– Mais, naturellement ! Ladislas Wosinski est un patriote, un noble cœur et s’il a tué c’était pour protéger celle qu’il aime... car il l’aime toujours et d’un très grand amour. Il a dû entendre la scène horrible que son époux lui avait faite, peu de temps auparavant.
– Je sais qu’il y a eu dispute, mais ce n’était peut-être pas la première fois ?
– C’était la première fois que c’était aussi violent. Depuis un moment déjà, mon cher petit ange refusait de coucher avec lui. Elle souffrait de fortes migraines qu’elle calmait avec un médicament.
En dépit de la gravité du sujet, Morosini eut un petit sourire. De tout temps la migraine, relayée par des maux plus intimes, avait été l’arme favorite des femmes contre le devoir conjugal.
– Et ce jour-là, elle avait encore mal à la tête ? Il était un peu tôt pour aller au lit ?
– Sans doute, mais notre jeune lady était à sa toilette et se préparait pour la soirée. Je dois dire qu’elle portait une robe très décolletée et qu’elle était particulièrement belle et désirable. Le mari avait bu. Il a pris feu ; il m’a jetée dehors et je n’ai rien vu de plus mais ce que j’ai entendu était horrible. Sir Eric est sorti peu après, très rouge, presque violet et il était en train d’arracher son faux col pour ne pas étouffer. Quant à ma petite colombe, elle pleurait, assise sur son lit et presque nue : sa robe était déchirée... peu après, sir Eric est revenu pour s’excuser mais on ne lui a pas ouvert.
Ce qu’Aldo entendait était sans doute la vérité. Ce qu’il avait appris des premières relations d’Anielka avec Ferrals, et surtout ce qui s’était passé le soir du contrat de mariage confirmait que Wanda ne mentait pas. Il imaginait assez bien la scène dont la suite s’était déroulée dans le cabinet de travail, en présence de la duchesse de Danvers : sir Eric se plaignant d’un mal de tête et Anielka, froidement ironique, proposant de lui faire porter un sachet de ce qu’elle prenait elle-même en pareil cas...
– C’est elle qui est allée chercher l’aspirine, ou c’est quelqu’un d’autre ? demanda-t-il.
– Elle a demandé à Ladislas d’aller m’en demander et c’est moi qui le lui ai donné.
– Mais alors, sacrebleu, pourquoi diable a-t-elle été arrêtée ? Qu’est-ce que Sutton a bien pu raconter qui l’accuse ? Le sachet est passé par deux paires de mains et je suppose que lorsqu’on est venu vous le demander vous en avez pris un au hasard dans une boîte ?
– Naturellement, et c’est ce que j’ai dit au monsieur de la police. Seulement Sutton a demandé à parler en confidence à ce monsieur et je n’ai rien entendu de ce qu’il a dit... Tout ce que je sais c’est que ma colombe est en prison.
– Vous faites bien de me le rappeler ! fit Morosini sarcastique. À ce propos, il est temps, je crois, que vous m’expliquiez pourquoi vous êtes si contente que Ladislas coure les grands chemins, laissant votre petite colombe sur la paille humide des cachots.
– Il ne l’y laissera pas, soyez-en certain ! ... Il l’aime trop pour ça !
– Vraiment ? s’écria Morosini que l’air inspiré de Wanda commençait à agacer prodigieusement. Vous ne croyez pas qu’il aurait été plus simple de ne pas prendre la poudre d’escampette, d’assumer ses responsabilités et de protéger Anielka autant qu’il était possible ?
– Non. Car ça aurait eu pour résultat de les faire emprisonner tous les deux. Tant qu’il est dehors, il y a de l’espoir pour ma jeune lady. Je suis sûre qu’il a des amis dans le pays et qu’il est en train de préparer sa libération... ou son évasion pour qu’ils puissent enfin retourner vivre leur amour dans le vieux pays qu’on n’aurait jamais dû quitter.
Morosini renonça. On nageait en pleine science-fiction et, de toute évidence, il n’arriverait pas à tirer cette brave femme de ses rêves bleus. Une chose était certaine : entre la version de la jeune femme et celle de sa fidèle camériste, il existait un fossé beaucoup trop profond et broussailleux pour s’y aventurer.
– Pendant que j’y pense, reprit Morosini, vous ne sauriez pas, par hasard, de quel côté chercher Ladislas Wosinski ?
Brutalement ramenée des célestes régions où elle s’était laissé emporter, Wanda gratifia son voisin d’un regard sévère.
– Pourquoi demandez-vous ça ? Vous n’auriez bas dans l’idée de le livrer à la police ?
– Pas le moins du monde, répliqua Aldo en se gardant bien d’ajouter qu’il en avait déjà touché un lot au superintendant Warren, mais voyez-vous, j’aimerais tout de même bien savoir où il se trouve, imaginez un instant qu’oubliant son grand amour pour Anielka, il choisisse sa propre sécurité et l’abandonne à la justice anglaise ?
– Si vous le connaissiez, vous ne penseriez pas une telle abomination. C’est le cœur le plus généreux qui soit, un vrai paladin qui a voué sa vie à la liberté de son pays, la vraie liberté, et au soulagement des misères dont souffre le peuple polonais. Croyez-moi, il fera ce qu’il faut en temps voulu. Il suffit d’un peu de patience...
Morosini eut une moue dubitative. Il fallait avoir la foi du charbonnier pour être ainsi persuadée des pures intentions d’un homme qu’Anielka présentait comme un maître chanteur. Il renonça.
Le reste du voyage se déroula dans un silence meublé par le chuchotement de Wanda qui priait, mais quand on fut en vue de l’hôtel Ferrals, Aldo déclara :
– Avant que nous ne nous quittions, sachez ceci : je tiens, moi, à sauver votre maîtresse. D’abord parce que je la crois innocente, ensuite parce que je l’aime. Au cas ou j’aurais besoin de votre aide, puis-je faire appel à vous ?
Immédiatement, Wanda fut toute contrition :
– Oh, pardonnez-moi ! J’avais oublié que vous l’aimiez vous aussi et j’ai dû vous faire mal mais, bien sûr, je suis prête à vous aider. Si vous voulez me parler, je vais chaque matin entendre la messe de neuf heures à l’église de l’Oratoire, près du Victoria and Albert Museum. Ce n’est pas trop loin pour moi alors que l’église polonaise est dans une banlieue. Elle vous plaira : c’est une église italienne, je crois. Il n’y a pas trop de monde et on peut y parler tranquillement. Et puis, à la messe, on se trouve sous le regard de Dieu ! ajouta Wanda en pointant un doigt sentencieux vers le plafond de la voiture.
– C’est parfait mais si, d’autre part, vous souhaitiez me dire quelque chose, vous pouvez laisser un message à l’hôtel Ritz. Je vous écris le numéro ici, fit-il en arrachant une page de son calepin pour inscrire les chiffres annoncés.
Le taxi s’étant arrêté, Wanda allait descendre quand Morosini la retint :
– Encore un mot ! Ne vous étonnez pas si, d’ici un quart d’heure, je viens sonner à cette porte. Ce ne sera pas pour vous. Je désire avoir un entretien avec Mr. Sutton.
– Vous voulez lui parler ? gémit la femme soudain inquiète. Mais de quoi ?
– Gela, ma chère, c’est mon affaire. J’ai une ou deux questions à lui poser.
– Il ne vous recevra pas.
– Ce serait maladroit. De toute façon, je ne risque rien. Rentrez ! Je vais faire un tour et je reviens.
Un quart d’heure plus tard, en effet, un maître d’hôtel au visage glacé ouvrait devant lui la maison de feu Eric Ferrals puis l’abandonnait momentanément au pied d’une belle ellipse d’escalier qu’il gravit en annonçant qu’il allait s’assurer que Mr. Sutton pouvait recevoir un visiteur. Lequel fut bien obligé d’attendre en compagnie d’une collection de bustes romains aux yeux aveugles, d’un sarcophage byzantin et d’un vase à ablutions en bronze qui avait dû voir le jour quelque part du côté de Pékin. La demeure londonienne du marchand d’armes ressemblait beaucoup à celle du parc Monceau mais en plus sinistre encore si cela était possible, la pompeuse lourdeur du style géorgien qui régnait là n’arrangeant rien. On devait étouffer facilement dans cette atmosphère habillée de lourdes passementeries et de velours chocolat.
C’était à peine plus gai dans le petit bureau où Aldo fut introduit quelques instants plus tard. Et encore, uniquement grâce à la marée de papiers couvrant la table de travail et à la puissante lampe qui les éclairait. Alentour un bataillon de classeurs vert foncé occultaient les murs. Planté au milieu comme le gardien d’un temple, vêtu de noir de la tête aux pieds, John Sutton attendait son visiteur.
Le silence qui régnait dans l’hôtel était impressionnant. Pas un bruit, pas un froissement, pas un chuchotement ! Même le feu de charbon qui brûlait dans la cheminée se taisait comme si un craquement ou une étincelle eussent été sacrilèges.
Le secrétaire s’inclina à l’entrée de Morosini, se déclara enchanté de le revoir en pleine forme – il n’avait pas eu ce plaisir depuis la fameuse nuit où Aldo était venu prendre, rue Alfred-de-Vigny, la rançon d’Anielka et la Rolls-Royce – et ajouta, en lui désignant un siège, qu’il considérerait comme une faveur s’il pouvait lui être d’une quelconque utilité.
Morosini s’assit en prenant grand soin du pli de son pantalon, contempla un instant le jeune homme tout en cherchant une cigarette qu’il tapota sur la surface brillante de son étui d’or.
– Je suis venu vous poser une question, monsieur Sutton ! dit-il enfin.
– On m’en a déjà posé beaucoup depuis quelques jours.
– Je serais assez surpris que l’on vous ait posé celle-ci : dites-moi pourquoi vous semblez tenir à ce que lady Ferrals soit pendue haut et court ?
Avant d’ouvrir la bouche, Aldo s’était préparé à toute sorte de réactions sauf à celle qui vint. John Sutton soutint son regard sans manifester la moindre émotion puis répondit d’une voix douce :
– Mais parce qu’elle ne mérite rien d’autre. C’est une meurtrière de la pire espèce qui a prémédité son crime.
Et il sourit, ce qui contraignit Morosini à maîtriser une violente réaction de son sang latin. Pour y arriver, il alluma sa cigarette et en tira une bouffée qu’il envoya vers le plafond gaufré.
– Comment pouvez-vous être aussi affirmatif ? demanda-t-il d’une voix parfaitement unie. Possédez-vous des preuves ?
– Palpables, non ! La seule qui eût été déterminante – le sachet de papier qui avait contenu le poison – a disparu miraculeusement, jeté sans doute au feu par une main diligente. Seulement j’ai vu, j’ai entendu et c’est pourquoi je n’ai pas eu un instant d’hésitation pour porter mon accusation. Il est possible que cela vous cause beaucoup de peine, prince, mais croyez-moi, le doute n’est pas permis : elle est coupable !
– Je n’aurai aucune raison d’infirmer vos convictions dès l’instant où vous aurez bien voulu me confier ce que vous avez vu et entendu. Vous étiez, je pense, très attaché à sir Eric ?
– Très ! Dès ma sortie d’Oxford je suis entré à son secrétariat et ne l’ai plus quitté.
– Vous n’êtes pas très vieux. Cela ne doit pas faire un grand laps de temps ?
– Trois ans, mais avec un homme de sa qualité quelques semaines auraient suffi.
– Peut-être ! ... Je n’ai pas eu le privilège de le fréquenter bien longtemps, outre que nous nous trouvions opposés dans certaine affaire dont vous avez eu connaissance. Je n’en reviens pas moins à ma question d’il y a un instant : qu’avez-vous vu et entendu ?
– Vous y tenez ? En ce cas, il me faut d’abord vous apprendre que, depuis deux mois environ, nous avions engagé un serviteur polonais...
– Passons ce détail ! C’est Sa Grâce la duchesse de Danvers qui m’a raconté la soirée tragique : elle m’a parlé de ce serviteur qui s’est envolé dans la nature...
– Ce détail, comme vous dites, ne manquait pas d’importance. Vous l’admettrez volontiers quand je vous aurai dit que j’ai surpris lady Ferrals dans ses bras...
– Dans ses bras ? ... Êtes-vous bien sûr de ne pas... dramatiser la situation ?
– Jugez vous-même ! C’était il y a trois semaines environ. Sir Eric dînait ce soir-là chez le Lord-Maire et je m’étais rendu au ballet à Covent Garden. Comme je possède ma propre clef, je suis rentré sans faire de bruit et même sans allumer. Je connais si bien cette maison que cet exercice m’est familier. D’autant que sir Eric détestait que mes rentrées nocturnes ne soient pas discrètes. Je montai donc l’escalier quand j’ai entendu un rire, des chuchotements. Cela venait de chez lady Ferrals et j’ai constaté alors que la porte de son boudoir était entrebâillée. La lumière qui en sortait était faible mais suffisante pour que je puisse voir ce Stanislas sortir sur la pointe des pieds. Au moment où il se glissait hors de la pièce, lady Ferrals l’a suivi jusqu’au seuil et là ils se sont embrassés... passionnément avant qu’il ne la repousse avec douceur pour la faire rentrer... Sutton s’arrêta, prit deux ou trois fortes inspirations puis jeta, laissant percer sa colère :
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