – et neveu ! –, l’abbé de Gondi de Retz, avaient déployé la pompe idoine. Ce fut le neveu qui prononça le prône, faisant preuve de beaucoup de talent d’ailleurs, mais Isabelle – placée avec Gaspard en retrait du couple royal – comprit mal pourquoi, tout en remerciant Dieu d’avoir couronné les armes du Roi de France, il jugeait bon de mettre ce même souverain en garde contre les excès de l’autosatisfaction en lui rappelant que, le peuple payant déjà les guerres de son sang, il était injuste de l’obliger à payer une seconde fois au moyen des impôts. Résultat, en quittant la cathédrale, la Reine était furieuse et le cardinal Mazarin qui, même en essayant de se faire tout petit, avait recueilli sur son chemin plus de huées que de bénédictions, affichait une drôle de tête. Le jeune Louis XIV, lui, semblait très mécontent.
— M. le coadjuteur, dit-il à sa mère, me semble un peu trop ami de messieurs du Parlement pour être jamais des miens !
— C’est un homme dangereux dont il convient de se méfier…
Le solennel service de remerciements à Dieu achevé sans incidents et même au milieu d’un réel enthousiasme que Gaspard respirait avec délectation, on regagna le Palais-Royal où des buffets avaient été préparés en vue d’une collation debout. Gaspard, en effet, devait quitter Paris sitôt la cérémonie terminée pour rejoindre Condé qui soignait aux eaux de Forges une blessure plus gênante que vraiment inquiétante. François de Bouteville avait accompagné son beau-frère afin d’embrasser sa sœur et d’entendre ce Te Deum auquel sa bravoure lui permettait de prendre sa part.
Tandis que, dans le cabinet de la Reine, on entourait le Roi et sa mère avec d’autant plus d’empressement que Mazarin, toujours renfrogné, avait regagné le sien, François, s’étant approché d’une fenêtre ouverte, fronça le sourcil et se pencha au-dehors pour mieux entendre. Une rumeur inhabituelle montait en effet vers le ciel de Paris : des cris, des coups de feu accompagnant ce grondement sourd que produit la foule en train de s’assembler. Quand éclatèrent plusieurs détonations, il se retourna pour demander le silence.
— Qu’est-ce là ? s’enquit l’enfant-roi. M. de Bouteville, voyez-vous quelque chose ?
— Rien pour l’instant, Votre Majesté, mais ce que nous entendons ne saurait tromper : le peuple, au lieu de s’être dispersé après le passage du Roi, se rameute au contraire. Je dirais dans la Cité !
— Que Votre Majesté ne se tourmente pas ! conseilla la voix nasillarde de Mazarin qui entrait à cet instant. Votre auguste mère et moi nous attendions à un peu de bruit. Le Roi sait combien sa capitale est prompte à s’émouvoir…
— Mon fils, plaida Anne d’Autriche sur un ton enjoué, vous êtes trop jeune pour vous soucier de ces détails…
— Détails ? Mon peuple qui s’assemble ? Je voudrais tout de même savoir !
"La fille du condamné" отзывы
Отзывы читателей о книге "La fille du condamné". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "La fille du condamné" друзьям в соцсетях.