— Elle y est restée ?
— Où veux-tu qu’elle soit ? J’y suis allé voir le lendemain. Je te signale que c’est rudement bien défendu. Maintenant, il faut que tu te débarrasses de moi. Tu sais comment, j’espère ?
L’air excédé, Aldo s’arrêta et fouilla dans sa poche :
— Encore un mot ! Pourquoi n’as-tu rien dit à Mlle du Plan-Crépin ? Tu lui sers de guide assez souvent, il me semble ?
— C’est vrai… mais je crois qu’elle n’aime pas beaucoup la belle demoiselle… Oh, merci, sidi ! ajouta-t-il avec enthousiasme en empochant la pièce d’argent qu’Aldo venait de glisser dans sa main brune. La bénédiction soit sur toi et toute ta descendance !
Il repartit en dansant d’un pied sur l’autre et en faisant sauter la pièce, tandis qu’Aldo poursuivait son trajet. Le château du Fleuve ? L’idée lui était venue mais, s’il était normal que Salima soit dans la demeure de son grand-père, la présence d’Assouari dans la maison d’un homme qu’il avait probablement assassiné et alors qu’ils n’étaient pas mariés allait à l’encontre des lois de l’islam…
— L’islam ? s’écria Henri Lassalle quand, peu après, Morosini eut relaté sa rencontre. Je ne suis même pas certain qu’Assouari soit de ses fidèles. Il se veut l’héritier d’un tel paquet de traditions qu’on peut se demander comment il s’y retrouve. De toute façon, c’est un bandit.
— Il vous a fait savoir où doit avoir lieu l’échange ?
— Pas encore ! maugréa Adalbert. Et je te rappelle qu’il n’est pas vraiment question d’échange : si on lui donne l’Anneau, Salima aura la vie sauve mais il ne nous la remettra pas. C’est sa « fiancée », ajouta-t-il avec un dégoût débordant de rage.
— On pourrait peut-être essayer ? Donnant donnant… et s’il veut l’Anneau… qu’il la libère !
— Et quand veux-tu « essayer » ? Quand je serai en face de lui, sans armes, seul, l’Anneau à la main, et qu’il me regardera rappliquer avec son mauvais sourire ? Il faudra que je m’estime heureux s’il ne me tire pas dessus pour être définitivement délivré de ma personne !
— N’exagère pas ! coupa Lassalle. Tel qu’on le connaît, on peut être assurés que la transaction ne s’effectuera pas sans témoins et que, même au cœur de la nuit – ce qui sera sans doute le cas ! –, il tiendra à donner de la solennité à ce qu’il pourrait appeler ta reddition. Donc il aura ses gens autour de lui, sans compter « sa fiancée ». Or, tu lui porteras un objet sacré. S’il t’abat, il aura perdu la face parce qu’il aura agi en truand et pas en grand prince ! Tu n’as rien à craindre. Dans l’immédiat, tout au moins !
— Le malheur, c’est que notre marge de manœuvre se rétrécit à vue d’œil, soupira Morosini. L’échéance est demain… Autrement, sachant où elle est enfermée, on aurait pu tenter de s’y introduire…
Adalbert ne le laissa pas achever. Il écumait presque :
— N’importe quoi ! Tu as évalué l’importance du château ? Le krak des Chevaliers en plus petit ! Alors on fait comment ? On escalade les murs armés jusqu’aux dents ! – pourquoi pas, au point où nous en sommes ! – après avoir grimpé à l’aide de cordes et depuis le Nil la dégringolade de rochers sur lesquels le château est bâti ? Arrivés là-haut, on bousille tout ce qui bouge, on plante le drapeau français au sommet de la tour, on entonne La Marseillaise et on enlève la princesse !
Sans s’émouvoir devant cette fureur où il reconnaissait la présence du désespoir, Aldo tira son étui à cigarettes, en prit une qu’il tapota sur la brillante surface d’or, puis, regardant Lassalle :
— Il est devenu idiot ou quoi ?
Il n’attendit pas de réponse, alluma le mince rouleau de tabac et le glissa entre les lèvres de son ami :
— Tu n’es pas Lancelot, je ne suis pas Perceval et on ne vit plus au Moyen Âge. Je pensais stupidement à notre vulgaire arme moderne : l’argent ! Si l’on s’en tient à l’Histoire, combien de sites inexpugnables sont tombés au cours des siècles parce que quelques pièces d’or étaient venues graisser subrepticement la patte d’un citadin assez costaud pour tirer les verrous soigneusement huilés ? Ce type se prend peut-être pour le dernier pharaon, mais il m’étonnerait fort qu’il n’ait que des adorateurs ! Malheureusement…
Adalbert s’assit, aspira deux ou trois bouffées puis ébaucha un sourire…
— Depuis qu’on est ici, je passe mon temps à t’offrir des excuses ! Mais il ne faudrait pas que ça devienne une habitude…
— Rien à craindre ! Je te fais confiance !
Henri Lassalle, lui, pensait déjà à autre chose :
— Mon cher Aldo, je ne veux pas vous chasser mais vous devriez peut-être retourner à l’hôtel demander si l’on a enfin des nouvelles de votre ami anglais. À ne vous rien cacher, je redoute moins pour Adalbert la balle ou le poignard que les menottes de Keitoun. Celui-là se tient tranquille pour l’instant – et c’est la meilleure preuve qu’il est manipulé par Assouari – mais il est probable qu’il mettra sa grosse patte sur lui dès que son patron aura obtenu satisfaction !
— Vous croyez ?
— Oh, j’en mettrais ma main au feu ! Évidemment, on finira par sortir Adalbert de ce pétrin, mais au bout de combien de temps et dans quel état ? De toute façon, sa carrière d’archéologue pourrait s’arrêter là !
— Vous avez raison, j’y vais !
À l’hôtel, cependant, lady Clémentine restait sans nouvelles et son inquiétude augmentait à mesure que les heures s’égrenaient. Même si son anxiété n’était pas évidente – éducation anglaise exige ! –, ses yeux qui parfois avaient peine à se fixer la trahissaient. Mme de Sommières et Plan-Crépin l’entouraient de leur mieux tout en respectant les règles d’une discrétion qu’elles savaient obligatoire et même si une véritable amitié se nouait de jour en jour, presque d’heure en heure, entre ces trois femmes. Pour les deux Françaises un vague sentiment de culpabilité s’y joignait : n’était-ce pas pour empêcher Keitoun de s’emparer d’Adalbert, et même obtenir que les autorités mettent un terme à ce simulacre de proconsulat délirant exercé par lui sur les gens d’Assouan, que Sargent avait pris la route de la capitale ?
Les trois femmes – et Morosini au moment des repas – formaient une manière d’îlot distant au milieu de l’espèce de maelström qui s’était emparé du vénérable hôtel, avec le débarquement d’une équipe de cinéastes hollywoodiens aussi bruyants que mal élevés. La romancière anglaise venait de plier bagage, terrifiée par le vacarme qu’ils entretenaient quasiment jour et nuit et contre lequel le directeur et Garrett luttaient comme ils pouvaient. Les envahisseurs étaient là pour quinze jours et entendaient en profiter pleinement. Au moins, la nuit ! Tant que brillait le soleil, ils rejoignaient dans le désert leurs équipes techniques répandues dans les hôtels de moindre catégorie de la ville. Mais le soir venu, les « têtes » du film – producteur, metteur en scène, jolies femmes au luxe tapageur, jeune premier à l’œil de velours, moins jeune à l’air important, etc. – prenaient possession des salons, bar, salle à manger en faisant un tel bruit qu’ils donnaient l’impression d’être au moins deux cents.
— J’espère que tu n’as pas de clients parmi ces gens ? demanda Tante Amélie à Aldo. Il ne nous manquerait plus que cela !
— Rassurez-vous ! Si j’ai des clients américains, ils sont exclusivement côte Est. De toute façon, ceux-ci n’appartiennent pas au gratin californien. Aucun nom connu ! Je suppose qu’il s’agit d’un richissime roi du Celluloïd ou des Corn Flakes qui veut voir sa maîtresse briller au firmament des stars et concocte un film d’« atmosphère » dans ce but…
— Ce doit être le gros type avec son casque colonial et ses chemises à fleurs qui parle si haut ? Mais il y a deux femmes avec lui. Alors, la blonde ou la brune ?
— Pourquoi pas les deux ? En tout cas, ils présentent un avantage : ils fascinent Keitoun qui, du coup, oublie de nous surveiller…
— Je ne m’y fierais pas trop, si j’étais toi…
La recommandation était superflue ! Il y avait beau temps que l’homme aux pistaches n’amusait plus Aldo.
En attendant, le soir du second jour, les trois dames, laissant les clients « survivants » du Cataract subir le tintamarre du dîner à la salle à manger – parfois peut-être s’en distraire ? –, choisirent de se faire servir chez Mme de Sommières sur l’agréable terrasse qui prolongeait sa chambre et dominait le Nil et les îles. Pour les laisser entre elles, Aldo s’en alla dîner dans un petit restaurant de la Corniche, tranquille et bien tenu, où la cuisine locale était excellente. Il eut la surprise d’y rencontrer une bonne dizaine de clients du Cataract avec lesquels il échangea quelques sourires complices. Apparemment il n’était pas le seul à souhaiter manger en paix…
En rentrant, il aurait aimé aller au bar boire un verre mais l’écho nasillard des maudites voix yankees s’y faisait entendre et il se contenta de s’asseoir dans le jardin en fumant un cigare et en regardant les étoiles. Dire qu’il redoutait ce qui pourrait se passer le lendemain était un euphémisme. Il savait Assouari capable de tout et aussi qu’il pouvait absolument tout se permettre dans ce coin de Haute-Égypte où ce qui disposait d’un peu de pouvoir lui était inféodé. Quelle défense pourrait-on lui opposer ? Rien ou si peu… Et il y avait ce côté, absurde et d’un âge révolu, dont il parait ses exigences : si Adalbert ne lui apportait pas l’Anneau, il éliminerait celle qu’il considérait comme sa propriété et pour laquelle il n’avait pas hésité à faire abattre l’homme qu’elle avait osé aimer. Pourquoi aussi ce mystère, gardé jusqu’à la dernière minute sans doute, sur le lieu où l’Anneau devrait lui être livré ? Outre son palais bourré de serviteurs quasi prosternés, il disposait d’une forteresse inexpugnable, à moins de lui opposer des armes de guerre lourdes, canon ou char d’assaut. Il était plus que probable qu’Adalbert devrait se présenter devant ladite forteresse. Et après ? Que se passerait-il après ? On lui dirait « merci » et « au revoir, Monsieur »… ? C’était difficile à croire. Pourquoi d’ailleurs Adalbert, puisque le prétendu frère du pauvre El-Kaouari savait parfaitement que c’était à lui, Morosini, que l’Anneau avait été confié ? Cette histoire n’avait aucun sens… sauf si Assouari avait décidé, une fois l’Anneau entre ses mains, d’abattre purement et simplement l’homme qui avait été le professeur de Salima ? Et dans ce cas, comment faire pour protéger Adalbert ? Au frisson glacé qui lui courut le long de l’échine, Aldo eut soudain le pressentiment qu’il était dans le vrai et que… C’était à se taper la tête contre les murs !
Il finit par retourner à l’hôtel quand les protagonistes du film se furent décidés à aller se coucher, suivit leur exemple sans parvenir à trouver le sommeil. Quand l’aube réapparut, il avait cependant fixé sa conduite : que le prince-forban le veuille ou non, il ne laisserait pas son ami se faire massacrer tout seul. Il irait avec lui… et armé sans que ce soit visible. Auparavant, il confierait à Tante Amélie une lettre en double exemplaire destinée à l’ambassadeur de France et au Consul général racontant l’histoire dans son intégralité. Il y laisserait peut-être sa peau mais Assouari, tout prince d’Éléphantine qu’il se voulût, ne s’en tirerait pas sans dommages !
Il se mit à l’ouvrage aussitôt, ce qui lui demanda un certain temps, se doucha, se rasa, s’habilla, avala du thé, des toast, puis alla frapper chez Tante Amélie qu’il trouva en train de prendre son petit déjeuner en compagnie de Marie-Angéline.
Il avait promis à Lassalle de passer la journée chez lui afin d’être sur place quand arriverait l’ultimatum. Le moment était donc venu de récupérer l’Anneau.
Son entrée suspendit la tasse de thé que Mme de Sommières s’apprêtait à porter à ses lèvres :
— Seigneur ! Tu as une mine épouvantable ! Tu n’as pas dormi de la nuit, au moins ?
Il embrassa la vieille dame, sourit à Plan-Crépin :
— J’avais autre chose à faire ! Tante Amélie, voici deux lettres que je vous confie. Il vous suffit d’un coup d’œil pour voir à qui elles sont destinées. Vous les acheminerez au cas où, ce soir, il m’arriverait… des problèmes. Car, vous le comprendrez, je n’ai pas l’intention d’abandonner Adalbert seul face à ce dingue. Quant à vous, Marie-Angéline, je vais vous prier d’avoir la gentillesse de me rendre l’Anneau.
Mme de Sommières parcourut les adresses, leva un sourcil puis, avec un calme parfait :
— Deux lettres seulement ? Il me semble, à moi, qu’il devrait y en avoir trois ?
— Pourquoi trois ?
— Si j’ai bien compris, tu comptes te faire tuer glorieusement ce soir aux côtés de ton « plus que frère », comme dit Lisa ? Il conviendrait donc d’écrire quelques mots à ta femme afin de lui exposer la situation et de lui dire adieu. Je suis sûre qu’elle apprécierait !
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