— Je ne vous imaginais pas si romantique, Antoine. Et, bien entendu, vous aimez cette jeune fille ?
— En vérité, je n’en sais rien mais une chose est certaine : je veux la sauver et la protéger…
— J’en suis tout à fait persuadée ! Et je dirai même plus : s’il vous arrivait d’être un peu… encombré de votre bonne action, sachez que je la recevrai volontiers, ici ou en Angleterre.
— Vraiment ? Votre Majesté serait assez bonne ?…
— Ne vous emmêlez pas dans les formules de cour, mon ami ! Pour que vous dépensiez tant de dévouement au service de cette jeune fille, il faut qu’elle soit tout à fait digne d’affection… Tenez, voilà la cloche qui appelle au déjeuner ! Prêtez-moi à nouveau votre bras ! Et parlons, s’il vous plaît, de choses sans intérêt.
De toute la journée, la vieille souveraine refusa de se séparer d’Antoine. Elle exigea qu’il allât chercher sa voiture pour l’accompagner à Monte-Carlo où elle désirait faire quelques emplettes en compagnie de Mlle de Bassano.
— Pour une fois qu’une de ces automobiles à essence passe à ma portée j’entends en profiter, dit-elle en riant. Tout le monde, autour de moi, semble penser que seules les calèches attelées à la Daumont sont dignes de moi. Cela m’agace d’autant plus qu’en général on les appelle à présent des victorias !
— Et Votre Majesté n’aimait pas la reine d’Angleterre ?
— Dieu ait son âme, la pauvre chère ! Mais elle était tellement ennuyeuse !…
Tandis qu’avec ses passagères il remontait vers la corniche, Antoine vit soudain venir en sens inversé l’un de ces attelages dont le nom déplaisait si fort à l’Impératrice. Sur les coussins, il y avait deux personnes qu’il n’eut aucune peine à reconnaître : c’étaient Varennes et sa pseudo-femme, toujours étroitement voilée, et qui revenaient sans doute d’une promenade.
Mais si le peintre pensait passer inaperçu, il se trompait. Les croisant, le marquis ne pouvait se dispenser de saluer une voiture dans laquelle se trouvait l’ex-souveraine. Il se découvrit et, ce faisant, son regard accrocha tout naturellement le visage du chauffeur. Il rougit alors si fort qu’Antoine comprit qu’on l’avait reconnu et, sur le moment, il en fut contrarié. Puis, à y réfléchir, il pensa que cela n’avait aucune importance au fond car Varennes était sans doute à mille lieues d’imaginer qu’il venait de jouer un rôle important dans sa propre vie et le voir en si noble compagnie ne pouvait que lui inspirer une certaine considération pour un modeste barbouilleur.
La nuit tombait déjà quand Antoine regagna son hôtel après avoir courtoisement refusé de dîner à la villa Cyrnos. L’Impératrice attendait ses neveux, le duc et la duchesse d’Albe, ainsi que son jeune ami Lucien Daudet(10), un habitué de la maison dont elle appréciait la beauté de « prince persan », l’esprit vif et l’extrême élégance.
Le peintre qui n’avait pas emporté la moindre tenue de soirée n’éprouvait aucun désir d’être confronté à cette parfaite gravure de mode et, surtout, il souhaitait beaucoup se retrouver seul.
Comme la veille, il se fit monter un repas, puis passa un long moment assis sur son balcon à fumer sa pipe en regardant la mer nocturne. De son observatoire, il ne pouvait voir la villa byzantine où s’abritait le faux couple mais son esprit y demeurait attaché. Qui pouvait bien être cette femme introduite dans le personnage et même dans les vêtements de Mélanie ? Une maîtresse, peut-être ? Une complice à coup sûr. La conduite de l’inquiétant marquis était jusqu’à présent assez claire : durant le voyage en train quelqu’un devait enlever sa jeune épouse, soi-disant atteinte de folie ambulatoire, pour l’enfermer dans quelque clinique psychiatrique ou peut-être même… mais Antoine se refusait à envisager le pire. Varennes croyait sans doute que son plan diabolique avait réussi et, n’attendant pas de nouvelles qui eussent été dangereuses, il continuait tranquillement à jouer le rôle qu’il s’était attribué. Il avait dû rejoindre la femme dans un endroit convenu à l’avance, peut-être même à la gare de Menton, et depuis tous deux se livraient aux joies d’une discrète lune de miel à l’abri d’une luxuriante végétation. Mais que se passerait-il ensuite quand viendrait le temps de regagner Paris ? Tôt ou tard il faudrait bien rentrer et si Varennes espérait – ce qui était clair comme eau de source – faire main basse sur la fortune de sa femme, il faudrait bien qu’il la fasse reparaître un jour ou l’autre ?
La seule idée qui égayait un peu Antoine en train de barboter au milieu de ce cloaque était d’imaginer le beau Francis à l’instant ou il apprendrait que Mélanie lui avait glissé entre les griffes et que son ou ses hommes avaient fait chou blanc. Ce serait intéressant d’observer ses réactions… mais peut-être qu’alors la pauvre jeune femme serait en grand, en très grand danger car ce genre d’homme allait toujours jusqu’au bout de ses plans.
Née de cette crainte, une envie violente de retrouver Mélanie, de la savoir près de lui, sous sa protection, s’empara soudain d’Antoine. Sautant sur ses pieds, il sonna le garçon d’étage et en l’attendant refit son sac :
— Dites que l’on prépare ma note et que l’on sorte ma voiture après avoir fait le plein d’essence ! ordonna-t-il.
Chapitre VII
LA NOUVELLE D’ITALIE…
En dépit des précautions prises par Antoine à l’aube de son départ, la vieille Victoire sut tout de suite ce qui s’était passé dans la nuit entre lui et sa protégée. Jamais, en effet, elle ne lui avait connu, au réveil, ce regard pétillant et cette espèce de joie triomphante. D’habitude, et jusqu’à l’absorption de sa première tasse de café, la paupière était lourde et le verbe rare. Mais elle entendait en avoir le cœur net.
Aussi à peine la Panhard-et-Levassor eut-elle disparu dans un nuage de poussière que, sans leur laisser le temps d’entamer le ménage, elle envoya les jumelles au village porter à l’abbé Bélugue quelques bouteilles de « vin de messe » et un assortiment de pots de confitures dont il n’avait pas un urgent besoin. Prudent, qui donnait tous ses soins à ses planches de melons, ne risquait pas de la gêner et ce fut en la seule compagnie de Percy et de Polly qu’elle monta à l’étage.
Un coup d’œil dans la chambre de Mélanie lui montra celle-ci profondément endormie et sans doute encore loin de se réveiller. Puis elle passa chez Antoine, vit le lit défait mais elle possédait un œil suffisamment averti pour comprendre qu’il n’y avait pas dormi : draps et couvertures étaient à peine dérangés. Son regard interrogateur rencontra celui de Percy, dignement assis sur la descente de lit. Il émit un léger jappement et se dirigea vers la porte.
— Tu dois avoir raison : allons voir l’atelier ! soupira Victoire.
Là, elle vit que les chandelles étaient usées jusqu’au bout mais que le feu couvait encore, preuve qu’il avait été entretenu. Le chien flairait le divan dont on avait réparé le désordre avec une maladresse certaine. D’ailleurs, dans sa hâte et peut-être aussi à cause de la lumière faible, Antoine n’avait pas pris garde à ce que sa gouvernante remarqua tout de suite : quelques petites taches brunes sur le rouge sombre de la vieille couverture. Elle les toucha une à une d’un doigt qui tremblait un peu :
— Le sang d’une vierge ! souffla-t-elle avec une sorte de respect religieux. Cela change tout…
Elle s’assit sur le tabouret de peintre. Sentant alors qu’elle voulait réfléchir, la chatte sauta sur ses genoux et Percy se coucha à ses pieds. Les deux animaux devinaient qu’il s’agissait là d’un moment important et qu’il fallait assurer Victoire de leur soutien et de leur amicale compréhension. Ils n’étaient pas très sûrs qu’elle soit heureuse car son visage était bien grave mais, ce que Victoire éprouvait, c’était simplement une grande joie.
Ainsi c’était elle l’élue ? Une petite Mélanie recueillie par charité comme un chat perdu et qui, à première vue tout au moins, ne possédait pas la foudroyante beauté capable de retenir un œil d’artiste. Une masse soyeuse de cheveux à reflets roux et d’immenses yeux de biche aux abois ne constituaient qu’un capital insuffisant pour attacher un homme épris de perfection et habitué à la rencontrer chez ses modèles. Que s’était-il donc passé durant cette nuit pour qu’il en vienne à accomplir le geste qui ne se répare pas ? Il fallait qu’il y eût, entre lui et Mélanie, une sorte de magie que Victoire n’avait pas su voir mais qu’elle était, à présent, bien décidée à découvrir et à mettre en valeur pour que cette nuit d’amour soit suivie de beaucoup d’autres et pour que l’enfant choisie devienne celle qu’on ne laisse plus s’éloigner.
Durant des années, Victoire avait espéré qu’un jour Antoine lui amènerait une jeune châtelaine capable de lui donner de beaux enfants et de s’attacher à la maison mais, en vérité, il ne semblait guère doué pour le mariage. Aussitôt la mort de sa mère – son plus grand chagrin ! – il s’était attaqué à la peinture avec passion, ne quittant son atelier que pour de longues promenades au jardin ou pour rencontrer, à Aix, un marchand de tableaux. Celui-ci en vendit quelques-uns et même on parla un peu d’Antoine Laurens dans les journaux. Pas assez néanmoins pour assurer de grosses rentrées d’argent capables de faire revivre Château-Saint-Sauveur dont une petite partie seulement était exploitée. La fortune familiale avait fondu autour des tables de jeu dont le père d’Antoine était un habitué. Ni l’un ni l’autre ne connaissait grand-chose à l’agriculture et Prudent n’avait que ses deux bras.
Et puis, un beau jour, un homme vint, accueilli comme un ami par le jeune châtelain bien que Victoire ne l’eût jamais vu. Il resta vingt-quatre heures puis repartit en compagnie d’Antoine. Tout ce que Victoire sut de lui était son nom : colonel Guérard.
À dater de cette visite, le peintre s’absenta beaucoup. Il fit de longs voyages en Europe, en Amérique, en Asie et même en Chine où il manqua se faire tuer. Il rapportait des dessins, des toiles et surtout de l’argent, beaucoup d’argent grâce auquel Prudent, promu intendant et chef de culture, fit des merveilles. La maison reçut les réparations dont elle avait besoin et le domaine se mit à produire en abondance des fruits, du vin, du miel, des amandes dont on vendait environ la moitié mais dont, surtout, on faisait profiter les gens du village et même ceux des environs à qui la vie ne souriait pas autant que le soleil. Cependant et malgré sa curiosité toujours en éveil, jamais Victoire ne réussit à découvrir la source de cette prospérité nouvelle qui permit même à Antoine un petit appartement à Paris, dans le quartier du Marais. Elle n’y mit d’ailleurs jamais les pieds. Paris ne l’intéressait pas.
— Ça doit venir de la barbouille, déclara, un jour où il consentit à s’exprimer, le sage Prudent que la curiosité ne dévorait pas du moment où tout allait bien sur sa terre. Y m’a dit qu’y f’sait des portraits chez des gens de la haute et qu’ça rapporte bien. T’as pas besoin d’en savoir plus, Victoire.
L’explication pouvait être la bonne après tout… Par contre, ce qu’elle ne pouvait admettre c’était la conduite d’Antoine avec les femmes. Il avait des aventures, beaucoup même, car, sur ce chapitre, il se confessait volontiers à sa vieille gouvernante mais jamais il ne parlait mariage et, surtout, il n’avait jamais accueilli chez lui la moindre fille d’Eve. Jusqu’à l’arrivée de Mélanie, bien sûr.
Celle-ci, non seulement il l’avait ramenée lui-même mais il l’avait faite sienne et le cœur de Victoire était plein de joie. Qui pouvait dire si cette nuit d’amour ne porterait pas fruit ? Et ce fruit serait comme un cadeau du Ciel même si celui-ci n’y était pas pour grand-chose. Comment croire, en effet, à une intervention divine ? L’histoire de la réfugiée, Victoire en savait ce qu’Antoine lui avait appris. La pauvre était mariée à un homme sans foi ni loi mais qui, ayant tout de même sur elle tous les droits, pouvait parfaitement faire arrêter le peintre pour enlèvement, après quoi il aurait tout le loisir de mener la malheureuse enfant jusqu’au tréfonds du désespoir et de la misère.
Cette éventualité dramatique, Victoire se jurait bien qu’elle ne se produirait pas. Elle sentait soudain sourdre en elle une force invincible pour défendre ce bonheur qui venait enfin d’éclore sous le vieux toit de tuiles romaines. Se penchant soudain, elle prit Polly dans ses bras et tendit une main pour caresser la tête de Percy.
— Les petitous, si vous voulez m’en croire, il nous est né une jeune maîtresse et nous ferons tout pour nous la garder. Elle a tout ce qu’il faut pour que la famille continue avec elle et un enfantelet serait ce qui pourrait nous arriver de mieux. Seulement elle n’est pas libre !… La loi et même l’Église sont contre nous. Alors il va falloir ouvrir l’œil. Qu’est-ce que vous en pensez ?
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