— Non, parce que je pense sincèrement qu’il la mériterait !
— Au bout de combien de temps ? Vous savez à quel point nous aimons nous battre, l’un comme l’autre !
— Mais pas pour n’importe qui. Vous n’avez pas envie d’être un jour maréchal de France ? De France, retenez bien cela ! La place de l’Espagnol est au bout de vos armes… pas à vos côtés !
— Ça vous ressemble tout à fait de distribuer les plus hautes récompenses au bord d’une route ! Mais redevenons sérieux ! Vous voulez que je vous tienne au courant de ce que votre « chère amie » veut obtenir de lui ?
— N’y voyez pas de trahison, François ! Vous avez dû deviner que je l’aime… et que je le veux grand !
— Et… Nemours ?
— Je mentirais si je disais qu’il ne m’est rien ! Je l’aime… différemment et j’avoue qu’il me manque.
— Il se bat je ne sais où dans le Nord, à ce que j’ai appris. Avec le maréchal d’Hocquincourt. Qui est amoureux de vous, je crois !
— On dirait que vous savez beaucoup de choses ! D’où sortez-vous celle-là ?
— Pas d’un salon, évidemment ! Mais on papote dans les camps, vous savez ? Mieux vaudrait cependant que Nemours n’en apprenne rien ! Bon ! Je vous dirai ce qu’il en est, mais seulement jusqu’à la majorité du Roi. Après, je n’en aurais peut-être plus le droit !
Aussitôt elle s’alarma :
— François ! Ne me dites pas que, s’il entrait en dissidence, vous le suivriez ?
— D’honneur, je l’ignore ! murmura-t-il soudain très sombre. Depuis mon plus jeune âge il me fascine, et j’ai peine à m’imaginer sous les ordres d’un autre chef que lui !
— Et M. de Turenne ? Il semblait vous convenir ?
— C’était pendant que Monseigneur était prisonnier. Nous nous étions entendus pour le délivrer.
— Il voulait surtout plaire à la Longueville ! Pourtant il a fait sa soumission et vous pourriez vous retrouver face à face ! Cela vous plairait ?
— Ne dites pas de stupidités ! gronda-t-il. Et poursuivez votre chemin ! Ah, pendant que j’y pense, laissez de côté vos habits de deuil ! Il est grand temps que la ravissante duchesse de Châtillon brille à nouveau dans les salons ! Là aussi vous pourriez entendre des potins intéressants !
Ayant dit, il posa un baiser sur la joue de sa sœur, sauta à cheval et disparut au tournant de la route. La poussière fit tousser Isabelle qui se hâta de remonter dans sa voiture. Il ne restait plus qu’à attendre la date fatidique…
Cette période, Isabelle la vécut dans une sorte d’état second. Toutes ses pensées étaient tendues vers Saint-Maur où Condé, aux prises avec ses vieux démons, n’arrivait pas à se déterminer dans un sens ou dans un autre. Par le président Viole, elle avait su qu’il avait fait deux apparitions au Parlement, pour affirmer son loyalisme envers le Roi et la Régente, mais sur un ton qui laissait percer une incertitude. Par François, elle apprit que, outre la Longueville, Claire-Clémence et son fils étaient arrivés et que les deux femmes soufflaient le feu et la fureur à l’unisson. Par le jeune Ricous, enfin, le beau-frère d’Agathe, elle apprit qu’au fort du mois d’août il s’était rendu au château de Limours, le repli d’été de Monsieur, qui, décidément calmé, avait prêché la conciliation et lui avait offert son entremise auprès de la Reine. Notre Ricous était en effet pourvu de vastes oreilles et d’un talent certain pour les laisser traîner partout. Enfin une visite éclair de François qui se tourmentait pour sa sœur et, voyant l’état de nerfs où elle se débattait, se hâta de lui communiquer une nouvelle qu’elle jugea encourageante : flanqué du seul Bouteville, Condé s’était rendu au château de Trie chez son beau-frère Longueville et, là, avait rencontré une nette opposition. Ce qui était assez naturel : le duc avait perdu le peu qui lui restait de jeunesse. Il ne s’embarquerait pas dans une nouvelle aventure et engageait fortement son beau-frère à s’en retirer.
— Qu’avez-vous à faire du chapeau de cardinal de Gondi, du mariage de votre frère Conti avec la petite Chevreuse qui, d’ailleurs, est déjà la maîtresse du coadjuteur. Quant à ma femme, elle est folle ! Elle se prend pour Antiope, la Reine des Amazones, et ne rêve que plaies et bosses.
On peut comprendre que, dans ces conditions, Isabelle brûlât d’envie d’aller rejoindre celui qu’elle aimait, mais le tirer du milieu de tous ces gens ne l’enthousiasmait guère.
Elle n’était même pas sûre que son petit frère partageât sa façon de voir les choses : il aimait tellement se battre ! On pouvait même dire qu’il avait la guerre dans le sang.
Cependant une vraie joie lui fut accordée. Chez Mme de Brienne, elle retrouva Marie de La Tour son amie d’autrefois, du temps où toutes deux faisaient partie de la joyeuse troupe de filles d’honneur qui formait autour de la princesse une guirlande aussi enjouée que parfumée. Depuis Marie s’était écartée de la Cour. Devenue vicomtesse de Saint-Sauveur, elle était veuve, comme Isabelle, à cette différence près que c’était en duel et en tant que second qu’Emmanuel de Saint-Sauveur avait rencontré la mort. Sans enfants et pourvue de quelques biens, Marie était revenue vivre à l’hôtel de Brienne, chez une marraine à laquelle l’attachait une affection réciproque.
Ce retour avait enchanté Isabelle à qui son éclat et sa beauté attiraient plus d’involontaires rivalités que d’amitié sans qu’elle fît rien pour cela. Le meilleur exemple en était la fille de Monsieur, Mlle de Montpensier, cousine du Roi et sans doute le plus beau parti de France, mais assez mal partagée sur le plan physique. Elle invitait volontiers Mme de Châtillon dont elle appréciait la gaieté et l’esprit – on pourrait même dire qu’elle était fascinée par elle –, mais ne résistait pas à l’envie de la dénigrer, en paroles ou par écrit, dès qu’elle en était éloignée.
Ce n’était pas le cas de Marie. Aussi rousse que son amie était brune, mais dotée d’un charmant visage et de magnifiques yeux bleus, elle offrait avec Isabelle un assez joli contraste qui ne manquait jamais de soupirants. A commencer par le frère d’Isabelle qui, trouvant la jeune veuve tout à fait à son goût, entreprit de lui faire une cour pressante.
Durant ces quelques semaines d’été auxquelles la majorité royale allait apporter une sorte de point d’orgue, on les vit beaucoup ensemble, dans les salons ou aux endroits élégants comme le célèbre traiteur-pâtissier-glacier Renart, qui tenait ses assises à l’extrémité des jardins des Tuileries et chez qui la Reine elle-même ne dédaignait pas de se rendre.
Le début de septembre ramena à Paris tous ceux – ou à peu près – qui s’étaient mis au vert dans leurs châteaux. Pour sa part, Isabelle s’était contentée d’emmener Marie visiter Mello, ce qui lui permit d’embrasser un fils dont elle était fière tant l’enfant était beau. Elle sut ainsi que Chantilly ressemblait à une ruche vers laquelle convergeaient les mécontents qui avaient plus ou moins à se plaindre du pouvoir ou qui faisaient semblant de l’être dans l’espoir d’une nouvelle Fronde qui pourrait être fructueuse.
Cependant Condé demeurait à Saint-Maur avec sa sœur et son frère Conti. A l’hôtel de Brienne où Isabelle effectuait de petits séjours, on savait en gros que, si Mme de Longueville générait une intense activité, Monsieur le Prince demeurait songeur durant de longues périodes.
— Il est impossible de savoir ce qu’il pense ! soupirait Bouteville. Même à moi il ne dit mot !
— Et à sa sœur ?
— Guère plus. Il s’enferme… Mais parfois on l’entend jouer de la guitare !
— Et Longueville supporte cela ?
— Elle sait qu’il y a des moments où il peut être… presque dangereux de l’importuner !
L’avant-veille de la date fatidique, Isabelle remit une lettre à François.
— Ce n’est que pour lui seul, précisa-t-elle.
— Soyez sans crainte, personne d’autre ne la lira ! promit le jeune homme en l’embrassant.
Puis, redevenu sérieux :
— N’oubliez pas cependant, Isabelle, que je suivrai sa fortune. Quelle qu’elle soit !
— Je sais ! Et il ne me reste qu’à prier Dieu de vous garder !
Sans trop savoir pourquoi, elle avait les larmes dans les yeux en le regardant s’éloigner…
Le message ne contenait que peu de mots : « Je vous aime et serai à vous ce soir même si vous jurez fidélité à la France et à son Roi ! Isabelle. »
Un soleil éclatant inonda Paris dès le matin de ce septième jour de septembre. Toute la ville était dehors, contenue par les longues files de Gardes suisses et de Gardes françaises de chaque côté des rues menant du Palais-Royal au Parlement. Naturellement il y avait du monde sur les toits et aux fenêtres, cependant que la Cour assistait au départ dans les jardins mêmes du palais. Au premier rang Isabelle et ses deux compagnes attendaient elles aussi. Tous les grands officiers de la Couronne étaient présents… sauf un seul dont l’absence lui serra le cœur…
— Le jeune Conti est là, souffla Mme de Brienne. C’est peut-être suffisant.
— A condition que Condé soit mourant !
Elle était de plus en plus inquiète.
Le Roi parut, salué par une acclamation. Mince, droit et élégant dans un habit tellement brodé d’or que l’on n’en voyait pas la couleur, le soleil le faisait rayonner. Un panache de plumes blanches à son chapeau, il sourit à sa Cour tandis qu’on lui amenait son cheval, un barbe isabelle, plein de feu…
Il allait se mettre en selle quand le prince de Conti s’approcha et, en saluant profondément, lui tendit une lettre de son frère aîné en murmurant quelque chose qu’Isabelle n’entendit pas. Son cœur battait à tout rompre, résonnant jusque dans ses oreilles…
Le Roi fronça le sourcil, prit la lettre, mais, au lieu de l’ouvrir, il la tendit à un écuyer.
— A M. de Villeroy ! Je verrai cela plus tard…
En cavalier consommé, il s’enleva en selle, fit volter son cheval et, en franchissant le seuil du palais, ôta son chapeau qu’il garda à la main « afin de saluer mon peuple ! », expliqua-t-il plus tard. Et, suivi du carrosse, doré lui aussi, où avaient pris place celle qui devenait la Reine mère accompagnée de son fils cadet et de Monsieur, il franchit enfin la voûte, déchaînant la vibrante ovation qui allait l’accompagner tout au long du parcours. Il était jeune, il était beau comme l’espérance et ce peuple qu’il avait connu si hargneux tomba d’un seul coup à ses pieds…
Au Parlement, après que le Chancelier l’eut accueilli, sa mère lui remit le pouvoir monarchique en une courte allocution à laquelle il répondit :
« Madame,
« Je vous remercie du soin qu’il vous a plu de prendre de mon éducation et de l’administration de mon royaume. Je vous prie de continuer à me donner vos bons avis et je désire qu’après moi vous soyez le chef de mon Conseil. »
Avec ensemble, les parlementaires, un genou en terre, rendirent l’hommage à leur souverain. La Reine voulut en faire autant, mais il l’en empêcha en l’embrassant.
Cependant Isabelle, laissant ses deux amies participer à la fête du Palais-Royal, choisit de rentrer. En elle la colère le disputait au chagrin, mais elle ne pleurait pas. Les yeux secs, tordant ses gants entre ses mains, elle aurait voulu pouvoir hurler afin d’alléger ce poids qu’elle portait au cœur.
— L’imbécile ! grondait-elle entre ses dents. Le redoutable imbécile ! Comment n’a-t-il pas compris qu’en se conduisant ainsi il va ouvrir une nouvelle guerre civile risquant de ruiner la France, et qu’en mettant son épée au service de l’ennemi, lui le vainqueur de Rocroi, il va salir cette épée si glorieuse ?
Elle aurait donné cher pourtant pour savoir ce que contenait cette maudite lettre, mais ne doutait pas un seul instant de qui l’avait dictée. Cela signifiait que non seulement elle n’exprimait pas le moindre regret, mais qu’en plus on avait dû la rédiger avec cette insolence à la limite de la stupidité qui caractérisait la Longueville ! Condé aurait encore de la chance si une vingtaine de mousquetaires n’allaient pas, ce soir même, s’assurer de sa personne !
Rentrée à l’hôtel de Valençay, elle passa sa journée à tenter d’user sa colère à laquelle se mêlait une amère douleur en pensant à son frère ! Celui-là s’apprêtait à sacrifier sa vie encore à son aurore pour attacher sa fortune à celle de celui qui n’était plus qu’un ancien héros ! Si seulement, au lieu d’envoyer Conti, il était venu lui-même ! S’il avait pu voir ce jeune homme si manifestement royal, elle était certaine qu’il aurait suivi les autres… tous les autres ! Tomber à genoux ! A condition, évidemment, de ne pas se croire « l’égal des dieux » !
La suite lui apprit qu’elle avait raison. Le lendemain même, Condé, comme si de rien n’était, prétendit s’opposer à la formation d’un nouveau ministère et Monsieur, toujours fidèle à lui-même, voulut l’appuyer. Mal leur en prit. Le Roi demanda les sceaux au chancelier Séguier et signa la nomination des trois hommes qui devaient entrer au Conseil. Il y avait vraiment quelque chose de changé au royaume de France. Encore fallait-il le comprendre !
"La fille du condamné" отзывы
Отзывы читателей о книге "La fille du condamné". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "La fille du condamné" друзьям в соцсетях.