Le dernier cri s’acheva en sanglots si violents qu’ils attirèrent Fräulein Gottorp…
— Que se passe-t-il ? Oh, mon Dieu !
Écroulée contre la poitrine de la comtesse, Eva subissait une violente crise de nerfs. Voyant que la vieille dame peinait à la maintenir, Aldo l’écarta, enleva la malade dans ses bras et l’étendit sur son lit où Gottorp, armée d’une serviette et d’eau fraîche, le rejoignit :
— Vous devriez partir ! conseilla-t-elle. J’en ai pour un moment à la calmer.
— Peut-on vous aider ?
— Non, son médecin va venir… C’est étonnant ! Elle était si paisible ce tantôt. De quoi avez-vous parlé ? ajouta-t-elle d’un ton accusateur.
Plantant dans les yeux d’Aldo un regard qui lui ordonnait le silence, Mme von Adlerstein fit semblant de chercher puis déclara :
— Voyons ! Réfléchissons… tout se déroulait bien en effet. Nous parlions de choses sans importance quand le mot de Mexique est venu dans la conversation.
— Ah, Seigneur ! J’aurais dû vous prévenir…
— Pourtant ces portraits… ces objets doivent le lui rappeler à chaque instant ?
— Oh, ne me demandez pas d’expliquer ! Elle parle sans cesse de l’empereur, mais le nom du pays qui l’a tué est tabou !
— Croyez que nous sommes désolés…
— Vous ne pouviez pas savoir…
— Nous partons.
Dans la voiture qui les ramenait au palais Adlerstein, les deux visiteurs gardèrent le silence. Assez accablé pour Aldo. Il avait cru voir, un instant, s’ouvrir l’une des portes de l’Histoire. Or elle s’était seulement entrebâillée pour se refermer presque aussitôt. À Lisa qui les attendait des interrogations plein les yeux, il jeta :
— Ce dont nous sommes certains, c’est que le collier est revenu en Europe, et un temps, en Belgique, mais depuis la mort de l’impératrice Charlotte, Dieu sait ce qu’il a pu devenir…
— C’est elle qui l’avait ?
— Oui, mais sans le savoir…
— Explique ! Tu es à peu près aussi clair que l’Évangile selon saint Jean !…
— Lisa ! protesta sa grand-mère. Quel langage pour une chrétienne !
— Cela ne veut pas dire que j’aie perdu la foi ! Avouez qu’il est franchement obscur, l’évangile en question ?
— Vous en discuterez plus tard ! coupa Aldo, agacé. On a d’autres chats à fouetter…
Lorsqu’il eut fini de décrire la scène dramatique dont la maison de la Hohe Warte avait été le théâtre, ce fut au tour de Lisa d’entrer dans une brève méditation qu’elle acheva en demandant :
— Est-ce que quelqu’un connaît la date de cette mort ?
— Elle s’est éteinte le 19 janvier 1927, dit la vieille dame. Je m’en souviens parce que ma cousine Élisabeth est morte le même jour. Charlotte vivait depuis des années au château de Bouchout, pas loin de Bruxelles…
— Mais évidemment ! s’écria Lisa. Souviens-toi, Aldo ! Elle n’avait pas d’enfants et tu songeais à te rendre là-bas, pensant que la famille procéderait à une vente d’au moins une partie de ses bijoux parce qu’elle en avait beaucoup et de fort beaux. Et puis il n’y a rien eu…
— C’est vrai. Je pensais que la famille se les était partagés. Ce qui m’étonnait, mais avec les dégâts laissés par la guerre, on pouvait supposer que même des princes pouvaient préférer de l’argent à des diadèmes et autres bibelots… Quoi qu’il en soit, ils n’en ont rien fait. Ce qui met un point final à l’histoire.
— C’est ce qui s’appelle jeter le manche après la cognée ! s’indigna la jeune femme. Il devrait tout de même être possible à l’illustre maison Morosini d’obtenir quelques renseignements ? Tu as gardé, j’imagine, des correspondants en Belgique ?
— Surtout chez les joailliers. L’ex-Mina Van Zelden, brillante secrétaire s’il en fut, connaissait tout cela par cœur, sourit-il, faisant allusion au temps où Lisa, déguisée en Hollandaise et méconnaissable sous des habits dignes d’une quakeresse, avait travaillé pour lui en faisant preuve d’une rare compétence.
— Tu devrais aller en voir au moins un. Si les bijoux ont été partagés, je suis persuadée qu’ils savent entre qui et comment. Ces gens-là entretiennent des espions autour de toutes les maisons royales et des collectionneurs de renom…
— Tu n’oublies qu’une chose : le collier a été caché dans le double fond d’une boîte à éventail et n’a jamais fait partie de l’écrin de la pauvre Charlotte. Elle a pu en faire cadeau à quelqu’un ou alors les dames de son entourage ont pu recevoir, après sa mort, ses objets de coquetterie qui étaient autant de souvenirs. À ce propos, je trouve étrange cette histoire de double fond. Tel qu’il était, le collier devait être important. Il y avait les cinq émeraudes mais aussi la chaîne et les motifs d’or ciselé qui les reliaient. Une boîte à éventail – même un grand ! – peut-elle avoir les dimensions suffisantes…
— Je me demande, émit Grand-Mère, s’il n’aurait pas été démonté par l’un de ceux qui l’ont eu entre les mains ? Souvenez-vous, Aldo, Eva n’a parlé que des pierres. Pas une fois du collier. Si c’est le cas, la cachette devient crédible. Cinq émeraudes, même de cette taille, peuvent se dissimuler sans difficulté dans ces boîtes parfois imposantes, voire précieuses. Et l’impératrice en avait beaucoup. Au fond, elle n’est pas morte depuis si longtemps. Il devrait vous être facile d’obtenir de la cour de Belgique la liste des personnes qui l’entouraient et la servaient dans sa dernière résidence.
— Vous avez des relations, vous, à la cour de Bruxelles ?
— Quand la reine Marie-Henriette(11) était encore de ce monde, je vous aurais répondu oui, mais plus maintenant. Quant aux dames autrichiennes qui ont servi l’impératrice Charlotte au Mexique telles les comtesses Kinsky et Kollonitz, elles avaient quitté le pays bien avant la catastrophe. Enfin, la guerre a détruit la vieille complicité qui unissait jadis la noblesse d’Europe. Il ne reste que ceux qui ont combattu dans un clan et ceux de l’autre côté… Même les liens de famille tissés par mariage n’y ont pas résisté…
— Eh bien, et nous alors ? protesta Lisa. Je suis votre petite-fille et j’ai épousé un de ces Vénitiens qui haïssaient tellement l’occupant autrichien.
— Je ne dis pas que l’amour ne peut faire des miracles…
— Pas de miracle dans notre cas ! coupa Aldo, soudain amusé. C’est une Suissesse que j’ai épousée, donc une neutre ! Ces gens-là se sont toujours arrangés pour être bien avec tout le monde ! Les autres s’entretuent joyeusement autour d’eux et ils comptent les coups !
— Si tu avais dit : « ils comptent leurs sous », je demandais le divorce !
— Tu aurais eu tort, c’est une occupation hautement honorable à laquelle je ne déteste pas de m’adonner. D’ailleurs, à propos de sous, il me vient une idée : sauf s’il abrite actuellement une quelconque altesse royale, je vais aller au château de Bouchout. Avec quelques billets judicieusement distribués, il devrait être possible d’obtenir la permission de visiter, sous le prétexte de rendre un hommage peut-être un peu tardif mais un hommage tout de même. Il serait fort étonnant que l’on ait changé les gardiens. J’en apprendrai sans doute davantage qu’en allant poireauter durant des heures dans les cabinets ministériels ou autres. Lisa, veux-tu demander à l’aimable Joachim de consulter l’annuaire des trains et de m’en trouver un pour Bruxelles ?
— Je vais le chercher moi-même !
— Tu ne vas pas le priver de ce plaisir ? Il va être si heureux de me voir partir ! Pour celui-là, la guerre n’est pas finie !
— Oh ! protesta la jeune femme. Il faut toujours que tu exagères !
— À peine ! Ce bonhomme me déteste. Mais je le lui rends au centuple ! Tu paries qu’il me trouve un train ce soir ?
Trois heures plus tard, Aldo embrassait Lisa sur le quai de la gare devant le Vienne-Nuremberg-Francfort-Cologne-Bruxelles où il passerait la nuit. La présence de la jeune femme constituait une entorse au règlement que les Morosini s’étaient imposé depuis leur mariage : ne jamais accompagner jusqu’au train ou jusqu’au bateau celui qui s’en allait. Ils avaient pareillement horreur des adieux qui s’éternisent sur un quai, les dernières secondes étant les plus pénibles quand, l’un des deux penché à la fenêtre de son compartiment, on ne sait plus que dire ni que faire pour cacher ses larmes…
Cette fois, Lisa, prise de court, n’avait pas voulu se plier à la règle. Elle ne savait pas quand elle reverrait son époux et elle était consciente du peu de temps imparti par le bandit du bois de Boulogne. Trois mois déjà entamés pour retrouver – aiguilles dans une meule de foin – cinq pierres peut-être disséminées à travers l’Europe ou jetées dans une vieille boîte au fond d’une décharge à ordures… Elle était encore plus consciente du péril encouru s’il ne les retrouvait pas. Vauxbrun risquait de mourir et Aldo de tomber dans une chausse-trappe. Ou alors… mais elle ne voulait penser ni à elle ni aux enfants. Dans quelques heures, elle retournerait à Venise pour en ramener Antonio, Amelia et Marco derrière les murs rassurants du vieux palais familial…
L’annonce du départ sépara le couple :
— Va vite à présent, mon amour ! murmura Aldo en posant un dernier baiser au creux de la paume de sa femme. Et ne te tourmente pas trop ! Je n’ai rien à redouter tant que les trois mois ne sont pas écoulés. En outre, n’oublie pas qu’avec Adalbert nous nous sommes tirés de situations au moins aussi baroques !
— Je n’oublie pas, sois tranquille ! Mais fais attention ! Et que Dieu te garde !
Elle se détourna brusquement et courut vers la sortie tandis qu’Aldo escaladait les marches du wagon-lit. Un bruit de galopade le fit se retourner sur la dernière marche : une jeune femme maintenant d’une main son chapeau enfoncé sur la tête, traînant de l’autre une mallette en crocodile et une paire de renards argentés dans lesquels ses pieds montés sur talons hauts pouvaient s’emmêler à chaque pas et la jeter par terre, essayait d’attraper cette portière encore ouverte du train en criant :
— Attendez-moi ! Attendez-moi !
Aldo se pencha et l’agrippa juste au moment où le convoi s’ébranlait et la hissa à l’intérieur. Elle s’accrocha à son bras :
— Ah, Monsieur, sauvez-moi !
— Volontiers, mais de quoi, Madame ?
Il n’eut pas besoin de poser deux fois la question : la réponse arrivait spontanément, incarnée par un homme fortement moustachu, brandissant une canne à pommeau d’ivoire, visiblement lancé sur les traces de la dame mais qui, ayant environ le double de son âge, ne possédait pas la même pointe de vitesse. Il était en outre fort en colère, voulut atteindre l’une des barres de cuivre qui permettaient de monter dans le train déjà en marche mais se fit repousser avec décision par un pied vigoureux élégamment chaussé de daim marron. Il réussit malgré tout à garder son équilibre et vociféra :
— Fichue menteuse ! Oserez-vous me répéter que vous n’avez pas d’amant quand je vous prends…
Le train gagnant de la vitesse, la fin de la phrase se perdit dans les lointains de la gare. Le contrôleur s’était précipité vers le groupe forme par Aldo et la jeune femme, et se hâtait de refermer la portière.
— Quelle imprudence, mon Dieu ! Comment se fait-il que cette porte ne soit pas encore fermée ?
— Je crains que ce ne soit ma faute, commença Aldo, mais la dame lui coupa la parole tout en redressant son chapeau qui donnait de la bande :
— Vous n’allez pas le reprocher à ce monsieur, Léopold ? Sans lui je manquais le train, et sait-on ce qui aurait pu m’arriver avec ce furieux ?
Mais déjà le préposé baissait pavillon :
— Excusez-moi, Madame la baronne. C’est moi qui ai tort. Pour aider un collègue à résoudre un problème, j’ai quitté un moment mon poste et je ne vous ai pas accueillie comme… j’aurais dû mais je vous conduis immédiatement à votre…
— Puis-je vous faire remarquer que vous ne m’avez pas accueilli davantage ? lui reprocha Morosini.
— Ça, c’est vrai ! approuva l’inconnue avec bonne humeur et un amusant accent belge, et je vous en félicite : sans Monsieur, le train était fermé et j’étais prise au piège ! On peut dire que vous étiez là à point nommé ! Cela dit, occupez-vous de Monsieur, mon bon Léopold ! Je suis toujours au numéro 4 ?
— Toujours, Madame la baronne, mais…
— Laissez, je n’ai que cette mallette : j’irai seule…
Adressant un sourire éclatant à son sauveur, elle s’engagea dans le couloir. Le contrôleur s’enquit de l’identité de son voyageur :
— Morosini ! Ma place a été retenue au dernier moment.
Léopold s’épanouit, mais la dame avait fait demi-tour et revenait vers eux :
— Le prince Morosini ? De Venise ?
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