« Revenu à Bâle, j’ai informé M. Desprez-Martel et, sur ses indications, j’ai joint le commissaire Langevin qu’il connaît bien et qui s’était occupé de sa disparition. C’est lui qui, dès lors, s’est chargé de mener une sérieuse enquête…
— Ce qui n’était pas facile car Ceylan est loin et je savais que j’en aurais pour un moment, si même je pouvais réussir, enchaîna Langevin. C’est alors que j’ai appris le pseudo-drame du lac de Côme. Dès cet instant, j’ai été persuadé de la substitution de personnes et j’ai cru, tout de bon, que ce misérable avait assassiné sa femme. Et puis vous êtes revenue, Mademoiselle, et j’en ai éprouvé un vif soulagement. Passager d’ailleurs car si l’aventure que vous avez bien voulu me confier apportait de l’eau à mon moulin, elle me compliquait aussi la tâche : sans le moindre cadavre à me mettre sous la dent et sans nouvelles de Ceylan, je ne voyais aucun moyen de confondre le personnage. Il est, il faut bien en convenir, d’une habileté diabolique et si la chance ne m’avait pas servi…
— La chance ? demanda Mélanie.
— Comment appeler autrement cette rafle dans les beuglants du quartier de Charonne fréquentés par les apaches qui, à la suite d’une bataille au couteau, m’a livré Caproni ? L’homme était ivre mais gardait suffisamment de conscience pour brailler que son maître était un « monsieur de la haute » qui le tirerait de mes griffes et me ferait rendre gorge. Le nom est venu sans trop de peine et, de cette minute, je n’ai plus lâché Caproni que j’avais fait mettre au secret…
— Vous avez pu le faire parler ? fit Olivier.
— Je dois dire qu’il a passé d’assez mauvais quarts d’heure avant de cracher le morceau. C’est lui, bien sûr, qui a attaqué M. Desprez-Martel dans le train de Zurich et qui était chargé d’en faire autant à sa petite-fille.
— Il devait me tuer ? murmura Mélanie. Mais comment ?
— Il était, lui aussi, dans le Méditerranée-Express mais dans les sleepings de seconde classe où les voyageurs de première placent leurs serviteurs. Après Lyon, il devait entrer dans votre compartiment et vous jeter hors du train comme il l’avait fait pour votre grand-père et, cette fois, votre mort aurait passé pour un suicide causé par le chagrin d’avoir vu votre jeune époux rejoindre pour sa nuit de noces une danseuse de music-hall…
— Un instant ! coupa Antoine qui n’avait encore rien dit. Je ne vois pas comment il aurait pu s’y prendre ? On n’entre pas comme ça et en pleine nuit dans un compartiment gardé par Pierre Bault. C’est le nom du conducteur et je le connais bien. Il est vigilant et courageux. Je le vois mal laissant enlever une jeune femme…
— Il n’aurait pas eu le choix. Caproni avait ordre de se débarrasser de lui s’il cherchait à s’interposer.
— Je crois que je comprends ce qui s’est passé, dit Mélanie. À Lyon, je n’étais déjà plus dans mon compartiment et ce Caproni ne m’a pas trouvée ?
— C’est encore plus simple que ça, sourit le commissaire. Il n’a même pas mis les pieds dans votre wagon. Il lui est arrivé une chose idiote, stupide et bien propre à déconsidérer un homme de main. Caproni, qui aime un peu trop la dive bouteille, avait déjà beaucoup bu au dîner. En outre, il voyageait avec un représentant en liqueurs et eaux-de-vie qui lui a fait goûter quelques échantillons. Résultat, il s’est endormi et ne s’est réveillé qu’à Marseille.
« Comprenant que son coup était manqué et qu’il allait avoir de sérieux ennuis avec son maître, il a été pris de panique. Il a quitté le train puis en a pris un autre qui remontait sur Paris. Ce qui ne l’empêche pas de prétendre à présent que, vous ayant aperçue, il ne s’est pas senti le cœur de tuer une aussi charmante jeune femme.
— Accordons-lui le bénéfice du doute, à condition, bien entendu, qu’il ne se rétracte pas, dit le vieux Timothée avec un haussement d’épaules. En tout cas je ne remercierai jamais assez notre ami Laurens, ici présent, de s’être chargé de mettre ma chère petite-fille à l’abri…
— Comment se fait-il que vous soyez amis, Grand-père ? demanda Mélanie. Lorsque j’étais chez lui, Antoine disait qu’il ne vous connaissait pas.
— Oh, leurs relations sont assez récentes ! fit Olivier. Comme d’ailleurs notre amitié…
— Vous aussi ? Mais comment est-ce possible ?
— C’est très simple au contraire : Antoine qui nous a vus tous les deux à l’Opéra est tombé chez moi comme la foudre, le lendemain soir, pour exiger que je lui dise où je vous cachais. Il en serait peut-être venu aux voies de fait, tant il était en colère si, à cette minute, n’étaient arrivés les témoins du pseudo-marquis. Du coup, il s’est rangé à mes côtés. Il m’a accompagné sur le pré et lorsque j’ai été blessé, je l’ai supplié de courir à Bâle à ma place afin de tout dite à votre grand-père et de lui demander de revenir. Je… je n’étais pas certain de pouvoir le faire un jour.
En regardant le visage émacié du jeune homme, Mélanie sentit quelque chose s’émouvoir dans son cœur et ses yeux s’emplir de larmes :
— Comment peut-on remercier quelqu’un qui a versé son sang pour vous ? Oh, Olivier ! J’avais si peur pour vous ! Les nouvelles que nous recevions chaque jour étaient affreuses…
— Mais ne correspondaient pas tout à fait à la réalité. Le Pr Dieulafoy a bien voulu consentir à jouer mon jeu. Et si vous avez craint pour ma vie, je suis récompensé bien au-delà de mes mérites… Ce que je redoutais, moi, c’était que M. Desprez-Martel, qui est heureusement en convalescence, ne fût pas encore assez fort pour entreprendre le voyage de retour.
— Pas assez fort ? s’écria celui-ci. Mais je serais venu sur les mains s’il l’avait fallu quand je t’ai sue vivante, ma petite. La nouvelle de ta mort m’avait… déchiré le cœur.
Emue, Mélanie se leva pour entourer de ses bras le cou du vieil homme et poser sa joue contre la sienne.
— Grand-père !… Moi aussi je vous ai pleuré tant et tant ! Et j’ai honte, à présent, de n’avoir pas respecté votre volonté. La punition était largement méritée.
— Un peu rude tout de même, tu ne trouves pas ? Allons, tu n’as rien à te reprocher. L’amour fait faire tant de bêtises et tous les torts ne sont pas de ton côté. Il faut considérer que tout finit bien puisque, mariée à une ombre, tu n’auras même pas à divorcer.
Les autres regardaient, sans trop savoir que dire et avec des sentiments divers, ce couple disparate et touchant que formaient ce vieillard et cette belle jeune femme. Ce fut Antoine qui, le premier, secoua le charme :
— C’est vrai, dit-il. Vous voilà tous deux délivrés d’un cauchemar et je vais vous demander de m’excuser. Il est temps que je rentre…
— Non !
C’était plus qu’un refus : un cri. Lâchant son grand-père, Mélanie se tourna vers Antoine :
— Non ! fit-elle plus doucement. Je ne veux pas que vous partiez ! Vous ne pouvez pas me quitter comme cela, alors que nous venons seulement de nous retrouver ?
— Il le faut bien pourtant ? Je ne vais pas m’installer chez vous.
— Pourquoi pas ?… Non, taisez-vous ! Laissez-moi parler ! Savez-vous que tout à l’heure, lorsque je luttais contre cet homme pour lui échapper, j’avais formé le projet de m’enfuir jusque chez vous ? Sous cette robe que je porte, il y en a une autre dans laquelle j’ai caché mes bijoux car je voulais profiter de tout ce monde qui allait venir pour quitter cette maison où je suis prisonnière. Je pensais courir à la gare de Lyon afin d’y prendre le premier train en partance pour le Sud quitte à en changer trois fois pour arriver en Avignon. Oh, Antoine, où étiez-vous ? Je vous ai cherché. Je suis allée rue de Thorigny…
— Pardonnez-moi ! J’étais chez un ami… disons, par prudence…
— Je sais. Pierre Bault m’a appris certaines choses et aussi quelle imprudence vous aviez commise en revenant ici. Mais par bonheur, le commissaire…
— Si vous alliez plutôt causer au jardin ? proposa Grand-père. J’ai encore à parler avec ces messieurs et notre présence ne peut que vous gêner. Vous n’êtes pas si pressé, Antoine ?
— Non… non, bien sûr…
— Alors attendez-moi un instant ! pria Mélanie. Je reviens tout de suite.
Ramassant son taffetas vert qui avait quelque peu souffert dans la bagarre, elle courut dans sa chambre pour s’en débarrasser. Il fallait qu’Antoine, pour une fois, la vît assez belle pour avoir envie de la garder. Très vite, elle revêtit sa robe de faille blanche, glissa dans le décolleté deux roses pâles prises dans un vase et dénoua ses cheveux qu’elle rejeta simplement en arrière. Après un sourire à son miroir, elle rejoignit le jardin sans passer par le petit salon.
On avait éteint les flambeaux de la fête mais la nuit était claire et elle retrouva sans peine son ami : assis sur un banc, il fumait un cigare dont le bout rougeoyait par instants. Le frou-frou de la robe sur les graviers le fit lever et il regarda venir à lui cette ombre blanche et parfumée qui lui en rappelait tellement une autre dont l’image, sans doute, ne s’effacerait plus.
En silence, Mélanie vint tout contre lui et glissa ses bras autour de son cou sans qu’il trouvât le courage de la repousser.
— Je vous aime, soupira-t-elle. Et je sais que vous m’aimez. Pourquoi voulez-vous partir ?
Il referma les bras sur elle pour enfouir son visage dans ses cheveux.
— Parce qu’il le faut. C’est sans doute vrai que je vous aime et c’est peut-être vrai que vous m’aimez. Seulement, je ne suis pas un homme pour vous, ni sans doute pour aucune femme…
— Je ne vois pas ce qui vous permet d’en juger. Et ne venez pas me parler de nos âges !… nous avons été heureux ensemble, souvenez-vous ? Et je ne crois pas que le bonheur puisse habiter ailleurs qu’à Château-Saint-Sauveur…
— Ma maison sera la vôtre aussi souvent que vous le désirerez mais je ne suis pas certain que vous le désirerez toujours ! Vous n’avez rien vu du vaste monde et, quant à moi, je quitte Paris demain mais pas pour la Provence.
— Qu’importe ! Vous y reviendrez un jour ou l’autre ? J’aimerais vous y attendre comme la comtesse d’Alès attendait le bailli de Suffren dans son château de Borrigaille. Il était de l’ordre de Malte et ne pouvait se marier mais elle était heureuse d’entendre les bruits de sa gloire et de l’accueillir à ses retours, souvent bien courts… Elle est même morte loin de lui sans jamais cesser d’être heureuse.
— Je connais l’histoire, Mélanie, mais vous, cette vie en dehors, cette vie en marge n’est pas faite pour vous. Et je ne suis pas, tant s’en faut, le bailli de Suffren !
— Vous êtes Antoine… et pour moi c’est aussi bien.
— Que vous êtes jeune, mon Dieu !… Et si nous parlions un peu de votre grand-père ? Vous voulez l’abandonner si vite ?
— Non, bien sûr. Je suis trop heureuse qu’il soit là et bien vivant et nous allons rester ensemble mais il n’y a là aucune incompatibilité. Il pourrait… acheter un château en Provence ? Il est si riche ! Il ne me refuserait pas mon Borrigaille…
— Mélanie, Mélanie ! Vous avez seize ans et moi…
— Nous y voilà ! Je savais bien que vous en parleriez. Sachez alors que j’ai beaucoup vieilli en quelques semaines.
— Vous le croyez mais votre cœur est encore tout neuf et peut prendre d’autres directions. Je ne veux pas courir ce risque… outre que nous ne sommes sûrement pas faits l’un pour l’autre.
— Je suis certaine du contraire ! Rappelez-vous notre nuit !
— À mesure que passerait le temps, nos nuits seraient moins belles. Vous ne me connaissez pas vraiment. Vous croyez que je suis un peintre un peu fou mais je suis autre chose aussi.
— Un agent secret ? Je le sais. Et après ? Ces hommes-là ont le droit de vivre et d’avoir des femmes !
— Ils ont surtout des veuves ! En tout cas merci de n’avoir pas dit un espion.
Il avait réussi à l’écarter de lui mais elle revint à la charge et l’obligea à mettre ses bras autour d’elle.
— Eh bien, fit-elle joyeusement, je serai votre veuve ! Mais jusque-là, il y a plein de beaux jours qui nous attendent.
— Dieu que vous êtes entêtée ! Vous me forcez vraiment dans mes retranchements. Et si je vous disais que je suis aussi… un voleur ?
— Cela ne changerait rien du tout ! Et d’ailleurs, ce n’est pas vrai.
— Si, c’est vrai !…
Elle le considéra avec une stupeur amusée où n’entrait d’ailleurs pas la moindre indignation.
— Tout de bon ?
— Tout de bon ! Mais je ne suis pas un vulgaire cambrioleur : je ne m’empare que de très beaux joyaux ! Les perles de la petite Bremontier, les émeraudes du maharajah et les diamants d’Anna de Castellane, c’était moi… Ne le répétez pas ! Je vous donne là une preuve de confiance, Mélanie…
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