— Oui, mais moi je parle sept langues… dont l’arabe et le pachtou. Avant Peshawar et les Gurkas où j’ai fait un bon bout de ma carrière, j’ai été en poste à Aden. Ne désespérez pas ! le consola-t-il en lui assenant une bourrade vigoureuse. On finira par en sortir.
« Oui, mais quand ? pensa Aldo. Et dans quel état ? »
Les trois jours qui suivirent furent pénibles pour Aldo : il les passa à ronger son frein, tournant en rond entre les balades à cheval avec le colonel dont le bel optimisme semblait baisser à vue d’œil en ce qui concernait « l’enquête » qui l’émoustillait tant le jour des funérailles, d’autres à pied ou en bateau avec Tante Amélie qui visiblement se tourmentait pour lui. Quant à Marie-Angéline, elle profitait de sa présence pour s’esquiver et dessiner à tour de bras dans de mystérieux endroits. Laissant entendre qu’elle n’avait nulle envie d’être accompagnée, sinon par le jeune Hakim. Aucune nouvelle ne parvenait de la maison des Palmes, ce qui rendait Aldo enragé. Il brûlait de s’y rendre et d’y pénétrer – par la force, au besoin ! – pour administrer à Adalbert la correction capable de lui extraire du cerveau jusqu’au souvenir de cette Salima maudite. Il en voulait en outre à Henri Lassalle de le laisser ainsi dans l’ignorance. Il n’était jusqu’au sublime paysage qui ne perdît progressivement de son charme.
Seul îlot, en dehors de Sargent, dans cet océan d’ennui : par Tante Amélie, il avait fait la connaissance d’une des pensionnaires du Cataract, une Anglaise d’une quarantaine d’années, grande et solide, avec un beau visage ouvert et des yeux pétillants d’intelligence. Elle se nommait Mrs Mallowan, épouse d’un archéologue « mésopotamien », mais s’était déjà taillé une réputation en Grande-Bretagne ainsi qu’en France en écrivant des romans policiers sous son pseudonyme : Agatha Christie. Elle s’était installée à l’hôtel où elle occupait une suite afin d’y écrire tranquillement. Sa conversation était pleine d’imprévus et de boutades. Elle disait par exemple :
— La meilleure chose à faire est d’épouser un archéologue. Plus vous vieillirez et plus il vous aimera…
Autre qualité maîtresse pour Morosini : elle se fichait royalement des joyaux célèbres ou non et il était incroyablement distrayant de bavarder avec elle à bâtons rompus. Hélas, c’était insuffisant pour le débarrasser de ses tourments…
Au matin du quatrième jour, enfin il se produisit un événement : le portier remit à Aldo une enveloppe renfermant son passeport. Sans un mot d’explication, mais cela n’avait plus d’importance. Il en éprouva la joie d’un gamin dont on vient de lever la punition et qui voit s’ouvrir devant lui les portes de la liberté, et se précipita chez Mme de Sommières :
— Alléluia, Tante Amélie ! Je peux rentrer chez moi !
Deux visages se levèrent en même temps vers lui : la marquise rédigeait en effet son courrier, assistée de Plan-Crépin :
— On t’a rendu ton passeport ?
— Oui. Je suis franchement navré de vous quitter mais ce voyage dont j’espérais tant se termine si mal que je n’ai guère envie de le poursuivre ! En outre, je ne sers strictement à rien ici. Alors demain, je pars pour Le Caire.
— Je ne peux pas te donner tort… commença la marquise, interrompue aussitôt par sa « secrétaire ».
— Et Adalbert ? Qu’est-ce que vous en faites ? Vous le laissez tomber ?
— Du calme, Plan-Crépin ! Il est assez grand pour savoir ce qu’il doit faire !
— Merci, Tante Amélie ! Quant à vous, ma chère enfant, je vous ferai remarquer que ce n’est pas moi qui ai lancé les tuiles en l’air ! Si Adalbert voulait que l’on se réconcilie, il en a eu largement le temps…
— Comme si vous ne le connaissiez pas ! Il doit être aussi malheureux que vous !
— Ça m’étonnerait énormément ! À l’heure qu’il est, il doit être en train de jouer les consolateurs auprès de sa dernière passion !
— Dont vous vous méfiez non sans raison ! Je suis certaine qu’il va avoir besoin de vous sous peu !
— J’aimerais savoir d’où vous sortez cette certitude ? Je sais comment cela se passe quand il a une femme dans la tête : le monde disparaît. Seule compte la bien-aimée. Alors je le laisse à ses amours… D’ailleurs, il n’est pas abandonné chez Henri Lassalle. Il le considère comme son second père…
— Peut-être. N’empêche que vous ne pouvez pas partir de la sorte ! J’ai la prémonition que nous allons tous le regretter… bientôt !
Des larmes coulaient sur ses joues et sa voix trahissait une telle angoisse qu’Aldo s’en émut :
— Il ne faut pas vous désoler, Angelina ! Si quelqu’un peut, un jour, recoller les morceaux entre lui et moi, c’est vous et Tante Amélie. Il vous aime beaucoup et dès le moment où j’aurai disparu de son champ de vision, il reviendra peut-être plus facilement à la raison… J’y pense… Je vais vous donner un cadeau pour lui… Attendez deux minutes.
Il courut à sa chambre, prit une enveloppe et y glissa l’Anneau, la ferma et revint la mettre dans les mains de Marie-Angéline :
— Voilà. Vous le lui porterez de ma part ! Il lui sera sûrement beaucoup plus utile qu’à moi.
— Tu es certain de ne pas te tromper ? s’inquiéta Mme de Sommières. Souviens-toi de ce que nous disions : il n’aura de cesse de l’offrir à la dame de ses pensées…
— Si ça peut le rendre heureux…
Cependant Plan-Crépin palpait l’enveloppe sans oser l’ouvrir :
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un anneau… et la dernière cachotterie qu’on vous ait faite ! Justement parce que nous craignions que vous n’alliez la livrer tout droit à Adalbert !
— Mauvaise raison ! Si vous commenciez par m’en parler ? Je ne lui donnerai rien avant de savoir de quoi il retourne ! Étant donné que vous ne partez que demain, nous n’avons pas à nous presser !
Et elle alla s’installer dans un fauteuil, bras croisés, attendant la suite.
— Plan-Crépin ! reprocha Mme de Sommières. Vous trouvez qu’Aldo n’a pas suffisamment d’ennuis ? Pourquoi compliquer les choses ?
— Nous devrions me connaître mieux ! Je suis vexée qu’après tant d’aventures courues ensemble on ait jugé bon de me cacher quelque chose… de primordial peut-être ?
— Sans aucun doute ! rétorqua Aldo qui commençait à perdre patience. Alors vous m’écoutez ou vous me délivrez une mercuriale ? Si c’est ça, j’expédie l’Anneau à Henri Lassalle et…
— Non, non ! Surtout pas ! J’écoute !
En de courtes phrases il eut remis l’Anneau dans son contexte et, pour finir, décolla l’enveloppe afin de le lui montrer. Son mouvement de mauvaise humeur était déjà oublié et elle écarquillait des yeux de petite fille émerveillée :
— Une bague venue de si loin !… du fond des âges ! C’est inouï !
— Alors, vous allez la lui donner ou non ?
— Bien sûr… quoique je me demande si n’aviez pas un peu raison en pensant…
— On n’en sortira pas ! déplora Mme de Sommières. Donne-moi ça, Aldo, j’irai moi-même…
Elle n’acheva pas sa phrase. Le téléphone intérieur sonnait. Plan-Crépin se dépêcha de décrocher. Cela faisait partie de ses tâches, la marquise détestant l’idée que l’on pût la sonner comme une domestique. Les réponses furent concises :
— Oui !… Oui, il est là ! Entendu, je le préviens !
Elle reposa le combiné puis se tourna vers Aldo :
— M. Lassalle est en bas. Il désire vous parler !
— J’y vais ! Tenez, rangez ça ! ajouta-t-il en fourrant enveloppe et Anneau dans les mains de Marie-Angéline. J’en profiterai pour faire retenir mes places de retour à Venise le plus vite possible…
Il descendit l’escalier en courant et gagna le bar où le vieux chercheur l’attendait, assis à une table d’encoignure devant un verre déjà à moitié vide. Bien qu’il fût tiré à quatre épingles comme d’habitude, Aldo fut frappé par les plis soucieux marquant son visage. Aussi, avant même de lui serrer la main, demanda-t-il ce qui l’amenait.
— Oh, une vétille : Adalbert a disparu !
— Comment, disparu ? s’étonna Aldo en se glissant auprès de son visiteur sur la banquette de velours rouge.
— Comment, je n’en sais rien ! Tout ce que je peux dire est que je ne l’ai pas vu depuis deux jours. Il est sorti avant-hier soir après avoir reçu un billet porté par un gamin en disant qu’il n’en aurait pas pour longtemps…
— Et vous ne vous inquiétez que maintenant ? Vous avez prévenu la police ?
— Évidemment, oui, mais plutôt par acquit de conscience. Vous connaissez ses capacités.
— Vous auriez pu me prévenir, moi.
— C’est ce que je fais… bien que, je vous l’avoue, j’y aie mûrement réfléchi. D’abord, Adalbert est très monté contre vous. Ensuite, ce n’est pas la première fois qu’il me joue ce tour. Voilà cinq ou six ans, alors qu’il séjournait chez moi, il est parti un soir en prétextant le même motif et n’est réapparu que trois jours après, dégoulinant de contrition mais si visiblement content que je n’ai pas eu le courage de lui faire des reproches. Il est vrai que le « quelqu’un » était une femme…
— Qui vous dit que l’histoire ne se renouvelle pas ?
— Il n’y en a qu’une qui l’intéresse en ce moment, et vous savez qui. Étant donné la chaleur de leurs relations, je serais fort étonné qu’il passe tout ce temps entre ses bras…
— La meilleure façon de le savoir n’est-elle pas d’aller vérifier ?
Le sang d’Henri Lassalle ne fit qu’un tour :
— Moi ? Que j’aille chez ce chameau de princesse Shakiar où elle habite ? Je ne vois d’ailleurs pas ce qu’Adalbert fabriquerait là-bas.
— Vous savez pertinemment qu’elle n’y est plus, puisqu’elle s’est installée au château du Fleuve le jour des funérailles ?
M. Lassalle éclusa son verre et fit une grimace aussi affreuse que s’il avait avalé de l’huile de ricin. Qu’Aldo traduisit aussitôt :
— … Mais vous n’avez aucune envie d’y aller voir ! C’est pousser la misogynie un peu loin ! Non ?
— Cette fois, vous ne pouvez nier que vous êtes responsable !
— Bon ! Écoutez, nous n’allons pas ergoter plus longtemps. Je me charge de cette corvée. Si Adalbert y est, je le saurai tout de suite !
— Même s’il est retenu captif ?
— Pour quelle raison ? Ces derniers temps, la belle Salima montrait une propension marquée à l’écarter de sa route. C’est décidé, j’y vais ! Rassurez-vous, conclut-il plus doucement, je passerai vous voir en rentrant.
Il remonta quatre à quatre chez Mme de Sommières où, c’était à prévoir, sa nouvelle arracha un cri d’angoisse à Marie-Angéline. Ce qui fit sursauter la vieille dame :
— Qu’est-ce qui vous prend de hurler de la sorte, Plan-Crépin ? Il n’est pas mort, que je sache !
— Vous n’en savez rien ! riposta l’interpellée en oubliant sous le coup de l’émotion son pluriel de majesté. Je suis sûre que cette femme est dangereuse !
— Moi aussi, mais j’en ai vu d’autres, répondit Aldo. Aussi y vais-je sans tarder ! Si je ne revenais pas – sait-on jamais ? – allez prévenir M. Lassalle… Quel que soit le souvenir que vous gardez de lui !
Il était sur le point de sortir quand elle le rappela d’une voix timide :
— Vous partez toujours demain ?
En dépit de son inquiétude, il ne put retenir un sourire :
— Vous ne perdez jamais le nord, n’est-ce pas, Mademoiselle du Plan-Crépin ? Je vous laisse répondre vous-même à cette question idiote !
8
Ce qu’avait vu Freddy Duckworth
Quand son taxi s’arrêta devant l’ancienne demeure d’Ibrahim Bey et qu’il le pria de l’attendre, le bonhomme fit la grimace. Depuis le drame dont il avait été le cadre, le vieux castel n’avait plus bonne réputation. Pour le convaincre, Aldo ne lui paya que la moitié de ce qu’il lui devait, en promettant course double s’il le retrouvait en sortant.
— Et si ti ne ressors pas ?
— Alors tu iras où tu m’as pris, tu demanderas M. Lassalle…
— Ji connais !
— Parfait. En ce cas, tu lui diras où tu m’as déposé et il te donnera au moins ce que je t’ai promis…
On s’en tint là.
Cette fois, la porte médiévale était fermée et Aldo dut actionner la chaîne de la cloche à plusieurs reprises avant de faire apparaître, dans l’entrebâillement, la tête enturbannée d’un serviteur noir auquel il tendit une carte de visite en demandant si Mlle Hayoun voulait bien le recevoir. L’homme s’inclina et disparut, le laissant retrouver la jarre d’oranger qui lui avait donné asile le jour du massacre.
Il n’y resta pas longtemps. Deux minutes tout au plus avant que la princesse Shakiar ne fasse une de ces entrées théâtrales qu’elle semblait affectionner dans une longue tunique noire sur laquelle glissait une avalanche de sautoirs d’or dénués de pierres précieuses comme les bracelets qui cliquetaient à ses poignets. L’entretien commença mal :
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