— Tu as raison et on est en droit de se poser la question : que peut-elle peindre par là ? C’est désertique à souhait ?
— Si vous voulez m’en croire, on rentre directement à l’hôtel sans nous occuper d’elle et nous attendrons de voir ce qu’elle nous racontera au dîner. Vous connaissez son goût du secret.
— Oh, oui !
— Et qui est ce jeune garçon ? C’est la seconde fois que je le vois avec elle.
— Le petit Hakim ? Il lui est dévoué depuis que, le jour même de notre arrivée, elle l’a tiré des griffes d’une grosse brute qui le poursuivait à coups de fouet en le traitant de mendiant. Elle n’était armée que de son ombrelle mais tu aurais dû assister à la scène : c’était épique ! Elle refaisait les croisades à elle toute seule dans le meilleur style de ses ancêtres dont elle nous rebat les oreilles. C’était grandiose ! De ce jour, le petit s’est mis en quelque sorte à son service. Au fait, lui dirons-nous que nous l’avons vue ?
— Pourquoi pas ? Elle est libre d’aller où elle veut.
— Sans doute. Pourtant, il lui arrive d’avoir des réactions inattendues.
Ce fut le cas ce soir-là. Quand on lui demanda d’où elle venait, Marie-Angéline devint rouge jusqu’à la racine de ses cheveux jaunes et s’efforça de prendre un air dégagé :
— Oh, ça… ? Dans ce pays on trouve partout des sujets intéressants. Hakim m’avait parlé d’une… statue… très ancienne et à demi ensablée.
— Et j’imagine que vous l’avez dessinée ?
Le pourpre s’approfondit :
— Non… non, elle n’en valait pas la peine, réflexion faite… mais la promenade était agréable.
Aldo avait envie de pousser plus loin l’interrogatoire pour se venger ainsi de la déception qu’elle n’avait pas réussi à dissimuler en apprenant qu’il s’était brouillé avec Adalbert et qu’il était revenu s’installer seul à l’hôtel. Même si elle était tombée brusquement amoureuse, la complicité nouée entre eux depuis des années méritait un autre accueil. Aussi, avant de monter dans leurs chambres respectives afin de se préparer pour le dîner, profita-t-il de ce que Plan-Crépin était allée chercher ses clefs à la réception pour glisser à l’oreille de Mme de Sommières en se dirigeant vers l’ascenseur :
— Pas un mot de ce que je vous ai dit ! Je vous expliquerai.
Mais elle n’avait pas besoin d’explications :
— Je n’en avais plus l’intention. L’histoire de l’Anneau la mettrait en transe et elle n’aurait de cesse de te l’arracher pour courir l’offrir à l’élu de son cœur. En revanche, elle saura la vérité en ce qui concerne votre querelle.
— Vous allez lui faire de la peine…
— Ce n’est plus une gamine et on ne peut pas faire autrement. Tu penses bien qu’elle ne se satisfera pas de ta réponse désinvolte dans le meilleur style de l’Aramis d’Alexandre Dumas : « Oh ! Un point de saint Augustin sur lequel nous ne sommes pas d’accord » ?
— Cela aurait rallongé mon délai de réflexion tout en minimisant la gravité des faits…
— Sans aucun doute, mais la vérité est préférable. Surtout avec une fille comme elle, parce qu’elle la mérite. Elle saura encaisser !
Et, en effet, quand on se retrouva au salon où l’on se réunissait avant de passer à table, Marie-Angéline précédant la marquise, exceptionnellement, vint droit à lui :
— Je vous dois des excuses, Aldo ! J’avoue avoir reçu un choc lorsque vous vous êtes déclaré fâché avec Adalbert, mais vous ne devez pas en déduire que je vous donnais tort avant de connaître le motif de votre querelle. J’en suis navrée mais, après tout, ce n’est pas la première fois et il doit y avoir un moyen d’en sortir ?
Un large sourire la récompensa. Il lui prit la main dont il baisa la paume ainsi qu’il le faisait souvent pour sa femme :
— On va le chercher ensemble. Merci, Angelina !
Naturellement on ne parla que de ça tout au long du dîner. Aldo raconta ce qu’il avait appris sur Salima, sans oublier la mise en garde d’Ali Rachid. Chose curieuse, sa réaction fut exactement la même que celle de la marquise :
— Si l’on s’en tient à ses précédents coups de cœur, on pourrait en déduire qu’Adalbert n’en a pas fini de grandir et qu’il nous fait une crise de croissance…
— Là ! Qu’est-ce que je disais ? fit Tante Amélie.
— … à cette différence près, que ladite crise peut se révéler plus grave que les précédentes. Elle est bizarre, cette fille qui s’impose presque à lui à titre d’assistante sur son chantier de fouilles mais qui se hâte de passer à l’ennemi quand un quidam le dépouille de sa concession. De plus, il ne sait rien sur elle et tombe des nues en apprenant qu’elle est la petite-fille du vieil homme que l’on vient d’assassiner. Enfin, il est sa seule famille, cependant elle n’habite pas chez lui quand elle vient à Assouan mais chez cette Shakiar, même en l’absence de cette dernière, puisqu’elle réside à l’hôtel jusqu’après la fête du gouverneur…
— Elles sont peut-être parentes ? hasarda la marquise.
— Sans que Shakiar le soit d’Ibrahim Bey ? Rappelez-vous qu’il nous a assuré n’avoir plus de famille à une exception près ?
— C’est sûrement ça, fit Plan-Crépin. Je ne vois pas d’autre explication logique.
— Et le beau garçon avec qui elle flirtait sur le bateau à Louqsor ?
— Si tu veux mon avis, tu en as tiré des conclusions trop rapides. Rien ne rapproche plus qu’une croisière, que ce soit en mer ou sur un fleuve. Elle venait peut-être de le rencontrer ? Je me fais sans doute l’avocat du diable, mais pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Ils sont tous les deux jeunes et beaux et ils ont pris plaisir à être ensemble. Cela dit, qu’est-ce qu’on décide maintenant ?
— Il y a encore un point que je voudrais éclaircir, reprit Marie-Angéline. Celui des perles vraies ou fausses. Que l’on soit venu les cacher dans vos chambres c’est… disons, normal. Ce qui l’est moins, c’est que l’on ait tout chamboulé, fouillé, éventré au besoin. En général, on se comporte ainsi quand on cherche quelque chose, non ? Autrement, c’est du temps perdu.
— Sans doute, fit la vieille dame, évasive.
— Mais quoi ? En avez-vous une idée ?
Pour s’éviter de répondre, Aldo alluma une cigarette après en avoir offert à ses compagnes. Mme de Sommières se jeta à l’eau courageusement :
— On n’en sait rien ! déclara-t-elle en levant les yeux vers les moucharabiehs de la coupole où l’orchestre faisait rage – on dansait déjà depuis un moment sur la piste de marbre gris –, comme si elle attendait du Ciel son absolution pour un si gros mensonge.
— Nous en sommes bien certaine ?
— Puisque je vous le dis, Plan-Crépin ! protesta-t-elle, furieuse de se sentir rougir et aussi furieuse de deviner qu’on ne la croyait pas…
— Si nous passions sur la terrasse pour admirer la nuit ? proposa Aldo en repoussant son fauteuil pour se lever.
Cette fois, ce furent le colonel Sargent et sa femme qui s’inscrivirent dans le paysage, apportant une diversion :
— Pouvons-nous vous proposer un bridge ? À part danser ou écouter de la musique en buvant un verre, les divertissements sont limités le soir…
— Pourquoi pas ? accepta Aldo avec empressement bien qu’il n’aimât pas le bridge alors que Tante Amélie y était d’une assez jolie force.
La proposition avait l’avantage de mettre un terme aux questions épineuses, et aussi de lui permettre de faire la connaissance de lady Clémentine. Elle l’intéressait fort depuis qu’il la savait sœur de Warren, le Superintendant de Scotland Yard qu’Adalbert et lui avaient surnommé le Ptérodactyle pour la ressemblance avec l’oiseau préhistorique que lui conféraient son long nez, ses yeux jaunes, son front dégarni et le vieux macfarlane pisseux dont il était revêtu en permanence quel que soit le temps. Ce qui ne l’empêchait pas de porter dessous des costumes d’une élégance souvent sévère mais irréprochable. Difficile d’admettre qu’ils soient du même sang quand on regardait sa sœur. Elle était aussi charmante qu’il était abrupt, même ayant atteint la soixantaine : blonde tirant sur le gris argent, elle avait de jolis yeux noisette, des traits fins où les rides s’inscrivaient discrètement et un beau sourire.
Elle en offrit un exemplaire à Marie-Angéline :
— Comme je ne suis pas très forte, j’espère que Mlle du Plan-Crépin voudra bien me remplacer ?
— Croyez que je suis désolée, lady Clémentine, mais je suis fatiguée ce soir et je serais une partenaire détestable. Voulez-vous m’excuser ?
— Bien sûr, ma chère ! Mais vous allez être responsable d’un naufrage. Vous ne savez pas à quel sort tragique vous condamnez votre famille… et accessoirement mon époux s’il a le malheur de perdre !
— Nous montrerons la vaillance de la cavalerie anglaise face aux canons russes à Balaklava ! fit Aldo en riant. Je ne suis pas un aigle, moi non plus…
On se dirigea vers le salon de jeux tandis que Marie-Angéline rejoignait l’ascenseur après avoir dit bonsoir. Rentrée dans sa chambre, toutefois, elle ne se coucha pas. Jamais, d’ailleurs, elle ne se mettait au lit sans avoir aidé la marquise à s’installer dans le sien et lui avoir lu quelques pages du livre en cours. Ce soir, la partie de bridge lui laissait du temps libre et elle décida d’en profiter.
Enfilant un manteau léger sur sa robe du soir en poult-de-soie bleue – une fraîcheur était tombée au coucher du soleil –, elle descendit à la réception et demanda si l’on pouvait lui indiquer l’adresse de M. Lassalle.
— À votre service, Madame ! En remontant vers la gauche, c’est à deux cents mètres en continuant sur la gauche. On l’appelle la maison des Palmes. Désirez-vous une voiture ?
— Merci, c’est inutile. Un peu de marche me fera du bien.
Cela lui permettrait au moins de mettre de l’ordre dans ses idées. Trop fine pour ne pas deviner qu’on lui cachait quelque chose, elle voulait se faire une opinion en écoutant la version d’Adalbert. Et puis peut-être tenter de mettre un terme à la brouille entre les deux hommes qu’elle aimait le plus. L’idée d’une rupture définitive entre ces deux-là lui était insupportable parce que c’était un pan entier d’un univers chaleureux qui s’écroulait.
Elle trouva sans peine ce qu’elle cherchait, mais la grille du portail était fermée et aucune lumière n’était visible nulle part, ni dans la loge du garde ni au bout du jardin dans la grande maison blanche. Se pouvait-il qu’il n’y eût personne ? D’après Aldo, le maître des lieux ne sortait guère de chez lui, mais Plan-Crépin n’était pas tentée par un dialogue avec un bonhomme dont elle gardait un désagréable souvenir.
Un moment, elle considéra la chaîne noire de la cloche, avança la main pour l’actionner, n’acheva pas son geste et, finalement, renonça. À la réflexion, le style conspirateur ne s’imposait pas et rien ne l’empêchait de revenir en plein jour et de demander son ami sans avoir à subir une entrevue avec l’impossible Lassalle ? Et puis, bien que d’une bravoure héroïque – croisades obligent ! –, le silence absolu qui l’entourait l’angoissait un peu. On n’entendait rien, ni le hululement d’une chouette ni l’aboiement d’un chien, et cela installait une atmosphère assez étrange pour qu’elle désirât lui échapper. Tournant les talons, elle rentra à l’hôtel, prit un livre et attendit patiemment le retour de Mme de Sommières.
La partie achevée, le colonel Sargent et Aldo allèrent boire un verre au bar. Entre eux, une sympathie se développait, l’Anglais ayant perdu au bridge avec une bonne humeur trop sympathique pour n’être pas attirante.
Après avoir bu et fumé un moment en silence, ce dernier dit :
— Cela ne vous fera peut-être pas plaisir mais je considère comme une vraie chance que votre ami l’archéologue ne soit pas revenu s’installer ici avec vous…
— Vous avez eu à vous en plaindre ?
— Absolument pas ! Et je dirai même que c’est le genre de type qui me plairait plutôt. Ce que j’en dis, c’est par compassion pour le mobilier de l’hôtel. L’honorable Freddy Duckworth a débarqué ce soir avec armes et bagages.
— Vous le connaissez personnellement ?
— Comme on peut connaître quelqu’un quand on se retrouve ensemble à deux ou trois reprises dans le même palace. Il donne l’impression d’un gentil garçon et j’ai cru comprendre qu’il est égyptologue, lui aussi… quoique, chez lui, la profession me paraisse plus décorative qu’absorbante ?
— Cela tient à ce qu’il la pratique d’une façon bien à lui. Sa technique se rapproche de celle du coucou.
— Du coucou ?
— Cet oiseau qui attend que les autres volatiles aient bâti leur nid pour s’y installer à leur place. C’est la technique de ce Duckworth : il met sous surveillance un confrère et si le bonhomme découvre quelque chose, il se dépêche de lui faire retirer la concession en claironnant qu’il avait effectué la découverte avant lui… Comme il a, paraît-il, des relations influentes… et – pardonnez-moi ! – qu’il est anglais, il n’a aucune peine à obtenir satisfaction. C’est ainsi qu’il a dépouillé Vidal-Pellicorne d’un chantier prometteur. Pour cette fois, les choses ont mal tourné : la tombe, soigneusement refermée, avait été pillée depuis quelques dizaines d’années et on y avait même laissé un cadavre n’ayant strictement rien à voir avec celui d’un pharaon… ou d’une pharaonne puisqu’il aurait dû s’agir d’une femme…
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