On arrivait à destination. Isabelle remercia de nouveau en ajoutant l’espérance de recevoir une visite un jour prochain. Gondi promit, lui baisa la main d’une mine inspirée et rejoignit ses cavaliers tandis que Bastille ouvrait les portes de l’hôtel devant le carrosse…

C’était toujours avec plaisir qu’Isabelle se retrouvait chez les Valençay, parce que l’atmosphère que l’on y respirait lui convenait. Servant surtout de pied-à-terre lorsque l’on venait à Paris, la demeure, de dimensions moyennes, privilégiait le confort et n’accueillait de faste que dans les deux pièces de réception. Encore n’étaient-elles pas surdorées mais affichaient un luxe de bon aloi parce qu’il restait discret. Un petit jardin, où des plantes fleuries se succédaient au rythme des saisons, lui assurait un charme tranquille auquel les visiteurs se montraient d’autant plus sensibles qu’ils savaient que, chez les Valençay, toute la splendeur était réservée au château que l’on ne cessait d’agrandir et d’embellir.

Quatre serviteurs plus un gardien suffisaient à maintenir la maison en état, et les chambres de la duchesse comme de sa mère y étaient toujours prêtes à les recevoir.

Ce soir-là, Isabelle était l’unique occupante et, après avoir échangé ses habits de voyage contre la fraîche robe d’intérieur en taffetas azuré qu’autorisait la douceur de la température, elle allait commander de lui monter un souper froid quand Agathe vint lui annoncer que le président Viole demandait à la voir.

— Déjà ? Comment sait-il que je suis ici ?

— Il a vu arriver la voiture et reconnu les armes !

— Doux Jésus ! Il ne peut pas attendre à demain ? S’il a vu les portières, il n’a pas dû manquer de voir aussi la poussière.

— Je peux lui dire de revenir.

— Je ne suis pas certaine du résultat. Il est capable de camper devant chez nous.

— Il s’excuse beaucoup sur certaines choses graves qu’il aurait à faire entendre !

— Je les connais, ses choses graves. Il va me raconter qu’il m’aime et le répéter à satiété en s’ingéniant à changer les tournures de phrases !

— Alors ne vaut-il pas mieux s’en débarrasser tout de suite ?

— Après tout, pourquoi pas ? Je viens !

Mais comme chez elle la coquetterie ne perdait jamais ses droits, elle jeta un coup d’œil au miroir, ajouta quelques gouttes de son parfum de rose, une touche de poudre sur le bout de son nez et descendit.

Le président Viole était un homme d’une quarantaine d’années, de belle tournure et qui, en général, plaisait aux femmes de par son allure élégante, le soin qu’il prenait de sa personne – ce qui n’était pas si fréquent – et le charme de son sourire montrant des dents parfaites – pas si fréquent non plus !

A l’entrée d’Isabelle, il balaya le tapis des plumes rouges de son chapeau en la suppliant de pardonner une intrusion à un moment où elle souhaitait peut-être se reposer.

— … mais il fallait que je vous parle, madame la duchesse ! Nous vivons ici des heures trop graves pour ne pas tout tenter afin d’éviter le pire !

Elle lui offrit sa main à baiser, ce qu’il fit, mais ensuite oublia de la lui rendre. Ce qui la fit rire.

— Seriez-vous devenu médecin ?

— Pourquoi ?

— Ma main ! Désirez-vous en prendre le pouls ?

— Oh pardon ! s’excusa-t-il en rougissant. Lorsque j’ai le bonheur de vous rencontrer, je suis si heureux que mes idées se brouillent !

— Il ne manquerait plus que vous vous trouviez mal ! Asseyons-nous et apprenez-moi sans plus tarder ce qui vous amène !

Elle s’attendait à ce qu’il lui parle du coadjuteur, mais il n’en fit rien.

— Il s’agit de Monsieur le Prince. Vous savez quelle amitié me lie depuis toujours à la maison de Condé…

— … ainsi qu’à mon grand-père le président de Vienne !

— Je… oui… oh ! Vous me ramenez à mon enfance et c’est malheureusement du présent que je souhaite vous entretenir. En un mot comme en cent, Monsieur le Prince est en train de perdre la tête ! Du moins je le crains !

— Dites-moi ?!

— Eh bien, voilà ! Depuis qu’il est arrivé ici, il a appris que la Reine non seulement regrettait de l’avoir libéré, mais en plus songerait à le faire emprisonner de nouveau – et même, en cas de résistance trop vigoureuse, à l’assassiner !

Cette histoire de meurtre, Isabelle commençait à en être excédée.

— L’assassiner ? La Reine ? Ma parole, si certains d’entre vous ajoutent foi à une telle ânerie, c’est que Condé n’est pas le seul à devenir fou !

— Non. J’avoue que, personnellement, je n’y crois pas. Mais une nouvelle incarcération, je ne jurerais pas… Elle voit en lui le principal responsable du départ de Mazarin et de la suite qu’on lui donne.

— Le Prince ? Mais il n’était même pas à Paris. En revanche, monsieur le président Viole, il semblerait que ce soit le Parlement, donc les vôtres, qui ait osé commettre un véritable crime de lèse-majesté en obligeant la mère du Roi à chasser honteusement celui qu’elle considère comme son plus fidèle serviteur !

Viole prit un air fin et le ton de la plaisanterie :

— Au lit, c’est bien possible ! On dit…

La gifle qu’Isabelle lui assena à la volée lui coupa une parole dont elle s’empara.

— Si vous osez répéter cette ignominie, je ne vous reverrai de ma vie ! Vous vous autorisez vraiment tout, messieurs les robins ! Mon aïeul, auquel je faisais allusion il n’y a pas un instant, en était un, mais il avait de sa charge une idée trop élevée pour tolérer ce genre de propos ! Que dire de mon père ! Vous auriez déjà quelques pouces de fer dans le ventre ! Quant à moi…

— Oh non ! Je vous en supplie ! Je voulais être drôle !

— Soyez content : vous l’êtes ! Un drôle ! Maintenant, dites une bonne fois ce que vous voulez et disparaissez !

— Que vous voyiez la Reine… et aussi le Prince, quoique pour lui ce sera plus compliqué. Il a transformé son hôtel en camp retranché tant il craint qu’on ne l’enlève !

— Craindre ? Condé ? Cela va mal ensemble, mais, dès demain, j’irai vers lui ! Je vous souhaite le bonsoir, monsieur le Président !

— Et… vous me pardonnerez ?

— Peut-être…



1 Rien à voir avec la célèbre Palatine, Elisabeth-Charlotte de Bavière, qui fut la seconde belle-sœur de Louis XIV. Celle-là – beaucoup plus belle ! – était française et sœur de la Reine de Pologne et mariée à l’électeur palatin.

2 On disait alors Merlou, ce qui semble difficile à comprendre puisque son fondateur, au IXe siècle, était le sire de Mello. Par la suite il passa aux Nesle puis aux Montmorency, et à la duchesse de Châtillon. Confisqué durant la Révolution, il fut acquis enfin par le baron Sellières qui l’a laissé à ses enfants.

3 Ainsi en jugeait Mme de Longueville.

4 Les dames portaient en effet des masques pour sortir afin de préserver leur teint… et d’éviter d’être reconnues parfois.

12

Majorité royale !

— La Reine, dit Mme de Brienne, n’apprécie pas particulièrement Monsieur le Prince et cela se conçoit. Il change d’avis telle une girouette, suivant l’estime où il tient son interlocuteur. A cela s’ajoute sa difficulté à trancher dans le vif une situation épineuse. Sa Majesté regrette que cet incontestable génie des batailles ait tendance à l’incertitude. Donc elle se défie de lui, mais de là à préméditer son assassinat ! Non, je n’y crois pas ! Pas elle ! Elle est trop haute dame pour s’abaisser à de tels procédés.

— Même si, depuis sa retraite, Mazarin le lui soufflait ?

— Non. Si vous voulez le fond de ma pensée, elle se contente de laisser passer le temps. Bientôt, le Roi sera majeur et c’est là ce qu’elle attend : déposer le fardeau si lourd d’une régence dont elle est excédée à présent que son conseiller n’est plus auprès d’elle.

— Le Roi ne sera pas devenu un homme pour autant !

— Il est plus mûr qu’on ne l’imagine ! Ce qu’il a vécu depuis la mort de son père, ces fuites perpétuelles, cette obligation de se cacher parfois ou de jouer un rôle l’exaspèrent. Notamment la dernière avanie d’il y a quelques mois : le peuple envahissant le Palais-Royal en pleine nuit, persuadé qu’il n’était plus là, exigeant de le voir…

— Je ne l’ai pas su.

— C’est assez récent, vous dis-je ! Toujours est-il qu’on a autorisé une dizaine de meneurs à défiler au pied de son lit où il feignait de dormir.

— Mon Dieu ! Et que se serait-il passé si l’un d’eux avait porté la main sur lui ?

— Il serait mort. Caché au chevet du lit, veillait un lieutenant aux mousquetaires, M. d’Artagnan, son épée nue à la main, et prêt à frapper !

— Et vous pensez qu’au matin du 7 septembre le climat changera ?

— Certes, et surtout dans le peuple. Celui qui n’est encore que le fils de l’Espagnole, l’otage de l’Italien, les rejettera dans l’ombre. Il sera le Roi, promis au sacre, le représentant de Dieu sur la Terre, et tout laisse supposer à ceux de son entourage qu’il endossera la charge d’un seul coup… mais sera impitoyable à qui lui manquera. Alors dites à Monsieur le Prince qu’il oublie tous les mauvais conseils qu’on lui souffle et que, ce jour-là, il vienne loyalement plier le genou devant lui et lui offrir son épée en lui jurant fidélité !

— Et Mazarin ?

— Il n’est rien d’autre qu’un ministre en exil. Il ne possède même plus un liard à cette heure. La meilleure manière de le faire rappeler serait de manifester d’autres exigences.

— Ne pourrais-je voir la Reine ?

— Pas maintenant. Elle sait que vous œuvrez dans le bon sens et que vous n’avez pas de plus cher désir que ramener Condé dans le droit chemin. Elle sait aussi que vous avez fort à faire avec une sœur trop aimée qui se prend pour une déesse…

En sortant de l’hôtel de Brienne, Isabelle se sentait un peu réconfortée, même si elle regrettait de ne pas aller au Palais-Royal, mais, après les assurances qu’elle venait de recevoir, le plus urgent était d’aller voir le rebelle et d’essayer au moins de le rassurer sur cette stupide histoire d’assassinat. Y penser lui rappela alors que sa vieille amie ne s’était pas prononcée au sujet d’une nouvelle arrestation…

— A l’hôtel de Condé ! dit-elle à Bastille pour qu’il transmît au cocher.

Son fidèle garde du corps l’avait prévenue qu’il la suivrait partout tant qu’elle évoluerait dans cette espèce de chaudron de sorcière qu’était devenu Paris.

— Attention en arrivant ! Il paraît que Monsieur le Prince en a fait un camp retranché.

Or cela n’y ressemblait guère. Devant le portail grand ouvert, François de Bouteville était en train de passer un savon au concierge et à un garde qui riaient tous les deux à gorge déployée et que même sa colère n’arrivait pas à endiguer. Naturellement, le jeune homme finit par leur taper dessus. Isabelle mit la tête à la portière.

— Que vous ont-ils fait, mon frère ?

— Des crétins ! Des imbéciles qui ricanent bêtement de n’importe quoi ! Mais qu’est-ce qui vous amène, ma sœur ?

— Quel accueil, pour un frère ! Vous m’avez habituée à plus d’affection !

Elle sauta à terre et lui tendit la joue pour qu’il l’embrasse. Ce qu’il exécuta à la va-vite et sans changer d’humeur.

— Voilà ! Que venez-vous chercher en ce lieu ?

— Pas vous, en tout cas ! Un vrai chardon ! Je veux voir Monsieur le Prince, naturellement !

— Vous n’avez pas de chance, il est absent !

— Où est-il ?

— Cela ne vous regarde pas !

— François, vous oubliez qui je suis ? Et surtout pas un suppôt de Mazarin ! Pour un hôtel en état de guerre, je trouve que l’on y est bien gai ce matin. Sauf vous évidemment.

Il eut un bref éclat de rire.

— S’il s’agissait d’un autre, je trouverais l’aventure réjouissante, mais notre Prince !

— Oh, racontez ! Vous me faites griller d’impatience !

— Remontez dans votre voiture, je vous rejoins.

Il se cala dans les coussins, poussa un énorme soupir puis raconta que, dans la nuit, un serviteur était venu avertir Monseigneur que deux compagnies de gardes françaises marchaient sur le faubourg Saint-Germain dans l’intention manifeste de le capturer de vive force pour le conduire à la Bastille. En même temps, on signalait des cavaliers galopant vers l’hôtel dans la plaine de Montrouge.

— Monseigneur n’a pas hésité un instant, il s’est habillé et armé en hâte puis a sauté à cheval avec une poignée de fidèles pour escorte. Moi, je devais faire front et attendre la venue de ces messieurs…