– Madame de Peyrac ! Madame de Peyrac !

– Que faites-vous là, Marie-la-Douce ? Ah ! Prenez garde ! Vous n'auriez pas dû vous lever, avec vos blessures...

– Soutenez-moi, je vous prie, chère dame, que je puisse aller vers ma bienfaitrice.

Angélique soutient la taille flexible et fragile de l'enfant, au visage illuminé. Ses pieds s'avancent malgré elle. De temps à autre, elle se retourne, et elle les voit qui la suivent, l'ours et le glouton, et elle leur fait des signes véhéments.

– Allez-vous-en ! Allez-vous-en, horribles bêtes !

Chapitre 28

Ils sont tous rassemblés sur la plage. La plage ! L'amphithéâtre qui s'ouvre pour eux sur la scène chaque jour enrichie de nouveaux spectacles : la baie. Une barque aujourd'hui s'y avance. Par-dessus la houle des têtes, Angélique entend les appels, les sanglots, les cris de joie et de dévotion.

– Vivante ! répète Marie-la-Douce en larmes. Que Dieu et tous les saints du Paradis soient bénis !

Angélique restait un peu en retrait, se tenant à l'endroit où le sol commençait à s'incliner vers l'eau. Elle pouvait ainsi mieux distinguer ce qui se passait. Elle vit très bien la barque parvenir aux abords du rivage, et Yann entrer dans l'eau pour la guider et éviter le choc à l'instant où l'étrave heurterait le fond.

Presque aussitôt, les Filles du roi se jetèrent à leur tour au-devant de l'embarcation dans un pépiement hystérique.

Au milieu de ces remous, Angélique ne parvenait pas à apercevoir la silhouette de la duchesse. En revanche, son regard était attiré par la présence insolite d'une très jeune femme dont la toilette voyante et somptueuse accrochait une note colorée à l'avant de la barque. Malgré la distance, Angélique discernait que cette jeune femme ou jeune fille devait être extraordinairement ravissante. En contraste avec une chevelure sombre, l'éclat de son teint retenait le regard comme une lampe, ou plutôt comme une de ces fleurs exotiques – camélia ou magnolia – brillant dans l'ombre d'une délicatesse de pétale parfumé, blanc pur touché de rosé.

Une fleur. Ou un oiseau, si l'on considérait le bariolage de son ajustement. Il comportait toutes les audaces de la mode et pourtant l'association de son manteau-de-robe bleu canard, qui se retroussait sur une courte jupe de satin jaune et que surmontait un corsage d'un bleu plus pâle ouvert sur un plastron rouge, formait un ensemble d'une surprenante élégance et qui lui allait à ravir.

Unique détail qui ne lui convenait point : l'enfant misérable qu'elle tenait sur les bras.

– Vous avez sauvé mon enfant ! Soyez bénie ! cria la voix tremblante de Jeanne Michaud s'élevant de la bousculade.

Ses bras tendus de mère saisirent le petit Pierre.

Libérée, la femme aux atours étincelants posa sa main sur une main d'homme qui se présentait et sauta légèrement à terre, retenant haut la jupe de satin jaune pour éviter le contact de l'eau.

À cet instant, ce qu'Angélique remarqua devait rester gravé longtemps en sa mémoire, y prenant une importance démesurée, incompréhensible en fait, jusqu'au jour où, hantée par des souvenirs qu'elle enregistrait inconsciemment, elle finirait par y trouver la clé de bien des mystères.

Elle remarqua les bas rouge écarlate qui gainaient les jambes de la jeune femme, et les petits souliers-sabots qu'elle portait, en velours tiers-poil carmin, et applications de cuir blanc découpé, qu'agrémentait une rosette de satin d'or.

Angélique s'entendit demander à voix haute :

– Mais... qui est donc cette femme ?

– ELLE, répondit Marie-la-Douce dans un sanglot. Elle, notre bienfaitrice ! Mme de Maudribourg !... Voyez-la ! N'est-elle pas belle ? Parée de toutes les vertus et de toutes les grâces !...

Échappant aux bras qui la soutenaient, la jeune fille, rassemblant ses forces, marcha vers la nouvelle venue et s'écroula à ses genoux.

– Ah ! Bien-aimée dame !... Vous ! Vivante !

– Marie, ma chère enfant ! dit une voix au timbre doux et profond – un contraste émouvant – tandis que la duchesse s'inclinait vers Marie pour la baiser au front.

Un homme vêtu de sombre, un peu corpulent, le nez chaussé de bésicles, était parvenu à descendre de la barque sans que personne se souciât de lui et s'efforçait en vain à ramener de l'ordre dans les effusions des retrouvailles.

– Allons, mesdames, allons, s'empressait-il. Je vous en prie, mesdames. Permettez enfin à la duchesse de recevoir les hommages du seigneur de ces lieux.

Un peu plus haut, Joffrey de Peyrac attendait, son grand manteau broché flottant au vent, et s'il avait lui aussi éprouvé une surprise devant l'aspect inattendu de la duchesse-bienfaitrice, elle ne se trahissait que par une légère ironie de son sourire en coin.

– Écartez-vous, mesdames, insistait l'homme aux lunettes, prenez pitié de la fatigue de Mme la duchesse.

– Monsieur Armand ! s'exclamèrent les demoiselles et Filles du roi, se décidant enfin à le reconnaître, lui aussi.

Elles l'entourèrent amicalement, et Mme de Maudribourg put faire quelques pas en direction du comte de Peyrac.

L'apercevant de plus près, Angélique vit alors que les vêtements de la duchesse étaient souillés par l'eau de mer et déchirés par endroits, et que ses pieds, chaussés des mignons souliers de cuir blanc et de velours, paraissaient se poser avec une peine infinie sur le sable dont la fluidité ajoutait à la difficulté de leur marche, et, malgré leur grâce, la finesse de la cheville que soulignait une baguette de fil d'or, ils semblaient lourds et pesants comme ceux d'Angélique tout à l'heure lorsqu'elle s'était avancée vers le port. Or, ces pieds mentaient effrontément. Ou bien alors c'était le visage qui mentait. Il était moins jeune qu'elle ne l'avait cru en l'apercevant de loin, mais plus beau encore. En fait, la duchesse Ambroisine de Maudribourg devait avoir une trentaine d'années. Elle possédait toute l'aisance, l'assurance, l'élan de jeunesse à la fois animal et raffiné de cet âge splendide. Pourtant, il devenait de plus en plus visible aux yeux avertis d'Angélique que cette éclatante personne qui gravissait hardiment la côte était en train de défaillir. Épuisement ? Peur ?...

Émotion insurmontable ?

Et Angélique ne comprenait pas pourquoi elle-même se trouvait dans l'impossibilité absolue de s'élancer au-devant de cette jeune femme à bout de forces, pour l'accueillir et la soutenir, comme elle l'eut fait vis-à-vis de n'importe quel être humain. Joffrey de Peyrac balaya trois fois le sol de la plume de son chapeau, en s'inclinant devant la belle créature, baisa la main tendue.

– Je suis le comte de Peyrac de Morens d'Irristru... Gascon. Soyez la bienvenue, madame, en mon établissement des Amériques.

Elle leva sur lui un regard ambré qui se voilait.

– Ah ! Monsieur, quelle surprise ! Vous portez le manteau avec plus d'élégance qu'un courtisan de Versailles.

– Madame, répondit-il galamment, sachez qu'il y a sur cette plage plus de gentilshommes bien nés que dans l'antichambre du roi.

Il s'inclina derechef sur la main blanche et qui était glacée. Puis, désignant Angélique, immobile à quelques pas :

– Et voici la comtesse de Peyrac, ma femme, qui va vous faire donner les rafraîchissements souhaitables après votre cruel voyage.

Ambroisine de Maudribourg se tourna vers Angélique et maintenant ses yeux étaient sombres comme la nuit dans son visage lilial. Un sourire souffrant flotta sur ses lèvres soudain décolorées.

– Car sans doute aussi n'y a-t-il pas, dans tout le palais de Versailles, femme plus belle que votre épouse, monsieur de Peyrac, fit-elle avec grâce de sa voix basse qui semblait chanter.

Sa pâleur s'accentuait. Ses paupières battirent. Un soupir, une très légère plainte franchirent ses lèvres.

– Ah ! Pardonnez-moi, madame, murmura-t-elle, je me meurs !...

Et elle glissait, dans ses atours étincelants, glissait doucement tel un oiseau prestigieux frappé en plein vol, et s'abattait évanouie, aux pieds d'Angélique. Celle-ci alors, un bref instant, éprouva la sensation d'être seule en un lieu inconnu et irréel. L'esprit pétrifié et saisie d'une frayeur indicible, elle songea : « Est-ce donc elle ? Celle qui doit s'élever des eaux ? Celle qui doit venir parmi nous pour le service de Lucifer  »

FIN

1 « Les praires sont la médecine de toute l'année. Venez manger mes clams et envoyez promener tous les docteurs. »

Ce choix devait être juste car les enfants poussaient des cris et sautaient en battant des mains : « That's right. Perfectly right ! »

2Attendez une minute !

3 Vite ! Plus vite !

4 En avant !

5 – Merci, Je suis désolé !

– Tout va bien ?

– Je suis bien, oui.

6 – Comment vous sentez-vous ?

– Bien !

7 – Ce n'est qu'un ours.

8 Attendez juste une minute !

9 – Hello ! Mes amis, comment allez-vous ? Vous me reconnaissez ?

10 – En fait, nous avons fait depuis longtemps connaissance, mister Willoagby

11 Réellement !