— En effet… et elle n’est pas encore descendue. Je vais lui demander de vous recevoir, dit-il en décrochant le téléphone intérieur. Appartement 3, indiqua-t-il après un bref dialogue.
Négligeant l’ascenseur, on grimpa quatre à quatre le bel escalier. Une femme de chambre ouvrit devant eux la porte du n° 3 dès qu’Aldo eut frappé et on les introduisit dans un salon de style victorien dont les fenêtres grandes ouvertes laissaient entrer les bruits extérieurs. Aussi se hâta-t-elle de les fermer en annonçant que Son Altesse venait dans l’instant.
Elle parut presque aussitôt, drapée dans une robe de soie fleurie d’iris multicolores, une capeline doublée du même tissu à la main. Voyant deux visiteurs au lieu d’un, elle fronça un sourcil olympien :
— On m’avait annoncé le prince Morosini et non…
— M. Vidal-Pellicorne, de l’Institut, égyptologue, compléta Aldo. S’il est avec moi, c’est qu’en certaines circonstances nous ne faisons qu’un. Désolés de nous présenter à une heure un peu matinale, Madame, mais notre excuse est que nous avons nous-mêmes été tirés de nos lits encore plus tôt par une descente de police.
— Ah ! La police est allée chez vous ?
Le ton laissait percer une satisfaction indubitable :
— Chez nous non, mais chez l’un des notables d’Assouan et autres lieux : M. Henri Lassalle, dont la maison venait d’être mise à sac dans la nuit après que l’on m’eut moi-même assommé.
— Ah oui ? Vous m’en voyez désolée… mais qu’est-ce que j’y peux ?
— Beaucoup plus peut-être que vous ne voulez le dire, répondit Aldo, rendant insolence pour insolence. Les malfaiteurs étaient venus chercher quelque chose dont je n’ai pas la moindre idée mais aussi déposer ceci !
Le rang aux sept perles apparut au bout de ses doigts tandis qu’il continuait :
— Qui vous appartient sans aucun doute, puisque vous avez immédiatement alerté la police.
— En effet ! Et elle a trouvé intelligent de vous le donner ? Bravo !
— Plus exactement, elle m’a accordé le plaisir de vous le rendre.
— Le plaisir ?
— Quoi d’autre, puisqu’il s’agit d’un faux… et que vous le savez pertinemment. On ne se promène pas sur les grands chemins, fût-ce celui sublime du Nil, en trimballant un monument historique. Je suppose que les perles de Saladin, les vraies, sont à cette heure confortablement au chaud dans le coffre de votre résidence du Caire, celles-ci étant destinées uniquement à me piéger…
— Quelle audace ! Alors que vous devriez être en prison…
— Je me demande si ce n’est pas vous qui devriez y être ! Récapitulons, voulez-vous : vous m’avez attiré au Caire pour me vendre ou me charger de vendre un joyau national dont on vous aurait fait présent dans un moment d’aberration amoureuse. Vous me confiez en même temps qu’il ne faut surtout pas que le roi Fouad, votre ex-époux, en soit informé. Vous ajoutez même que, dans ce but, vous avez fait exécuter une copie très satisfaisante. Dans ces conditions, je refuse, comme l’eût fait n’importe lequel de mes confrères, mais vous me demandez de réfléchir en laissant entendre que vous pourriez peut-être obtenir les autorisations nécessaires. Suivant la façon dont les événements se sont déroulés, j’imagine que, si j’avais séjourné au Caire comme vous le souhaitiez, c’est dans ma chambre du Shepheard’s que l’on aurait découvert les perles, les vraies. Seulement, j’ai quitté l’hôtel dès le lendemain et il fallait trouver un autre motif pour m’envoyer sous les verrous…
Il s’interrompit, saisi d’une soudaine envie de la gifler. Elle bâillait ostensiblement en portant nonchalamment la main à sa bouche, et alla même jusqu’à souligner :
— Vous m’ennuyez, mon cher ! J’ai plus important à m’occuper…
— C’est possible mais cela attendra, si vous ne voulez pas que l’affaire se retourne contre vous. Donc je continue ! Quand j’ai quitté Le Caire, vous m’avez fait suivre et, une fois parvenu à Assouan, vous avez pu mettre en place votre ingénieux projet, à cette différence près que le collier authentique – un peu délicat à confier à un sbire quelconque qui aurait pu être tenté de s’enfuir avec ! – a été remplacé par le faux. Dont je me demande d’ailleurs s’il n’en existe qu’un ?
— Si vous voyez des copies partout, il faut vous faire soigner !
— Merci, je n’ai pas de problèmes de santé. Ce qui serait la plus élémentaire logique, ce serait une imitation dans le trésor royal, l’original chez vous et une autre imitation courant la prétentaine !
— Quelle imagination !
— N’est-ce pas ? Mais je crois que la vôtre ne lui cède en rien. Il est certain que, si le coup avait réussi, vous réalisiez une fortune : tout en gardant les perles, vous m’en extorquiez une autre en dommages et intérêts… Ce n’était pas mal combiné mais maintenant, cela ne signifie plus rien…
— Ah, vous croyez ? Alors je vais crier sur les toits que les vraies perles m’ont été volées et que les fausses sont votre œuvre et que…
— Rien du tout ! assena Aldo, péremptoire. Outre ma réputation, je possède des armes dont vous ne disposez pas : il suffit d’un échange de coups de téléphone avec Scotland Yard et, demain, l’un de leurs experts ira examiner le contenu du trésor royal…
— Scotland Yard ?
— Pas moins. J’y ai un excellent ami, haut placé, il aura vite remis les pendules à l’heure. Maintenant, sans vouloir abuser de votre temps, Madame, je voudrais que vous m’expliquiez la raison pour laquelle vous vous acharnez à me piéger alors que tant d’autres, des Américains par exemple, seraient beaucoup plus faciles à manier, puisque ce que vous visiez, c’est l’argent ?
— Parce que… Parce que… Oh, et puis allez au diable ! J’ai fait ce que je devais !
— Pour quoi ou pour qui ?
— Personne ! J’ai besoin d’argent ! À présent, sortez de chez moi ! Nous n’avons plus rien à nous dire !
— Ah bon ? Il me reste pourtant une question à vous poser…
— Je refuse ! Partez ou je vous fais jeter dehors par le personnel de l’hôtel ! D’ailleurs…
Prenant malgré tout la peine de rafler le collier abandonné sur une table, Shakiar sortit du salon en faisant claquer la porte derrière elle.
— Eh bien, dis donc ! siffla Adalbert qui avait joué les statues durant l’affrontement verbal. Tu as là une ennemie mais, au moins, tu sais à quoi t’en tenir.
— Il vaut toujours mieux savoir à qui l’on a affaire !
Tandis qu’ils redescendaient l’escalier, Adalbert interrogea :
— Quel genre de question allais-tu lui poser ?
— Par exemple, qui est au juste l’homme qui s’est fait passer chez moi pour le frère d’El-Kouari et que j’ai vu dans son palais du Caire. Il n’est pas possible qu’elle ne le connaisse pas !
— Sans nul doute, mais si tu veux le fond de ma pensée, ça m’est complètement égal ! En outre, sans cette histoire de fous, tu ne serais peut-être jamais venu en Égypte… Ouille !
Une dame qui dévalait l’escalier à vive allure en explorant son sac à main ne l’avait pas vu – lui non plus d’ailleurs – et venait de le bousculer en lui écrasant un orteil au passage :
— Veuillez m’excuser ! lança-t-elle par-dessus son épaule, mais il l’avait déjà reconnue à sa crinière jaune dépassant les bords de son canotier de paille garni de marguerites :
— Marie-Angéline ? souffla-t-il, stupéfait. Vous êtes ici…
Elle ne se détourna qu’à peine, se contentant d’un coup d’œil rapide :
— Tiens, Adalbert !
Et poursuivit son chemin comme si de rien n’était et sans remarquer non plus Aldo. Ils la virent rejoindre un jeune Arabe qui l’attendait dehors, chargé d’un matériel de peintre, et se diriger avec lui vers le fleuve.
— Ça alors ! émit Aldo. Qu’est-ce qu’on lui a fait ?
— Aucune idée. Moi, elle s’est contentée de m’écraser le pied ! Mais elle ne doit pas être venue seule…
Un même élan les précipita à la réception :
— Je viens de voir Mlle du Plan-Crépin, dit Aldo. Je suppose que Mme la marquise de Sommières est dans vos murs ?
— En effet, Excellence. À cette heure-ci, elle doit être sur la terrasse. Dois-je vous faire annoncer ?
— Merci. C’est inutile !
Il se sentait tout à coup incroyablement heureux ! Tante Amélie à Assouan, c’était bien la meilleure des nouvelles ! Tous deux se ruèrent sur la grande terrasse ombragée où la vieille dame somnolait avec une extrême dignité dans un haut fauteuil d’osier peint en rouge, sur lequel ressortait le blanc immaculé de sa robe de piqué à la mode de la reine Alexandra et le plateau de paille blanche à demi recouvert de feuillage en soie de plusieurs tons de vert mêlé de minces rubans blancs. Ce chef-d’œuvre reposait sur le coussin de cheveux argentés, parmi lesquels une ou deux mèches rousses trahissaient la couleur d’origine. Avec son col de dentelle baleinée supportant une collection de sautoirs d’or, de perles et de menues pierres précieuses au milieu desquels se perdait son face-à-main serti d’émeraudes, elle était merveilleusement anachronique et cependant entièrement en phase avec le décor victorien qui l’entourait, et personne n’aurait eu l’idée de sourire en la voyant tant elle incarnait l’élégance et la dignité. En outre et bien qu’elle eût atteint les quatre-vingts ans, il lui restait plus d’une trace de sa beauté.
Quand Aldo prit délicatement pour les baiser ses mains baguées de perles, elle ouvrit largement ses yeux d’une joyeuse teinte verte :
— Vous êtes là tous les deux, les garçons ? Mais quelle incroyable chance !
— Tante Amélie, fit Aldo, c’est vous rencontrer ici qui est une chance. Vous ne pouvez pas savoir à quel point j’en suis heureux !
— Et moi donc ! renchérit Adalbert en écho. Ce qui est plus surprenant encore, c’est que nous venons de croiser Plan-Crépin qui non seulement n’a pas eu l’air surprise, mais nous a ignorés pour filer vers les quais en compagnie d’un gamin arabe. Qu’est-ce qu’on lui a fait ?
— Rien, rassurez-vous ! Simplement, depuis quelques jours elle donne l’impression de ne plus avoir les pieds sur terre.
— Vous êtes là depuis longtemps ?
— Une bonne semaine…
— Alors vous deviez vous trouver à la soirée du gouverneur, en déduisit Adalbert. Comment se fait-il que je ne vous aie pas vue ?
— Pour l’excellente raison que je n’y étais pas ! Je voyage pour mon plaisir, cher Adalbert, et pas pour courir les réceptions plus ou moins exotiques qui se donnent de par le monde. Notez qu’il y avait la voix de la Rinaldi que je pourrais écouter des nuits entières, mais je ne supporte pas de la voir. À vous, maintenant ! Ne devriez-vous pas être en train de plonger dans les entrailles de la terre d’Égypte, Adalbert… ou bien êtes-vous chargé d’une mission dans les alentours ?
— En fait, oui et non. Je me suis trouvé exproprié de mon dernier chantier de fouilles et, comme Aldo m’est tombé dessus à ce moment-là, j’ai voulu lui montrer un peu de ce pays que j’aime tant !
Les yeux verts s’ouvrirent plus grands encore :
— Et toi, Aldo, tu n’as rien d’autre à faire en plein hiver que de jouer les touristes ? Qu’est-ce qui t’a amené ici ? Où sont Lisa et les enfants ?
— Une question à la fois s’il vous plaît, engagea Aldo en riant. Et on commence par la dernière. Ma petite famille est à Vienne ou plutôt à Ischl pour surveiller la convalescence de Grand-Mère qui a eu un pépin de santé quand nous y étions. Cela dit, je ne joue pas vraiment les touristes. Appelé au Caire pour traiter une affaire avec une… personnalité bizarre, je me suis aperçu que ni l’une ni l’autre n’étaient fiables. Sur ce, j’ai rencontré Adalbert et, comme il aurait été dommage de repartir sans voir au moins un bout de pays, me voilà ! Tellement heureux que vous y soyez aussi.
Mme de Sommières avait braqué son face-à-main sur son petit-neveu qu’elle considérait avec une particulière attention :
— Dis-moi pourquoi je n’arrive pas à te croire entièrement ? Peut-être parce que je te connais à la perfection ?
— Rien, jamais, ne vous échappe, n’est-ce pas ? Soit, j’ai omis des détails que je vous apprendrai plus tard. Pour l’instant, ne gâchons pas ce beau matin ensoleillé…
Il fit signe à l’un des serviteurs nubiens pour commander des cafés.
— Pourquoi ne nous sommes-nous pas encore rencontrés ? reprit la marquise. Vous n’êtes pas descendus au Cataract ?
— Non, chez un vieil ami à moi, Henri Lassalle. Nous sommes arrivés la veille de la réception et l’hôtel était bondé.
— Lassalle… Lassalle ! Attends, ce nom-là me dit quelque chose…
— Ce n’est pas un nom d’une rareté particulière. Et vous avez croisé tant de gens. Sans compter vos nombreuses relations… Ne cherchez pas ! La mémoire vous reviendra en temps voulu… et parlez-nous de notre incroyable Marie-Angéline. J’avoue que son indifférence nous a laissés pantois. Qu’a-t-elle à nous reprocher ?
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