— Monsieur le commissaire Langevin ! crut devoir annoncer Soames à ces gens réunis au pied d’un escalier et agités de sentiments si divers.
Personne d’ailleurs ne parut y faire attention sauf Olivier et le marquis vers qui le policier se dirigea immédiatement :
— Je viens d’apprendre votre retour, monsieur de Varennes, dit-il sèchement, et je désire, sans plus attendre, vous poser quelques questions.
— Vraiment ? Lesquelles ?
— Je crois que la présence ici d’une jeune femme dont la police italienne s’évertue à rechercher le corps me paraît les justifier pleinement. Mais devons-nous rester dans ce vestibule ?
— Ne m’en veuillez pas de cet inconfort, Commissaire, fit Mélanie, mais je refuse de faire entrer M. de Varennes dans ma maison. Par contre, je ne m’oppose pas à ce que vous l’emmeniez jusqu’à votre cabinet. Je vois d’ailleurs que vous y songiez, ajouta-t-elle en désignant les deux agents en uniforme qui faisaient les cent pas dans la cour auprès de la voiture du commissaire.
— Ne vous gênez pas ! Faites-moi arrêter pendant que vous y êtes !…
— Je n’ai pas de plus cher désir… sinon celui de ne plus jamais vous revoir…
— Vous attendrez longtemps ce bonheur car vous êtes ma femme, que vous le vouliez ou non, et vous le resterez…
— Tiens ? Vous me reconnaissez à présent ?
— Par force et admettez que j’aie quelques excuses : une pareille transformation… en deux mois ! Cela tient du miracle.
— Ce qui tient du miracle pour moi, coupa Langevin, c’est que vous parliez de transformation au sujet d’une dame dont vous avez juré qu’elle s’était noyée. Et la police italienne…
— Je ferai tenir mes excuses à la police italienne que je reconnais avoir trompée sciemment, mais que ne ferait un mari bafoué pour préserver son honneur ?
— Un mari bafoué ? s’écria Mélanie. Qu’allez-vous encore inventer ?
— S’il vous plaît, madame, dit le commissaire, laissez-moi poser les questions ? Et tout d’abord qui était cette malheureuse dont on ne cesse de rechercher le cadavre…
— J’ai déjà dit que je présenterais des excuses mais à condition que tout ceci soit gardé secret. Il n’y a pas eu de femme noyée. Celle qui a bien voulu consentir à jouer auprès de moi le rôle de la marquise de Varennes est en excellente santé, du moins je l’espère. Cette nuit-là, je l’ai débarquée à un endroit de la rive dont nous étions convenus à l’avance.
— Et… pourquoi toute cette comédie ?
— Je le répète : pour préserver mon honneur. Pouvais-je vraiment claironner de par le monde que ma femme, la nuit même de nos noces, s’était enfuie avec son amant ?
Avec un cri de colère, Mélanie voulut se jeter sur lui toutes griffes dehors. Elle était possédée d’une telle rage que Dherblay et Soames eurent toutes les peines du monde à la maîtriser :
— Menteur ! criait-elle, sale menteur ! Vous n’êtes qu’un misérable et si vous n’êtes pas un assassin c’est parce que j’ai pu vous échapper… Tout à l’heure vous refusiez de me reconnaître mais comme vous y avez été contraint vous avez bâti une autre histoire ? De quelle boue êtes-vous donc fait ?
— Je vous en prie, madame, calmez-vous ! fit le commissaire. Je vous ai déjà entendue et vos propos m’ont paru beaucoup plus dignes de foi que cette extraordinaire histoire. Ainsi, monsieur, ayant constaté que votre femme s’était enfuie du train, vous avez tout de suite songé à appeler une amie à votre secours… au fait, quel est le nom de cette amie ?
— Je ne vous le dirai pas car je ne veux pas payer son amitié en la livrant aux investigations policières.
— Il faudra tout de même bien qu’elle apparaisse un jour !
— C’est peu probable : elle n’est pas en France…
— Bien. Laissons cela pour le moment ! Ce que vous avez donné comme explication au contrôleur du wagon-lits lorsqu’il vous a signalé la disparition de votre femme est tout à fait opposé à ce que vous nous racontez à présent. Il n’était pas question d’amant à ce moment-là mais de folie, il me semble ?
— À mon sens, c’est la même chose. Cette malheureuse est sous l’emprise d’un homme qui l’a rendue folle et je ne voulais pas qu’on la poursuive. Voyez-vous, j’étais certain qu’à un moment ou à un autre, elle s’enfuirait pour le rejoindre et je ne voulais pas que mon mariage tourne au ridicule.
— C’est sans doute pour cela que vous avez choisi de passer votre nuit de noces avec Mlle Lolita Fernandez des Folies-Bergère au lieu de rester auprès de votre femme ?
— Vous n’allez pas me reprocher d’avoir fait preuve de délicatesse ?
— De délicatesse ? Vous avez de ces mots !
— Je crois qu’il ne sait pas de quoi il parle ! fit Dherblay, mais Francis choisit de l’ignorer et se contenta de hausser les épaules.
— Une nuit de noces en sleeping n’a rien de bien agréable, surtout pour une jeune femme déjà épuisée par la rude journée que représente un mariage mondain. En outre, je n’ai pas passé la nuit chez Lolita : je me suis contenté d’aller boire un verre de champagne avec elle tandis que ma femme allait se coucher. De son propre aveu elle était lasse.
— Vous avez tout de même bien couché quelque part, lança Langevin, votre lit n’était même pas défait…
— Le sien non plus. À présent, j’aimerais, Commissaire, que vous nous disiez où était Mme de Varennes durant tout ce temps ? Il n’y a pas longtemps, j’imagine, qu’elle est de retour ici ?
— Je suis rentrée le 30 avril, fit Mélanie qui avait à grand-peine retrouvé son calme.
Les mensonges que Francis accumulait comme à plaisir avaient quelque chose de confondant et presque d’hypnotique.
— Vraiment ? Et… où donc avez-vous « erré » durant ces deux mois ?
— Je n’ai pas « erré », comme vous dites. J’étais chez des amis, ainsi que vous l’avez annoncé au conducteur. Souvenez-vous !
— Vous ne me voyez pas annoncer à un inférieur que ma femme s’était enfuie avec son amant ?
— Je ne vois pas en quoi un employé des Wagons-lits vous serait inférieur, monsieur le Marquis, coupa Langevin que la morgue de Francis indisposait visiblement.
— Et je n’ai pas d’amant ! ajouta Mélanie.
C’est alors que Francis donna la pleine mesure de son génie malfaisant en jouant une carte plutôt risquée.
— Il ne suffit pas de le dire, ma chère. Il faut le prouver…
— Je ne vois pas comment ?
— C’est bien simple, pourtant. J’ai épousé une pure jeune fille, du moins j’étais en droit de le supposer. Soumettez-vous à un examen médical ! Si vous êtes toujours vierge, vous aurez droit à mes excuses les plus plates.
Pour la première fois de sa vie, peut-être, Olivier Dherblay perdit le contrôle de lui-même. Son poing partit à la vitesse d’une catapulte, frappa Varennes au menton et l’envoya rouler au pied de cet escalier qu’on lui refusait le droit de gravir et où il demeura un instant inerte :
— Vous n’auriez pas dû faire ça, remarqua Langevin…
— Excusez-moi, Commissaire, mais je n’ai pas pu me retenir. Cette ignoble proposition !… Pourquoi ne pas réclamer l’ordalie par le feu pendant que nous y sommes ?
— Vous me rendrez raison, mon petit monsieur, grinça Francis que Soames aidait charitablement à se relever avant de tamponner le mince filet de sang qui coulait du coin de sa bouche.
Dherblay le toisa, le dégoût aux lèvres.
— Où et quand vous voudrez…
— Messieurs, messieurs ! intervint le commissaire avec sévérité, je dois vous prier de cesser à l’instant cette querelle, sinon je me verrais dans l’obligation de vous arrêter tous les deux. Le duel est interdit.
— Cet individu a osé me frapper. Pensez-vous que je vais m’en tenir là ?
— Dans la minute présente sans aucun doute car vous allez me faire… la grâce de m’accompagner. On ne se débarrasse pas de la police aussi aisément et j’ai encore quelques questions à vous poser.
— Pourquoi ne pas les poser ici ?
— Je préfère épargner la sensibilité d’une jeune dame. Vous ne pensiez pas sérieusement demeurer ici puisque vous y êtes indésirable ?
— Mais si. Il n’y a aucune raison que je ne vive pas avec « ma » femme puisqu’elle a eu le bon esprit de rentrer. Je consentirai, je pense, à lui pardonner.
— Pas moi ! dit Mélanie. Dès demain j’ai l’intention d’introduire une instance en divorce en attendant Rome. Allez-vous-en, marquis, nous n’avons plus rien à nous dire !
— On ne se débarrasse pas de moi de cette façon et…
— Et je vous emmène ! coupa Langevin. Ne m’obligez pas à employer la force. Pour la suite de l’histoire, la police se retire et ce sera l’affaire entre vos avocats respectifs ! Mesdames, Monsieur…
Il fallut bien que Francis, contenant mal sa rage, s’exécutât mais, à peine eut-il franchi la porte qu’Albine explosait et déversait sur sa fille toute la bile qu’elle avait accumulée durant l’affrontement, l’accusant d’avoir mis Francis dans une situation « affreuse » par son « inconséquence » et sa « conduite pour le moins inconvenante ». La patience de Mélanie était usée :
— J’étais en droit d’espérer que vous montreriez un peu de joie à me savoir vivante mais vous ne vous souciez que de cet homme pour lequel vous montrez un attachement que l’on pourrait trouver excessif…
— Insolente ! Alors que je m’évertue à essayer de protéger une réputation dont tu ne te soucies guère ! Divorcer ! Tu n’es pas un peu folle ? Tu veux te mettre au ban de la société ?
— Quelle société ? Si c’est la vôtre je n’en ai que faire !
— Mais moi je ne l’entends pas ainsi. Je suis toujours ta mère et tu me dois obéissance. Pour commencer : va t’habiller ! Je te ramène à la maison !
Mélanie se raidit et resserra autour d’elle les plis souples du cachemire vert dans un mouvement où il y avait du défi :
— Non. Je suis ici chez moi et j’entends y rester.
— Chez toi ? Quelle est cette sottise ?
Olivier Dherblay jugea qu’il était temps pour lui d’intervenir. Il le fit calmement mais avec une fermeté qui impressionna Mme Desprez-Martel :
— Ce n’est pas une sottise, madame, mais la simple vérité. De par les dispositions prises par votre beau-père, cette maison appartient à Mlle Mélanie par droit d’héritage et en cas de disparition sans preuve formelle de la mort – ce qui est la situation que nous subissons – elle peut en disposer comme elle l’entend et y vivre si tel est son désir.
— Merci, monsieur Dherblay. Voulez-vous à présent reconduire ma mère à sa voiture. Je crois qu’elle a besoin de repos et, de toute façon, je ne vois pas ce que nous pourrions nous dire de plus !
À nouveau, Albine lâcha un flot de paroles traitant de l’ingratitude et de l’indignité d’une fille qu’elle reniait, puis, repoussant avec une méprisante hauteur le bras que lui offrait Olivier, elle sortit d’un pas de reine outragée dans un grand envol de mousselines noires.
— Elle devrait être heureuse, murmura Mélanie avec amertume, elle va pouvoir quitter le deuil et recommencer à sortir…
Doucement, Dherblay prit l’une de ses mains qui étaient glacées et y posa un baiser léger avant de pousser Mélanie vers Mme Duruy qui venait de reparaître après avoir rangé les objets qu’on lui avait demandés.
— N’essayez pas de lutter contre la peine que vous éprouvez, conseilla-t-il. L’attitude de votre mère vous a blessée plus que vous ne voulez le montrer et il faut que vous repreniez des forces.
— Vous pensez que je vais en avoir besoin ?
— Oui car la lutte va être rude : Varennes ne renoncera pas facilement à votre fortune ; il va falloir vous défendre. Dès demain je vous amène l’avoué et l’avocat qui vont vous être nécessaires… si toutefois vous êtes toujours décidée à divorcer ?
— Vous le demandez ?
— Revoir cet homme aurait pu vous émouvoir… mais je pense vraiment que vous souhaitez avant tout être libérée d’une chaîne odieuse. Comptez sur moi pour vous y aider mais, dans les jours à venir, il va falloir être très prudente : je crois cet homme capable de tout, surtout s’il est acculé à la ruine…
Lentement, Mélanie remontait vers ses appartements, soutenue par Mme Duruy. Soudain, elle s’arrêta, se retourna :
— Vous n’allez pas être obligé de vous battre avec lui ?
Dherblay haussa les épaules, puis enfila le paletot que lui tendait Soames :
— Qui peut savoir ? De toute façon, ne vous tourmentez pas : je tire à l’épée aussi bien qu’au pistolet, et il se peut que je fasse de vous une jeune veuve.
— Je n’en demande pas tant. Tout ce que je désire c’est retrouver ma liberté même si la bonne société doit me tourner le dos. En fait elle me rendrait grand service en m’oubliant.
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