— Moi aussi, figurez-vous, je l’aimais bien. Si encore il s’était contenté de voler, mais c’était aussi un assassin sans scrupules et…

Le téléphone, fatigué sans doute d’une aussi longue perfection, se mit à crachoter et à émettre des bruits qui ressemblaient à des borborygmes. Au bout d’un moment Aldo raccrocha et se laissa aller dans son fauteuil en cherchant machinalement une de ces cigarettes si propices à la rêverie. La fin tragique de l’histoire lui laissait dans la bouche un goût amer. Les hommes décidément l’étonneraient toujours, avec les multiples visages que pouvait révéler leur moi profond…

— Tu rêves ? fit la voix amusée de Lisa qu’il n’avait pas entendue entrer. Tiens, la poste vient d’apporter ce paquet pour toi. Il vient de Paris.

C’était un assez gros paquet, de la taille d’une boîte à chaussures, enveloppé de papier fort et de ficelle solide. Aldo prit sur son bureau – un superbe « mazarin » signé Charles Boulle – un stylet vénitien, trancha les liens et défit le papier. Il s’agissait en effet d’une boîte à chaussures – de chez Weston s’il vous plaît ! – qui contenait un autre paquet plus petit servant de protection à un autre, puis un autre encore à la manière des poupées russes.

— C’est une blague ? fit Morosini dont le bureau était à présent couvert de cartons et de papiers. Sûrement une bonne plaisanterie d’Adalbert !... Ah, tout de même !

Au fond de tous ces emballages, il venait de découvrir une petite boîte en bois blanc liée d’une solide ficelle rouge fixée par des sceaux de cire rouge.

— Mon Dieu ! Mais qu’est-ce que cela peut être ? fit Lisa qui suivait ce déballage avec intérêt. À propos, je te signale que si ça vient d’Adalbert il a pris un pseudonyme. Il s’agit d’un certain Gallois.

Mais Aldo ne l’écoutait pas. Il venait d’ouvrir la caissette et se laissait retomber dans son fauteuil :

— Oh non ! gémit-il, accablé.

Merveilleusement ronde et pure, coquette et ravissante sous son petit chapeau de diamants, la « Régente » semblait lui sourire, couchée voluptueusement sur son lit de velours noir.

Saint-Mandé, juin 2001


POUR CEUX QUI VEULENT EN SAVOIR PLUS...

Disparue en Russie pendant la révolution d’Octobre, la « Régente », que l’on appelle aussi « Perle Napoléon », a refait surface à Genève, chez Christie, dans les années 1980 après une disparition totale de soixante-dix ans sans que l’on puisse savoir qui la vendait. Elle a été alors achetée par un jeune banquier koweitien de trente-cinq ans qui souhaitait l’offrir à sa sœur pour son trentième anniversaire.

Quant au maharadjah d’Alwar, il a été détrôné en 1933 à la suite d’un acte particulièrement odieux qui dressa contre lui son peuple ainsi que les Anglais : à la suite d’un match de polo où il avait particulièrement mal joué, il en rendit responsable son poney, l’arrosa d’essence et y mit le feu.

Ayant choisi Paris comme lieu d’exil, il y vécut avec vingt-cinq serviteurs, ne se nourrissant guère que de porto et de cognac, rejeté par la haute société française comme par celle d’Angleterre. Ce que d’ailleurs il ne comprenait pas. Ainsi il piqua une terrible colère pour n’avoir pas été invité au couronnement du roi George VI, père de la reine Elizabeth. Ses fureurs étant fréquentes, c’est à la suite de l’une d’elles qu’il fit une chute dans un escalier de marbre et s’y brisa la colonne vertébrale. Transporté à l’hôpital, il y mourut le 20 mai 1937 après de longues souffrances. Selon ses volontés dernières, son cadavre embaumé fut transporté à Alwar où il fit sa dernière apparition assis à l’arrière de sa Lanchester d’or au volant d’ivoire, habillé de rose, ses yeux morts cachés derrière des lunettes de soleil et ses mains gantées de soie posées sur le pommeau d’or de sa canne. Après cette parade sinistre, son corps disparut dans les flammes du bûcher et son âme, sans doute, dans les feux de l’enfer…


1  Voir L’Opale de Sissi.

2  Grand magasin d’ameublement où l’on pratiquait la vente à crédit.

3  Voir L’Étoile Bleue

4  Un ouvrage sur les cocktails est paru sous sa signature

5  Voir L'Etoile bleue.

6  Le palais dont le palais de Chaillot a pris la place.

7  Voir L’Étoile bleue.

8  Voir Les Émeraudes du prophète.

9  Résidence de Mussolini à Rome.

10  Tient le milieu entre la veste longue et la robe.

11  Une jaquette n’en a pas.

12  Agents de police à vélo. Ils portaient une pèlerine bleu foncé qui évoquait un peu des ailes.

13  Voir Le Boiteux de Varsovie, tomes I et II.

14  Littéralement « rideau » : la vie cloîtrée des femmes.

15  Princesses.

16  Selon leur importance, les princes avaient droit à un nombre codifié de coups de canon.

17  Francis de Croisset : Nous avons fait un beau voyage, Grasset, 1930.